CA Bordeaux, 1re ch. B, 26 septembre 2005, n° 03-02941
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ducene
Défendeur :
De Regnauld de la Soudière (Epoux), Auto Bilan Contrôle de Dordogne (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Montama
Conseillers :
MM. Crabol, Prevost
Avoués :
SCP Corinne Arsene-Henry, Pierre Lançon, SCP Luc Boyreau, Raphaël Monroux, SCP Claire-Marie Touton-Pineau, Rémi Figerou
Avocats :
SCP Thailhades-Jamot, Mes Ascension, Szewczyk
LA COUR,
Le 20 avril 2000, Monsieur Stefan Ducene a acquis de Monsieur Thierry de Regnauld de la Soudière et son épouse, un véhicule "Space Wagon" diesel de marque Mitsubishi pour un prix de 55 000 F. Deux mois plus tard, alors que 7 000 km environ avaient été parcourus, le moteur émettait un bruit anormal et paraissait affecté de dommages importants selon le garagiste de Monsieur Ducene. Celui-ci obtenait alors en référé l'organisation d'une expertise judiciaire. L'expert ainsi commis constatait l'existence de dommages résultant de vices qui ne pouvaient être "perçus" par l'acquéreur le jour de la vente, tout en existant à ce moment, et qui avaient trait à un défaut de combustion des liquides de lubrification. Il ajoutait que ces vices affectaient totalement la destination du véhicule et rendaient nécessaire le remplacement du moteur détérioré.
C'est dans ces conditions que Monsieur Stefan Ducene engageait une action estimatoire à l'encontre des vendeurs, lesquels faisaient appeler en la cause la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne.
Par jugement contradictoire du 6 mai 2003, le Tribunal de grande instance de Périgueux ainsi saisi a, entre autres dispositions, débouté Monsieur Stefan Ducene de ses demandes et dit par suite sans objet l'appel en garantie des époux de Regnauld de la Soudière à l'encontre de la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne.
Monsieur Stefan Ducene a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée au greffe de la cour le 27 mai 2003. Il a sollicité l'inscription de l'affaire au rôle le 4 juin 2003 et conclu.
Les époux de Regnauld de la Soudière, intimés, ont constitué avoué et conclu. Ils ont par ailleurs appelé à la cause la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne sur appel provoqué signifié le 9 février 2004.
La société Auto Bilan Contrôle de Dordogne a constitué avoué et conclu.
Suivant ses conclusions signifiées et déposées le 11 février 2005, l'appelant demande d'entériner les conclusions de l'expert judiciaire, son rapport établissant l'existence d'un vice caché répondant aux exigences de l'article 1641 du Code civil. Contrairement à l'appréciation du tribunal, il soutient que les analyses des huiles usagées sont opposables aux vendeurs, de sorte que la panne rencontrée est assurément l'étape finale de la détérioration du moteur qui, lors de la vente, ne présentait déjà pas les caractéristiques suffisantes pour une utilisation normale. Il ajoute qu'ayant investi une somme conséquente dans l'achat du véhicule, somme supérieure au cours de l'argus, il était en droit d'attendre qu'il fonctionne correctement sans que l'aléa inhérent à la vente d'un véhicule d'occasion puisse être valablement opposé.
Il conclut par conséquent à la réforme du jugement entrepris et entend obtenir, au visa des articles 1641 et 1644 du Code civil, que les époux de Regnauld de la Soudière soient condamnés à lui payer une somme de 5 572,08 euro au titre des réparations du véhicule et une somme de 3 485,74 euro au titre des frais de gardiennage, outre une somme de 3 048,98 euro pour trouble de jouissance et une autre somme de 1 124,49 euro à titre de dommages et intérêts. Il sollicite le bénéfice d'une indemnité de 1 219,59 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la condamnation des mêmes aux entiers dépens.
Les époux de Regnauld de la Soudière, intimés, exposent quant à eux suivant leurs ultimes écritures signifiées et déposées le 21 avril 2005, que les conclusions de l'expert ne leur sont pas opposables, qu'elles sont en tout cas critiquables et qu'il n'en résulte pas la démonstration à laquelle se réfèrent les appelants. A titre subsidiaire et si le vice caché était retenu, ils entendent obtenir la garantie de la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne en raison de la faute qu'elle a commise dans le contrôle opéré lors de la vente sur le système de combustion du véhicule, puis estiment qu'elle ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l'article 1648 du Code civil comme soutenir que le rapport d'expertise ne lui est pas opposable. Ils demandent au surplus que les prétentions de l'appelant soient minorées et qu'il soit débouté de celles relatives au préjudice de jouissance et aux dommages et intérêts.
Ils concluent en définitive à la confirmation du jugement et au débouté de l'intégralité des demandes de l'appelant puis, à titre subsidiaire, à ce que :
- les réparations mises à leur charge n'excèdent pas 1 426,23 euro pour tenir compte de la plus value engendrée par le remplacement du moteur à neuf,
- ils ne soient pas tenus au paiement de dommages et intérêts alors qu'ils ne peuvent convaincus d'avoir connu les vices cachés du véhicule.
- l'appelant soit débouté de ses autres demandes.
Ils demandent que la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne les relève indemne des condamnations pouvant être mises à leur charge et que l'ensemble de ses prétentions soient rejetées.
Ils sollicitent en tout état de cause la condamnation de l'appelant à leur payer une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Auto Bilan Contrôle de Dordogne, intimée sur appel provoqué, oppose aux époux de Regnauld de la Soudière, selon ses dernières conclusions signifiées et déposées le 18 avril 2005 :
- le caractère tardif de l'action en garantie récursoire et se prévalent à cet égard de l'article 1648 du Code civil,
- l'inopposabilité des opérations d'expertise,
- la qualité du contrôle technique effectué conformément aux normes légales.
Elle critique les moyens développés par les intéressés au soutien de leur thèse.
Elle demande en définitive de rejeter les prétentions et l'appel de Monsieur Ducene comme des époux de Regnauld de la Soudière en les déclarant irrecevables, tardifs ou mal fondés, en les condamnant aux dépens et en mettant à leur charge une indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est du 2 mai 2005.
DISCUSSION :
Les appels principal et provoqué sont recevables en la forme.
Sur l'existence d'un vice caché;
Les premiers juges ont retenu qu'il avait été nécessaire à Monsieur Cigarme, expert judiciaire désigné par ordonnance de référé du 5 octobre 2000, de se fonder sur des analyses de l'huile usagée du moteur effectuées hors de son contrôle, analyses pourtant déterminantes, mais non opposables.
Il doit être cependant relevé que les prélèvements d'huile usagée ont été effectués par Monsieur Schmitt, expert amiable choisi par Monsieur Stefan Ducene, en présence des parties ou celles-ci représentées. Ces prélèvements ont ensuite été confiés au laboratoire VEEDQL et à la société ST2 qui sont parvenues à des résultats concordants.
S'il est de droit que les parties puissent débattre contradictoirement des preuves produites, cette obligation n'interdit cependant pas la production d'un rapport amiable, dès lors qu'il est soumis à leur libre discussion. En l'espèce, le rapport de Monsieur Schmitt est produit aux débats et peut être discuté. Il énonce les résultats des analyses faites dans les deux laboratoires, en précisant qu'elles ont été opérées à partir de l'huile usagée contradictoirement prélevée sur le moteur du véhicule en cause avant tout démontage et alors que le niveau de la jauge d'huile était correct. Madame Regnauld de la Soudière mentionnée comme étant présente lors de ce prélèvement ne le conteste d'ailleurs pas.
Ainsi, toutes garanties ayant été assurément prises par l'expert amiable, l'expert judiciaire pouvait valablement intégrer à son rapport les résultats des analyses faites par le laboratoire Veedol ou la société ST2, ce d'autant qu'il s'agit d'organismes n'ayant aucun lien avéré avec les parties et que ces analyses ont été réalisées selon un protocole dont il n'est pas discuté, que leurs résultats concordent et qu'elles présentent en définitive des garanties suffisantes de sérieux.
Monsieur Cigarme, expert judiciaire, s'est donc ainsi fondé sur des données techniques incontestables et a effectué un travail complet et sérieux qui pouvait, contrairement à l'appréciation des premiers juges, servir de fondement à leur décision. Il en résulte, ce que retiendra la cour, que les désordres affectant le moteur (destruction des coussinets de bielles et d'un mamelon du vilebrequin) sont l'étape finale de sa détérioration et ont pour origine un défaut de lubrification dû à une altération des propriétés physiques de l'huile de graissage, altération trouvant elle-même son origine dans un défaut de combustion du gasoil dans les chambres de combustion, lequel défaut de combustion existait lors de la vente et ne pouvait être perçu par l'acquéreur.
En tout cas, l'aléa prétendument lié à toute vente de véhicule d'occasion ne saurait être valablement opposé par les époux Regnauld de la Soudière, un moteur diesel ayant un potentiel bien supérieur au kilométrage qui était affiché sur le compteur lorsqu'il est correctement entretenu et le choix qu'ils ont fait de vendre le véhicule à un prix supérieur à celui de l'argus (expertise judiciaire page 16) impliquant que son état était supérieur à la norme. De même, il n'est pas établi que le vice décelé par l'expert judiciaire trouve sa cause dans un usage anormal du véhicule, usage anormal ne pouvant au demeurant résulter de la seule constatation selon laquelle il a été parcouru 7 000 km en six semaines.
Il demeure que l'existence du vice caché est avérée et que les vendeurs doivent le garantir.
Sur l'action estimatoire
L'appelant est fondé à opter pour l'action estimatoire, les dispositions de l'article 1644 du Code civil lui en offrant le choix sans qu'il ait à en justifier.
L'expert a évalué le coût de la réparation à 36 550,44 F ou 5 572,08 euro. Ce chiffrage n'est pas sérieusement contestable et il est pleinement justifié de réduire le prix de vente de ce montant qui devra être restitué à l'appelant. Pour le surplus, le trouble de jouissance résultant du vice caché et qui a interdit l'usage du véhicule par l'appelant, ne justifie pas la condamnation des vendeurs à une restitution supplémentaire du prix. Il n'est en effet aucunement établi que les vendeurs connaissaient le vice du véhicule vendu et ils ne sauraient être tenus qu'à la restitution du prix et des frais de vente, sans devoir garantir l'appelant des conséquences du dommage causé par le vice. Non seulement leur demande en paiement d'une somme de 3 048,98 euro pour trouble de jouissance n'est pas fondée, mais il en est de même de celles ayant trait au paiement d'une somme de 3 485,74 euro au titre des frais de gardiennage ou d'une somme de 1 524,49 euro à titre de dommages et intérêts.
Sur le recours en garantie exercé contre la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne:
La société Auto Bilan Contrôle de Dordogne oppose trois moyens principaux à l'action en garantie entreprise à son encontre par les époux Regnauld de la Soudière.
Il est constant que le bref délai de l'action visée par l'article 1648 du Code civil n'est pas opposable au vendeur. Au demeurant et à le supposer opposable, il a été interrompu par l'action en référé et les vendeurs ne pouvaient eux même agir avant d'avoir été assignés au fond par l'acquéreur. Ce premier moyen ne peut donc être retenu.
L'expertise judiciaire a été effectivement réalisée sans que la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne y ait été appelée. Elle a cependant été mise en mesure d'en discuter dans le cadre du débat judiciaire, que ce soit en première instance ou en appel, de sorte que l'exigence du contradictoire est satisfaite. Ce second moyen ne sera pas davantage retenu.
Il doit être admis pour le surplus que si le véhicule en cause a bien été accepté lors du contrôle technique effectué à la demande des vendeurs le 15 avril 2000. La société Auto Bilan Contrôle de Dordogne a alors agi dans le cadre d'un contrôle administratif et non pas d'une expertise. Elle a satisfait toutes les exigences de ce contrôle et il n'est pas indifférent de relever que le contrôle d'opacité était correct (résultats toujours inférieurs à 3 selon le document produit) au regard des normes réglementaires. L'expert judiciaire a d'ailleurs pris soin de mentionner en page 11 de son rapport que les contrôles techniques du véhicule ne comprenaient pas de contrôles significatifs de l'état et des réglages du moteur qui conditionnent notamment la qualité de la combustion du carburant lors de son fonctionnement en charge. Il n'est en définitive pas établi que cette société a failli à ses obligations et le recours en garantie exercé à son encontre ne peut prospérer.
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
L'équité commande de faire application de ces dispositions au bénéfice de l'appelant et de la société Auto Bilan Contrôle de Dordogne. Les époux Regnauld de la Soudière seront condamnés à payer sur ce fondement à chacun d'eux une indemnité de 1 000 euro.
Par ailleurs, les époux Regnauld de la soudière supporteront l'intégralité des dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare recevables en la forme les appels principal et provoqué, Au fond, Infirme le jugement entrepris et, Statuant à nouveau: Reçoit l'action estimatoire de monsieur Stefan Ducene. Condamne les époux Regnauld de la Soudière à lui payer une somme de 5 572,08 euro au titre de la réduction du prix de vente et une indemnité de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne les époux Regnauld de la Soudière à payer à la Société Auto Bilan Contrôle de Dordogne une indemnité 1 000 euro sur le même fondement. Déboute les parties de toute autre demande. Condamne les époux Regnauld de la Soudière aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Corinne Arsene-Henry et Pierre Lançon et de la SCP Claire-Marie Touton-Pineau et Rémi Figerou, avoués associés à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.