CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 août 2005, n° 04-01650
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Narboni
Défendeur :
Groupe Volkswagen France (Sté) , Avenir Champagne Automobiles (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ruffier
Conseillers :
Mmes Simon Rossenthal, Nemoz-Benilan
Avoués :
SCP Delvincourt-Jacquemet, SCP Genet-Braibant
Avocats :
Mes Barre, Fahrner
LA COUR,
FAITS, MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur Julien Narboni a acheté le 7 mai 2002 moyennant le prix de 11 595,21 euro auprès de la société Avenir Champagne Automobile, concessionnaire automobile Volkswagen, un véhicule neuf de type Polo qui lui a été livré le 3 juin 2002.
Le 8 juillet et le 12 août 2002, M. Narboni a constaté que le voyant lumineux " check " s'allumait sur le tableau de bord signifiant la survenance d'un dysfonctionnement de nature à détériorer la qualité des gaz d'échappement.
Il a remis son véhicule à la société Avenir Champagne Automobile. La sonde lambda a été changée.
Le 21 août 2002, le voyant s'étant à nouveau allumé, le vendeur a remplacé la pompe à essence.
Devant l'allumage intempestif du voyant, M. Narboni a, par courrier adressé à son vendeur, sollicité de la part de ce dernier de résoudre cette difficulté technique. Le vendeur a répondu qu'il interrogeait le groupe Volkswagen qui a par la suite préconisé l'usage du carburant sans plomb 98 et proposé, à titre commercial, le versement d'une indemnité de 400 euro correspondant au surcoût entraîné par l'utilisation du carburant sans plomb 98 au lieu du sans plomb 95, pour 100 000 km. M. Narboni a refusé et a fait assigner la société Avenir Champagne Automobile devant le Tribunal de grande instance de Reims par exploit d'huissier du 25 mars 2003, laquelle a appelé en garantie le groupe Volkswagen par exploit du 13 juin 2003. Les deux procédures ont été jointes.
M. Narboni a sollicité la condamnation des deux défenderesses à lui livrer, sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, un véhicule Polo susceptible de rouler au sans plomb 95 et qu'il lui soit donné acte en ce qu'il propose la restitution du véhicule vendu. A titre subsidiaire, il a sollicité la condamnation solidaire des deux sociétés à lui payer les sommes suivantes:
- 400 euro et 1 159,92 euro en réparation du préjudice subi,
- 3 000 euro à titre de dommages intérêts pour résistance abusive,
- 3 000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Il a soutenu que le degré de pollution anormalement élevé lors de l'utilisation du carburant sans plomb 95 préconisé par le constructeur engendrait l'allumage du voyant lumineux "check" et était constitutif d'un vice caché dont était atteinte l'automobile qui lui a été livrée.
La société Avenir Champagne Automobiles conclut au rejet des demandes du requérant et à sa condamnation à lui payer une indemnité de procédure de 1 000 euro et, à titre subsidiaire, à lui payer une indemnité de 400 euro en plus et a sollicité la condamnation du Groupe Volkswagen à le garantir du paiement des sommes qui pourraient être mises à sa charge. Elle a indiqué que la Polo Volkswagen qui avait été livrée à M. Narboni correspondait strictement aux spécifications du bon de commande et que la marchandise acceptée par l'acquéreur était conforme.
Le Groupe Volkswagen a conclu au rejet des prétentions de M. Narboni et à sa condamnation à lui payer une indemnité pour frais irrépétibles de 1 500 euro et soutenu que l'allumage du voyant lumineux n'était pas constitutif d'un dysfonctionnement mais portait l'indication d'un degré élevé de pollution, ce qui ne rendait pas le véhicule non conforme à la commande et que le requérant ne rapportait pas la preuve que le vice invoqué était rédhibitoire.
Par jugement du 15 juin 2004, le tribunal a estimé que M. Narboni ne rapportait la preuve ni de l'existence d'un vice caché rendant son véhicule Polo impropre à l'usage auquel elle était destinée ou que le dysfonctionnement allégué en diminuait l'usage ni de l'existence d'un manquement contractuel de la SAS Avenir Champagne Automobile et débouté le requérant de l'ensemble de ses demandes.
Les premiers juges ont condamné M. Narboni aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Lechesne, avocat, et débouté les parties de leur demande d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par déclaration déposée au greffe de la cour de céans le 13 juillet 2004, Monsieur Julien-Edmond Narboni a relevé appel de ce jugement intimant la SAS Avenir Champagne Automobile et la société Groupe Volkswagen France.
Par conclusions déposées le 7 décembre 2004, M. Narboni demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondé en son appel et d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Il sollicite la condamnation des intimées à lui livrer sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir un véhicule Volkswagen Polo susceptible de rouler avec du carburant SP 95 et de lui donner acte de ce qu'il offre de restituer le véhicule qui lui a été vendu le 30 mai 2002.
A titre subsidiaire, il sollicite la condamnation in solidum des intimées à lui payer la somme de 400 euro et celle de 1 159,52 euro en réparation du préjudice subi en raison du vice affectant le véhicule vendu.
Il prie la cour de condamner les intimées à lui payer la somme de 3 000 euro à titre de dommages intérêts, de débouter ces dernières de l'ensemble de leurs demandes, de les condamner aux dépens tant de première instance que d'appel avec, pour ces derniers faculté de recouvrement direct au profit de la SCP d'avoués Genet-Braibant, et à lui payer une indemnité pour frais irrépétibles de 3 000 euro.
Par conclusions déposées le 1er février 2005, la SA Groupe Volkswagen France prie la cour de confirmer le jugement entrepris et de constater, dire et juger que:
- l'appelant n'établit pas la non-conformité technique du véhicule livré le 3 juin 2002 dont la motorisation essence utilise un carburant super sans plomb 95/98 ; que le témoin d'échappement "check" a pour objet de signaler une qualité de gaz d'échappement insuffisante au regard des normes anti-pollution qui peut apparaître lors d'un fonctionnement du moteur en phases transitoires (petits trajets) lorsque le moteur n'est pas porté à sa température normale de fonctionnement (90) et fonctionne avec un carburant avec un taux d'octane trop faible; qu'il ne rapporte pas la preuve que le véhicule est affecté d'un vice rédhibitoire imputable au Groupe Volkswagen France;
- de le débouter de sa demande de livraison sous astreinte en l'absence de non-conformité du véhicule livré;
- de constater, dire et juger que les sommes demandées par M. Narboni ne sont fondées ni dans leur principe ni dans leur montant;
- de le débouter de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre;
- de condamner l'appelant aux entiers dépens avec faculté de recouvrement direct, pour ceux d'appel, au profit de la SCP d'avoués Delvincourt-Jacquemet et à lui payer une indemnité de procédure de 2 500 euro.
La société Avenir Champagne Automobiles assignée par exploit d'huissier du 14 février 2005 délivré à personne habilitée, n'a pas constitué avoué.
La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 23 mars 2005.
SUR CE,
Monsieur Narboni soutient que le fonctionnement de son véhicule Polo au sans plomb 95 (SP 95) est entré dans le champ contractuel puisque la totalité des véhicules à essence disponibles sur le marché fonctionne au SP 95 et que le constructeur préconise le seul SP 95 dans la brochure intitulée "caractéristiques techniques" et sur la face intérieure du volet de réservoir à carburant du véhicule; que le témoin du tableau de bord d'alerte d'échappement de son véhicule Polo s'allume de façon intempestive que le moteur soit froid, en phase de réchauffement ou chaud ; qu'il est donc parfaitement anormal qu'en utilisant le carburant préconisé par le constructeur, le témoin d'alerte d'échappement s'allume ce qui met en évidence "un degré élevé de pollution produit par le moteur"; que ce vice rend son véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné ; qu'il est donc bien fondé à solliciter la condamnation in solidum des intimées à lui livrer sous astreinte un véhicule conforme à sa destination sur le fondement des articles 1147, 1184, 1641, 1644 et 1645 du Code civil et en application de la garantie contractuelle deux ans pièces et main-d'œuvre.
La société Groupe Volkswagen soutient qu'aucun élément technique n'établit que le véhicule livré le 3 juin 2002 à Monsieur Narboni n'est pas conforme à la commande du 7 mai 2002 ; qu'il n'est nullement établi que le véhicule ne fonctionne pas avec un carburant sans plomb 95 ; que le voyant "check" n'indique pas l'existence d'un quelconque problème technique mais seulement un degré élevé de pollution qui résulte de l'utilisation du carburant sans plomb 95 associée à une conduite du moteur en phases transitoires de température ; que M. Narboni peut lui-même réduire le degré de pollution en utilisant un carburant sans plomb 98 ; que la page 2 du manuel de bord indique qu'il est possible d'utiliser "sans restriction du carburant possédant un indice d'octane plus élevé que celui requis par le moteur"; que Monsieur Narboni ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un vice caché qui rendrait le véhicule impropre à l'usage auquel on le destine ou qui en diminuerait tellement l'usage qu'il ne l'aurait pas acquis ou en aurait donné un moindre prix s'il l'avait connu, que le préjudice qu'il invoque est éventuel et nullement établi ni même justifié et n'est pas susceptible d'indemnisation ; qu'ayant à plusieurs reprises offert une indemnité commerciale, il ne saurait lui être fait grief d'une quelconque résistance abusive.
Monsieur Narboni sollicite la condamnation des intimées à lui livrer un véhicule susceptible de rouler avec du sans plomb 95 en invoquant à la fois la non-conformité du véhicule à la commande et l'existence d'un vice caché.
Sur le vice caché
La non-conformité de la chose vendue à sa destination normale ressortit à la garantie des vices cachés. Il incombe à l'acheteur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères et donc de rapporter la preuve que le défaut invoqué rend la chose impropre à sa destination normale ou en diminue tellement l'usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquise ou en aurait donné un prix moindre s'il l'avait connu.
Or le fait que le véhicule pollue ce qui entraîne l'allumage du voyant check lorsque seul du SP 95 est utilisé ne constitue par un défaut de l'automobile la rendant impropre à sa destination qui est de rouler et n'en diminue aucunement l'usage sauf pour l'acquéreur de changer de carburant s'il le souhaite; le seul fait que le voyant reste allumé ne pouvant constituer un vice rédhibitoire.
Sur la conformité du véhicule à la commande
La non-conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance.
Il résulte des écritures de M. Narboni, des fondements visés notamment la clause résolutoire et de sa demande de livraison d'une polo conforme qu'il entend soulever la non-conformité du véhicule à la commande justifiant ainsi la résolution de la vente et l'obligation pour le constructeur de lui livrer une voiture conforme.
M. Narboni prétend que cet allumage intempestif survient que le moteur soit froid, en phase de réchauffement ou bien chaud et qu'il ne peut donc utiliser ce carburant pourtant préconisé par le constructeur. La société groupe Volkswagen prétend que ce degré de pollution provient de l'usage du sans plomb 95 associé à une conduite en phase transitoire, c'est-à-dire lors de petits trajets et que la page 2 du manuel de bord indique qu'il peut également être utilisé du sans plomb avec un indice d'octane plus élevé.
Or, il résulte des pièces produites aux débats notamment le bon de commande et de la documentation accompagnant le véhicule et des indications de la trappe du réservoir, documents et indications qui contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, entrent bien dans le champ contractuel des parties, que le carburant préconisé par le constructeur est à titre principal de l'essence sans plomb 95 même s'il peut également fonctionner avec de l'essence sans plomb 98; que l'utilisation du carburant SP 95 est bien une condition substantielle en considération de laquelle la vente a été conclue comme ayant une incidence sur l'utilisation du véhicule ; que si le véhicule litigieux fonctionne bien avec de l'essence sans plomb 95, l'utilisation de ce type de carburant entraîne l'allumage du voyant "check" du tableau de bord impliquant un niveau de pollution élevé ; qu'il résulte du courrier adressé le 16 octobre 2002 par le concessionnaire Avenir Champagne Automobiles à la SA Groupe Volkswagen que le désordre relevé par M. Narboni est "un défaut" que "certains clients acceptent ... d'autres pas"; " que le voyant check du tableau de bord reste allumé en permanence" et "qu'après différentes recherches du vendeur, ce défaut apparaît sur des véhicules faisant de petits parcours et roulant au sans plomb 95 comme indiqué sur la trappe du réservoir ".
que dès lors le véhicule livré ne présente pas les caractéristiques spécifiées par la convention des parties, peu importe si le voyant s'allume uniquement lors de petits trajets ou pas.
Les juges du fond disposant d'un pouvoir d'appréciation pour fixer les modalités de réparation du défaut de conformité, il convient de condamner l'intimée à indemniser M. Narboni du préjudice en résultant.
Sur le préjudice
Il sera fait droit à la demande de M. Narboni tendant à voir condamner le constructeur à l'indemniser du surcoût engendré par la nécessité d'utiliser du SP 98 au lieu du SP 85 sur 100 000 km, soit la somme acceptée par l'appelant de 400 euro.
M. Narboni est également bien fondé à solliciter l'indemnisation de la perte de la valeur vénale de son véhicule, justement évaluée à la somme de 1000 F, soit 1 159,52 euro.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. Narboni de sa demande d'indemnisation et l'intimée sera condamnée à payer à l'appelant la somme de 1 900 euro à titre de dommages intérêts.
Sur la demande de dommages intérêts pour résistance abusive
M. Narboni sollicite la condamnation de l'intimée à l'indemniser du préjudice subi lié à la résistance abusive de cette dernière
Or, si l'intimée s'est opposée en justice aux demandes de M. Narboni, elle avait proposé à M. Narboni par courrier du 31 octobre 2002 une indemnité de 400 euro correspondant au surcoût lié à l'utilisation du SP 98 au lieu du SP 95.
Ainsi la résistance opposée par l'intimée aux demandes de M. Narboni ne saurait être qualifiée d'abusive. La décision entreprise sera également infirmée en ce qui concerne les dépens et confirmée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée qui succombe en ses demandes est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles.
Faute pour l'appelant qui bénéficie de l'aide juridictionnelle totale de justifier de l'existence de frais irrépétibles qui seraient restés à sa charge, M. Narboni sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l'absence de vice caché et au rejet des prétentions de Monsieur Julien-Edmond Narboni y afférentes et sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne la société Groupe Volkswagen à payer à Monsieur Julien-Edmond Narboni la somme de 1 900 euro à titre de dommages-intérêts; Y ajoutant, Déboute Monsieur Narboni de sa demande de dommages intérêts; Condamne la société Groupe Volkswagen aux dépens de première instance et d'appel. Dit que les dépens, conformément aux dispositions régissant l'aide juridictionnelle, seront recouvrés avec autorisation pour la SCP Genet Braisant à recouvrer ceux dont ils ont fait l'avance; Déboute la société Groupe Volkswagen France et Monsieur Narboni de leur demande d'indemnité pour frais irrépétibles.