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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 23 juin 2005, n° 04-02189

CAEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

El Ghazi

Défendeur :

Etablissement Auto Recherche (Sté) , Marie , Auto Bilan CCTA (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

Mmes Cherbonnel, Holman

Avoués :

SCP Grandsard Delcourt, SCP Parrot Lechevallier Rousseau, SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte

Avocats :

SCP Creance, Mes Poncet, Anfry

TI Pont-l'Evêque, du 1er avr. 2004

1 avril 2004

LA COUR,

Mlle Nora El Ghazi a interjeté appel du jugement rendu le 1er avril 2004 par le Tribunal d'instance de Pont-l'Evêque dans un litige l'opposant aux Etablissements Auto Recherche et la SARL Auto Bilan CCTA.

Le 22 décembre 2002, Mlle El Ghazi a signé au profit de Mme Sophie Marie exerçant sous l'enseigne Etablissements Auto Bilan un mandat de recherche et de livraison d'un véhicule d'occasion de marque et type Peugeot 306 XRD, moyennant le prix de 6 000 euro, frais d'identification, d'acquisition, commission du mandataire et contrôle technique inclus.

Le même jour, a été édité au nom de Mlle El Ghazi un document libellé en allemand avec traduction partielle en français, intitulé facture, émanant de "Autohandel M. Görgen, à Eschweiler (BRD)" comportant en français la mention "Je vous remets la voiture d'occasion suivante avec chaque exclusion de garantie, dans l'ordre de client", outre les caractéristiques de la voiture et le "prix transport inclus de 5 600 euro".

Le 23 décembre 2002, Mlle El Ghazi a pris possession du véhicule automobile et a émis un chèque de 6 030 euro à l'ordre des Etablissements Auto Recherche qui lui ont remis une carte grise WW et un livret de garantie " BVMP ".

Le 10 janvier 2003, les Etablissements Automobile Recherche ont présenté le véhicule automobile au centre de contrôle technique SARL Auto Bilan.

Ce contrôle technique a été délivré à 137 774 kms avec contre-visite obligatoire pour les freins de service, les freins de stationnement et l'étrier cylindre de roue.

Cette contre-visite a été effectuée le 23 janvier 2003, le compteur affichant 138 392 kms.

Alertée par de multiples bruits lors du fonctionnement du véhicule automobile et constatant qu'il ne tenait pas la route, Mlle El Ghazi a fait réaliser le 6 février 2003 "un contrôle technique volontaire" par le concessionnaire Peugeot d'Evreux, qui a révélé de multiples défaillances techniques rendant le véhicule dangereux. Au vu des contradictions entre les différents contrôles, Mlle El Ghazi a fait diligenter le 18 mars 2003, alors que le véhicule totalisait 140 219 kms, un troisième contrôle qui a révélé quatorze défauts.

Le 12 mai 2003, Mlle El Ghazi a missionné un expert aux fins d'expertise amiable et contradictoire.

L'expert a conclu à l'existence de multiples défauts existant au moment de la vente et rendant le véhicule automobile dangereux.

Par acte du 26 août 2003, Mlle El Ghazi a fait citer les Etablissements Auto Recherche et la SARL Auto Bilan CCTA devant le tribunal afin d'obtenir la résolution de la vente et leur condamnation in solidum à lui payer les sommes de 6 030 euro correspondant au prix d'acquisition, 1 000 euro à titre de dommages et intérêts, 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par le jugement déféré, le Tribunal a débouté Mlle El Ghazi de ses demandes.

Vu les écritures signifiées:

- le 9 mai 2005 par Mlle El Ghazi qui conclut à l'infirmation du jugement et au bénéfice de son assignation devant le tribunal, le montant sollicité au titre des dommages et intérêts et de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile étant cependant porté respectivement à 5 000 euro et 3 000 euro, demande paiement d'une somme de 300 euro par mois à compter de mai 2003 et jusqu'au remboursement du prix d'achat du véhicule en réparation du préjudice de jouissance, subsidiairement, sollicite une expertise.

- le 27 avril 2005 par Mme Marie qui conclut à la confirmation du jugement et demande paiement d'une somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- le 1er février 2005 par la société Auto Bilan CCTA qui conclut à la confirmation du jugement et demande paiement d'une somme de 1 200 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

I. Sur l'existence d'un contrat de vente

Aux termes de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Conformément à l'article 1984 du Code civil, le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.

Par ailleurs, seul le vendeur se trouve tenu à la garantie des vices cachés édictée aux articles 1641 et suivants du Code civil.

En l'espèce, Mlle El Ghazi soutient que le contrat conclu avec les Etablissements Auto Recherche n'a de mandat que le nom, afin d'échapper aux obligations dues par le vendeur professionnel à l'acheteur non professionnel.

Au vu des mentions figurant sur le mandat, et contrairement aux termes de celui-ci incluant la recherche d'un véhicule, celui-ci était déjà identifié lors de la signature du contrat, puisque son numéro d'identification, sa date de première mise en circulation, et son immatriculation - en Allemagne - y figurent, ce qui est confirmé par la concomitance de date entre le mandat, le choix et la prise de possession du véhicule, Mlle El Ghazi affirmant en outre sans être contredite sur ce point avoir choisi dans le stock important de véhicules détenu par les Etablissements Auto Recherche, ce dont il résulte qu'ils se présentent aux yeux des tiers comme un garagiste ordinaire.

La facture émise le même jour par Autohandel M. Görgen présente un caractère douteux qui lui enlève toute force probante puisque provenant d'Allemagne, il est matériellement impossible qu'elle ait rédigée et soit arrivée le jour même, étant précisé qu'elle ne comporte aucune mention d'envoi par fax. Le chèque a été émis à l'ordre des Etablissements Auto Recherche.

Le type de garantie proposée par les Etablissements Auto Recherche et souscrite par Mlle El Ghazi est une garantie vendeur, et ceux-ci ont apposé leur cachet et signature dans la case intitulée "cachet et signature de l'établissement vendeur". Ils ont de même apposé leur cachet sous la mention "négociant titulaire" sur le certificat d'immatriculation provisoire du véhicule.

Lors des contrôles techniques des 10 et 23 janvier 2003, Mme Marie a signé sans observations les documents sur lesquels les Etablissements Auto Recherche figuraient dans la rubrique "propriétaire".

Alors que l'expertise du véhicule, diligentée le 12 mai 2003, avait pour but de "dire si les désordres relèvent de la garantie légale des vices cachés par référence aux articles 1641 et suivant Code civil", que les Etablissements Auto Recherche ont été informés de cette mission dans la convocation qui leur a été adressée le 18 avril 2003 en qualité de vendeur, puisqu'elle précisait "Vous avez vendu ce véhicule d'occasion à Mlle El Ghazi", M. Damau, qui s'est présenté à l'expertise "en remplacement de Mlle Marie Etablissements Auto Recherche" ainsi qu'il l'a inscrit sur la feuille de présence, n'a pas contesté la qualité de vendeur des Etablissements Auto Recherche, et n'a pas demandé la mise en cause de Autohandel M. Görgen.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le contrat litigieux improprement qualifié de mandat constitue en réalité un contrat de vente, et les Etablissements Auto Recherche sont tenus de la garantie légale des vices cachés.

En conséquence le jugement sera infirmé.

II. Sur l'existence d'un vice caché

Est constitutif d'un vice au sens de l'article 1641 du Code civil, toute défectuosité, et notamment un mauvais fonctionnement dont il résulte une impossibilité d'utilisation normale dans des conditions satisfaisantes.

Pour que le vendeur soit tenu d'en répondre, le vice doit être caché, et cette condition doit être remplie à la date de la vente

1) Le respect du bref délai

Le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil pour intenter l'action résultant des vices rédhibitoires - qui a pour point de départ la découverte du vice - peut être prolongé si l'acquéreur a de justes raisons d'espérer une solution amiable.

En l'espèce, Mlle El Ghazi a découvert l'existence des vices le 6 février 2003, jour du premier contrôle technique par elle sollicité.

Cependant, en raison de la nécessité de vérification de l'existence de ces vices, indispensable en raison du résultat négatif du deuxième contrôle effectué par le vendeur, et de la présence de celui-ci à l'expertise amiable le 12 mai 2003, Mlle El Ghazi a pu, jusqu'à cette date, légitimement croire que le véhicule allait être réparé ou repris. L'action par elle introduite le 26 août 2003 soit trois mois et demi après la réunion d'expertise doit être considérée comme introduite dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil. L'exception d'irrecevabilité sera en conséquence rejetée.

2) La preuve du vice caché

Contrairement aux allégations des Etablissements Auto Recherche, si l'expertise amiable a été diligentée à la demande de Mlle El Ghazi, l'expert a convoqué les Etablissements Auto Recherche qui étaient représentés lors des opérations d'expertise en la personne de M. Damau.

Le rapport d'expertise a été régulièrement produit aux débats et contradictoirement discuté, et il doit être examiné au même titre que l'ensemble des pièces communiquées par les parties.

Les établissements Auto Recherche ne produisent aucune pièce de nature à étayer leurs allégations relatives à la partialité de l'expert, ou à combattre utilement ses constatations et conclusions.

Alors que l'expert n'a mentionné aucun choc sur le véhicule, précisant au contraire que le véhicule était "d'aspect très correct pour un véhicule d'occasion", ils ne démontrent pas, ainsi qu'ils le prétendent que la différence d'appréciation de l'état du véhicule entre les différents centres de contrôle technique ne peut s'expliquer que par l'existence d'un choc postérieur à l'acquisition, contesté par Mlle El Ghazi et non établi.

Enfin, le fait que Mlle El Ghazi n'ait pas mis en œuvre la garantie BVMP est sans rapport avec le présent litige, cette garantie contractuelle étant distincte et ne faisant pas obstacle à la garantie légale des vices cachés, ainsi qu'il est précisé à l'article 1.4 du contrat.

Aux termes du rapport d'expertise le véhicule automobile a un comportement routier très mauvais, instable, ne tient pas du tout la route, a tendance à survirer à l'arrière et fait du bruit dans la direction lors du braquage ainsi que d'importants claquements dans le train arrière.

Les quatorze défauts constatés lors du contrôle du 18 mars 2003 ont été confirmés par l'expert et concernent notamment l'articulation du train - fissure, cassure -, le frein de service - déséquilibre arrière -, un ripage excessif, la rotule et l'articulation de direction, la barre stabilisatrice - mauvaise fixation/liaison -, les essieux - mauvaise fixation -, le longeron et brancard - déformation mineure -, la traverse, les planchers - corrosion, déformation mineure à droite, importante à l'arrière gauche.

L'expert conclut que ces défauts étaient existants au moment de la vente et sont de nature à mettre en danger la vie des occupants du véhicule, ainsi que des autres usagers de la route.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le véhicule litigieux était affecté d'un vice originaire antérieur à la vente, insusceptible d'être décelé lors de celle-ci, le rendant impropre à sa destination, c'est-à-dire d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil.

En application de l'article 1644 du Code civil, il sera fait droit à la demande de résolution de la vente et les Etablissements Auto Recherche seront condamnés à en restituer le prix, Mlle El Ghazi ayant en contrepartie l'obligation de restituer le véhicule.

III. Sur les dommages et intérêts

Mlle El Ghazi a subi divers dommages en relation de causalité avec les vices affectant la voiture puisqu'elle a dû effectuer de multiples démarches et des contrôles techniques à ses frais.

Ce préjudice sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 1000 euro. Par ailleurs, alors qu'elle avait acquis ce véhicule pour effectuer ses déplacements professionnels, celui-ci est resté immobilisé dans un garage à la suite des constatations d'expertise relatives au caractère dangereux de son utilisation, et Mlle El Ghazi, qui en l'absence de remboursement du prix du véhicule, ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour en acquérir un autre ou supporter le coût d'un véhicule de location, subit depuis cette date un préjudice de jouissance qui doit être évalué à 150 euro par mois, et ce jusqu'à restitution du prix du véhicule.

IV. Sur la responsabilité de la société Auto Bilan CCTA

Le contrôle technique du véhicule ayant été, contrairement aux obligations légales et contractuelles, réalisé postérieurement à la vente annulée, est étranger au présent litige et la société Auto Bilan CCTA sera mise hors de cause.

V. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Mlle El Ghazi a été contrainte d'exposer des frais irrépétibles qui seront en équité fixés à 2 000 euro pour l'ensemble de la procédure.

La société Auto Bilan CCTA conservera en équité la charge des frais irrépétibles par elle exposés.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement; Requalifie le contrat du 22 décembre 2002 en contrat de vente; Prononce la résolution de la vente intervenue le 22 décembre 2002 entre Mlle le Nora El Ghazi et Mme Sophie Marie exerçant à l'enseigne Etablissements Auto Recherche; Condamne Mme Marie à payer à Mlle El Ghazi les sommes de 6 030 euro au titre du prix d'acquisition, 1 000 euro à titre de dommages et intérêts, 150 euro par mois à compter du 12 mai 2003 jusqu'au remboursement du prix du véhicule, 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Dit que Mlle El Ghazi devra restituer le véhicule au vendeur; Met la société Auto Bilan CCTA hors de cause; Déboute la société Auto Bilan CCTA de sa demande en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Mme Marie aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

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