CA Grenoble, ch. com., 22 juin 2005, n° 04-00104
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AGF Assurances
Défendeur :
Costa-Bell Location (SARL) , Capel (ès qual.), Servi-Alpes (Sté), Coquet (ès qual.) , Bourguignon (ès qual.), SMABTP (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Uran
Conseillers :
Mme Beroujon, M. Bernaud
Avoués :
SCP Grimaud, SCP Hervé Jean Pougnand, SCP Jean Calas, SELARL Dauphin & Mihajlovic
Avocats :
SCP Jean-Paul Brin, SCP Nicolet Riva-Vacheron, Mes Dollet, Couret
LA COUR,
Le 16 octobre 2000 la société Costa Bell Location, exerçant une activité de loueur de véhicules de chantier, a fait l'acquisition auprès de la société Servi-Alpes d'un camion-grue d'occasion de marque Volvo moyennant le prix de 115 000 F HT.
Ce véhicule, donné en location à Monsieur Goidin (enseigne TP de la Côte d'opale), a été endommagé le 26 octobre 2000 à Biarritz après avoir pris feu sur l'autoroute A 63.
L'expert J. Larmane, désigné en référé le 14 juin 2001 à la demande de la société Costa Bell, a estimé que l'incendie avait été provoqué par un échauffement du système de freinage de l'essieu arriéré consécutif au dysfonctionnement d'une vanne pneumatique antérieur à la vente.
Il a chiffré le coût des travaux de remise en état à la somme de 13 451,23 euro HT.
Par acte d'huissier du 1er octobre 2002 Maître Capel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Costa Bell Location a fait assigner en réparation de son préjudice (13 451,23 euro et 58 654,76 euro) d'une part les organes de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société Servi-Alpes et l'assureur de cette dernière, la compagnie AGF, et d'autre part le liquidateur judiciaire de Monsieur Goidin et l'assureur de ce dernier, la compagnie SMABTP.
Par jugement du 27 octobre 2003 le Tribunal de commerce de Grenoble a statué en ces termes:
- condamne solidairement les AGF et la SMABTP au profit de Maître Capel, ès qualités de liquidateur de la SARL Costa Bell Location à payer:
- la somme de 13 451,23 euro, montant des réparations, celle de 58 654,76 euro, montant du préjudice subi, ces deux sommes portant intérêt au taux légal à compter de la date du 1er octobre 2002, date de l'assignation, celle de 1 500 euro, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dit que le présent jugement sera commun et opposable, d'une part, à Maître Coquet, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de Servi-Alpes et à Maître Bourguignon, ès qualités de représentant des créanciers de ladite société et, d'autre part, à Maître Wiart, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de Monsieur Goidin;
Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement;
Rejette toutes les autres demandes des parties;
Condamne solidairement les AGF et la SMABTP aux dépens de la procédure comprenant notamment ceux liquidés conformément à l'article 701 du nouveau Code de procédure civile.
La compagnie d'assurances AGF a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 28 novembre 2003. Elle a intimé Maître Capel, Maître Coquet et Maître Bourguignon ès qualités, ainsi que la compagnie SMABTP.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées et déposées le 17 juin 2004 elle demande à la cour de:
Réformer le jugement intervenu.
Vu les articles 1134 et 1642 du Code civil,
Constater que la clause de non-garantie est parfaitement valable.
A titre subsidiaire, si la cour devait considérer que la clause exonératoire de garantie ne pouvait être appliquée en l'espèce,
Juger que la SARL Costa Bell Location n'a pas rempli les obligations contractuelles mises à sa charge.
Constater que la SARL Costa Bell Location a fait preuve d'une légèreté blâmable en n'effectuant pas une révision du véhicule alors âgé de plus de dix ans.
Constater que les causes de l'incendie n'ont pas été déterminées avec certitude par l'expert judiciaire, en raison de l'absence de certaines pièces.
En conséquence, prononcer un partage de responsabilité.
Dire et juger que la responsabilité de la société Servi-Alpes ne saurait être retenue que dans la limite du tiers du montant du dommage.
En tout état de cause, condamner Maître Capel, ès qualité, Maître Coquet es qualité ou des deux qui mieux le devra au paiement de la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel et autoriser la SCP Grimaud, avoués à les recouvrer directement contre lui.
Par conclusions signifiées et déposées le 20 avril 2005 la société d'assurances SMABTP s'oppose, par voie d'appel incident, à l'ensemble des demandes formées à son encontre par Maître Capel, ès qualités, dont elle prétend obtenir une indemnité de 2 000 euro pour frais irrépétibles, aux motifs essentiels:
- que l'expert a formellement imputé le sinistre à la défectuosité d'une vanne pneumatique, qu'il qualifie de vice caché, et a exclu toute responsabilité du chauffeur pour faute de conduite,
- que la cause de l'incendie réside donc dans un événement extérieur, imprévisible et irrésistible qui exonère le locataire de toute responsabilité en application de l'article 1733 du Code civil.
- que le bailleur était tenu de délivrer un véhicule exempt de vices, tandis qu'il n'appartenait pas au locataire d'effectuer des vérifications qui incombaient d'abord au loueur professionnel, s'agissant d'un véhicule de plus de 10 ans vendu en l'état sans garantie.
Par conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 18 avril 2005 Maître Coquet, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Servi-Alpes, s'oppose, par voie d'appel incident, à l'ensemble des demandes formées par le liquidateur judiciaire de la société Costa Bell Location, et subsidiairement conteste le préjudice allégué au delà du coût des réparations fixé par l'expert.
En tout état de cause il sollicite la condamnation de Maître Capel, ès qualités, ou de qui mieux le devra à lui payer une indemnité de procédure de 2 000 euro.
Il fait notamment observer:
- que la clause de vente "en l'état sans garantie" a été valablement stipulée entre les sociétés Servi-Alpes et Costa Bell qui sont des professionnels de même spécialité,
- que la clause litigieuse, mentionnée sur la facture d'achat, est opposable à l'acquéreur comme ayant été portée à sa connaissance au moment de la livraison,
- que la société Costa Bell n'a effectué aucune vérification mécanique lors de l'acquisition du véhicule qu'elle a immédiatement donné en location, ce qui caractérise sa légèreté alors qu'il s'agissait d'un véhicule ancien acheté en l'état à bas prix,
- que le préjudice d'exploitation invoqué par la société Costa-Bell n'est en rien justifié.
Par dernières conclusions signifiées et déposées le 30 mars 2005 Maître Capel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Costa Bell Location, sollicite la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et réclame une indemnité supplémentaire de 2 000 euro à la charge des deux assureurs aux motifs essentiels :
- que la clause de non-garantie, qui n'est pas opposable à l'acquéreur comme ne figurant que sur la facture, n'a pas été valablement stipulée, alors que la société Costa Bell, qui achète des véhicules pour les louer, et non pas pour les revendre, n'a pas la même spécialité que le vendeur professionnel,
- que la révision effectuée par la société Servi-Alpes n'a pas permis de déceler l'anomalie à l'origine de l'incendie, ce qui exclut toute faute de la part de l'utilisateur ayant acheté un véhicule auprès d'un professionnel concessionnaire de la marque Volvo,
- que les opérations d'expertise ont établi avec certitude l'existence d'un vice caché antérieur à la vente, ce qui permet d'exclure tout partage éventuel de responsabilité puisqu'elle exerce une action en garantie,
- que le préjudice d'exploitation est certain puisque postérieurement au sinistre la société Costa-Bell a dû faire l'acquisition de véhicules similaires qui ont été immédiatement donnés en location,
- que le vice affectant le véhicule n'a pas constitué pour la société locataire un cas de force majeure, puisque l'expert n'a pas exclu un défaut de vigilance du chauffeur.
Bien que régulièrement assigné à personne Maître Bourguignon ès qualités de représentant des créanciers de la société Servi-Alpes, n'a pas constitué avoué.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur les demandes dirigées contre la venderesse et son assureur
1) L'origine du sinistre
Bien qu'ayant déploré liminairement que les pièces du circuit de freinage et les photographies, prises immédiatement après le sinistre par l'expert de la compagnie assurant la société Costa-Bell n'aient pas été conservées, l'expert judiciaire Jean Larmane, loin de conclure de façon purement hypothétique, a identifié avec certitude l'origine du sinistre.
Disposant du dossier photographique et du rapport contradictoire circonstancié après sinistre du cabinet d'expertise Lafontan, missionné par les AGF, l'expert, après avoir constaté que la pédale de frein était normalement agissante, a formellement attribué l'incendie à un dysfonctionnement de la vanne pneumatique, dont il indique qu'elle est la seule cause possible de l'échauffement progressif du tambour en contact permanent avec la garniture de frein. Il note d'ailleurs que le responsable technique de la société venderesse, présent à la réunion d'expertise, était parvenu à la même conclusion.
Surtout, Cet avis est pleinement corroboré au plan technique par les constatations précises du cabinet Lafontan expertise, qui, quelques jours après l'accident, a relevé que les mâchoires de frein arrière n'étaient pas grippées et pouvaient être manoeuvrées manuellement, qu'il n'y avait pas de fuite d'huile aux abords du système de freinage arrière, que les axes de commande des carnes de frein n'étaient pas grippés et que les tambours et les garnitures de frein étaient dégradés par surchauffe.
L'ensemble de ces constatations techniques concordantes établissent par conséquence que l'incendie trouve son origine dans un vice affectant la commande pneumatique du système de freinage arrière, dont l'expert indique qu'il était nécessairement antérieur à la vente, à compter de laquelle l'utilisateur n'avait parcouru que 1 142 km.
Quant au caractère caché de ce défaut il résulte sans contestation possible des investigations menées par l'expert judiciaire, qui a relevé que la société venderesse elle-même n'avait pas décelé l'anomalie à l'occasion du contrôle de reprise du véhicule et des travaux de réparation auxquels elle avait procédé avant la vente (seuls les freins avant avaient fait l'objet d'une intervention).
La société Costa Bell n'a pour sa part pas manqué à l'obligation de diligence pesant sur l'acheteur, dès lors que faisant l'acquisition d'un véhicule révisé par le concessionnaire de la marque elle n'avait pas à faire procéder à des investigations plus approfondies.
2) La clause d'exclusion de garantie
La compagnie AGF et Maître Coquet, ès qualités, ne peuvent opposer à Maître Capel ès qualités, la clause "de vente en l'état sans garantie", figurant sur la facture de vente du 16 octobre 2000, qui constitue le seul document contractuel formalisant la transaction.
A aucun moment, en effet, avant la conclusion de la vente, ou lors de la livraison, la société Costa-Bell n'a approuvé cette clause, l'âge, le kilométrage et le prix d'achat du véhicule ne pouvant faire présumer de son acception implicite.
En toute hypothèse, comme le tribunal, la cour estime que la société Servi-Alpes ne pouvait pas valablement exclure sa garantie, alors que la vente n'est pas intervenue entre professionnels de même spécialité. L'activité de loueur de véhicules de chantier de toutes marques, exercée par la société Costa-Bell, qui confiait à ses locataires l'entretien des véhicules ainsi qu'il résulte du contrat de location conclu avec Monsieur Goidin, n'avait pas, en effet, le même objet que celui du concessionnaire de la marque Volvo qui pratiquait l'achat pour revendre et qui effectuait des travaux de réparation. Les deux activités n'exigeaient donc pas des compétences techniques comparables.
Ne pouvant exciper d'une clause d'exclusion inopposable à l'acheteur, et de surcroît non valablement stipulée par un vendeur professionnel, sur lequel pèse une présomption irréfragable de connaissance des vices, les appelants ne peuvent donc prétendre échapper à l'action en garantie formée par l'acheteur.
3) L'action en garantie formée par Maître Capel, ès qualités
En présence d'un vice caché, obligeant la société venderesse à garantie sur le fondement des article 1641 et suivants du Code civil, aucun partage de responsabilité ne saurait être prononcé.
La faute éventuelle de la société Costa-Bell, qui selon la compagnie AGF aurait fait preuve après la vente de légèreté en ne faisant pas réviser le véhicule avant sa remise au locataire, ne relèverait, en effet, que des rapports contractuels entre le loueur et l'utilisateur auxquels la venderesse est totalement étrangère; étant observé qu'il a été précédemment jugé que le vice n 'était pas apparent.
La compagnie AGF a par conséquent justement été condamnée au paiement de la somme, non contestée dans son quantum, de 13 451,23 euro à laquelle l'expert a chiffré le coût des travaux de remise en état.
En revanche Maître Capel, ès qualités, ne peut sérieusement réclamer au titre du préjudice d'exploitation une somme de 58 654,76 euro correspondant aux loyers perdus jusqu'au placement de la société Costa-Bell en liquidation judiciaire (30 novembre 2001).
Le contrat conclu avec Monsieur Goidin avait en effet, une durée déterminée de 2 mois sans possibilité de reconduction tacite, et rien ne permet d'affirmer que le véhicule aurait trouvé preneur sans interruption aux mêmes conditions financières jusqu'au 30 novembre 2001. La somme réclamée représente en outre une perte de chiffre d'affaires, et non pas une perte de marge brute qui est seule indemnisable.
Enfin la société Costa-Bell par son liquidateur n'indique pas la date à laquelle le véhicule a été restitué, et a elle-même déclaré au passif de la liquidation judiciaire de Monsieur Goidin une somme de 15 270,81 euro HT arrêtée au mois de janvier 2001.
Les éléments d'appréciation dont dispose la cour permettent par conséquent de fixer à la somme de 10 000,00 euro le préjudice d'exploitation incontestablement subi par la société Costa-Bell.
Par voie de réformation partielle, la compagnie AGF sera dès lors condamnée au paiement de cette somme en sus du coût des travaux de réparation, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 1er octobre 2002.
Sur les demandes dirigées contre la SMABTP
Monsieur Goidin est, certes, présumé responsable des dégradations causées par l'incendie de la chose louée en application de l'article 1733 du Code civil qui régit également la location des biens meubles corporels.
Le vice caché affectant le véhicule loué, dont il a été précédemment jugé qu'il était directement à l'origine de l'incendie, est toutefois assimilable au vice de construction qui est de nature à exonérer le preneur de toute responsabilité selon l'article 1733 susvisé, sans avoir à revêtir les caractères de la force majeure.
Le contrat de location prévoit d'ailleurs en son article XI, conformément aux dispositions de l'article 1721 du Code civil, que le loueur doit garantie au preneur pour les vices cachés rendant le véhicule impropre à son usage, ce qui est manifestement le cas en l'espèce en présence d'un défaut affectant un organe de sécurité.
La société Costa-Bell par son liquidateur judiciaire ne peut donc rechercher la responsabilité de son locataire, dont l'expert indique qu'il a pu sans faute ne pas déceler un frottement léger de la garniture sur le tambour de frein, suffisant selon lui pour déclencher l'incendie.
Par voie de réformation du jugement sur ce point la SMABTP sera par conséquent mise hors de cause.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique et par arrêt réputé contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la compagnie d'assurances ACF à payer à Maître Capel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Costa-Bell Location, la somme de 13 451,23 euro outre intérêts en réparation de son préjudice matériel, Réformant pour le surplus et statuant à nouveau ; Condamne la compagnie AGF assurances à payer à Maître Capel, ès qualités, la somme de 10 000 00 euro en réparation de son préjudice d'exploitation, avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2002, Exonère Monsieur Goidin de toute responsabilité, Met par voie de conséquence hors de cause la compagnie SMABTP, Fixe la créance de Maître Capel, ès qualités, à inscrire au passif du redressement judiciaire de la société Servi-Alpes, aux sommes de 13 451,23 euro et de 10 000 euro, Y Ajoutant : Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Maître Capel, ès qualités, à payer à la SMABTP une indemnité de 1 000 euro, la condamnation prononcée de ce chef en première instance n'étant maintenue qu'à l'égard de la compagnie AGF assurances, Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure au profit de l'une ou l'autre des autres parties, Condamne la compagnie AGF assurances aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande.