CA Amiens, 1re ch. sect. 2, 14 juin 2005, n° 03-04418
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
His
Défendeur :
Sego Gueudet Frères (SARL), Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schoendoerffer
Conseillers :
Mme Delon, M. Florentin
Avoués :
SCP Millon-Plateau, SCP Selosse Bouvet, André, Me Caussain
Avocats :
Mes Fontaine Chabert, Nakache, Peres, SCP Soland Cormont Hietter, Velliet
Attendu que, suivant facture en date du 30 octobre 1996, la société Sego Gueudet Frères, concessionnaire Renault à Beauvais, a vendu à M. Jean-Pierre His un véhicule d'occasion Renault Safrane, immatriculé 176 LNY 75, mis en circulation la première fois le 15 février 1996 et ayant parcouru 17 000 km, pour le prix de 134 490 F TTC (20 502,87 euro);
Attendu que M. Jean-Pierre His a fait immatriculer son véhicule sous le n° 5022 VB 80;
Attendu qu'il résulte d'un rapport d'expertise établi le 10 janvier 2001 par M. Jean-Claude Beauvais, spécialiste en automobiles, inscrit sur la liste des experts de la Cour d'appel d'Amiens, dont M. Jean-Pierre His a obtenu la désignation par ordonnance de référé du président du Tribunal de grande instance de Beauvais du 27 avril 2000 au contradictoire de la société Sego Gueudet Frères et de la société Renault, que M. Jean-Pierre His circulait au volant de son véhicule Safrane, le 14 avril 1999, lorsqu'il a été alerté par le voyant lumineux de l'airbag situé à gauche du tableau de bord et que quelques minutes plus tard, l'airbag situé dans le volant, face à lui, s'est soudainement déployé, sans pour autant que le véhicule ait été l'objet d'un choc; qu'à cette occasion, il aurait subi un traumatisme sonore;
Que quelques jours plus tard, l'airbag situé face au passager s'est à son tour déployé dans les mêmes circonstances, étant observé qu'il résulte des constatations de l'expert que cet airbag n'a pas " explosé " mais s'est seulement déployé, celui-ci précisant en effet, à la page 11 de son rapport, que " l'airbag passager est replié dans son logement ";
Attendu qu'au vu du rapport d'expertise de M. Jean-Claude Beauvais et par assignation du 18 février 2002, M. Jean-Pierre His a saisi le Tribunal de grande instance de Beauvais d'une demande contre la société Sego Gueudet Frères en réparation de son préjudice tant matériel que corporel, sur le fondement des articles 1147, 1603 et 1641 du Code civil ; qu'il sollicitait une expertise médicale et une somme de 1 524,49 euro à titre de provision à valoir sur son préjudice corporel et demandait la condamnation de la société Sego Gueudet Frères à prendre en charge le coût des travaux de réparation de son véhicule sous astreinte de 762,25 euro par jour de retard passé le 15e jour à compter de la signification du jugement; qu'il demandait, en outre, la somme de 1 524,49 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que la société Sego Gueudet Frères a appelé en garantie la société Renault par assignation du 30 octobre 2002;
Attendu que, par le jugement susvisé, le tribunal a débouté M. Jean-Pierre His de ses demandes et l'a condamné à payer à la société Sego Gueudet Frères et à la société Renault, chacune, la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles;
Attendu que M. Jean-Pierre His conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de dire, d'une part, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, que la société Sego Gueudet Frères n'a satisfait ni à son obligation de sécurité ni à son obligation de renseignement, d'information et de conseil, et, d'autre part, sur le fondement des articles 1603 et 1641 du Code civil, que la société Sego Gueudet Frères a failli à son obligation de délivrance et qu'elle est tenue de la garantie des défauts cachés de la chose vendue ; qu'en conséquence, il demande une provision de 1 524,49 euro à valoir sur la réparation de son préjudice corporel et la désignation d'un nouvel expert médical, le rapport déposé par le docteur Marc Cros, spécialiste en dommage corporel et traumatologie séquellaire, inscrit sur la liste des experts de la Cour d'appel d'Amiens, en date du 4 juillet 2000 qui a été désigné par l'ordonnance de référé du 27 avril 2000 précitée, n'ayant pas pris toute la mesure de son préjudice qui s'est, en outre, aggravé;
Qu'au surplus, il demande la condamnation de la société Sego Gueudet Frères à prendre en charge les travaux de réparation de son véhicule sous astreinte de 726,25 euro par jour de retard commençant à courir 15 jours après la signification de l'arrêt;
Qu'il sollicite la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que la société Sego Gueudet Frères conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement entrepris et demande la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Qu'à titre subsidiaire, elle demande la garantie de la société Renault, constructeur du véhicule en cause;
Attendu que la société Renault conclut à la confirmation du jugement et demande la condamnation solidaire de M. Jean-Pierre His et de la société Sego Gueudet Frères à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que, selon le rapport de M. Jean-Claude Beauvais, le déploiement intempestif des deux airbags en l'absence de tout choc du véhicule, a été causé par l'oxydation du boîtier électronique de commande de l'ouverture des airbags qui est situé sous le siège du passager avant, du fait d'un séjour prolongé dans un 10 à 15 mm d'eau [sic], les contacteurs situés à l'intérieur de ce boîtier, qui ne se rapprochent normalement que sous l'effet d'un choc, s'étant peu à peu rapprochés par l'effet de la corrosion;
I. Sur les dispositions de l'article 1147 du Code civil:
Attendu que M. Jean-Pierre His fait grief à la société Sego Gueudet Frères d'avoir méconnu tant son obligation de sécurité que son obligation de renseignement, d'information, de conseil et d'assistance;
1) Attendu que M. Jean-Pierre His n'est pas fondé à reprocher à la société Sego Gueudet Frères d'avoir failli à son obligation de sécurité, ce garagiste n'étant jamais intervenu sur le boîtier électronique des airbags;
Qu'en effet, il résulte de trois factures que la société Sego Gueudet Frères a procédé à des réparations ou à des travaux d'entretien:
- le 7 juillet 1999, pour une pose de pneumatique et un équilibrage,
- le 15 octobre 1999, pour procéder à la remise en état du circuit de chauffage,
- le 25 janvier 2000, pour un entretien complet (vidange, graissage, plaquettes de disques, boîte de vitesse, essuie-glace etc...),
étant observé que ces deux dernières interventions sont postérieures à l'incident du 14 avril 1999;
2) Attendu que M. Jean-Pierre His n'est pas davantage fondé à faire grief à la société Sego Gueudet Frères d'avoir méconnu son obligation de renseignement, d'information, de conseil ou d'assistance au motif qu'il " n'a jamais été fait mention du boîtier électronique des airbags dans les notices, boîtier qui était caché ", qu'on " ne lui avait pas dit qu'il fallait un entretien du boîtier ", que " l'existence d'un tel boîtier ne lui a jamais été signalée " ou que " cette présence (d'un boîtier sous le siège du passager avant) ne lui avait été mentionnée ni par le vendeur ni par les documents et carnet d'entretien remis au moment de l'acquisition ";
Qu'en effet, il résulte du guide descriptif des équipements et d'utilisation du véhicule Safrane produit aux débats par M. Jean- Pierre His lui-même, qu'aux pages 1.18 et 1.19, il est expressément indiqué que " chaque système d'airbag est composé de:
- un sac gonflable et son générateur de gaz montés sur le volant pour le conducteur et dans la planche de bord pour le passager,
- un boîtier électronique commun, situé sous le siège passager, intégrant le détecteur de choc et la surveillance du système commandant l'allumeur électrique du générateur de gaz,
- un voyant de contrôle l'unique au tableau de bord ";
Qu'au paragraphe " anomalies de fonctionnement", il est stipulé que " le témoin 1 s'allume au tableau de bord à la mise sous contact, puis s'éteint après quelques secondes. S'il ne s'allume pas à la mise sous contact ou s'il clignote, il signale une défaillance du système. Consultez au plus tôt votre représentant Renault... ";
Qu'au paragraphe " Important ", l'attention de l'usager est, en outre, attirée sur la nécessité de faire vérifier le système airbag lorsque le véhicule a été l'objet, notamment, d'un accident, cette intervention tant sur le boîtier électronique que sur le câblage étant rigoureusement réservée aux seuls agents de la marque Renault;
Attendu que non seulement M. Jean-Pierre His est donc mal fondé, au vu des préconisations précises de la notice du constructeur qui lui a été remise lors de l'acquisition du véhicule, à prétendre n'avoir jamais été informé ni de la situation du boîtier électronique sous le siège du passager, ni de la nécessité de procéder à un contrôle circonstanciel, ni de la signification du clignotement du voyant lumineux sur le tableau de bord, mais encore et surtout, il a gravement méconnu deux recommandations importantes du constructeur:
d'une part, alors que l'expert indique (page 10 de son rapport) que le véhicule a été l'objet de plusieurs chocs sur les flancs droit et gauche, sur le déflecteur du bouclier avant, sur le soubassement ainsi que sur le carter inférieur de protection qui est cassé, M. Jean-Pierre His n'a jamais fait vérifier le système des airbags, ce qui est pourtant recommandé par le constructeur en cas d'accident, et d'autre part, alors qu'il a reconnu devant l'expert que le témoin lumineux de l'airbag situé sur le tableau de bord s'était mis à clignoter, alors qu'il sortait d'une aire de stationnement, il ne s'est pas arrêté et n'a pas consulté un représentant Renault dans les plus brefs délais, attendant que l'airbag du conducteur se déploie de façon intempestive, étant observé qu'il a encore attendu, pour contacter un réparateur, que celui du passager se déploie tout aussi inopinément plusieurs jours après;
Attendu, en conséquence, que le jugement doit être confirmé en ses dispositions qui ont débouté M. Jean-Pierre His de ses demandes fondées sur l'article 1147 du Code civil;
II. Sur le fondement de l'article 1604 du Code civil:
Attendu que l'action de l'acquéreur fondée sur un défaut de conformité de la chose vendue est soumise au régime de l'action en garantie des défauts cachés;
Qu'il s'ensuit que pour l'application des dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil, M. Jean-Pierre His doit agir dans le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil;
Attendu qu'ayant assigné en référé la société Sego Gueudet Frères et la société Renault le 22 mars 2000, soit moins d'un an après l'incident du 14 avril 1999 et alors que des pourparlers amiables avaient été engagés auparavant avec le vendeur et le constructeur, M. Jean-Pierre His a agi dans le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil;
Qu'il n'importe qu'il n'ait assigné au fond que le 18 février 2002, soit plus d'un an après le dépôt du rapport de M. Jean-Claude Beauvais en date du 10 janvier 2001, dès lors qu'une prescription trentenaire de droit commun commence à courir après l'ordonnance de référé;
Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ses dispositions qui ont déclaré irrecevables, comme étant tardives, les demandes formées par M. Jean-Pierre His;
Attendu que si, selon M. Jean-Pierre His, " il y a tout lieu de penser que le véhicule n'était pas conforme ", il ne rapporte toutefois pas la preuve, qui lui incombe, que le véhicule qui lui a été vendu et dont il a pris possession le 30 octobre 1996, soit 3 ans avant l'incident, n'était pas conforme aux caractéristiques qui avaient été convenues et qui figurent tant sur la notice du constructeur que sur la facture établie par la société Sego Gueudet Frères;
Qu'il apparaît qu'il commet une confusion entre la non-conformité et le défaut caché de la chose vendue;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions qui ont débouté M. Jean-Pierre His de ses demandes fondées sur l'article 1604 du Code civil;
III. Sur le fondement de l'article 1641 du Code civil:
Attendu que l'expert a indiqué que la cause du dysfonctionnement du boîtier électronique des airbags était une forte oxydation due à une immersion prolongée de ce boîtier dans un liquide aqueux;
Qu'il précise que situé sous le siège du conducteur, ce boîtier est protégé des chocs extérieurs et de l'humidité par son positionnement dans un bac, le constructeur n'ayant toutefois pas envisagé la présence de 10 à 15 mm d'eau sur le sol de l'habitacle du véhicule et une immersion prolongée;
Qu'il a constaté le jour de l'expertise, le 26 septembre 2000, soit plus de 18 mois après l'incident, une forte odeur de moisi dans l'habitacle, ce qui est le signe de la présence d'eau, étant observé qu'il a écarté, après examen, un défaut d'étanchéité des portes, des glaces et du soubassement, retenant les seules hypothèses de vitres laissées ouvertes pendant une forte pluie ou le renversement d'un liquide dans l'habitacle;
Attendu que M. Jean-Pierre His conteste les conclusions de l'expert, alors que ce dernier a répondu en détail aux dires qu'il lui a fait adresser, sans toutefois justifier ses griefs par un avis technique autorisé;
Que contrairement, à ce qu'il soutient, l'expert a procédé à des investigations approfondies et a déterminé, au vu des pièces qui lui ont été soumises, la cause de l'incident;
Attendu que M. Jean-Pierre His prétend que la présence d'un liquide dans l'habitacle proviendrait d'une fuite du circuit de chauffage et de climatisation, du liquide de refroidissement s'étant, selon lui, écoulé du côté avant droit de l'habitacle ;
Attendu que les seuls justificatifs qu'il produit sont un ordre de réparation en date du 15 octobre 1999, qui se borne à reproduire ses propres déclarations, et une facture de la même date afférente à la dépose et à la repose du radiateur de chauffage, au nettoyage du système de chauffage, au remplacement du liquide de refroidissement et d'un joint torique;
Attendu, d'une part, que cet ordre de réparation est postérieur de 6 mois à l'incident du 14 avril 1999, de sorte qu'il n'est nullement démontré qu'il y ait eu un dysfonctionnement du système de climatisation et de chauffage avant l'incident en cause, et d'autre part, rien ne permet d'affirmer que la fuite de liquide de refroidissement signalée par M. Jean-Pierre His ait réellement existé, la facture des travaux de réparation ne permettant pas de vérifier s'il y avait bien une fuite, étant observé que le remplacement du liquide de refroidissement n'est pas nécessairement dû à une fuite, un tel renouvellement périodique étant conseillé pour assurer de bonnes conditions de climatisation, opération qui n'apparaît pas avoir été effectuée par M. Jean-Pierre His depuis l'acquisition du véhicule 3 ans auparavant;
Attendu, au surplus, que l'expert a écarté la présence dans l'habitacle de liquide de refroidissement, au motif qu'il n'a pas retrouvé l'odeur " nauséabonde " caractéristique de ce produit;
Attendu, en conséquence, que M. Jean-Pierre His ne démontrant pas l'existence d'un défaut caché du véhicule vendu qui serait antérieur à la vente du 30 octobre 1996, il convient de rejeter ses demandes en ce qu'elles sont fondées sur les articles 1641 et suivants du Code civil;
Attendu qu'il serait inéquitable que la société Sego Gueudet Frères et la société Renault conservent la charge des frais irrépétibles qu'ils ont exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions qui ont condamné M. Jean-Pierre His à payer à la société Sego Gueudet Frères et à la société Renault, chacune, la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles et, y ajoutant, de leur allouer à chacune la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que M. Jean-Pierre His, qui succombe, doit supporter les dépens d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions qui ont déclaré M. Jean-Pierre His irrecevable en ses demandes au motif de l'expiration du bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil; L'infirme de ce chef et statuant à nouveau, Déclare M. Jean-Pierre His recevable en ses demandes fondées sur les articles 1604 et 1641 et suivants du Code civil; Au fond, l'en déboute; Y ajoutant, Condamne M. Jean-Pierre His à payer à la société Sego Gueudet Frères et à la société Renault, chacune, la somme de 1 000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne M. Jean-Pierre His aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.