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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 26 février 1999, n° 1997-03143

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rudy Schay (SARL)

Défendeur :

Groupe JCR (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cailliau

Conseillers :

Mmes Radenne, Bernard

Avoués :

SCP Verdun-Gastou, Me Pamart

Avocats :

Mes Beddok, Blanc

T. com. Paris, du 11 déc. 1996

11 décembre 1996

LA COUR statue sur l'appel relevé par la société Rudy Schay, d'un jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire, rendu, le 11 décembre 1996, par le Tribunal de commerce de Paris, qui l'a déclaré recevable mais mal fondée en ses demandes, qui l'a condamnée à payer à la société Groupe JCR la somme de 172 568, 89 F ainsi que celle de 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Référence aux énonciations du jugement déféré ainsi qu'aux conclusions des parties pour l'exposé des faits, des prétentions et moyens développés, il suffit de rapporter que la société Rudy Schay a, par acte du 4 novembre 1993, fait assigner la société Groupe JCR en résolution de la vente des 1 777,50 mètres de tissu "Rolls" livrés en trois fois les 8, 21 juillet et 1er septembre 1993, pour vices cachés, le tissu présentant après découpe et couture un glissement anormal aux coutures, sollicitant la restitution du prix s'élevant à 63 243,45 F, les sommes de 66 272,11 F, 57 890 F et de 100 000 F, au titre, respectivement, des fournitures et façons, de sa perte de marge et de son préjudice commercial, soit la somme totale de 287 405,56 F.

La société Groupe JCR s'est opposée à ces demandes en invoquant ses conditions générales de vente, ainsi que l'absence de test de résistance aux coutures effectué par la société Rudy Schay, et, reconventionnellement, a réclamé paiement des factures dont cette dernière resterait redevable s'élevant à la somme totale de 172 568,98 F.

Par le jugement déféré, le tribunal a essentiellement retenu que la société Rudy Schay ayant fait procéder à la confection des vêtements sans avoir procédé aux tests internes d'usage qui lui auraient permis de déceler le glissement dont elle se plaint, devait être déboutée, tandis que la demande reconventionnelle de la société Groupe JCR justifiée par les pièces versées aux débats devait être accueillie.

Appelante, la société Rudy Schay, prie la cour, par voie d'infirmation, de prononcer la résolution de la vente, de lui donner acte de ce qu'elle opte pour la restitution de la marchandise, et, reprenant les demandes formées devant le tribunal, de condamner la société Groupe JCR à lui payer la somme totale de 287 405,56 F en réparation des différents préjudices, payable de la façon suivante, sous forme d'avoir en ce qui concerne les trois factures litigieuses s'élevant à 63 243,45 F, par compensation avec la somme de 58 710,47 F dont la société Groupe JCR reste créancière à son égard, en deniers en ce qui concerne le solde s'élevant à 165 4511,64 F, la société Groupe JCR devant, en outre, être condamnée à lui restituer les trois effets à échéances des 31 octobre, 10 novembre et 30 novembre 1993, d'un montant total de 121 953,92 F et à lui verser une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient essentiellement que le vice non décelable à la livraison, même pour un acheteur professionnel, ne pouvait être révélé qu'après découpe et couture du tissu, qu'il résulte incontestablement du rapport établi par l'Institut Français du Textile que le tissu livré est impropre à la création de vêtements et à la confection de tailleurs, que la société Groupe JCR, qui n'est pas un spécialiste de la même catégorie qu'elle pour fabriquer et transformer les tissus qu'elle-même utilise, ne saurait lui opposer la clause limitative de responsabilité figurant dans ses conditions générales de vente, d'autant que sa mauvaise foi est avérée.

Intimée et appelante incidente, la société Groupe JCR fait, principalement valoir, dans ses écritures signifiées les 6 mars 1997, 12, 18 novembre et 2 décembre 1998, que selon les usages, il incombait à la société Rudy Schay, qui ne lui a pas indiqué l'usage précis auquel elle destinait sa commande et qui a été en possession d'échantillons préalablement à la commande, de faire procéder à un essai dans ses ateliers avant toute fabrication massive, que le rapport de l'Institut Français du Textile n'établirait pas le vice caché dont le tissu serait entaché, que la clause figurant à ses conditions générales de vente selon laquelle elle décline toute responsabilité sur les marchandises déjà coupées et confectionnées serait opposable à la société Rudy Schay qui, compte tenu de leurs relations commerciales, ne pouvait l'ignorer, que cette dernière, qui n'a pas sollicité d'expertise en référé, qui a attendu plus de trois mois pour se plaindre d'un vice susceptible d'avoir pour origine la confection ou la façon, tente en réalité d'échapper au paiement des sommes dont elle est redevable, alors qu'elle-même a rempli toutes ses obligations en livrant la marchandise accompagnée d'une fiche technique fournissant les indications relatives aux glissements aux coutures.

Au termes de ces quatre jeux d'écritures, elle demande, en définitive, à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant d'assortir, à compter du 12 janvier 1995 date de sa demande par dépôt de ses conclusions de première instance, la somme de 172 568,98 F à laquelle la société Rudy Schay a été condamnée, des intérêts et de la pénalité de retard de 1,5 % par mois figurant à ses conditions générales de vente, ce avec capitalisation des intérêts, de condamner la société Rudy Schay à lui verser la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire, ainsi que celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses écritures ultérieures, signifiées les 4 et 10 décembre 1998, la société Rudy Schay, qui conclut au débouté des demandes formées par la société Groupe JCR, précise sa précédente argumentation, conteste avoir reçu des échantillons préalablement à sa commande et réplique que la fiche technique invoquée par l'intimée n'aurait comporté aucune indication quant à la résistance dynamométrique du tissu, que c'est sur la base de cette fiche qu'elle aurait de bonne foi procédé à la confection des vêtements sans essais préalables, lesquels ne sont pas d'usage et n'auraient pas permis de déceler le vice, et, à titre subsidiaire, que l'application de la clause limitative de responsabilité enlèverait toute cause à l'engagement de la société Groupe JCR qui était parfaitement informée de ce que les tissus seraient utilisés pour la confection de vêtements.

Dans ses conclusions, signifiées le 11 décembre 1998, la société Groupe JCR, qui sollicite le bénéfice de ses précédentes écritures, invoque ses conditions générales de vente demandant aux acquéreurs d'effectuer, avant transformation, tous contrôles spécifiques, de sorte que la société Rudy Schay aurait commis une faute en ne réalisant pas les tests et que sa réclamation, serait, en tout état de cause, tardive.

Dans ses ultimes écritures, signifiées le 17 décembre 1998, la société Rudy Schay rétorque qu'elle aurait agi à bref délai, qu'elle n'aurait jamais eu connaissance des conditions générales de vente invoquées par la société Groupe JCR dans ces dernières écritures.

Sur quoi, LA COUR, Considérant qu'il ressort des productions des parties que la société Rudy Schay, spécialisée dans la création, la fabrication et la vente d'articles de prêt-à-porter féminin, qui entretenait des relations d'affaires suivies avec la société Groupe JCR, a passé, auprès de celle-ci, en une ou plusieurs fois et à des dates ignorées, une ou des commandes verbales portant sur plusieurs lots de tissu référencé " Rolls " ;

Que la société Groupe JCR, qui a pour objet social "l'importation, l'exportation, le commerce de tissus en tous genre en gros demi-gros et détail, confection lingerie et bonneterie", a livré ces tissus en trois fois les 8, 21 juillet et 1er septembre 1993, qu'à chaque fois, elle a émis, le jour même, une facture et un bon de livraison sur lesquels la société Rudy Schay a apposé son cachet ;

Que ces documents comportent tous au recto en gras et en majuscules, la mention apparente suivante " Nous déclinons toute responsabilité sur les marchandises déjà coupées ou confectionnées " ;

Considérant que la société Rudy Schay, qui en sa qualité de fabricant de vêtements est un professionnel du tissu - ce qu'elle a expressément admis dans ses écritures -, ne démontre pas que la société Groupe JCR, un simple grossiste, aurait eu un rôle de fabrication ou de transformation du tissu en cause qui pourrait la classer dans une spécialité différente;

Qu'il s'ensuit que la vente a eu lieu entre professionnels également spécialisés du tissu de sorte que la clause limitative de responsabilité, connue et approuvée par la société Rudy Schay lors de la réception des marchandises, lui est opposable ;

Considérant que l'appelante ne saurait invoquer la nullité de cette clause au motif qu'elle aurait pour effet de priver la convention de cause, dès lors que cette clause n'exonère pas la société Groupe JCR d'un manquement total à l'obligation essentielle de la convention, mais se borne à aménager les conditions de mise en œuvre de sa garantie;

Considérant que ce n'est que le 14 septembre 1993, après avoir fait procéder à la coupe et à la confection de tailleurs que la société Rudy Schay après avoir constaté sur les vêtements fabriqués, des glissements au niveau des coutures, a invoqué un grave défaut affectant le tissu;

Qu'au vu des stipulations contractuelles, cette réclamation intervenue après la confection des vêtements, est tardive ;

Qu'au surplus, les pièces produites, notamment le rapport d'essai non contradictoire de l'Institut Français du Textile, qui établit qu'il existe sur des vêtements déjà confectionnés des glissements de fils à la couture sous l'action d'une force de traction de 8 daN, ne démontre ni que ce défaut est inhérent au tissu, ni que ce matériau est impropre à la confection de vêtements dans des conditions de traction différentes ;

Qu'enfin, la société Rudy Schay, présumée, en sa qualité d'acquéreur professionnel, avoir connaissance des vices affectant la chose, ne prouve pas avoir été dans l'impossibilité découvrir les défauts par elle invoqués, admettant, au contraire, n'avoir procédé à aucun essai préalable à la mise en œuvre de la fabrication;

Qu'en conséquence, la cour confirmera le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Rudy Schay de ses demandes, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens surabondants développés par les parties ;

Considérant que Groupe JCR qui verse aux débats les bons de livraison, les factures, ainsi que les extraits de son grand livre, justifie du montant de sa créance en principal, tandis que la société Rudy Schay n'établit pas s'être acquittée des sommes dues;

Que, par contre, faute de produire ses conditions générales de vente, la société Groupe JCR ne justifie pas des intérêts et de la pénalité de retard de 1, 5 % par mois, par elle réclamés, de sorte qu'elle ne peut obtenir que les intérêts au taux légal à compter de ses conclusions du 12 janvier 1995;

Que la cour fera, en application de l'article 1154 du Code civil, droit à la demande de capitalisation des intérêts ;

Considérant que la preuve d'un comportement fautif de la société Rudy Schay faisant dégénérer en abus son droit d'ester en justice n'étant pas rapportée, la société Groupe JCR sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Groupe JCR les frais non recouvrables de procédure par elle exposés en cause d'appel ; qu'il convient de lui allouer, à ce titre, la somme de 5 000 F

Par ces motifs, LA COUR : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Rudy Schay à payer à la société Groupe JCR les intérêts au taux légal sur la somme de 172 560,98 F, à compter du 12 janvier 1995, Dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront et porteront eux-mêmes intérêts à compter du 6 mars 1997, Condamne la société Rudy Schay à payer à la société Groupe JCR la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toute demande, autre, plus ample ou contraire des parties, Condamne la société Rudy Schay aux entiers dépens d'appel, admet Maître Pamart, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.