CA Nouméa, 10 février 2005, n° 04-00523
NOUMÉA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gardian (SARL)
Défendeur :
Le Gardien (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fey
Conseiller :
M. Mesière
Avocats :
Mes Le Thery, SELARL de Greslan-Briant
PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE
Par ordonnance du 18 octobre 2004, le président du Tribunal mixte de commerce de Nouméa statuant en référé, saisi par la SARL Le Gardien d'une demande dirigée à l'encontre de la SARL Gardian, aux fins d'interdiction d'utilisation du nom, sous astreinte et en condamnation à une indemnité de procédure, a :
- fait interdiction à la SARL Gardian d'utiliser sa dénomination sociale et son enseigne, sous astreinte de 50 000 FCFP par jour de retard commençant à courir 45 jours à compter de la signification de l'ordonnance,
- ordonné la publication dans le journal les Nouvelles Calédoniennes" d'un extrait de l'ordonnance aux frais avancés de la SARL Le Gardien, pour un prix maximum de 20 000 FCFP,
- condamné la SARL Gardian à payer à la SARL Le Gardien les frais de publication de l'ordonnance ainsi que la somme de 93 600 FCFP pour frais irrépétibles et aux dépens, distraits au profit de Maître Kibangi, avocat.
Le premier juge a relevé :
- la quasi-identité phonétique et visuelle, des dénominations sociales des deux sociétés et des deux enseignes, les différences résultant de l'absence de l'article "Le" précédant le nom dans lequel la lettre E est remplacée par la lettre A,
- l'identité de l'objet social, à savoir la surveillance et le gardiennage,
- le risque de confusion pour la clientèle comme pour tous les intervenants des entreprises, nonobstant les types de clientèles distinctes,
- l'existence d'un droit de propriété corporelle sur sa dénomination par usage public et non équivoque dès son immatriculation au registre du commerce le 30 août 2001.
PROCEDURE D'APPEL
Par requête déposée le 02 novembre 2004, la SARL Gardian a régulièrement interjeté appel de cette décision, signifiée le 25 octobre 2004.
Autorisée par ordonnance du premier président en date du 2 novembre 2004, l'appelante, par acte du 5 novembre 2004, a assigné à jour fixe la sari Le Gardien devant la cour en sollicitant la réformation de l'ordonnance,
- la constatation de l'absence de trouble manifestement illicite faute d'une imitation manifeste et d'une confusion de la part de la clientèle,
- la constatation que l'appréciation du caractère distinctif du nom commercial relève du juge du fond,
- la publication d'un extrait de l'arrêt dans le journal "Les Nouvelles Calédoniennes", aux frais avancés de la sarl Gardian, sans que cette publication excède 50 000 FCFP,
- la condamnation de la SARL Le Gardien à lui payer les sommes de 150.000 FCFP pour frais irrépétibles de première instance et de 266.000 FCFP pour l'appel, et aux entiers dépens, distraits au profit de la SELARL de Greslan-Briant, avocats.
Après avoir rappelé l'historique des deux sociétés, l'appelante conteste en premier lieu l'imitation manifeste, en faisant valoir :
- la différence de sens des mots, le gardien étant celui qui garde, et le gardian, le gardien de taureaux ou de chevaux en Camargue,
- le caractère nouveau et original de la dénomination "gardian", excluant tout risque de confusion et toute imitation avec les mots "le gardien",
- la différence visuelle et phonétique des dénominations, l'une comprenant deux mots et l'autre un mot, et des logos.
La SARL Gardian soutient que la contestation manifeste exclut toute possibilité pour le juge des référés de statuer sur cette question qui relève du juge du fond, ce qu'aurait fait le premier juge.
L'appelante soulève encore l'absence d'erreur de la clientèle, qui par ailleurs n'est pas la même pour les deux sociétés et l'absence de preuve d'une confusion en l'espèce, en soulignant que les courriers versés aux débats au soutien de la confusion alléguée émanent, non de clients mais de fournisseurs, et que la notoriété de la SARL Le Gardien vient, de sa première dénomination, AMS Sécurité, alors que la SARL Gardian n'a qu'un nom, repris par son logo.
La SARL Gardian estime que l'absence de confusion résulte en outre de la différence de clientèle, la sienne étant composée de clients institutionnels tels que RFO, GBNC, le ministère de la Défense, Carrefour, le centre culturel du Mont-Dore, et celle de l'intimée de petits particuliers pour la plupart.
L'appelante invoque encore l'incompétence du juge des référés pour apprécier le caractère distinctif et arbitraire du nom commercial, donc de la protection de ce droit, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Elle a produit plusieurs pièces à l'appui de ses arguments.
La SARL Le Gardien conclut à la confirmation de l'ordonnance et à la condamnation de l'appelante à lui payer une indemnité de procédure de 124 800 FCFP et aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
L'intimée fait valoir que :
- l'objet social de deux sociétés est identique, la SARL Gardian, qui a adopté une dénomination très proche de la sienne, créant ainsi un risque de confusion notamment dans l'esprit de sa clientèle potentielle,
- cette confusion constitue une atteinte à son nom, lui causant un préjudice certain, la dénomination constituant un droit extra-patrimonial attaché à la personnalité juridique de toute société, qui jouit de la protection.
La SARL Le Gardien maintient qu'il existe en l'espèce une imitation évidente, constatée par le premier juge, que le mot gardian a également une connotation de surveillance, et que les deux appellations sont très proches, alors que les logos ne sont pas en cause en l'espèce.
Elle indique que la confusion est établie par des correspondances de la ville du Mont-Dore et du CHS adressées à la SARL Gardian et qui lui sont parvenues, des avis de lettres recommandées avec demande d'avis de réception, des demandes d'emploi et de nombreux appels téléphoniques.
Elle affirme en outre qu'elle travaille pour des institutionnels tels que des mairies, des hôtels, la CAFAT, la calédonienne des eaux et le centre culturel du Mont-Dore.
L'intimée fait observer en dernier lieu que la jurisprudence fait bénéficier le nom commercial d'une protection similaire à celle d'une marque afin d'éviter tout risque de confusion dans l'esprit du public.
Le 03 décembre 2004, l'intimée a fait déposer le relevé des appels téléphoniques destinés à la SARL Gardian.
Dans ses conclusions en réponse déposées le même jour, la SARL Gardian indique que le terme "Gardian" et le logo ont été choisis après une étude confiée à une société de communication, en février 2003, à une époque où la SARL Le Gardien utilisait la dénomination sociale AMS (2001 et 2002).
Elle fait valoir que la notion de clientèle potentielle invoquée ne peut être retenue, seule la clientèle étant prise en considération, et elle critique les pièces produites par l'intimée, qu'elle qualifie de non probantes ; elle maintient par ailleurs l'absence d'identité des clientèles, excluant ainsi la confusion.
La SARL Gardian souligne que la marque déposée à l'INPI après vérification a été enregistrée, que le nom "le gardien" ne présentant aucun caractère d'originalité, n'est pas susceptible d'appropriation, ce qui interdit à la SARL Le Gardien d'invoquer le trouble manifestement illicite.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande principale
Attendu que, par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a exactement relevé la quasi identité visuelle et phonétique des dénominations et de l'enseigne des deux sociétés l'identité de leur objet social, à savoir la surveillance et le gardiennage, et le risque de confusion pour la clientèle et les autres utilisateurs, qui est démontré par les pièces versées aux débats par la SARL Le Gardien, en l'espèce des courriers de cocontractants et des appels téléphoniques adressés la SARL Gardian et parvenus à la SARL Le Gardien;
Attendu que l'argument tenant à la différence de logo et de clientèle sont inopérants, le logo n'étant pas en cause, mais l'enseigne, et la clientèle étant commune, ainsi qu'il apparaît des documents produits, et en tout état de cause ayant vocation à l'être ;
Attendu que le premier juge a par ailleurs à bon droit retenu que l'adoption le 13 mai 2003 par la SARL SPAS de l'enseigne Gardian postérieurement à l'immatriculation de la SARL Le Gardien, réalisée le 03 avril 2003, constitue un trouble manifestement illicite causé à celle-ci, et rendant compétent le juge des référés, qu'ainsi l'ordonnance sera confirmée sur l'interdiction d'utiliser le nom et l'enseigne sous astreinte, et la publication de la décision ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie
Attendu qu'il apparaît équitable de décharger la SARL Le Gardien des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel pour la somme de 100.000 FCFP, l'indemnité fixée par le premier juge étant confirmée par ailleurs ;
Attendu qu'en revanche, la demande formée au même chef par l'appelante qui succombe sera rejetée ;
Sur les dépens
Attendu que les entiers dépens, de première instance et d'appel seront supportés par la SARL Gardian, dont distraction au profit de Maître Kibangui, avocat ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire déposé au greffe ; Déclare l'appel recevable et mal fondé, Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la SARL Gardian à payer à la SARL Le Gardien la somme de cent mille (100 000) francs CFP pour frais irrépétibles d'appel ; Déboute la SARL Gardian de sa demande au même titre et la condamne aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Kibangui, avocat.