Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 19 novembre 2003, n° 2002-08588

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nomadic Display Groupe Primordial (SA), Josse (ès qual.), Ateliers Photographiques et Audiovisuels Copycolor (SA)

Défendeur :

Imatec (SARL), André
Boiche
Bouet (ès qual.), Pezzino (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Faucher, Picque

Avoués :

SCP Autier, SCP Varin-Petit, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet

Avocats :

Mes Massoni, Debetz

T. com. Paris, du 23 janv. 2002

23 janvier 2002

LA COUR,

La société Ateliers Photographiques et Audiovisuels - Copycolor - a été mise en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 25 août 1998, ayant désigné Maître Marie-José Josse en qualité de mandataire-liquidateur. Antérieurement la SA Nomadic Display Groupe Primordial (société Primordial), qui était un client important de la société Copycolor, avait cessé de payer depuis mars 1998, les prestations de cette dernière.

Le mandataire-liquidateur a estimé :

- d'une part, qu'au jour de l'ouverture de la procédure collective, il restait dû 746 500,81 F (113.803,31 euro),

- d'autre part, que l'arrêt du règlement régulier des factures et la participation concomitante de la société Primordial à la création, le 15 mai 1998, de la société concurrente Imatec avec les responsables " commercial " et " production ", salariés de la société Copycolor, procédait d'une action concertée au préjudice de sa liquidée, l'ayant désorganisée et conduite au dépôt de bilan le 30 juillet 1998 et à la liquidation judiciaire directement ouverte le 25 août suivant, causant ainsi un préjudice aux créanciers de la société défaillante, à hauteur de l'insuffisance d'actif.

C'est dans ces circonstances que Maître Josse a attrait es qualités, les sociétés Primordial et Imatec, ainsi que Catherine André et Pascal Boiche, anciens préposés de sa liquidée et associés avec la société Primordial au sein de la SARL Imatec, devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre les condamner in solidum à lui payer es qualités,

3 MF " représentant le montant estimé de l'insuffisance d'actif " outre 10 000 F de frais irrépétibles.

Le liquidateur judiciaire a aussi requis la condamnation de la société Primordial seule, à lui payer le montant des factures arriérées, majoré des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 juillet 1998.

Par jugement contradictoire du 23 janvier 2002, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a condamné la société Primordial à payer à Maître Josse es qualités, 549 160,37 F (83 718,96 euro), augmentés des intérêts au taux légal à compter de la date requise au titre d'une partie des factures arriérées et a rejeté toutes les autres demandes.

Appelante le 17 avril 2002, la société Primordial a postérieurement déclaré, dans des écritures signifiées le 9 août suivant, qu'elle avait été admise au bénéfice du redressement judiciaire par jugement de Tribunal de commerce de Marseille du 20 juin 2002, Maître Frédéric Bouet ayant été désigné administrateur judiciaire et Maître Pierre-Yves Pezzino l'ayant été en qualité de représentant des créanciers.

Les organes de la procédure collective de la société Primordial n'ont jamais constitué avoué devant cette cour. Ils ont été assignés " à leur personne " le 16 septembre 2002 et les écritures subséquentes des autres parties leur ont ultérieurement été dénoncées le 22 juillet 2003 par Maître Josse es qualités et le 30 septembre 2003 par la société Imatec, Catherine André et Pascal Boiche.

Intimée à titre principal, Maître Josse a également formé appel incident dès ses premières écritures signifiées le 21 mai 2002, alors que la société appelante principale étant encore " in bonis ".

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 18 juillet 2003, la mandataire judiciaire soutient la recevabilité de son appel incident en ce qu'elle était partie es qualités en première instance et intimée par l'appelante principale.

Elle s'estime en conséquence, recevable à interjeter appel incident en application de l'article 550 du nouveau Code de procédure civile.

Pour le surplus, elle expose que la cession de l'entreprise initialement envisagée par les actionnaires de la société Copycolor, n'a pas pu se réaliser en raison de la situation préoccupante résultant :

- de la situation obérée de la trésorerie du fait des impayés de la société Primordial,

- de la désorganisation liée à la démission du directeur de production [Catherine André, par ailleurs associée de la SARL Imatec] et de deux autres techniciens [qui seront ultérieurement embauchés par la société Imatec],

- et du manque de motivation du responsable commercial [Pascal Boiche, autre associé de la société Imatec].

Dénonçant la simultanéité de la constitution, à partir de mai 1998, de la société Imatec avec la suspension par la société Primordial, du paiement des factures, dont elle affirme que Pascal Boiche avait la charge du suivi au sein de la société Copycolor, le liquidateur judiciaire déduit de cette apparente concomitance, "la volonté de la société Primordial, de Catherine André et Pascal Boiche, d'anéantir la société Copycolor afin de s'approprier, sans bourse délier, le fonds de commerce de cette dernière", la faute commise par ceux-ci, ayant consisté, selon elle, en une " conspiration organisée par le principal client avec deux salariés " essentiels du fournisseur.

Précisant que l'insuffisance d'actif se limite aujourd'hui à 1.993.138,68 F (303 852,03 euro), il fait valoir

- qu'il résulte des constatations du 4 février 1999, de l'huissier commis par ordonnance du 14 janvier précédent du président du Tribunal de commerce de Nanterre, que tous les salariés de la société Imatec [à cette date] étaient d'anciens préposés de la société Copycolor et que l'essentiel de son fichier " clients et prospects " était constitué d'anciens clients de sa liquidée,

- que les factures, à hauteur du montant rejeté par le tribunal, ont été émises après la constitution de la société Imatec, ce qui accrédite, à ses yeux, qu'elles ont bien été reçues par l'intéressée qui les aurait volontairement dissimulées pour permettre à la nouvelle société concurrente de mieux parvenir à ses fins.

Maître Josse précise qu'elle a déclaré ses créances par lettre recommandée du 14 août 2002 auprès du représentant des créanciers de la société Primordial.

Elle conclut au rejet de l'appel initialement interjeté par cette dernière, à la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle a écarté certains de ses chefs de demande.

Formant appel incident, elle sollicite la fixation au passif de la procédure collective de la société Primordial des créances de sa liquidée à hauteur de :

- 113 803,31 euro (746 500,81 F) au titre de l'ensemble des factures impayées,

- 303 852,03 euro (1 993 138,68 F) au titre des dommages et intérêts,

- 16 864,34 euro "au titre des intérêts au taux légal capitalisés sur le montant des factures impayées du 7 juillet 1998 au 20 juin 2002",

-1 524,49 euro (10 000 F) au titre des frais irrépétibles alloués par le tribunal dans le jugement dont appel.

Elle requiert par ailleurs la condamnation solidaire de la société Imatec et de Catherine André et Pascal Boiche à lui payer es qualités, 303 852,03 euro (1 993 138,68 F) de dommages et intérêts et 3 000 euro de frais non compris dans les dépens.

Intimés, la société Imatec, Catherine André et Pascal Boiche répliquent, dans le dernier état de leurs écritures communes signifiées le 25 septembre 2003, que les préposés démissionnaires n'étaient pas soumis à une clause de non-concurrence et qu'ils ont accompli leur préavis.

Ils soutiennent l'irrecevabilité de l'appel incident de Maître Josse es qualités, en ce qu'elle n'a pas fait appel à titre principal dans le mois de la signification du jugement intervenue le 4 février 2002 et estiment que son appel provoqué n'est pas recevable en ce que l'appel principal auquel il se rattache n'était pas de nature à " retentir sur la situation de celui qui l'interjette ou à la modifier ", puisque l'appel de la société Primordial avait pour seule finalité l'infirmation de la décision prononçant à son encontre, une condamnation pécuniaire au profit du liquidateur judiciaire.

Subsidiairement, les intimés soutiennent que le caractère obsolète de l'outil de production et l'insatisfaction croissante des clients, sont à l'origine de la baisse d'activité de la société Copycolor et de l'impossibilité corrélative où elle s'est trouvée de céder son entreprise.

Ils démentent que le départ, fin mai et début juin 1998, de deux salariés sur dix-sept, soit de nature à désorganiser l'exploitation de l'entreprise et précisent que, devant l'impossibilité de céder, le chef d'entreprise a annoncé dès le 19 juin 1998, la cessation d'activité et le licenciement économique de tout le personnel présent.

Dans ce contexte, au jour de la déclaration de cessation des paiements le 30 juillet 1998, la société n'ayant plus de personnel pour continuer l'exploitation de l'entreprise, sa liquidation judiciaire immédiate était inévitable, mais ne ressortait que de la décision de gestion de son dirigeant.

Ils indiquent aussi que l'exploitation de la société Imatec n'a commencé que le 6 août 1998, soit postérieurement au dépôt de bilan de la société Copycolor et de la cessation effective de ses activités par le licenciement de tout son personnel. Ils en déduisent qu'aucun acte de concurrence n'a pu dès lors avoir lieu, et estiment qu'en tout état de cause, le prétendu préjudice allégué par Maître Josse ne peut pas s'établir par rapport à l'insuffisance d'actif.

La société Imatec, Catherine André et Pascal Boiche, soulèvent, à titre principal, l'irrecevabilité de l'appel incident de Maître Josse es qualités. Subsidiairement, ils concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les prétentions du mandataire-judiciaire à leur encontre et réclament 3 050 euro de frais non compris dans les dépens.

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'appel

Considérant que ni la recevabilité, ni la validité de l'appel principal interjeté initialement par la société Primordial ne sont contestés et qu'il n'est pas davantage discuté que l'appel principal n'était pas limité ;

Que bien que la société Primordial n'ait jamais déposé de conclusions au soutien de son recours, la procédure collective la concernant ayant été ouverte avant l'expiration du délai prescrit par l'article 915 du nouveau Code de procédure civile, il se déduit du caractère non limité de l'appel initial que la société Primordial entendait au moins contester le montant des condamnations mises à sa charge par le tribunal qui avait accueilli une partie des prétentions de Maître Josse es qualités ;

Que nonobstant le défaut d'appel principal diligenté par cette dernière dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement qui lui a été délivrée le 4 février 2002, il résulte des dispositions des articles 549 et 550 du nouveau Code de procédure civile que, Maître Josse ayant été partie en première instance et étant en outre intimée par l'appelante principale, son appel incident peut être formé en tout état de cause, alors même qu'elle est forclose pour agir à titre principal, étant au surplus observé que dès ses premières écritures signifiées le 22 mai 2002, le liquidateur s'oppose au recours de la société Primordial, sollicite la confirmation des chefs de condamnations prononcées par le tribunal qui lui sont favorables et, formant appel incident, sollicite à l'encontre tant de l'appelante principale que de tous les autres intimés, le bénéfice des prétentions antérieurement formulées devant les premiers juges pour lesquelles il avait été débouté ;

Que l'appel incident de Maître Josse es qualité est en conséquence recevable ;

Sur les factures arriérées

Considérant que la société Primordial a antérieurement reconnu devoir 253 121,72 F et :

- d'une part, que la société Copycolor n'a pas été contredite lorsqu'elle a indiqué dans sa lettre recommandée de mise en demeure du 7 juillet 1998, que dans les rapports initiaux entre les parties, les très courts délais d'exécution qui lui étaient imposés par la société Primordial, étaient incompatibles avec la régularisation préalable d'un bon de commande,

- d'autre part, que la société Primordial n'a pas davantage été contredite lorsqu'elle a indiqué dans sa lettre du 13 juillet 1998, que depuis janvier 1998, elle n'enregistrait plus en comptabilité les factures sans bon de commande, ce qui confirme implicitement l'usage antérieurement suivi par les parties de factures acceptées nonobstant l'absence formelle de bon de commande ;

Que c'est dès lors à bon droit que le tribunal a en outre retenu un ensemble supplémentaire de factures, d'un montant global de 296 038,65 F qui avaient été enregistrées en comptabilité par la société Primordial, et a rejeté le troisième lot de factures postérieures au 1er janvier 1998, ne faisant pas l'objet d'un bon de commande et non enregistrées en comptabilité ;

Que le total des factures arriérées prises en compte s'élève à 549 160,37 F (253 121,72 + 296 038,65), soit 83.718,96 euro, majorés des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 juillet 1998 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective de la société Primordial le 20 juin 2002, la capitalisation annuelle dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, n' étant appliquée qu'à compter du 21 mai 2002, date à laquelle la demande a été pour la première fois judiciairement formulée ;

Sur les dommages et intérêts sollicités par le liquidateur judiciaire de la société Copycolor

Considérant qu'en application de l'article 9 du nouveau Code de procédure civile, il appartient à Maître Josse es qualités, de rapporter la preuve des faits nécessaires au succès de ses prétentions ;

Qu'elle affirme qu'il résulterait de la simultanéité de la constitution, à partir de mai 1998, de la société Imatec avec la suspension par la société Primordial, du paiement des factures, la preuve d'une conspiration de la société Primordial et de Catherine André et Pascal Boiche, destinée à déstabiliser l'entreprise Copycolor l'ayant conduit à la cessation des paiements et à une insuffisance d'actif de 303 852,03 euro au préjudice de la société et de ses créanciers ;

Mais considérant que la concurrence est de principe et que le fait de vouloir créer une nouvelle société concurrente dans un secteur, où au surplus le rapport de présentation de la société ICF produit par Maître Josse elle-même, indiquait aux acquéreurs potentiels de la société Copycolor, qu'elle y est " peu nombreuse ", n' est pas en soi critiquable ;

Qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la suspension des paiements en mars 1998, procédait d'une intention de nuire de la société Primordial, celle-ci contestant une partie de la dette, et ses objections étant au demeurant partiellement prises en compte par le présent arrêt ;

Que si la société Imatec s'est constituée à partir de mai 1998, il n'est pas contesté qu'elle n'a commencé ses activités qu'à partir du 3 août suivant, c'est à dire à une époque où la société Copycolor avait cessé ses propres activités depuis le 15 juillet 1998, ainsi qu'il ressort de sa déclaration de cessation des paiements du 30 juillet suivant, de sorte que les deux entreprises n'ont jamais réellement été en concurrence ;

Qu'au surplus, après la fermeture de Copycolor, il n'était pas anormal de retrouver chez la société Imatec, lors des constatations de l'huissier six mois plus tard, le 4 février 1999, d'anciens clients et fournisseurs de la société Copycolor ;

Que l'huissier a aussi constaté que les arrivées des anciens préposés de Copycolor ayant rejoint Imatec, s'échelonnent entre les 3 août et le 1er octobre 1998, de sorte que Maître Josse ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la désorganisation de l'entreprise de sa liquidée, seuls trois préposés sur dix sept ayant quitté la société Copycolor moins d'un mois avant l'annonce des licenciements économiques au restant du personnel ;

Qu'au surplus, il n'est pas contesté que le contrat de travail des préposés concernés, ne comportait pas d'engagement de non-concurrence ;

Que par ailleurs les organes de la procédure collective de la société Primordial ont régulièrement été attraits en cause d'appel ;

Que cette dernière était initialement défendeur à l'action lorsqu'elle était encore " in bonis ", la décision du tribunal octroyant des frais irrépétibles de première instance étant intervenue antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective et concernant une créance dont l'origine est antérieure à ce dernier;

Qu'en outre il n'y a pas lieu d'octroyer des frais irrépétibles en cause d'appel;

Par ces motifs, Dit recevable l'appel incident diligenté par Maître Josse es qualités, Admet Maître Josse, es qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société Ateliers et Photographiques Audio Visuels Copycolor au passif de la procédure collective de la SA Nomadic Display Groupe Primordial à hauteur de 83 718,96 euro, majorés des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 juillet 1998 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective de la société Primordial le 20 juin 2002. La capitalisation annuelle dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, n'étant appliquée qu'à compter du 21 mai 2002 jusqu'au 20 juin suivant, outre 1 524,49 euro au titre des frais irrépétibles alloués par le tribunal, Confirme pour le surplus, le jugement entrepris, Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Nomadic Display Groupe Primordial et que la créance correspondante sera mentionnée sur l'état des créances à la demande de la partie la plus diligente, dans les conditions prévues par l'article 85 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1885, Admet les SCP Varin-Petit et Taze-Bernard-Belfayol-Broquet au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site