CJCE, 5e ch., 29 mai 1997, n° C-26/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rotexchemie International Handels GmbH & Co.
Défendeur :
Hauptzollamt Hamburg-Waltershof
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Moitinho de Almeida
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Sevón, Gulmann, Puissochet, Jann
Avocats :
Mes Eggers, Rabe, Berrisch
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 10 janvier 1996, parvenue à la Cour le 30 janvier suivant, le Finanzgericht Hamburg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle sur la validité du règlement (CEE) n° 1531-88 du Conseil, du 31 mai 1988, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de permanganate de potassium originaire de la république populaire de Chine et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations (JO L 138, p. 1).
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Rotexchemie International Handels GmbH & Co. (ci-après "Rotexchemie") au Hauptzollamt Hamburg-Waltershof (ci-après le "Hauptzollamt"), au sujet des droits antidumping définitifs auquel ce dernier a soumis les importations de permanganate de potassium en provenance de Chine.
3 Du 21 juillet 1988 au 31 octobre 1989, Rotexchemie a sollicité, principalement du Hauptzollamt, la mise en libre pratique de 667 tonnes de permanganate de potassium, relevant de la position tarifaire 2841 60 00 0100 de la nomenclature combinée, prétendument originaire de Taïwan. Lors de la mise en libre pratique, Rotexchemie a acquitté des droits de douane au taux de 6,9 %. Les autorités douanières ayant découvert, à la suite d'une enquête, que le produit en question provenait de la république populaire de Chine, le Hauptzollamt a réclamé à Rotexchemie, par avis modificatifs d'imposition, au titre du règlement n° 1531-88, le versement d'un droit antidumping de 1 495 170 DM.
4 Après avoir vainement déposé une réclamation à l'encontre des avis modificatifs d'imposition en cause, Rotexchemie a formé un recours contre la décision de rejet du Hauptzollamt. Dans son recours, Rotexchemie ne conteste plus que le permanganate de potassium était originaire de la république populaire de Chine, mais elle conteste la validité du règlement n° 1531-88 au regard de normes communautaires d'un rang supérieur et articule quatre moyens à cet égard.
5 C'est dans ce contexte que la juridiction nationale a posé à la Cour, à titre préjudiciel, la question de savoir si le règlement n° 1531-88 est valide.
6 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la juridiction nationale fonde ses doutes concernant la validité du règlement n° 1531-88 sur le premier moyen invoqué devant elle par la requérante au principal. Elle se demande si le choix des États-Unis d'Amérique comme pays de référence ne constitue pas une violation de l'article 2, paragraphe 5, sous a), du règlement (CEE) n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1, ci-après le "règlement de base"). En effet, alors que le choix du pays de référence dépendrait notamment de la question de savoir si les prix qui sont pratiqués dans ce pays sont la résultante normale des forces qui s'exercent sur le marché, le marché américain du permanganate de potassium ne compterait qu'un seul producteur qui ne serait soumis à aucune concurrence. Les États-Unis d'Amérique imposeraient ainsi les importations chinoises, qui ne seraient pas négligeables, d'un droit antidumping supérieur à celui fixé par la Communauté et dont il ne saurait être exclu qu'il dépasse la marge de dumping en cause.
7 La juridiction de renvoi fait également valoir que, s'il se vérifiait que les États-Unis d'Amérique imposent également un droit antidumping sur les importations espagnoles de permanganate de potassium, ce droit serait injustifié et ne viserait qu'à protéger le producteur américain. D'ailleurs, les prix pratiqués par ce dernier seraient supérieurs à ceux de l'unique producteur communautaire. Enfin, la juridiction de renvoi n'est pas convaincue par les raisons qui ont conduit les institutions communautaires à écarter les choix alternatifs de l'Inde et du Brésil comme pays de référence.
8 Aux termes de l'article 2, paragraphe 5, sous a), du règlement de base:
"Dans le cas d'importations en provenance de pays n'ayant pas une économie de marché... la valeur normale est déterminée d'une manière appropriée et non déraisonnable sur la base de l'un des critères suivants:
a) le prix auquel un produit similaire d'un pays tiers à économie de marché est réellement vendu:
i) pour la consommation sur le marché intérieur de ce pays, ou
ii) à d'autres pays, y compris la Communauté ..."
9 L'objectif de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base est d'éviter la prise en considération des prix et des coûts en vigueur dans les pays n'ayant pas une économie de marché dans la mesure où ces paramètres n'y sont pas la résultante normale des forces qui s'exercent sur le marché (voir arrêts du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C-305-86 et C-160-87, Rec. p. I-2945, point 26, et du 22 octobre 1991, Noelle, C-16-90, Rec. p. I-5163, point 10).
10 Le choix du pays de référence s'inscrit dans le cadre du pouvoir d'appréciation dont les institutions disposent dans l'analyse de situations économiques complexes.
11 L'exercice de ce pouvoir n'est toutefois pas soustrait au contrôle juridictionnel. En effet, conformément à une jurisprudence constante, la Cour, dans le cadre de ce contrôle, vérifie le respect des règles de procédure, l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou l'absence de détournement de pouvoir (arrêts du 7 mai 1987, Toyo/Conseil, 240-84, Rec. p. 1809, point 19; Nippon Seiko/Conseil, 258-84, Rec. p. 1923, point 21, et Noelle, précité, point 12).
12 S'agissant en particulier du choix du pays de référence, il convient de vérifier si les institutions n'ont pas omis de prendre en considération des éléments essentiels en vue d'établir le caractère adéquat du pays choisi et si les éléments du dossier ont été examinés avec toute la diligence requise pour que l'on puisse considérer que la valeur normale a été déterminée d'une manière appropriée et non déraisonnable (arrêt Noelle, précité, point 13).
13 Relayant les doutes émis à cet égard par la juridiction nationale, Rotexchemie fait valoir que la valeur normale n'a pas été déterminée conformément à cette jurisprudence étant donné que les prix pratiqués aux États-Unis d'Amérique ne résultent pas des règles d'une économie de marché. En effet, le marché américain du permanganate de potassium ne compte qu'un seul producteur qui est protégé de la concurrence étrangère par des droits antidumping.
14 Le Conseil et la Commission estiment au contraire que la présence d'un seul producteur est sans pertinence dès lors qu'il n'y règne aucun contrôle des prix et que la concurrence y est suffisante en raison des importations en provenance de pays tiers. L'imposition de droits antidumping sur les importations chinoises et espagnoles n'est pas de nature à remettre en cause cette conclusion dans la mesure où rien ne permet d'affirmer que les droits en cause ne sont pas destinés à écarter un préjudice, mais uniquement à consolider la position du producteur américain. Les deux institutions font d'ailleurs valoir que la Commission a établi que les niveaux de prix pratiqués par ce dernier, qui sont en réalité inférieurs à ceux du producteur communautaire, lui permettent de réaliser un bénéfice raisonnable et non excessif.
15 Il convient de souligner que le seul fait qu'il n'existe qu'un producteur dans le pays de référence n'exclut pas en soi que les prix y soient le résultat d'une concurrence réelle dès lors qu'une telle concurrence peut tout aussi bien résulter, en l'absence d'un contrôle des prix, de la présence d'importations significatives en provenance d'autres pays. Or, il ressort du point 11 du règlement n° 1531-88, dont l'affirmation n'a pas été contestée, que le marché américain du permanganate de potassium est le destinataire d'importantes importations en provenance de pays tiers.
16 De la même manière, le choix d'un pays tiers à économie de marché ne saurait être remis en cause du seul fait que le pays choisi assujettit les importations en provenance de certains pays tiers à des droits antidumping. Il convient, en effet, de rappeler que le dumping est considéré par l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, auquel se réfère le deuxième considérant du règlement de base, comme une pratique condamnable s'il cause ou menace de causer un préjudice substantiel à une production du pays d'importation. L'imposition de droits antidumping n'est pas ainsi destinée à protéger le marché du pays d'importation de toute concurrence externe, mais à rétablir une concurrence loyale et normale entre les producteurs nationaux et les producteurs étrangers concernés. En conséquence, il ne saurait être conclu de la seule circonstance que le pays de référence soumet les importations en provenance de certains pays tiers à des droits antidumping que les prix pratiqués dans ce pays ne résultent plus d'une concurrence réelle.
17 La juridiction de renvoi a cependant émis l'hypothèse que les droits antidumping imposés par les États-Unis d'Amérique sur les importations de permanganate de potassium en provenance de Chine et d'Espagne étaient moins destinés à écarter un préjudice qu'à protéger la position du producteur américain sur son marché national.
18 Le Conseil et la Commission ont cependant soutenu que rien ne permettait d'étayer un tel soupçon, sans que n'apparaisse, au cours de la présente procédure, d'élément de nature à remettre en cause cette affirmation. Il résulte en outre des informations fournies par ces institutions et par le gouvernement espagnol que les droits antidumping imposés sur les importations en provenance d'Espagne n'ont pas été perçus en 1987 et que leur montant a été sensiblement réduit au cours des années ultérieures. Enfin, l'hypothèse émise par la juridiction de renvoi se heurte à la considération du point 11 du règlement n° 1531-88 selon laquelle les niveaux de prix pratiqués par le producteur américain lui permettent de réaliser un bénéfice raisonnable et non excessif.
19 La juridiction de renvoi n'est pas non plus convaincue par les raisons qui ont conduit les institutions communautaires à écarter les choix alternatifs de l'Inde et du Brésil comme pays de référence. Il ressortirait en effet de divers règlements antidumping, antérieurs ou postérieurs au règlement n° 1531-88, portant sur le même produit que le premier pays a été écarté au motif que ses prix étaient considérablement plus élevés qu'aux États-Unis d'Amérique mais sans que la Commission ni le Conseil n'eussent effectué de vérifications à cet égard. Ceux-ci auraient en outre pris en considération la taille réduite de la production indienne alors que, selon la jurisprudence de la Cour, cette circonstance ne serait pas déterminante dans le choix du pays de référence. Enfin, il ne serait pas possible de déterminer les raisons qui ont conduit à écarter le Brésil lors de l'adoption du règlement n° 1531-88.
20 Le Conseil et la Commission relèvent, pour leur part, que les États-Unis d'Amérique avaient déjà été choisis comme pays de référence à l'occasion d'une procédure antérieure, ouverte en 1986, portant sur le même produit et que la reprise de ce pays, lors de la procédure d'adoption du règlement n° 1531-88, a été faite en accord avec l'industrie communautaire sans que ni l'exportateur chinois spécifiquement visé par le règlement ni aucun importateur de la Communauté n'aient soulevé d'objection à cet égard. Ils considèrent, dans ces conditions, qu'ils n'étaient pas tenus d'examiner s'il existait un pays de référence plus adéquat ni, en particulier, de vérifier si leurs renseignements concernant l'Inde demeuraient exacts. Ils rappellent à cet égard que, si, d'après les informations recueillies au cours de la procédure antérieure, l'Inde était le seul autre pays à économie de marché producteur de permanganate de potassium, les méthodes de production y étaient artisanales, la capacité totale de production très réduite et les prix effectivement supérieurs à ceux pratiqués sur le marché américain. Enfin, le Conseil et la Commission font valoir que, s'il est vrai qu'ils ont appris, en 1994, l'existence d'un site de production de permanganate de potassium au Brésil, il s'est révélé que ce site n'était pas encore opérationnel cette année-là.
21 Il y a lieu de rappeler que le Conseil et la Commission ne sont pas en principe tenus de prendre en considération tous les pays de référence proposés par les parties dans le cadre d'une procédure antidumping. Ils doivent toutefois se livrer à un examen plus approfondi des propositions qui leur sont soumises dans l'hypothèse où ils éprouvent ou auraient dû éprouver des doutes à l'égard du pays de leur choix (voir arrêt Noelle, précité, point 32).
22 En l'espèce, le Conseil et la Commission n'ont cependant reçu, au cours de la procédure d'adoption du règlement n° 1531-88, aucune proposition alternative au choix des États-Unis d'Amérique comme pays de référence alors que ce pays avait déjà été retenu à l'occasion d'une procédure antérieure portant sur le même produit et que les exportateurs chinois et les importateurs communautaires de permanganate de potassium n'auraient pas manqué, le cas échéant, de suggérer un pays plus adéquat. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à ces institutions de ne pas s'être livré à un examen approfondi des autres pays de référence potentiels.
23 En outre, le Conseil et la Commission ont exposé de manière convaincante les motifs pour lesquels des pays comme l'Inde ou le Brésil n'avaient pas été retenus, sans que Rotexchemie produise le moindre indice de nature à remettre en cause leur analyse. S'agissant, en particulier, du cas de l'Inde, s'il est vrai, comme le relève la juridiction de renvoi, que la taille du marché intérieur n'est pas, en principe, un élément susceptible d'entrer en considération dans le choix d'un pays de référence, encore faut-il que ce marché soit représentatif par rapport aux exportations en cause (voir arrêt Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, précité, point 31). Or, les caractéristiques du marché indien du permanganate de potassium mises en avant par le Conseil et la Commission démontrent à l'évidence que tel n'était pas le cas. Plus généralement, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 30 de ses conclusions, tout porte en l'espèce à considérer que les États-Unis d'Amérique constituaient bien le seul pays à économie de marché susceptible d'être choisi comme pays de référence.
24 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la valeur normale a été déterminée "d'une manière appropriée et non déraisonnable", au sens de l'article 2, paragraphe 5, sous a), du règlement de base.
25 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale que l'examen de la question posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement n° 1531-88.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
26 Les frais exposés par le gouvernement espagnol, ainsi que par le Conseil de l'Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Hamburg, par ordonnance du 10 janvier 1996, dit pour droit:
L'examen de la question posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement (CEE) n° 1531-88 du Conseil, du 31 mai 1988, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de permanganate de potassium originaire de la république populaire de Chine et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations.