CA Douai, 6e ch. corr., 20 décembre 2005, n° 05-01725
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marie
Conseillers :
MM. Deleneuville, Lemaire
Avocat :
Me Pecnard
Rappel de la procédure
La SA X a été poursuivie devant le Tribunal correctionnel de Lille pour avoir:
A Villeneuve-d'Ascq et dans le département de l'Indre et Loire, entre le 9 et le 26 avril 2003 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, revendu un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques à cette revente le cas échéant du prix de transport, en l'espèce en procédant, dans le cadre d'une opération intitulée " Le sport renaît au printemps ", à la revente des articles et vêtements mentionnés dans la colonne " produits " du tableau joint à un prix inférieur au prix d'achat effectif tel que défini par l'article L. 442-2 du Code de commerce,
Faits prévus par art. L. 442-2, art. L. 442-3 al. 1 du Code de commerce ; art. 121-2 du Code pénal et réprimés par art. L. 442-3 al. 2 du Code de commerce; art. 131-38, art. 131-39 9° du Code pénal,
Le tableau auquel renvoie la citation est le suivant :
<emplacement tableau>
Par jugement contradictoire du 8 avril 2005, elle a été déclarée coupable et condamnée à payer une amende de 30 000 euro.
Les appels:
La SA X a interjeté appel des dispositions pénales de cette décision le 18 avril 2005.
Le Ministère public a formé appel incident le 19 avril 2005.
A l'audience de la cour, la SA X est représentée par Y Hervé et Z Franck, munis d'un pouvoir spécial à cette fin délivré par W, président du directoire, en date du 14 novembre 2005. Il sera statué contradictoirement à son encontre.
Rappel des faits
Par procès-verbal du 9 juillet 2004, la Direction régionale Nord de la DGCCRF constatait que la SA X avait, les 18, 23 et 25 avril 2003, vendu 21 références à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif, dans ses magasins de Tours, en infraction avec les dispositions de l'article L. 442-2 du Code de commerce,
Les prix de vente pratiqués qui posaient problème avaient été vérifiés et confirmés au magasin de Roncq le 24 novembre 2003.
L'Administration avait par ailleurs rejeté l'argumentation des services juridiques de la mise en cause concernant le statut de producteur qu'elle revendiquait pour considérer que certains articles incriminés n'étaient pas achetés pour être revendus en l'état,
De même avait été écartée l'exception prévue à l'article L. 442-4 en faveur des articles présentant un caractère saisonnier marqué ou sujets à l'évolution de la mode.
La procédure était transmise au Procureur de la République de Lille qui citait la SA X à comparaître à raison des articles repris dans le tableau reproduit ci-dessus.
A l'audience du tribunal, la SA X reprenait les arguments développés sans succès auprès des agents de la DGCCRF.
Le tribunal:
- Constatait que la société mise en cause ne formulait aucune observation au sujet des articles " Chaussures balade Arid Lady " et " Sweet capuche Christo Asics ",
- Rejetait l'exception de saisonnalité concernant les Blousons Norfolk, les Blousons Maverick, les Vestes Virginie, les Tee-shirt Ascot, les Culottes équitation Junior,
- Refusait de considérer que les produits de marque Panzeri et Reebok étaient démodés,
- Ecartait le moyen tiré d'un statut de producteur que la SA X ne pouvait se voir reconnaître en raison du fait qu'elle n'achetait pas la matière première, que les deux entreprises intervenantes étaient des personnes morales distinctes, que l'intervention de la filiale A faisait l'objet de facturations passées dans des comptabilités différentes, que la SA X revendait les produits acquis sans aucune transformation,
- Et en conséquence entrait en voie de condamnation pour l'ensemble des articles incriminés.
A l'audience de la cour la SA X indique qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la juridiction concernant les exceptions soulevées devant le premier juge sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-4 du Code de commerce et qu'elle entend limiter sa défense aux produits fabriqués par ses soins dans le cadre d'un contrat d'entreprise la liant à sa filiale à 100 % la SNC A.
Elle indique :
- que des produits " Marque Passion " ne sont proposés à la vente que dans les magasins à enseigne X, qu'ils sont élaborés et conçus par X et sa filiale A,
- que l'enseigne " X Production ", qui désigne les moyens concourant à l'élaboration des produits " Passion ", réunit aussi bien des salariés de X que de A,
- que ces derniers travaillent dans les mêmes locaux et sous la direction unique de Monsieur W,
- que c'est à cette entité commune que l'Administration a d'ailleurs reconnu la qualité de " producteur " par un courrier officiel adressé au directeur juridique de X, en date du 19 octobre 1999,
- qu'au sein de cette entité transversale organisée par " univers sportifs " de produits, la répartition des tâches entre A et X est extrêmement mélangée comme l'atteste la liste des salariés de X qui participent à la conception des produits,
- que néanmoins, la répartition des rôles entre les salariés de X et ceux de A démontre que loin de vendre des produits de série à sa société mère, Aeffectue un travail spécifique sur la base d'indications particulières délivrées par les salariés de X,
- que son examen suffit à démontrer que c'est X qui initie la conception des produits " Passion " et qui anime ensuite les équipes chargées de leur mise en œuvre,
- qu'ainsi, après avoir identifié certains besoins de la clientèle de X, le chef de produit élabore un cahier des charges fonctionnel qui contient les caractéristiques détaillées du futur produit : clientèle cible et usage, formes, couleurs, matières, etc...
- que ces caractéristiques sont ensuite traduites sur le plan technique par des salariés de A, au moyen d'un cahier des charges techniques,
- que le travail de A aboutit à la fabrication d'échantillons,
- que c'est ensuite à nouveau X, en la personne d'un " animateur qualité ", qui valide ces échantillons et donne son feu vert à la mise en production
- que A a ensuite pour tâche de sélectionner les éventuels sous-traitants qui fabriqueront le produit fini,
- que c'est ce même animateur qualité - et donc également X - qui supervise ensuite la production,
- que X est la seule et unique cliente de sa filiale A.
Elle rappelle ensuite qu'un tel contrôle exercé par le client est pris en compte par la jurisprudence pour déterminer l'existence d'un contrat d'entreprise, notamment dans un arrêt du 4 juillet 1989 dans lequel la Cour de cassation a relevé, avant de retenir l'existence d'un tel contrat, " que la société Fould Springer avait défini les conditions de fonctionnement de l'installation et les objectifs à atteindre et qu'elle se réservait, pendant l'exécution des travaux en atelier, le droit de faire procéder à des contrôles divers sur ceux-ci ".
Elle en concluait qu'il ne s'agit nullement pour X de communiquer à sa filiale le détail de ses besoins, permettant à cette dernière de sélectionner un produit à partir de catalogues existants, mais bien de fournir la liste des qualités objectives d'un produit original qu'elle souhaite commercialiser sous sa marque, puis de superviser l'ensemble du processus de conception et de mise en production, que ce processus entraîne nécessairement la qualification de contrat d'entreprise.
Sur ce
Attendu que la cour adoptera les arguments du tribunal concernant les quatorze premiers articles du tableau ci-dessus, qui ne sont plus discutés par la SA X,
Attendu que le débat se limite aujourd'hui au sort à réserver aux trois dernières références de cette liste, et plus généralement aux produits " marques Passion " appartenant à X SA,
Attendu que la société mise en cause ne discute pas le calcul de prix de revient effectué par l'Administration reconnaissant ainsi qu'elle a effectivement revendu les produits concernés à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif,
Attendu qu'elle entend faire juger que l'article L. 442-2 du Code de commerce ne s'applique pas au processus de production adopté entre elle-même et sa filiale, juridiquement appelé contrat d'entreprise,
Attendu que la distinction entre contrat de vente et contrat d'entreprise présente un intérêt à plusieurs niveaux, notamment quant au moment du transfert de propriété et des risques qui y sont liés ou quant à l'applicabilité de la clause de réserve de propriété, qu'il incombe à la cour de vérifier qu'elle serait aussi susceptible d'influer sur la notion de revente à perte,
Attendu que l'exposé du processus d'élaboration puis de production et de livraison des produits de marques passions renvoie aux données bien connues des rapports entre donneurs d'ordres et façonniers, que la SA X serait le donneur d'ordre et A le façonnier,
Attendu que le donneur d'ordre est un client et le façonnier un fournisseur, qu'ils sont l'un et l'autre nécessairement des entités juridiquement autonomes, à la tête d'un patrimoine propre et aptes à contracter en leur nom,
Attendu qu'en l'espèce le client est la SA X et le fournisseur la SNC A,
Attendu que la prévenue affirme que l'éclatement entre la SA X et SNC A serait à négliger, qu'il aurait été adopté dans un proche passé pour des raisons totalement étrangères aux intérêts économiques en jeu, qu'en réalité le processus de fabrication n'aurait pas changé qui mélange les interventions des salariés de l'une et de ceux de l'autre,
Attendu que le choix qui a été fait par les dirigeants de la SA X d'externaliser partie de sa production dans la SNC A lui est opposable, qu'elle ne saurait aujourd'hui l'escamoter car tel serait maintenant son intérêt pour faire accroire que la structure de fabrication serait toujours intégrée dans une chaîne de fabrication unique,
Attendu que les interventions successives des personnels de la SA X dans l'élaboration des produits ne change rien au fait que celle-ci acquiert en final à la SNC A un produit achevé pour un prix donné, qu'il importe peu de savoir comment a été déterminé ce prix et si des considérations extra économiques ont ou non présidé à son calcul,
Attendu qu'il est sans intérêt de savoir que celle-ci serait une filiale à 100 % de la précédente et qu'il y aurait Intégration fiscale entre les deux entités qui gommerait toute différence entre elles à la clôture du bilan consolidé dès lors que l'article L. 442-2 précité ne distingue pas entre les opérateurs économiques et réprime tout fait de revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son d'achat effectif,
Attendu que les trois articles en litige ont été acquis par la SA X à la SNC A pour un prix donné et ont été revendus sans aucune intervention postérieure pour un prix inférieur au prix de revient,
Attendu que l'infraction est caractérisée,
Attendu que le jugement sera confirmé tant sur la culpabilité que sur la peine qui a été exactement appréciée par le tribunal,
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 120 euro dont est redevable le condamné.