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Décisions

CJCE, 6e ch., 12 mai 1989, n° 246-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Continentale Produkten-Gesellschaft Erhardt-Renken Gmbh & Co

Défendeur :

Hauptzollamt München-West

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Koopmans

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Schockweiler, Diez de Velasco

CJCE n° 246-87

12 mai 1989

LA COUR,

I. 1 Par ordonnance du 23 juillet 1987, parvenue à la Cour le 13 août suivant, le Finanzgericht München a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à la validité du règlement n° 3453-81 de la Commission, du 2 décembre 1981, portant institution d'un droit antidumping provisoire à l'égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie (JO L 347, p. 19), ainsi que du règlement n° 789-82 du Conseil, du 2 avril 1982, portant institution d'un droit antidumping définitif à l'égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie (JO L 90, p. 1).

II. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige qui oppose la société Continentale Produkten-Gesellschaft Erhardt-Renken Gmbh & Co., importatrice de fils de coton, demanderesse au principal, au Hauptzollamt München-West, défendeur au principal, en raison de quatre avis de recouvrement des 15, 20, 27 et 28 avril 1982, émis par ce dernier à l'occasion de l'importation, entre le 14 et le 27 avril 1982, de quatre lots de fils de coton originaires de Turquie.

III. Par les avis susmentionnés, le défendeur au principal a fixé un droit antidumping de 12 % de la valeur des marchandises importées.

IV. La demanderesse au principal a contesté devant le Finanzgericht München la validité des règlements n°s 3453-81 et 789-82, précités, sur la base desquels le droit antidumping avait été fixé, en invoquant en substance que ces règlements avaient été adoptés en violation de certaines dispositions du règlement n° 3017-79 du Conseil, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de "dumping" ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 339, p. 1, ci-après "règlement de base").

V. Estimant que la validité des règlements n° 3453-81 de la Commission et 789-82 du Conseil donnait lieu à des doutes, le Finanzgericht München a sursis à statuer et a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante :

"Les règlements n° 3453-81 de la Commission, du 2 décembre 1981, portant institution d'un droit antidumping provisoire à l'égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie (JO L 347, p. 19), et 789-82 du Conseil, du 2 avril 1982, portant institution d'un droit antidumping définitif à l'égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie (JO L 90, p. 1), sont-ils valides ?"

VI. Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique de l'affaire au principal, des dispositions communautaires en cause, du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

VII. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que la demanderesse au principal à tout d'abord contesté la validité du règlement n° 789-82, aux motifs que, d'une part, lors de son adoption, la durée légale de la procédure antidumping était largement dépassée, en violation de l'article 7, paragraphe 9, du règlement de base, qui prévoit que la conclusion de la procédure antidumping "doit normalement avoir lieu dans un délai d'un an après l'ouverture de la procédure", et que, d'autre part, en présence d'un dépassement de ce délai, il aurait fallu fournir une motivation exposant les raisons pour lesquelles le délai normalement prévu n'avait pas été respecté.

VIII. A cet égard, il y a lieu de constater que le délai prévu par l'article 7, paragraphe 9, du règlement de base est indicatif, et non impératif. Cela résulte tant de la lettre de la disposition en cause, qui utilise le terme "normalement", que de la nature de la procédure antidumping, dont l'avancement ne dépend pas uniquement de la diligence des autorités communautaires. Il convient, toutefois, de préciser qu'il découle de cette disposition que la procédure antidumping ne doit pas être prolongée au-delà d'un délai raisonnable à apprécier en fonction des circonstances particulières de chaque espèce.

IX. Dans l'affaire au principal, il apparaît que la procédure a été plus longue qu'à l'ordinaire, puisqu'elle a atteint 32 mois. Il résulte toutefois du dossier que, en raison de certaines circonstances particulières, la Commission n'a pas été en mesure de terminer l'enquête dans le délai d'un an. Il s'agit, notamment, des événements politiques et de la dépréciation monétaire que la Turquie a connus à l'époque, de la coopération insuffisante des exportateurs turcs avec les autorités communautaires, de la nécessité de longues négociations avec l'Association des Exportateurs Turcs du Textile (TTEA), du fait que les exportateurs turcs ont sollicité eux-mêmes une extension de la période d'enquête et que la Commission a accueilli cette demande en incluant dans cette période les trois derniers mois de l'année 1981, alors qu'initialement la période retenue était celle du 1er janvier au 30 septembre 1981. Il convient de souligner, en outre, que les considérants du règlement n° 789-82, précité, font suffisamment état de ces circonstances.

X. Il y a lieu de constater que, dans ces conditions, la longueur, même inhabituelle, de la procédure n'a pas excédé le cadre d'un délai raisonnable et n'est donc pas de nature à affecter la validité du règlement n° 789-82.

XI. La demanderesse au principal a fait valoir, ensuite, que les entreprises choisies, afin de déterminer la valeur normale des marchandises visée à l'article 2, lettre B, paragraphe 3, du règlement de base et d'établir la marge de dumping, n'étaient pas représentatives, comme l'indiquerait, notamment, le fait que la Commission a dû procéder à des ajustements spécifiques concernant leurs coûts de production.

XII. Il y a lieu de préciser, à cet égard, comme le fait observer la Commission, qu'il résulte des considérants du règlement n° 789-82 que les entreprises en cause ont été choisies en fonction de leur représentativité en ce qui concerne leurs exportations vers le marché communautaire et en accord avec l'association des exportateurs turcs du textile et les plaignants. Il s'est avéré par la suite que ces entreprises ne vendaient sur le marché intérieur que des quantités limitées des produits concernés et que les ventes effectuées par lesdites entreprises sur le marché intérieur turc ne permettaient pas de déterminer, conformément à l'article 2, lettre B, paragraphe 3, sous A), du règlement de base, la valeur normale à partir des prix réellement payés ou à payer au cours d'opérations commerciales normales sur le marché intérieur. Or, devant l'impossibilité d'une comparaison valable, les calculs ont été effectués sur la base de la valeur construite, conformément à l'article 2, lettre B, paragraphe 3, sous B), du règlement de base, c'est-à-dire sur la base des coûts supportés par les entreprises représentatives. Par conséquent, il n'apparaît pas que la validité du règlement n° 789-82 puisse être mise en cause de ce chef.

XIII. La demanderesse au principal a fait ensuite valoir qu'un préjudice justifiant l'institution du droit antidumping ferait défaut et que le droit antidumping ainsi institué aurait été utilisé dans le seul but de protéger la production communautaire.

XIV. Il y a lieu de dire, à cet égard, que les considérants du règlement n° 789-82 du Conseil font état de manière chiffrée et détaillée du préjudice subi par l'industrie communautaire du fait des importations en question. En effet, les considérants du règlement en cause exposent avec précision l'augmentation, en chiffres absolus et en pourcentage, du volume des importations des fils de coton originaires de Turquie, la baisse du volume de la production communautaire, l'utilisation des capacités de l'industrie communautaire réduite à moins 65 % dans plusieurs États membres, ainsi que la diminution sensible des emplois au sein des entreprises communautaires opérant dans le secteur des fils de coton. La demanderesse au principal n'a pas contesté de manière sérieuse la réalité de ces données. Par conséquent, la validité du règlement n° 789-82 ne saurait être mise en cause de ce chef.

XV. Enfin, la demanderesse au principal a invoqué, à titre subsidiaire, l'invalidité partielle du règlement n° 789-82, au motif qu'il aurait eu un effet rétroactif quant aux contrats conclus antérieurement et exécutés postérieurement à son entrée en vigueur ; le règlement serait donc invalide, dans la mesure où il ne prévoit pas l'exonération complète des droits antidumping pour les importations effectuées en exécution des "anciens contrats". La demanderesse au principal a fait valoir que le principe de la confiance légitime avait été ainsi violé.

XVI. Il convient de remarquer, tout d'abord, qu'un règlement instaurant des droits antidumping définitifs a un effet rétroactif, dans la mesure où il prévoit son application aux importations ayant eu lieu avant la date de sa publication. Il est à observer ensuite que, ainsi qu'il découle de l'article 13, paragraphe 4, sous A), et des dispositions du règlement de base prévoyant l'institution d'un droit antidumping provisoire, l'institution définitive d'un droit antidumping rétroactif, qui en principe n'est pas autorisée, est cependant permise entre autres, lorsque la rétroactivité couvre la période d'application du droit antidumping provisoire instauré par un règlement précédent. Dans le cas de l'affaire au principal, un droit antidumping provisoire au taux de 16 % a été institué par le règlement n° 3453-81 à partir du 2 décembre 1981. Le règlement n° 789-82 a institué un droit antidumping définitif au taux inférieur de 12 %, et ce uniquement à partir du 1er janvier1982, date postérieure de quatre semaines à celle de l'institution du droit provisoire. Par conséquent, on ne se trouve pas en présence d'une rétroactivité illégale.

XVII. Pour ce qui est, ensuite, de l'absence, dans le règlement en cause, d'une disposition transitoire réservant un traitement particulier aux importations qui ont été effectuées en exécution des "contrats anciens", il convient de dire qu'une telle absence de disposition transitoire ne saurait être contraire au principe de la confiance légitime. En effet, dans la mesure où une procédure antidumping était en cours, un opérateur prudent et avisé savait ou aurait dû savoir que l'institution d'un droit antidumping était possible et pouvait, dès lors, tenir compte de cette possibilité en signant des contrats avec ses fournisseurs. Par conséquent, il n'apparaît pas qu'une atteinte ait été portée à la confiance légitime des opérateurs.

XVIII. De l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que l'examen de la question posée n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité du règlement n° 789-82 du Conseil, du 2 avril 1982, portant institution d'un droit antidumping définitif à l'égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie.

XIX. La juridiction nationale pose également la question de la validité du règlement n° 3453-81, précité, instituant le droit antidumping provisoire.

XX. Il ressort de l'article 11 du règlement de base que les règlements instituant des droits provisoires ont une validité expirant soit dans un délai déterminé, soit par l'institution de droits définitifs.

XXI. Il convient aussi de souligner que l'article 2 du règlement n° 789-82, précité, dispose : "Les sommes déposées en garantie au titre du droit provisoire en vertu du règlement n° 3453-81 sont définitivement perçues à concurrence du montant du droit définitif, soit 75 % du montant du droit provisoire. Le solde de ces sommes, soit 25 % de ce dernier montant, est libéré." Il précise par ailleurs que, "toutefois, en ce qui concerne les produits mis à la consommation avant le 1er janvier 1982, les sommes déposées en garantie au titre du droit antidumping provisoire sont libérées".

XXII. Il en résulte que, après la mise en vigueur du règlement n° 789-82, toutes les importations régies par le règlement n° 3453-81 soit ont fait l'objet d'une libération des droits antidumping, soit ont été soumises aux dispositions du règlement n° 789-82.

XXIII. Dans ces conditions et en l'absence de griefs spécifiques visant le règlement n° 3453-81, il n'y a pas lieu d'examiner la validité de celui-ci.

Sur les dépens

XXIV. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes et le Conseil des Communautés européennes ainsi que par le gouvernement de la République hellénique, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht München, par ordonnance du 23 juillet 1987, dit pour droit :

L'examen de la question posée n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité du règlement n° 789-82 du Conseil, du 2 avril 1982, portant institution d'un droit antidumping définitif à l'égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie.