CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 19 octobre 2005, n° 05-586
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jardel
Conseillers :
M. Lacan, Mme Salvan
Avocat :
Me Drubigny
Rappel de la procédure
La prévention:
X Jean est prévenu de s'être, aux Baux de Provence, courant 2000, rendu complice de délit de publicité mensongère commis par Fred Y, lequel délit consistait à mentionner l'existence d'une rigoureuse sélection d'huile d'olive qualifiée de " vierge extra " et provenant de Provence, alors qu'il s'agissait de commercialiser une huile de médiocre qualité par aide ou assistance de l'auteur, en prêtant son nom et son image à la publicité incriminée;
Faits prévus et réprimés par les articles 121-6, 121-7 du Code pénal, L. 213-1, L. 121-1, L. 121-6 du Code de la consommation
Le jugement:
Par jugement contradictoire du 13 juillet 2004, le Tribunal correctionnel de Tarascon a relaxé X Jean-André des fias de la poursuite.
Les appels:
Le Ministère public a interjeté appel de ce jugement, par déclaration au greffe du tribunal, le 13 juillet 2004.
Décision:
Rappel succinct des faits:
Le 8 mars 2000, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (département des Bouches-du-Rhône, secteur d'Arles) ont visité la boutique de vente de la société A, qui commercialisait des produits d'épicerie de luxe sous la marque "C", dans la commune des Baux de Provence (13). Ils ont prélevé plusieurs échantillons d'huile d'olive vendue dans des bouteilles en verre de 250 ml, 500 ml et 750 ml.
Alors que ces bouteilles portaient la mention "Huile d'olive vierge extra - Produit de France - L'art de vivre en Provence", les analyses opérées par le Laboratoire Interrégional de Marseille de la DGCCRF ont mis en évidence qu'il s'agissait d'une simple huile d'olive vierge, et non d'une huile d'olive vierge extra, d'origine espagnole et non française. Certains échantillons révélaient une oxydation importante conduisant à déclasser cette huile en huile d'olive vierge "lampante" et à la considérer comme impropre à la consommation (bouteille de 750 ml) tandis que d'autres faisaient apparaître la présence d'une huile végétale raffinée de type noisette ou tournesol, mélangée à l'huile d'olive vierge, à une teneur supérieure à 20 % (bouteille de 250 ml).
L'enquête a établi que la société A se fournissait auprès de la SARL "F" à Villeneuve-lès-Avignon, dans le Gard. Cette dernière société est dirigée par les époux Z, Gérard Z en étant le gérant de fait et son épouse, née Marie-José P, le gérant de droit. L'un et l'autre ont reconnu que les huiles litigieuses, qu'ils avaient eux-mêmes achetées aux Etablissements G à Nyons, dans la Drôme, leur avaient été vendues comme étant d'origine communautaire. L'examen des factures d'achat des Etablissements G a fait apparaître que ces huiles provenaient de Cordoue en Espagne.
Sur citation directe du Ministère public, en date du 5 avril 2002, des poursuites ont d'abord été exercées contre Marie-José P épouse Z du chef de tromperie, visant les ventes d'huile d'olive entre la SARL F et la société A. Par jugernent du Tribunal correctionnel de Tarascon en date du 6 août 2002, Marie-José Z a été déclarée coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamnée à une amende de 30 000 euro ; sur la constitution de partie civile de la société A, elle a été condamnée à payer à cette société la somme de 18 300 euro à titre de dommages-intérêts. Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour de ce siège, en date du 8 septembre 2004, l'amende ayant été ramenée à 10 000 euro et les dommages-intérêts à 10 000 euro également.
Concomitamment à ces poursuites, par réquisitoire introductif du 27 avril 2001, le Procureur de la République de Tarascon a ouvert une information contre x des chefs de tromperie et publicité mensongère, visant les faits de vente des produits litigieux aux consommateurs. Sur réquisitions expresses du parquet, en date du 17 mars 2003, le juge d'instruction a mis en examen Fred Y, président directeur général de la SA A, des chefs de tromperie et de publicité mensongère, et Jean-André X, du chef de complicité de ce dernier délit.
X exploite, en qualité de président directeur général de la SA D, un hôtel restaurant de très grande notoriété, sous l'enseigne "D", aux Baux de Provence. Cuisinier renommé, il exerce personnellement les fonctions de chef du restaurant. Par ailleurs, il est le gérant de la SARL E, propriétaire de la marque C, dont la société A était licenciée au moment des faits.
X est poursuivi pour avoir prêté son concours aux faits de publicité mensongère reprochés à Y, en ayant laissé utiliser son nom et son image dans les publicités litigieuses et en ayant ainsi crédibilisé aux yeux du public les fausses informations qu'elles contenaient.
Y et X ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel de Tarascon par ordonnance du juge d'instruction en date du 17 octobre 2003. L'affaire a été appelée à l'audience du 15 juin 2004, Fred Y étant entre-temps décédé, le 28 avril 2004.
Motifs de la décision:
En la forme,
Attendu que X Jean-André, cité à personne le 6 juillet 2005, comparaît assisté de son conseil;
Qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard;
Attendu que l'appel formé par le Ministère public est recevable pour avoir été interjeté dans les formes et délais légaux.
Au fond,
Sur la culpabilité :
Attendu qu'au soutien de leur décision de relaxe du prévenu, à qui il est seulement reproché des actes de complicité, les premiers juges retiennent que celui qui a été poursuivi en qualité d'auteur principal de l'infraction, Fred Y, a été lui-même trompé par Marie-José Z ; qu'ils en déduisent qu'il ne peut être l'auteur d'une tromperie;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il s'agit là d'une déduction de principe contestable, la victime d'une infraction de tromperie pouvant elle-même être l'auteur d'une infraction ultérieure de même nature portant sur le même produit, dès lors qu'entre-temps elle a eu connaissance des faits de tromperie dont elle a été victime ; qu'en second lieu, X Jean-André n'est pas poursuivi du chef de complicité de tromperie, mais de celui de complicité de publicité mensongère;
Attendu, par ailleurs, que les faits de publicité mensongère, nonobstant le décès de leur auteur Fred Y, sont établis, tant par les procès-verbaux de la DGCCRF que par l'enquête de gendarmerie ultérieurement diligentée ; qu'en effet, les mentions erronées relatives à l'origine de l'huile et à sa qualité figurent non seulement sur les étiquettes des bouteilles, selon les termes reproduits ci-dessus, mais également sur le tarif général de ses produits, édité par la société A, et sur le site inteRnet www.C.com, exploité par cette dernière ; que les huiles litigieuses y sont présentées sous la dénomination d'" huile d'olive vierge extra " à la rubrique "Les saveurs de notre pays de Provence" ;
Attendu, enfin, que X Jean-André cherche à minimiser sa participation aux faits de publicité mensongère;
Mais attendu, d'une part, qu'il était indiqué, sur le site internet précité, que les produits commercialisés par la société A sous la marque Baumanière étaient "rigoureusement sélectionnés par Jean-André X, Chef Propriétaire de l'Oustau de Baumanière" ; qu'une photographie de ce dernier, en habit blanc de chef de cuisine, tenant sous son bras un panier rempli de légumes frais, avec en arrière plan un village provençal au fond d'un champ d'oliviers, venait illustrer ces propos ; que pour toute personne visitant le site, il ne pouvait faire aucun doute que le prévenu avait personnellement sélectionné les huiles offertes à la vente;
Attendu, d'autre part, que l'utilisation du nom et de l'image de Jean-André X n'a pu se faire à son insu, comme il le prétend ; qu'en effet l'exploitation de l'hôtel restaurant qu'il dirigeait, et la vente des produits qu'assurait la société A étaient étroitement imbriquées ; qu'outre une même localisation, aux Baux de Provence, la SARL E, dont X est le gérant avait conclu, le 1er juillet 1997, un contrat de licence de marque avec la SA A, dont Y était le président directeur général, ledit contrat, d'une durée de trente ans, portant sur la marque et le logo "C", dont la SARL E était le propriétaire ; que le même jour, un contrat d'assistance technique avait été conclu entre la société A et Jean-André X, en son nom propre, aux termes duquel ce dernier participait au comité de sélection des produits commercialisés par la société A; qu'en rémunération de ses prestations, X recevait des honoraires correspondant à 1% du chiffre d'affaires de la société A avec un minimum garanti de 120 000 F en année pleine; qu'enfin, une lettre de voeux circulaire, adressée le 31 décembre 1999 par Jean-André X à ses clients, versée au dossier, est établie sur papier à en-tête de "C - Les Baux de Provence" et porte, au pied de la page, les références commerciales de la société A ainsi que l'adresse de son site internet www.C.com;
Qu'il convient, dans ces conditions, d'infirmer le jugement déféré et de déclarer X Jean-André coupable des faits qui lui sont reprochés.
Sur la peine:
Attendu que le Ministère public requiert le prononcé d'une amende de 30 000 euro et la publication de l'arrêt à intervenir;
Qu'eu égard à l'absence de condamnation au casier judiciaire du prévenu et aux conséquences particulièrement sévères que revêtirait pour lui une publication du présent arrêt, cette dernière mesure ne sera pas ordonnée.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de X Jean-André, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, Reçoit l'appel formé par le Ministère public. Au fond, Infirmant le jugement déféré, Déclare X Jean-André coupable des faits qui lui sont reprochés. Le condamne à une amende de 15 000 euro. Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.