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Décisions

CJCE, 28 novembre 1989, n° C-121/86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Anonymos Etaireia Epichirisseon Metalleftikon Viomichanikon Kai Naftiliakon AE, Makedonikoi Lefkolithoi Metalleftiki Viomichaniki Kai Naftiliaki Etaireia AE, Ellinikoi Lefkolithoi Metalleftiki Viomichaniki Naftiliaki Kai Emporiki Etaireia AE, Magnomin Geniki Metalleftiki Etaireia AE, Metalleftiki Emporiki Kai Metapoiitiki

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

Sir Slynn, M. Kakouris

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Koopmans, Joliet, de Almeida, Iglesias, Grévisse, de Velasco

Avocat :

Me Bernitsas

CJCE n° C-121/86

28 novembre 1989

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 mai 1986, Anonymos Etaireia Epichirisseon Metalleftikon Viomichanikon Kai Naftiliakon AE et trois autres sociétés de droit grec ont, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 86-59 du Conseil, du 6 mars 1986, clôturant la procédure antidumping concernant les importations de magnésite naturelle calcinée à mort (frittée) originaire de la République Populaire de Chine et de la Corée du Nord (JO L 70, p. 41) et toute autre décision connexe, antérieure ou postérieure.

2 En juin 1982, les requérantes, producteurs de magnésite naturelle calcinée à mort, ont déposé, conformément aux dispositions du règlement n° 3017-79 du Conseil, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de "dumping" ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 339, p. 1), une plainte devant la Commission dénonçant les pratiques de dumping dont les importations du même produit originaire de la République Populaire de Chine et de la Corée du Nord feraient l'objet.

3 L'enquête préliminaire ayant établi l'existence d'une pratique de dumping et de divers éléments révélateurs d'un préjudice pour l'industrie communautaire correspondante, la Commission a institué, par le règlement n° 3542-82, du 22 décembre 1982 (JO L 371, p. 5), un droit antidumping provisoire, valable pour une période de quatre mois à compter du 1er janvier 1983, qui a été prorogé pour une période de deux mois par le règlement n° 991-83 du Conseil, du 25 avril 1983 (JO L 110, p. 27).

4 Le 9 juin 1983, la Commission a soumis au Conseil une proposition tendant à l'institution d'un droit antidumping définitif sur les importations de magnésite ayant donné lieu à la plainte. Après avoir approfondi la question de la comparabilité des produits en cause, le Conseil a cependant décidé de ne pas adopter le règlement proposé par la Commission.

5 Le 19 avril 1985, les entreprises plaignantes ont communiqué à la Commission de nouveaux éléments constituant des commencements de preuve d'une pratique de dumping et d'un préjudice causé par les importations chinoises de magnésite naturelle calcinée à mort. La Commission a alors poursuivi ses investigations sur la base du règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984 (JO L 201, p. 1) (ci-après "règlement de base"), qui a remplacé le règlement n° 3017-79 du Conseil, précité. Au terme de son enquête, la Commission est parvenue à la conclusion que l'industrie communautaire ne subissait plus de préjudice important. En conséquence, elle a soumis au Conseil une proposition visant à clôturer la procédure antidumping relative aux importations dans la Communauté de magnésite naturelle calcinée à mort originaire de la République Populaire de Chine et de la Corée du Nord. Le Conseil a adopté cette proposition et a pris, le 6 mars 1986, la décision 86-59, précitée, clôturant la procédure antidumping relative à ces importations.

6 A l'appui de leur recours en annulation, les requérantes invoquent l'absence de motivation de la décision 86-59 du Conseil et la violation des règles de droit contenues dans le règlement de base, ainsi que l'existence d'un détournement de pouvoir. Selon les sociétés demanderesses, le bien-fondé de ces moyens serait confirmé par les données contenues dans les dossiers non confidentiels de la Commission.

7 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment arrêt du 14 juillet 1988, Fediol, point 6, Rec. 1988, p. 0000), même en présence d'un pouvoir discrétionnaire conféré aux institutions communautaires, la Cour est appelée à vérifier si celles-ci ont respecté les garanties procédurales accordées par le règlement de base et si elles n'ont pas commis d'erreurs manifestes dans leur appréciation des faits, ou omis de prendre en considération des éléments essentiels ou fait entrer dans leur motivation des considérations constitutives d'un détournement de pouvoir.

9 C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner les différents moyens invoqués.

Sur le moyen tiré de l'absence de motivation

10 Par ce moyen, les requérantes font valoir, notamment, que la décision litigieuse ne tient pas compte de l'existence d'un dumping et qu'elle est fondée uniquement sur des éléments de comparaison qui ne prouvent pas l'absence de préjudice pour l'industrie communautaire.

11 En ce qui concerne le fait que la Commission, après avoir constaté l'absence d'un préjudice important pour l'industrie communautaire, ait estimé inutile de poursuivre l'enquête sur le dumping allégué, il y a lieu de relever que l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base n'interdit pas qu'en fonction des circonstances l'existence du préjudice prétendument subi par les industries communautaires soit vérifiée indépendamment des deux autres conditions requises pour l'institution de droits antidumping, à savoir la constatation définitive du dumping et la nécessité d'agir dans l'intérêt de la Communauté. Il ressort d'ailleurs des articles 2 et 4 du règlement de base que la constatation du dumping et du préjudice se fondent sur des facteurs différents qui peuvent, dès lors, être analysés séparément.

12 En ce qui concerne le préjudice, il ressort des considérants de la décision litigieuse que les autorités communautaires se sont fondées sur plusieurs éléments de fait tenant essentiellement à l'absence d'impact des importations du produit en cause sur la production communautaire correspondante et, partant, à l'absence de préjudice susceptible de justifier l'institution d'un droit antidumping définitif.

13 Les constatations émises à cet égard portent, en effet, sur l'augmentation de la production communautaire, l'augmentation de l'utilisation de la capacité de production de chacun des producteurs communautaires, l'augmentation de leurs ventes sur le marché communautaire et de leur part de marché de même que sur la hausse de leurs prix de vente moyens, l'accroissement de leurs bénéfices et l'augmentation du nombre des personnes employées.

14 Il convient de relever, tout d'abord, que l'appréciation à laquelle il a ainsi été procédé, qui ne semble pas arbitraire ou déraisonnable, est conforme aux critères posés par l'article 4, paragraphe 2, aux fins d'examen du préjudice.

15 Il y a lieu d'observer, ensuite, que, si les articles 4, paragraphe 1, et 12, paragraphe 1, du règlement de base subordonnent l'institution d'un droit antidumping ou compensateur définitif à l'existence d'un lien de causalité entre le dumping et le préjudice subi par l'industrie communautaire, la constatation de l'absence de préjudice suffit à justifier la clôture de la procédure sans l'imposition d'un droit antidumping.

16 Il s'ensuit que le moyen tiré de l'absence de motivation doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation des règles de droit contenues dans le règlement de base

17 Par ce deuxième moyen, les requérantes invoquent, en premier lieu, la violation de l'article 7, paragraphe 1, sous C), du règlement de base, selon lequel l'enquête sur les pratiques de dumping couvre normalement une période d'une durée minimale de six mois précédant l'ouverture de la procédure, disposition qui serait applicable également à l'enquête sur le préjudice. Or, selon les sociétés demanderesses, la Commission n'avait nullement tenu compte des données relatives à l'année 1985, qui seraient déterminantes pour la démonstration de l'ampleur du préjudice subi par l'industrie communautaire.

18 Cette argumentation ne saurait être accueillie. En effet, il ressort du dossier que tant les données concernant les six mois antérieurs à l'avis d'ouverture de la procédure, du 29 juin 1982, que les données concernant la période antérieure à l'avis de poursuite de la procédure, du 19 juin 1985, ont été prises en considération aux fins de vérification tant du préjudice allégué que de l'existence d'un dumping. Cette constatation ne saurait être infirmée par la circonstance que la poursuite de l'enquête sur ce dernier point n'a pas été jugée nécessaire.

19 Certes, la décision litigieuse ne fait pas expressément mention des données relatives aux premiers mois de 1985. Il convient cependant d'admettre qu'une telle omission ne constitue pas un vice susceptible d'avoir une incidence sur la validité de l'acte, dans la mesure où ces données figurent dans le document de travail qui a été communiqué au comité consultatif antidumping, le 13 novembre 1985, et où la Commission a indiqué aux producteurs grecs les raisons pour lesquelles elle estimait que celles-ci n'étaient pas de nature à modifier la constatation de l'absence d'un préjudice important.

20 Il y a lieu de rappeler également que l'article 4 du règlement de base confère à la Commission un large pouvoir d'appréciation en ce qui concerne la période à prendre en considération aux fins de la constatation du préjudice. Or, les requérantes n'ont invoqué aucun argument permettant de conclure qu'en l'espèce la Commission aurait dépassé la marge d'appréciation dont elle disposait. Il ressort, au contraire, du dossier que la Commission a pris en considération une période d'environ quatre ans, conformément à la pratique communautaire suivie en la matière.

21 Les requérantes font valoir, en second lieu, que la procédure a duré quatre ans et demi, ce qui serait contraire à l'article 7, paragraphe 9, du règlement de base et aux principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de règlement des litiges dans un délai raisonnable.

22 Il y a lieu de relever, à cet égard, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 12 mai 1989, Continentale Produkten-Gessellschaft Erhardt-Renken GMBH & Co., point 8 (246-87, Rec. 1989, p. 0000), que le délai d'un an prévu par l'article 7, paragraphe 9, du règlement de base est indicatif et non impératif. Cette interprétation résulte tant de la lettre de la disposition, selon laquelle l'enquête doit être "normalement" conclue dans ce délai, que de la nature de la procédure antidumping, dont l'avancement ne dépend pas uniquement de la diligence des autorités communautaires. Il convient, toutefois, de préciser qu'il découle de cette disposition que la procédure antidumping ne doit pas être prolongée au-delà d'un délai raisonnable, qui doit être apprécié en fonction des circonstances de chaque espèce.

23 En l'occurrence, il apparaît que la procédure a été plus longue qu'à l'ordinaire, puisqu'elle a atteint une durée d'environ quatre ans. Il résulte toutefois du dossier qu'en raison de certaines circonstances particulières dont les considérants de la décision litigieuse font état, notamment la complexité de la procédure et les conclusions contradictoires des experts, les autorités communautaires n'ont pas été en mesure de clôturer la procédure dans le délai d'un an.

24 Les requérantes font valoir, en troisième lieu, que, en dépit de leur nouvelle demande tendant à la réouverture de la procédure en 1985 à l'égard de la seule République Populaire de Chine, la Commission a préféré continuer la procédure pendante concernant tout à la fois la Chine et la Corée du Nord.

25 A cet égard, il convient d'observer, à la lumière des données qui figurent dans le document de travail communiqué au comité consultatif antidumping le 13 novembre 1985, qu'au cours de la période de référence les importations en provenance de Chine ont subi une diminution encore plus forte que l'ensemble des importations provenant de ces deux pays. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, même si les institutions communautaires avaient procédé à un examen séparé des données relatives à la Chine, le résultat de l'enquête n'aurait pas été différent.

26 Il convient de constater, enfin, qu'en tout état de cause le fait que la plainte déposée par l'industrie communautaire, le 19 avril 1985, ne concernait que les importations en provenance de Chine est sans pertinence, étant donné que la procédure, ouverte en 1982, qui visait à la fois la Chine et la Corée du Nord, n'avait pas encore été clôturée.

27 Il résulte de tout ce qui précède que le deuxième moyen doit aussi être rejeté.

Sur le moyen tiré d'un détournement de pouvoir

28 Par le troisième moyen, les requérantes soutiennent que la décision litigieuse est constitutive d'un détournement de pouvoir, dans la mesure où les limites du pouvoir d'appréciation de la Commission auraient été largement dépassées et où le Conseil serait intervenu en juin 1983 dans l'examen du fond de la question de la comparabilité des produits, ce qui serait contraire aux buts définis par le législateur communautaire.

29 Il convient de constater, cependant, que le règlement de base confère aux autorités communautaires un large pouvoir d'appréciation, et que la partie requérante n'a fait état d'aucun élément de fait permettant de conclure qu'en l'occurrence la Commission ait dépassé la marge d'appréciation dont elle dispose.

30 En ce qui concerne le fait que le Conseil ait examiné la question de la comparabilité des produits en juin 1983, il convient de souligner qu'aux termes de l'article 12 du règlement de base, "lorsqu'il ressort de la constatation définitive des faits qu'il y a dumping ou subvention au cours de la période couverte par l'enquête ainsi qu'un préjudice en résultant et que les intérêts de la Communauté nécessitent une action communautaire, un droit antidumping ou compensateur définitif est institué par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur une proposition soumise par la Commission après consultation". Il résulte de cette disposition que le Conseil est compétent pour statuer sur toutes les conditions qui doivent être réunies pour l'institution d'un droit antidumping, sans qu'il soit obligé d'adopter toute proposition formulée à cette fin par la Commission.

31 Il y a donc lieu de rejeter également ce moyen.

Sur le moyen tiré de l'inexactitude des données utilisées

32 Les requérantes contestent l'exactitude des données qui sont à la base de la décision litigieuse, dans la mesure où elles seraient en contradiction tant avec les statistiques officielles qu'avec les décisions, propositions et constatations antérieures de la Commission. Les requérantes relèvent notamment que les dossiers non confidentiels de la Commission ne contiennent pas les questionnaires relatifs aux importations de magnésite naturelle en provenance de la Corée du Nord à partir de 1982 et aux importations du même produit en provenance de Chine à partir du second semestre de 1983.

33 En ce qui concerne l'exactitude des données mentionnées dans la décision litigieuse, il y a lieu de souligner d'abord qu'en l'espèce les autorités communautaires étaient en droit de se fonder sur les données spécifiques résultant de l'enquête menée par la Commission, même si ces données ne coïncident pas avec les statistiques communautaires. En effet, il ressort du dossier qu'au cours de l'enquête il est apparu que la magnésite naturelle calcinée à mort était classée au code Nimexe sous des positions différentes et que les statistiques officielles ne faisaient aucune distinction pour les produits dont la teneur en MGO se situe entre 85 et 92 %, qui étaient les seuls concernés par la procédure antidumping. Il est constant également que les raisons de la contradiction entre les données utilisées dans la motivation de la décision litigieuse et celles résultant des statistiques officielles ont été expliquées aux producteurs grecs par communication de la Commission en date du 4 février 1986.

34 Il convient de faire remarquer ensuite que les données qui sont à la base des constatations et des propositions précédentes de la Commission étaient, dans la plupart des cas, des données provisoires, qui pouvaient, par conséquent, être modifiées au cours de l'enquête.

35 En outre, il résulte de l'économie du règlement de base que le préjudice doit être établi par rapport au moment de l'adoption d'un éventuel acte instituant des mesures de défense, ce qui justifie le fait que les données indiquées dans la proposition de décision présentée par la Commission en 1983 aient été actualisées lors de sa proposition de 1986 ayant donné lieu à l'adoption de la décision litigieuse.

36 En ce qui concerne le grief tiré de l'absence des questionnaires relatifs aux importations de magnésite naturelle en provenance de la Corée du Nord à partir de 1982 et aux importations du même produit en provenance de Chine à partir du second semestre de 1983, il y a lieu d'observer, d'abord, que la Commission a expliqué que ces questionnaires avaient un caractère confidentiel et que c'est pour cette raison qu'ils ne se trouvaient pas dans les dossiers communiqués aux requérantes. Il est constant, cependant, que les requérantes ont été à plusieurs reprises informées par la Commission des données utilisées lors de l'enquête sur le préjudice.

37 Il y a lieu de rappeler ensuite que la décision litigieuse est fondée sur un ensemble de données concernant non seulement les importations du produit litigieux dans la Communauté, mais aussi l'augmentation de la production communautaire, l'augmentation de l'utilisation de la capacité de production de chacun des producteurs communautaires, l'augmentation de leurs ventes sur le marché communautaire, l'élévation de la part de marché par eux détenue, la hausse de leurs prix de vente moyens, l'amélioration de leurs bénéfices et l'augmentation du nombre de personnes employées.

38 Par conséquent, il n'a pas été établi que les autorités communautaires aient commis des erreurs manifestes d'appréciation ou aient omis de prendre en considération des éléments essentiels.

39 Il s'ensuit que le moyen tiré de l'inexactitude des données contenues dans les dossiers non confidentiels de la Commission ne peut pas être accueilli et qu'il y a donc lieu de rejeter le recours.

Sur les dépens

40 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Les requérantes sont condamnées aux dépens.