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Décisions

CJCE, 1re ch., 8 septembre 2005, n° C-40/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syuichi Yonemoto

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

MM. Lenaerts, Cunha Rodrigues, Juhász, Ilešic

CJCE n° C-40/04

8 septembre 2005

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la directive 98-37-CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (JO L 207, p. 1), ainsi que des articles 28 CE et 30 CE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre M. Yonemoto, en sa qualité de représentant de l'importateur d'une machine à l'origine d'un accident du travail ayant causé des blessures sérieuses à l'un des utilisateurs de celle-ci.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 La directive 98-37 fixe les exigences essentielles que les machines doivent respecter en matière de sécurité et de santé. Elle remplace et codifie la directive 89-392-CEE du Conseil, du 14 juin 1989, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines (JO L 183, p. 9), modifiée à plusieurs reprises.

4 L'article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 98-37 prévoit:

"1. Les États membres prennent toutes les mesures utiles pour que les machines ou les composants de sécurité auxquels s'applique la présente directive ne puissent être mis sur le marché et mis en service que s'ils ne compromettent pas la sécurité et la santé des personnes [...] lorsqu'ils sont installés et entretenus convenablement et utilisés conformément à leur destination.

2. La présente directive n'affecte pas la faculté des États membres de prescrire, dans le respect du traité, les exigences qu'ils estiment nécessaires pour assurer la protection des personnes, et en particulier des travailleurs, lors de l'utilisation des machines ou des composants de sécurité en question, pour autant que cela n'implique pas de modifications de ces machines ou de ces composants de sécurité par rapport à la présente directive."

5 Aux termes de l'article 3 de cette directive:

"Les machines et les composants de sécurité auxquels s'applique la présente directive doivent satisfaire aux exigences essentielles de sécurité et de santé énoncées à l'annexe I."

6 L'article 4, paragraphe 1, de ladite directive précise:

"1. Les États membres ne peuvent pas interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché et la mise en service sur leur territoire des machines et des composants de sécurité qui satisfont à la présente directive."

7 Aux termes de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la même directive:

"1. Les États membres considèrent comme conformes à l'ensemble des dispositions de la présente directive, y compris les procédures d'évaluation de la conformité prévues au chapitre II:

- les machines qui sont munies du marquage 'CE' et accompagnées de la déclaration 'CE' de conformité visée à l'annexe II, point A,

- les composants de sécurité qui sont accompagnés de la déclaration 'CE' de conformité visée à l'annexe II, point C.

En l'absence de normes harmonisées, les États membres prennent les dispositions qu'ils jugent nécessaires pour que soient portées à la connaissance des parties concernées les normes et spécifications techniques nationales existantes qui sont considérées comme documents importants ou utiles pour l'application correcte des exigences essentielles de sécurité et de santé énoncées à l'annexe I.

2. Lorsqu'une norme nationale transposant une norme harmonisée, dont la référence a fait l'objet d'une publication au Journal officiel des Communautés européennes, couvre une ou plusieurs exigences essentielles de sécurité, la machine ou le composant de sécurité construit conformément à cette norme est présumé conforme aux exigences essentielles concernées.

Les États membres publient les références des normes nationales transposant les normes harmonisées.

[...]"

8 L'article 7 de la directive 98-37 prévoit:

"1. Lorsqu'un État membre constate que:

- des machines munies du marquage 'CE'

ou

- des composants de sécurité accompagnés de la déclaration 'CE'de conformité,

utilisés conformément à leur destination, risquent de compromettre la sécurité des personnes [...], il prend toutes les mesures utiles pour retirer les machines ou les composants de sécurité du marché, interdire leur mise sur le marché et leur mise en service ou restreindre leur libre circulation.

L'État membre informe immédiatement la Commission d'une telle mesure et indique les raisons de sa décision [...]

[...]

3. Lorsque:

- une machine non conforme est munie du marquage 'CE';

- un composant de sécurité non conforme est accompagné d'une déclaration 'CE' de conformité,

l'État membre compétent prend, à l'encontre de celui qui a apposé le marquage ou a établi la déclaration, les mesures appropriées et en informe la Commission et les autres États membres.

[...]"

9 L'article 8 de ladite directive dispose:

"1. Le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté doit, pour attester la conformité des machines et des composants de sécurité à la présente directive, établir, pour chacune des machines ou chacun des composants de sécurité fabriqués, une déclaration 'CE' de conformité, dont les éléments sont indiqués à l'annexe II, points A ou C, selon le cas.

En outre, et seulement pour les machines, le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté doit apposer sur la machine [le] marquage 'CE'.

2. Avant la mise sur le marché, le fabricant, ou son mandataire établi dans la Communauté, doit:

[...]

b) si la machine est visée à l'annexe IV et est fabriquée sans respecter ou en ne respectant qu'en partie les normes visées à l'article 5, paragraphe 2, ou en l'absence de celles-ci, soumettre le modèle de la machine à l'examen 'CE' de type visé à l'annexe VI;

[...]

4. [...]

En cas d'application du paragraphe 2, point b), [...], la déclaration 'CE' de conformité doit certifier la conformité au modèle ayant fait l'objet de l'examen 'CE' de type.

[...]"

10 L'annexe I, point 1.7.3, de la directive 98-37 prévoit que chaque machine doit porter de manière lisible et indélébile des indications minimales, à savoir le nom du fabricant ainsi que son adresse, le marquage "CE", la désignation de la série ou du type, le numéro de série s'il existe et l'année de construction. Selon ce même point, en fonction de sa nature, la machine doit également porter toutes les indications indispensables à la sécurité de l'emploi (par exemple, fréquence de rotation).

11 L'annexe I, point 1.7.4, sous a) à d), de cette directive prévoit:

"a) Chaque machine doit être accompagnée d'une notice d'instructions [...].

b) La notice d'instructions est établie, dans une des langues communautaires, par le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté. Lors de sa mise en service, chaque machine doit être accompagnée d'une traduction de la notice dans la ou les langues du pays d'utilisation et de la notice originale. Cette traduction est faite soit par le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté, soit par celui qui introduit la machine dans la zone linguistique concernée. [...]

c) La notice d'instructions comprendra les plans et schémas nécessaires à la mise en service, à l'entretien, à l'inspection, à la vérification du bon fonctionnement et, le cas échéant, à la réparation de la machine, ainsi que toutes les instructions utiles notamment en matière de sécurité.

d) Toute documentation présentant la machine ne doit pas être en contradiction avec la notice d'instructions en ce qui concerne les aspects de sécurité. [...]"

12 L'annexe II, A, de la directive 98-37 précise:

"La déclaration 'CE' de conformité doit comprendre les éléments suivants:

- nom et adresse du fabricant ou de son mandataire établi dans la Communauté [...],

- description de la machine [...],

- toutes dispositions pertinentes auxquelles répond la machine,

- le cas échéant, nom et adresse de l'organisme notifié et numéro de l'attestation 'CE' de type,

[...]

- le cas échéant, référence aux normes harmonisées,

- le cas échéant, normes et spécifications techniques nationales qui ont été utilisées,

- identification du signataire ayant reçu pouvoir pour engager le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté."

13 Aux termes de la note en bas de page 1 figurant à l'annexe II, A, de ladite directive:

"[La déclaration 'CE' de conformité] doit être rédigée dans la même langue que la notice d'instructions originale [...], soit à la machine soit en caractères d'imprimerie. Elle doit être accompagnée d'une traduction dans une des langues du pays d'utilisation. Cette traduction est effectuée dans les mêmes conditions que celle de la notice d'instructions."

La réglementation nationale

14 L'article 40 de la loi sur la sécurité au travail (työturvallisuuslaki), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, est formulé comme suit:

"Le fabricant, l'importateur ou le vendeur d'une machine, d'un outil ou d'un autre dispositif technique, ou toute personne qui cède un tel objet en vue de sa mise sur le marché ou de son utilisation, est tenu de veiller en ce qui le concerne à ce que:

1) cet objet, lors de sa mise sur le marché ou de sa livraison en vue d'être utilisée dans ce pays, ne présente pas de risque d'accident ou de mise en danger de la santé lorsqu'il est utilisé selon sa finalité;

2) qu'il a été conçu, fabriqué et, le cas échéant, vérifié conformément aux dispositions et réglementations spécifiques le concernant; et

3) qu'il est muni des dispositifs de sécurité nécessaires à son utilisation habituelle ainsi que des marquages et autres mentions attestant de sa conformité aux normes.

L'objet doit être livré avec les instructions adéquates pour son installation, son utilisation et son entretien. Ces instructions doivent inclure, le cas échéant, des indications sur le nettoyage de l'objet, sa réparation et son réglage ordinaires et les procédures à suivre dans les cas de dysfonctionnements normaux. La conception des dispositifs de sécurité doit tenir compte de l'accomplissement de ces tâches."

15 En vertu du Code pénal finlandais, une infraction à ces dispositions, commise intentionnellement ou par négligence, peut être sanctionnée pénalement en tant qu'infraction à la sécurité au travail, homicide par négligence, blessures par négligence, homicide dû à une négligence grossière ou blessures dues à une négligence grossière.

16 Outre ces sanctions pénales, le non-respect des obligations prévues à l'article 40 de la loi sur la sécurité au travail entraîne, en vertu de la loi sur la réparation des préjudices (vahingonkorvauslaki), l'obligation de réparer le préjudice causé

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17 La société Ama-Prom Oy, dont M. Yonemoto est le directeur général, est importatrice de machines, y compris de presses-plieuses. En 1995, Ama-Prom Oy a importé en Finlande une presse-plieuse fabriquée en France par la société française Amada Europe et l'a vendue à la société finlandaise Peltitarvike Oy.

18 Lorsque cette presse-plieuse a été importée, elle était munie du marquage "CE". Le fabricant a produit pour cette machine une déclaration de conformité qui est libellée comme suit:

"The undersigned manufacturer AMADA EUROPE [adresse] certifies that the new below designated equipment: hydraulic press-brake 80.25 type ITS2 n° Series B50412 complies with the regulations applicable to it:

- European Reference: 89-392-EEC Directive

- European Standards: EN 292-1, EN 292-2, EN 294, EN 349, EN 418, EN 457, EN 60204.

The AIF/S, Organism authorized by the act from the Labour Department on 11/08/1992 has granted a type-tested certificate of conformity CE for the machine of the ITS2 type under the number 384-090A-0004-11-94 (n° AIF/S), on 8/11/1994."

19 Néanmoins le Helsingin käräjäoikeus (tribunal de première instance de Helsinki) a constaté, concernant cette machine, les éléments de fait suivants:

- Lorsqu'un interrupteur manoeuvrable à l'aide d'une clé était placé sur la position 2, la machine pouvait fonctionner à plein régime au moyen de la pédale.

- Une pression sur le dispositif d'arrêt d'urgence de la machine coupait seulement le courant actionnant les commandes, mais la machine restait sous tension et la pompe hydraulique continuait de fonctionner.

- Les touches du dispositif d'arrêt d'urgence s'ouvraient de moins d'un millimètre sous la pression. Il fallait encore appuyer sur la manette de plusieurs millimètres pour atteindre la position de verrouillage. Le dispositif d'arrêt d'urgence était rigide.

- Le mode d'emploi accompagnant la machine n'était pas intégralement rédigé en langue finnoise. Le tableau de commande ne correspondait pas à celui reproduit sur le schéma du mode d'emploi et ce dernier était trop sommaire et défectueux pour que la machine soit utilisée en toute sécurité.

- La machine fonctionnait d'ordinaire au moyen d'un outil ouvert actionné à l'aide d'une pédale, et ce à une vitesse de travail élevée, bien qu'elle n'ait pas été équipée d'autres dispositifs protecteurs pour empêcher les dégâts aux mains que la commande bimanuelle, qui, selon les méthodes de travail adoptées dans l'entreprise Peltitarvike Oy, n'était pas en général utilisée.

- Le dispositif d'arrêt d'urgence était utilisé pour arrêter la machine lors de l'échange des lames d'outils, pratique de routine quasi quotidienne, alors qu'il n'était pas prévu à cet effet. Pour garantir la sécurité, il aurait fallu couper le courant ou choisir une vitesse de travail basse au moyen de l'interrupteur à clé placé sur le tableau de commande.

20 Le 17 novembre 1998, M. Raine Pöyry, employé de la société Peltitarvike Oy, a subi un grave accident sur son lieu de travail alors qu'il aidait M. Urpo Pursiainen, contremaître, à changer des lames de la presse-plieuse en cause au principal. À cet effet, M. Pursiainen avait actionné le dispositif d'arrêt d'urgence pour couper le courant. Pendant cette opération, M. Pöyry a par mégarde touché du pied la pédale de la machine. Bien que le courant eût été coupé par le dispositif d'arrêt d'urgence, l'action exercée sur la pédale a provoqué un brusque mouvement de pression qui a sectionné huit doigts de M. Pöyry pris entre les lames.

21 Saisi de l'affaire, le käräjäoikeus a condamné M. Yonemoto à 30 jours-amende pour infraction à l'article 40 de la loi sur la sécurité au travail et pour blessures par négligence et l'a condamné à verser à M. Pöyry des dommages-intérêts d'un montant total de 26 953,80 euro. Cette juridiction a également condamné le gérant de la société Peltitarvike Oy et M. Pursiainen pour infraction à la même loi et pour blessures par négligence, et les a condamnés aussi à indemniser M. Pöyry.

22 En appel, la condamnation de M. Yonemoto a été confirmée par le Helsingin hovioikeus (cour d'appel de Helsinki). Cette juridiction a condamné M. Yonemoto à 50 jours-amende et au paiement d'un montant total de 21 908,16 euro à titre de dommages-intérêts.

23 Le käräjäoikeus et le hovioikeus ont estimé que M. Yonemoto, en sa qualité de représentant de l'importateur, était pour partie responsable des défaillances ayant contribué à l'accident dont M. Pöyry avait été victime. Selon ces juridictions, l'importateur était tenu de veiller à ce que les machines livrées et utilisées soient conçues et fabriquées selon les règles en vigueur. Pour qu'il soit pleinement satisfait à cette obligation, il ne suffisait pas que la machine soit munie d'un marquage "CE" et que le fabricant ait donné par écrit l'assurance que la machine était conforme aux normes en vigueur.

24 M. Yonemoto a introduit un pourvoi devant le Korkein oikeus (Cour suprême) dans lequel il demande l'annulation des poursuites pénales et de la condamnation à verser des dommages-intérêts dont il a fait l'objet. À titre subsidiaire, il demande une réduction de la peine et du montant des dommages-intérêts auxquels il a été condamné.

25 M. Yonemoto conteste la position selon laquelle l'importateur est tenu de s'assurer lui-même de ce qu'une machine a été conçue et fabriquée selon les normes reconnues dès lors qu'elle est munie d'un marquage "CE" et d'une déclaration de conformité et que des instructions sont jointes pour son utilisation et son entretien. M. Yonemoto estime que les autorités administratives et judiciaires finlandaises ne peuvent exiger, sans violer l'article 28 CE, qu'un importateur fasse vérifier en Finlande une machine d'un modèle agréé dans un autre État membre et munie d'un marquage "CE". L'obligation de l'importateur se limiterait à s'assurer que le fabricant a fait attester le type de machine concernée selon les normes communautaires par un organisme habilité, qu'il a livré cette machine, munie d'un marquage "CE", accompagnée de son mode d'emploi et des instructions d'entretien, et qu'il a remis une déclaration de conformité.

26 Relevant une incertitude sur la question de savoir si un État membre peut imposer à l'importateur d'une machine des obligations aussi étendues que celles prévues à l'article 40 de la loi sur la sécurité au travail, le Korkein oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Compte tenu notamment de la directive 98-37 [...] et des articles 28 CE et 30 CE, quelles sont les limites fixées par le droit communautaire aux obligations afférentes aux caractéristiques liées à la sécurité qu'un ordre juridique national peut imposer à l'importateur d'une machine munie du marquage 'CE' (ou à un autre opérateur de la chaîne de distribution)

- avant la vente de la machine et

- après cette vente?

2) Plus particulièrement, des éclaircissements sont souhaités sur les points suivants:

a) Dans quelle mesure et à quelles conditions le droit communautaire permet-il d'imposer, en matière de sécurité, des obligations d'action ou de contrôle à l'importateur d'une machine revêtue du marquage 'CE' (ou à un autre opérateur de la chaîne de distribution)?

b) Le type de carence en matière de sécurité visé en l'espèce a-t-il, et de quelle manière, une incidence sur l'appréciation des obligations imposées à l'importateur (ou à un autre opérateur de la chaîne de distribution) au regard du droit communautaire?

c) Les dispositions de l'article 40 de la loi sur la sécurité au travail, reproduites [au point 14 du présent arrêt], sont-elles contraires, et, le cas échéant, en quoi, au droit communautaire, compte tenu des conséquences pénales et civiles du non-respect de ces obligations, décrites [in extenso dans la décision de renvoi et résumées aux points 15 et 16 du présent arrêt]?"

Sur les questions préjudicielles

Observations préliminaires

27 À titre préliminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre d'une demande de décision préjudicielle, il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur la compatibilité des dispositions du droit national avec le droit communautaire.

28 La juridiction de renvoi demande en substance à la Cour de préciser, d'une part, les obligations imposées par la directive 98-37 ainsi que les articles 28 CE et 30 CE à l'importateur d'une machine fabriquée dans un État membre et importée dans un autre État membre et, d'autre part, les sanctions pouvant être infligées par un État membre en raison d'une violation de ces obligations. Il y a lieu d'examiner en premier lieu les obligations de l'importateur.

Sur les obligations de l'importateur

29 Il est utile de souligner que l'examen de la présente question ne vise que la situation de l'importateur dans un État membre d'une machine fabriquée dans un autre État membre. Selon l'économie de la directive 98-37, cette situation doit être distinguée de celle de l'importateur dans la Communauté européenne d'une machine fabriquée à l'extérieur de celle-ci. Le présent arrêt n'a pas pour objet d'examiner cette dernière situation.

30 En ce qui concerne l'application dans le temps de la directive 98-37, il ressort des premier et vingt-cinquième considérants, de l'article 14 et de l'annexe VIII, B, de cette directive qu'elle codifie la directive 89-392, modifiée à plusieurs reprises, et qu'elle ne porte pas atteinte aux obligations des États membres concernant les délais de transposition et d'application de cette dernière directive ainsi que de celles qui l'ont modifiée. Même si les obligations visées dans l'affaire au principal résultent de la directive 89-392 ou de l'une des directives qui l'ont modifiée, l'article 14, deuxième alinéa, de la directive 98-37 impose que les références faites aux directives abrogées soient entendues comme faites aux dispositions correspondantes de cette dernière.

31 La directive 98-37 vise, en vertu de ses deuxième, sixième, septième et neuvième considérants, à assurer la libre circulation des machines dans le marché intérieur et à satisfaire aux exigences impératives et essentielles de sécurité et de santé relatives à ces machines en remplaçant les systèmes nationaux de certification et d'attestation de conformité par un système harmonisé. À cet effet, notamment à son article 3 et à son annexe I, ladite directive énumère des exigences essentielles de sécurité et de santé auxquelles doivent satisfaire les machines et composants de sécurité fabriqués dans les États membres. En vertu de l'article 4 de la même directive, les États membres ne peuvent restreindre la mise sur le marché des machines qui satisfont à ces exigences essentielles.

32 Selon l'article 5 de la directive 98-37, sont considérées comme conformes à cette directive les machines qui sont munies du marquage "CE" et accompagnées de la déclaration "CE" de conformité.

33 L'article 8, paragraphe 1, de cette directive prévoit l'obligation pour le fabricant, ou son mandataire établi dans la Communauté, d'apposer sur la machine le marquage "CE" et d'établir la déclaration "CE" de conformité.

34 Il ressort du vingtième considérant de la directive 98-37 que, en règle générale, est laissée aux seuls fabricants la responsabilité d'attester la conformité de leurs machines aux exigences essentielles de sécurité et de santé posées par cette directive.

35 Néanmoins, selon le vingt et unième considérant de ladite directive, pour certains types de machines présentant un potentiel plus important de risques, une procédure de certification plus contraignante est souhaitable. Tel est le cas des presses-plieuses telles que celle en cause au principal.

36 En effet, l'article 8, paragraphe 2, sous b), de la directive 98-37 dispose que, "[a]vant la mise sur le marché, le fabricant [...] doit [...], si la machine est visée à l'annexe IV et est fabriquée [...] en l'absence de [normes harmonisées], soumettre le modèle de la machine à l'examen 'CE' de type visé à l'annexe VI".

37 Les presses-plieuses sont visées à l'annexe IV, A, point 9, de la directive 98-37. Selon les informations fournies à la Cour, la norme harmonisée relative aux presses-plieuses, à savoir la norme EN 12622, n'a été adoptée qu'en septembre 2001, soit postérieurement à la date de l'accident à l'origine du litige au principal. Il s'ensuit qu'une machine telle que celle en cause au principal devrait faire l'objet de l'examen "CE" de type prévu à l'annexe VI de la même directive.

38 En vertu du point 1 de ladite annexe VI, l'examen "CE" de type est effectué par un organisme tiers dénommé l'"organisme notifié", lequel constate et atteste que le modèle de la machine concernée satisfait aux dispositions de la directive 98-37.

39 Selon le point 2 de la même annexe, le fabricant doit introduire la demande d'examen "CE" de type en soumettant à l'organisme notifié un dossier technique de construction ainsi qu'une machine représentative de la production envisagée. Après que cet organisme a délivré l'attestation "CE" de type, le fabricant est tenu, en vertu de l'article 8, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 98-37 et de l'annexe II, A, quatrième tiret, de celle-ci, de mentionner cette attestation dans la déclaration "CE" de conformité qu'il établit pour chaque machine de ce type et de certifier dans cette déclaration que la machine concernée est conforme au modèle ayant fait l'objet de l'examen "CE" de type.

40 Il ressort de la décision de renvoi que la machine à l'origine du litige au principal était munie d'un marquage "CE" et que le fabricant, Amada Europe, a produit pour cette machine une déclaration "CE" de conformité, laquelle mentionne une attestation "CE" de type délivrée par un organisme dénommé "AIF/S".

41 Il résulte également de ladite décision que cette machine était dangereuse à plusieurs égards, nonobstant le fait qu'elle portait un marquage "CE" et qu'elle était accompagnée d'une déclaration "CE" de conformité. La question centrale qui se pose est celle de savoir si, en vertu des dispositions de la directive 98-37, c'est à l'importateur de ladite machine qu'incombe la responsabilité des conséquences de cette situation.

42 Que la conformité soit établie par le fabricant agissant seul, ou qu'elle le soit avec la participation d'un organisme notifié en application de l'annexe VI de la directive 98-37, cette directive impose au fabricant l'obligation d'établir une déclaration "CE" de conformité et d'apposer le marquage "CE" sur la machine concernée.

43 En outre, l'article 7, paragraphe 3, de cette directive prévoit que, lorsqu'une machine non conforme est munie du marquage "CE", l'État membre compétent prend les mesures appropriées "à l'encontre de celui qui a apposé le marquage", à savoir le fabricant.

44 Il ne correspond pas à l'économie de ladite directive, et notamment à son article 7, paragraphe 3, de multiplier le nombre des personnes pouvant être tenues pour responsables de la conformité des machines.

45 En effet, l'objectif essentiel de la directive 98-37 est de simplifier les modalités d'établissement de la conformité des machines afin d'assurer autant que possible la liberté de circulation de ces dernières au sein du marché intérieur. Cet objectif serait entravé si des opérateurs situés en aval du fabricant, notamment les importateurs de machines d'un État membre dans un autre, pouvaient également être tenus pour responsables de la conformité de celles-ci.

46 La directive 98-37 s'oppose ainsi à l'application de dispositions nationales prévoyant que l'importateur dans un État membre d'une machine fabriquée dans un autre État membre, munie du marquage "CE" et accompagnée d'une déclaration "CE" de conformité, doit veiller à ce que cette machine réponde aux exigences essentielles de sécurité et de santé fixées par ladite directive.

47 Il n'en demeure pas moins que les importateurs dans un État membre de machines fabriquées dans un autre État membre peuvent se voir imposer, conformément à la directive 98-37, certaines obligations.

48 À cet égard, cette directive prévoit à son annexe I, point 1.7.4, sous b), que, lors de sa mise en service, chaque machine doit être accompagnée d'une traduction de la notice d'instructions dans la ou les langues du pays d'utilisation et de la notice originale, faite soit par le fabricant, soit par la personne qui introduit la machine dans la zone linguistique concernée. De même, selon la note en bas de page 1 figurant à l'annexe II, A, de ladite directive, la déclaration "CE" de conformité doit être accompagnée d'une traduction dans une des langues du pays d'utilisation, effectuée dans les mêmes conditions que celle de la notice d'instructions. Il en résulte que la législation d'un État membre peut, conformément à la directive 98-37, imposer à l'importateur d'une machine l'obligation de traduire la notice d'instructions dans la ou les langues de cet État ainsi que celle de traduire la déclaration "CE" de conformité dans la ou l'une des langues dudit État.

49 En outre, compte tenu de la position de l'importateur dans la chaîne de distribution, il doit être considéré comme compatible avec la directive 98-37 que les États membres exigent de celui-ci qu'il vérifie que la machine concernée est dotée du marquage "CE" et des autres marquages prévus à l'annexe I, point 1.7.3, de cette directive comportant les indications indispensables à la sécurité de l'emploi de ladite machine, telles que la fréquence de sa rotation.

50 L'article 2, paragraphe 1, de la directive 98-37 impose aux États membres de prendre toutes les mesures utiles pour que les machines auxquelles s'applique cette directive ne puissent être mises sur le marché que si elles ne compromettent pas la sécurité et la santé.

51 Dans le contexte de cette obligation de surveillance du marché qui est imposée aux États membres, l'article 2, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que celle-ci n'affecte pas la faculté des États membres de prescrire, dans le respect du traité, les exigences qu'ils estiment nécessaires pour assurer la protection des personnes lors de l'utilisation des machines en question.

52 Il en découle que les États membres peuvent imposer à l'importateur des obligations de coopération en ce qui concerne la surveillance du marché, telles que des obligations d'information. Dans le cas d'un accident tel que celui à l'origine du litige au principal, un État membre peut imposer à l'importateur de fournir toute information utile pour éviter que des accidents similaires se répètent, et cela notamment en apportant sa collaboration aux autorités compétentes de cet État en vue de l'adoption des mesures que ces autorités pourraient être amenées à prendre, en vertu de l'article 7 de la directive 98-37, telles que le retrait des machines concernées du marché.

53 De telles obligations de coopération ne doivent toutefois pas revenir à imposer à l'importateur de vérifier lui-même la conformité de la machine avec les exigences essentielles fixées par la directive 98-37, car une telle obligation serait contraire à l'économie de celle-ci.

54 Ces obligations doivent en tout état de cause être définies dans le respect du traité. Partant, elles doivent demeurer dans les limites fixées aux articles 28 CE et 30 CE.

55 Il convient de rappeler en particulier que les États membres peuvent adopter, nonobstant l'interdiction des restrictions quantitatives à l'importation prévue à l'article 28 CE, des mesures justifiées par l'une des raisons d'intérêt général énumérées à l'article 30 CE ou par l'une des exigences impératives consacrées par la jurisprudence de la Cour, telles que la protection de la santé, à condition notamment que ces mesures soient propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2003, ATRAL, C-14-02, Rec. p. I-4431, point 64 et jurisprudence citée). Ces limites s'appliquent aussi aux obligations de coopération qu'un État membre peut imposer aux importateurs de machines fabriquées dans un autre État membre.

Sur le régime des sanctions

56 Il convient d'examiner en second lieu la question des sanctions pénales et civiles que le droit national peut prévoir, conformément au droit communautaire, en cas de violation des obligations découlant de la directive 98-37.

57 Il y a lieu de relever que la directive 98-37 n'impose pas aux États membres d'obligation précise en ce qui concerne le régime de sanctions. Il ne pourrait toutefois en être conclu que des dispositions nationales sanctionnant pénalement les infractions aux obligations imposées par la législation de mise en œuvre de cette directive sont incompatibles avec cette dernière (voir, dans ce sens, arrêt du 12 septembre 1996, Gallotti e.a., C-58-95, C-75-95, C-112-95, C-119-95, C-123-95, C-135-95, C-140-95, C-141-95, C-154-95 et C-157-95, Rec. p. I-4345, point 14 et jurisprudence citée).

58 En effet, les États membres ont l'obligation dans le cadre de la liberté qui leur est reconnue par l'article 249, troisième alinéa, CE, de choisir les formes et les moyens les plus appropriés en vue d'assurer l'effet utile des directives (arrêt Gallotti, précité, point 14).

59 Par ailleurs, lorsqu'une directive ne prévoit pas de sanction spécifique en cas de violation de ses dispositions ou renvoie, sur ce point, aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l'article 10 CE impose aux États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire. Tout en conservant un pouvoir discrétionnaire quant au choix des sanctions, ils doivent veiller à ce que les violations de la réglementation communautaire soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif (arrêt Gallotti, précité, point 14).

60 Il en résulte qu'un État membre est en droit de sanctionner pénalement le non-respect des obligations imposées par la législation qui vise à mettre en œuvre la directive 98-37 s'il estime qu'il s'agit de la manière la plus appropriée d'assurer l'effet utile de cette directive, dès lors que les sanctions prévues sont analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires et qu'elles ont un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voir en ce sens, arrêt Gallotti, précité, point 15).

61 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui viennent d'être exposées, il convient de répondre aux questions posées de la manière suivante:

1) Les dispositions de la directive 98-37 s'opposent à l'application de dispositions nationales prévoyant que l'importateur dans un État membre d'une machine fabriquée dans un autre État membre, munie du marquage "CE" et accompagnée d'une déclaration "CE" de conformité, doit veiller à ce que cette machine réponde aux exigences essentielles de sécurité et de santé fixées par cette directive.

2) Les dispositions de ladite directive ne s'opposent pas à l'application de dispositions nationales imposant à l'importateur dans un État membre d'une machine fabriquée dans un autre État membre de:

- s'assurer, avant la livraison de la machine à l'utilisateur, que celle-ci est munie du marquage "CE" et accompagnée de la déclaration "CE" de conformité assortie d'une traduction dans la ou l'une des langues de l'État membre d'importation, ainsi que d'une notice d'instructions assortie d'une traduction dans la ou les langues dudit État;

- fournir, après la livraison de la machine à l'utilisateur, toute information et toute collaboration utiles aux autorités nationales de contrôle s'il s'avère que cette machine présente des risques pour la sécurité ou la santé, à condition que de telles exigences ne reviennent pas à soumettre l'importateur à l'obligation de vérifier lui-même la conformité de la machine aux exigences essentielles de sécurité et de santé fixées par cette directive.

3) Les articles 10 CE et 249, troisième alinéa, CE, doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'interdisent pas à un État membre d'avoir recours à des sanctions pénales pour assurer utilement le respect des obligations prévues par la directive 98-37, à condition que ces sanctions soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires et que, en tout état de cause, elles présentent un caractère effectif, proportionné et dissuasif.

Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1) Les dispositions de la directive 98-37-CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines, s'opposent à l'application de dispositions nationales prévoyant que l'importateur dans un État membre d'une machine fabriquée dans un autre État membre, munie du marquage "CE" et accompagnée d'une déclaration "CE" de conformité, doit veiller à ce que cette machine réponde aux exigences essentielles de sécurité et de santé fixées par cette directive.

2) Les dispositions de ladite directive ne s'opposent pas à l'application de dispositions nationales imposant à l'importateur dans un État membre d'une machine fabriquée dans un autre État membre de:

- s'assurer, avant la livraison de la machine à l'utilisateur, que celle-ci est munie du marquage "CE" et accompagnée de la déclaration "CE" de conformité assortie d'une traduction dans la ou l'une des langues de l'État membre d'importation, ainsi que d'une notice d'instructions assortie d'une traduction dans la ou les langues dudit État;

- fournir, après la livraison de la machine à l'utilisateur, toute information et toute collaboration utiles aux autorités nationales de contrôle s'il s'avère que cette machine présente des risques pour la sécurité ou la santé, à condition que de telles exigences ne reviennent pas à soumettre l'importateur à l'obligation de vérifier lui-même la conformité de la machine aux exigences essentielles de sécurité et de santé fixées par cette directive.

3) Les articles 10 CE et 249, troisième alinéa, CE, doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'interdisent pas à un État membre d'avoir recours à des sanctions pénales pour assurer utilement le respect des obligations prévues par la directive 98-37, à condition que ces sanctions soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires et que, en tout état de cause, elles présentent un caractère effectif, proportionné et dissuasif.