CA Dijon, ch. civ. B, 7 mai 2003, n° 01-1420
DIJON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Serad (SA)
Défendeur :
Transtechnik (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baizet
Conseillers :
M. Petit, Mme Vieillard
Avoués :
SCP Avril-Hanssen, Me Gerbay
Avocats :
Mes Menard, Fayard
Exposé de l'affaire
La SA Serad a conclu avec la SA Transtechnik un contrat de distribution exclusive de calculateurs et de pupitres qu'elle fabrique. En contrepartie de l'exclusivité à laquelle s'était engagée la SA Transtechnik dans la distribution des produits, la SA Serad lui avait consenti un tarif privilégié consistant en une remise de 40 % sur le tarif de base. Au cours de l'année 2000, soutenant que son partenaire distribuait des produits concurrents, la SA Serad a mis fin aux relations commerciales.
La SA Transtechnik l'a assignée aux fins d'obtenir le rétablissement des relations commerciales et l'indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 12 juillet 2001, le Tribunal de commerce de Dijon a dit que la SA Serad devrait continuer de fournir la SA Transtechnik aux clauses et conditions en vigueur depuis 1992, uniquement pour les clients existant à la date du jugement, pendant une durée de cinq ans, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée et a condamné la SA Serad à payer à la SA Transtechnik la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Serad est appelante de cette décision dont elle sollicite la réformation. Elle conclut au débouté des demandes de la SA Transtechnik et sollicite la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 280 804,47 euro à titre de dommages-intérêts pour violation de la convention d'exclusivité d'approvisionnement, celle de 30 000 euro à titre de procédure abusive et celle de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Transtechnik, intimée, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a consacré la faute de la SA Serad. Elle demande à la cour de dire que dès la signification de l'arrêt, et à peine d'une astreinte de 15 300 euro pour toute infraction constatée, la SA Serad devra continuer de la fournir aux clauses et conditions en vigueur depuis 1992 pour toutes les applications développées jusqu'au jour de la décision. Elle sollicite la condamnation de la SA Serad à lui payer la somme de 198 594,88 euro au titre de la nécessité de former de nouveaux techniciens, la même somme au titre du préjudice causé par son refus d'appliquer le tarif, comme, plus généralement, en réparation du préjudice subi, ainsi que celle de 13 700 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère, en application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, aux conclusions déposées par l'appelante le 27 mars 2003 et par l'intimée le 10 février 2003.
Motifs
Attendu que depuis l'année 1992, la SA Serad et la SA Transtechnik étaient liées par un contrat d'exclusivité au terme duquel la SA Serad s'était engagée à distribuer ses produits sur le territoire national en utilisant la SA Transtechnik comme distributeur exclusif, cette dernière s'étant engagée à ne distribuer que des calculateurs et pupitres fabriqués par la SA Serad;
Qu'en contrepartie de cette exclusivité, la société Serad appliquait à son distributeur, grossiste un tarif privilégié comportant une remise de 40 % sur le tarif de base;
Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mai 2000, la SA Serad a fait connaître à la société Transtechnik qu'elle entendait mettre fin à ces relations commerciales dans la mesure où cette dernière distribuait des produits concurrents et n'assurait plus la promotion de ses produits ; que la rupture était prévue avec un préavis de quatre mois, porté ultérieurement à six mois ; que néanmoins, la SA Serad a indiqué à la SA Transtechnik qu'elle entendait traiter normalement les commandes qu'elle lui transmettait, mais sur la base du tarif en vigueur, sans la remise attribuée à la qualité de distributeur exclusif; qu'ainsi, par lettre du 28 février 2001, elle a précisé à la société Transtechnik que compte tenu du volume de commandes qu'elle venait de lui adresser elle était en mesure de lui consentir une remise de 15 % sur le tarif 2001 ;
Attendu que la SA Transtechnik se prévaut d'une exploitation abusive, par son ancien partenaire, d'un état de dépendance économique;
Attendu qu'en application de l'article L. 420-2 2° du Code de commerce, est prohibée, lorsqu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente;
Attendu qu'il appartient à la SA Transtechnik, pour établir sa situation de dépendance économique, de rapporter la preuve d'une notoriété suffisante de la marque du fournisseur, d'une importance suffisante de la part du fournisseur dans son chiffre d'affaires de revendeur, d'une importance suffisante de la part de marché du fournisseur et de l'impossibilité d'obtenir des produits équivalents d'autres fournisseurs ;
Attendu qu'elle établit que la part de son fournisseur dans son chiffre d'affaires représentait une importance suffisante, puisque celle-ci était de l'ordre de 36 %;
Attendu par contre qu'elle ne produit aucun élément permettant de considérer que la marque de la SA Serad jouit d'une notoriété suffisante ni d'un monopole technologique, même si certains de ses clients ne connaissent que cette marque;
Que par ailleurs, elle ne démontre pas non plus que la SA Serad détient une part de marché d'une importance significative; que l'appelante souligne à juste titre d'une part que son importance économique est relative (12,6 MF de chiffre d'affaires en 1999, 17 salariés), d'autre part qu'elle a, outre trois concurrents français, diverses entreprises concurrentes étrangères;
Attendu enfin que la SA Transtechnik ne rapporte pas la preuve d'une impossibilité pour elle d'obtenir des produits équivalents d'autres fournisseurs ; que sur ce point, elle produit une note établie par un cabinet de conseil d'entreprises "C 2 R", concluant que pour de nouveaux clients dont les besoins ne nécessitent pas de performances élevées, la SA Transtechnik n'est pas dépendante de la SA Serad malgré les surcoûts engendrés par la formation du personnel et l'anéantissement d'une expérience de huit années acquises avec le matériel Serad, que pour les nouveaux clients dont les besoins nécessitent des performances élevées, elle est actuellement dépendante de la société Serad et que pour les clients actuels qui intègrent des calculateurs Serad dans des machines produites en série, elle est soit en situation de dépendance jusqu'au remplacement ou au renouvellement des gammes de machines, soit en position de perdre des clients ; qu'aucun élément ne permet d'apprécier la compétence technique de l'auteur de cette note ; que par ailleurs, les termes-mêmes du document font apparaître à l'évidence un défaut d'objectivité de son rédacteur; que la société Serad cite, sans être contredite par des documents techniques pertinents, de nombreux fabricants de produits similaires ; que la SA Transtechnik admet qu'elle remet des offres incluant des calculateurs d'autres marques pour les affaires postérieures au mois de juillet 2000 ;
Attendu en conséquence que faute de rapporter la preuve d'un état de dépendance économique, la SA Transtechnik ne peut se prévaloir d'un abus de cette situation de la part de la SA Serad;
Attendu qu'à titre subsidiaire, elle recherche la responsabilité de cette dernière sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce en lui imputant une brusque rupture, sans préavis suffisant, d'une relation commerciale ancienne;
Attendu cependant que si les parties étaient en relations commerciales depuis 1992, il a été rappelé précédemment que la SA Serad a mis un terme aux conditions de prix qu'elle consentait à sa partenaire avec un préavis initial de quatre mois, porté à six mois, tout en lui proposant d'honorer les commandes déjà passées aux conditions alors en cours et de continuer à lui livrer ses produits à des conditions normales ; que malgré l'ancienneté des relations commerciales, la durée du préavis apparaît suffisante compte tenu de l'absence de dépendance économique de la société Transtechnik;
Attendu en conséquence qu'en l'absence de preuve d'un état de dépendance économique et d'une rupture brutale des relations commerciales, il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de débouter la SA Transtechnik de ses demandes;
Attendu qu'à l'appui de sa demande reconventionnelle, la SA Serad fait grief à son distributeur d'avoir dénigré ses produits et d'avoir enfreint la clause d'exclusivité en s'approvisionnant auprès de fournisseurs concurrents et en s'engageant dans un contrat de distributeur agréé avec une société allemande dénommée Epis;
Attendu cependant qu'aucun élément ne permet d'établir que les rares produits "Epis" que la SA Transtechnik a pu acquérir étaient des concurrents des produits livrés par la SA Serad ; que par ailleurs, la seule attestation produite par cette dernière, établie par un ancien salarié de la société Transtechnik est dépourvue de force probante dans la mesure où elle ne rapporte aucun fait précis, daté, et circonstancié susceptible de caractériser une attitude de dénigrement ou une violation de la clause d'exclusivité ; qu'en conséquence, la demande de dommages-intérêts de la SA Serad doit être rejetée;
Attendu qu'elle n'établit pas que l'intimée a fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice;
Attendu que la SA Transtechnik doit supporter les dépens et une indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Déboute la SA Transtechnik de ses demandes, Déboute la SA Serad de ses demandes de dommages-intérêts, Condamne la SA Transtechnik à payer à la SA Serad la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SA Transtechnik aux dépens d'instance et d'appel, avec pour ces derniers, autorisation de recouvrement direct par la SCP Avril et Hanssen, avoués.