CA Amiens, ch. économique, 30 septembre 2003, n° 02-01008
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
De Rosny, Toner Services Nord (SARL), Toner Services BDR (SARL), Toner Services FR. (SARL)
Défendeur :
France Toner (Sté), de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chapuis de Montaunet
Conseillers :
M. Roche, Mme Rohart-Messager
Avoués :
SCP Le Roy, SCP Million-Plateau-Crépin
Avocats :
Mes Monin, Firmin
Vu le jugement du 25 janvier 2002 par lequel le Tribunal de commerce d'Abbeville a:
- constaté, sur le fondement de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile, la nullité des exploits introductifs d'instance,
- condamné M. de Rosny, la société Toner Services Nord, la société Toner Services B.D.R et la société Toner Services FR, à payer à la société France Toner et à M. de France, la somme de 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- laissé les entiers dépens de l'instance, lesdits dépens liquidés pour frais de greffe à la somme de 45,81 euro dont TVA à 19,60 % à la charge des parties demanderesses.
Vu l'appel interjeté par M. De Rosny et les sociétés Toner Services Nord, Toner Services B.D.R et Toner Services FR, enregistrées le 14 novembre 2002, et tendant à :
- les recevoir en leur appel vu l'article 56 et l'article 121 du nouveau Code de procédure civile,
- réformer le jugement,
- constater la validité des exploits introductifs d'instance,
vu l'article 1134 du Code civil,
vu les articles 2044 et suivants du Code civil,
- condamner solidairement la société France Toner Distribution et M. de France, à payer à M. de Rosny et à la société Toner Services Nord la somme de 300 000 euro à titre de dommages-intérêts résultant du préjudice subi du fait de la violation des obligations contractuelles issues de la transaction du 6 avril 2000,
vu l'article 2 de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963,
vu les articles 1382 et 1383 du Code civil,
- les condamner solidairement à payer aux sociétés Toner Services B.D.R et Toner Services FR. la somme de 160 000 euro à titre de dommages-intérêts et intérêts résultant du préjudice subi du fait de la perte de chiffre d'affaires suite à la concurrence déloyale,
vu l'article 232 du nouveau Code de procédure civile,
- désigner un expert avec mission (y précisée),
- les condamner solidairement à payer à M. de Rosny, pour le compte des sociétés Toner Services Nord, Toner Services B.D.R et Toner Services FR. la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Le Roy.
Vu, enregistrées le 4 juillet 2002, les conclusions présentées par la société France Toner et M. Jérôme de France et tendant à :
- confirmer en son principe le jugement,
- déclarer l'intervention devant la cour et M. De Rosny et des sociétés Toner Services Nord, Toner Services B.D.R et Toner Services FR autant recevable que mal fondée, le jugement frappé d'appel étant intervenu entre M. de France et la société France Toner,
- constater au surplus que les dispositions de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile n'ont pas été respectées,
- dire et juger subsidiairement qu'aucune violation des dispositions du protocole d'accord (à le supposer valable) du 6 avril 2000 ne peut être relevée à l'encontre de M. de France,
- lui donner acte de sa demande reconventionnelle,
- constater que l'action des demandeurs revêt, en raison des circonstances, un caractère gravement abusif et relève d'une atteinte intolérable à la liberté du commerce,
- s'entendre en conséquence, la société Toner Services et M. de Rosny condamner à verser à M. de France la somme de 76 224,51 euro de dommages-intérêts en raison du préjudice commercial occasionné par un harcèlement permanent le paralysant dans l'exercice de son activité et celle de 4 573,47 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Millon Plateau et Crépin, avoué en application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Attendu qu'au visa des articles 1134, 2044 et suivants du Code civil M. de Rosny ainsi que les sociétés Toner Services Nord, Toner Services B.D.R et Toner Services FR ont fait assigner, par actes du 14 octobre 2000, la société France Toner et M. de France devant le Tribunal de commerce d'Abbeville en condamnation solidaire de ces derniers à payer à la société Toner Service la somme de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts que par le jugement présentement déféré les premiers juges ont déclaré nulles, en application de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile, les assignations délivrées aux défendeurs dès lors que le bénéficiaire de la condamnation sollicitée est "une tierce personne, la société Toner France", qui n'est pas qualifiée dans l'acte introductif d'instance que, toutefois, si l'exception de nullité fondée sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doit être relevée d'office, l'article 121 du nouveau Code de procédure civile énonce que "dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue" ; qu'en l'espèce, le jugement entrepris visait expressément les conclusions récapitulatives par lesquelles les demandeurs régularisaient l'imprécision de l'assignation initiale et énonçaient la dénomination sociale précise des sociétés au bénéfice desquelles était réclamée l'allocation de dommages-intérêts que, par ailleurs, les parties défenderesses n'ont nullement justifié d'un quelconque grief qu'aurait généré la nullité alléguée, au surplus désormais couverte; qu'il y a lieu, en conséquence, d'infirmer le jugement constatant la nullité des assignations litigieuses et, statuant à nouveau, de se prononcer sur le fond de la demande.
Au fond
Attendu qu'il résulte de l'instruction que M. de France avait été embauché le 1er septembre 1997 en qualité de technico-commercial par l'entreprise individuelle qu'exploitait M. de Rosny ; que le 1er septembre 1999 M. de France a été muté auprès de la société Toner Services Nord aux mêmes fonctions que celles occupées précédemment et a été classé "assimilé cadre article 36" tout en conservant ses droits à ancienneté ; que, par lettre du 24 mars 2000, il a été licencié pour faute lourde ; que, toutefois, les parties se sont rapprochées et qu'est intervenu le 6 avril 2000 une "transaction-protocole d'accord" entre M. de France et la société Toner Services Nord aux termes de laquelle :
"Le contrat de travail de M. de France prend fin le 24 avril 2000,
(...) M. Jérôme de France reçoit une indemnité de rupture fixée de façon transactionnelle forfaitaire et définitive à la somme de 80 000 F couvrant à la fois l'indemnité conventionnelle de licenciement et les dommages-intérêts auxquels M. Jérôme de France pense pouvoir prétendre du fait de la rupture de son contrat de travail.
Il est également autorisé à exercer, directement ou indirectement, une activité de vente de cartouches laser sous réserve de ne pas vendre, pendant un an, aux clients de la région parisienne et aux clients dont la liste est jointe en annexe. En revanche, toutes autres activités que la vente de cartouches lui est autorisée.
Moyennant la parfaite exécution du présent accord, intervenu librement après négociation entre les parties, M. Jérôme de France renonce à tous les droits et actions qu'il pourrait tenir, tant du droit commun que des dispositions de la convention collective ou de son contrat de travail.
Il est expressément convenu entre les parties que si M. de France ne respecte pas son engagement concernant les clients, le litige qui pourrait alors intervenir serait d'une autre nature. Dans cette hypothèse la transaction serait valable mais une des sociétés du Groupe Toner Services pourrait saisir un tribunal compétent pour réclamer réparation du préjudice. L'indemnité à verser serait de un an de chiffre d'affaires réalisé directement ou indirectement par M. de France avec le client objet du litige.
D'un commun accord entre les soussignés, la présente transaction est soumise expressément aux dispositions contenues dans le titre 15e du Code civil, et en particulier à l'article 2052 de ce Code, aux termes duquel les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et ne peuvent être évoquées pour cause d'erreur, ni pour cause de lésion" ;
Qu'une liste de clients de neuf pages était effectivement annexée au dit protocole.
Attendu cependant, qu'à la suite de la création par M. de France, dès le 13 avril 2000, de la société France Toner Distribution dont l'objet était "la distribution de matériels et consommables informatiques" les appelants lui ont reproché de s'être, par l'intermédiaire de la société qu'il avait mise en place, livrée à un "détournement orchestré de clientèle dans l'intention de nuire à son ancien employeur" et d'avoir "enfreint la clause du protocole d'accord selon laquelle il s'interdisait pendant une année de démarcher les anciens clients des sociétés Toner Services Nord, Toner Services B.D.R et Toner Services FR".
Et attendu, tout d'abord, que si les appelants soutiennent que M. de France aurait "systématiquement" démarché tous les clients des sociétés Toner Services Nord, Toner Services BDR et Toner Services FR "pour leur proposer des cartouches à prix réduits et leur adresser des télécopies nominatives ou personnelles", ils se bornent à cet effet à énoncer des affirmations générales et péremptoires et ne produisent pas de liste précise de clients expressément compris dans la clause de non-concurrence et effectivement contactés par M. de France alors qu'en vertu de l'article 9 du nouveau Code de procédure civile "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention" ; que les témoignages et attestations indirectes versées aux débats par les appelants ne sauraient, à elles seules, être constitutives d'une preuve de la violation des obligations contractuelles souscrites lors de la conclusion du protocole susrappelé ; qu'il ne saurait davantage être utilement excipé de la dénomination sociale BNP pour viser l'ensemble des agences de cette banque alors que la liste annexée au protocole énumère limitativement un certain nombre d'entre-elles.
Attendu, en second lieu, que si les appelants invoquent, sur le fondement de l'action en concurrence déloyale, "la publicité anticoncurrentielle" qu'auraient commise les intimés en reprenant "la même présentation" dans leurs documents publicitaires que celle utilisée par les sociétés Toner Services, laquelle aurait "pour but de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle et de la détourner de son fournisseur initial", ainsi que le démarchage de clientèle par la prospection systématique de leurs clients, il convient de rappeler qu'en application de l'article 1315 du Code civil c'est aux intéressés d'apporter la preuve positive d'agissements anticoncurrentiels et non aux intimés d'apporter la preuve négative de l'absence de telles pratiques ; que, par ailleurs, les appelants ne démontrent pas, au travers des documents produits et des explications fournies, la réalité et l'effectivité du caractère prétendument "systématique" du démarchage invoqué ; que, de même, s'agissant d'entreprises dont l'objet social est identique, la présence d'éventuelles ressemblances dans la présentation publicitaire des prestations proposées ne pourrait être que la résultante de nécessités fonctionnelles commandées par l'objet et la nature même de l'activité concernée ; que, plus généralement, les deux cas de confusions cités, à les supposer établis, ne sauraient, à eux seuls, rapporter la preuve de manœuvres caractérisées révélant une volonté de tromper la clientèle potentielle; qu'également il échet de souligner que le jeu normal de la concurrence est précisément de permettre à la loi du marché de s'exercer dans le seul intérêt du consommateur final et de prévenir toute inaction ou passivité commerciale; que la concurrence par les prix n'est nullement interdite dans une économie de marché dès lors qu'il n'y a pas volonté démontrée d'éliminer artificiellement par ce biais un concurrent qu'enfin le mot Toner correspond au produit de base qui constitue la poudre exploitée en France par une cinquantaine de sociétés ayant toutes ledit mot dans leur raison sociale ; que, par suite, l'utilisation de cette expression dans la dénomination sociale de la société créée n'a en elle-même aucune originalité compte tenu du secteur d'activité considéré et permet simplement d'assurer la désignation du service proposé.
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute démontrée constitutive de concurrence déloyale de la part des intimés ainsi que de toute faute contractuelle imputable à M. de France il y a lieu, sans qu'il soit besoin de rechercher l'existence d'un quelconque préjudice ou d'ordonner une quelconque expertise, de débouter les appelants de l'ensemble de leurs prétentions ; que la demande formée par M. de France au titre du "préjudice commercial occasionné par le harcèlement permanent le paralysant dans l'exercice de ses activités" de la part des appelants ne peut également qu'être rejetée en l'absence de toute preuve de la réalité comme de l'effectivité du dommage dont il sollicite réparation de ce chef.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Attendu que l'équité commande de ne pas faire droit à la demande présentée par les intimés sur le fondement de l'article susvisé.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit l'appel jugé régulier en la forme; Infirme le jugement; Et, statuant à nouveau; Dit recevables mais non fondées les demandes formées par les appelants, les en déboute; Rejette la demande indemnitaire présentée par M. de France; Condamne les appelants aux dépens de première instance et d'appel avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de la SCP Millon Plateau et Crépin, avoué; Rejette la demande présentée par les intimés au titre des frais hors dépens.