Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 13 avril 2005, n° 03-22049

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Union national interprofessionnelle des jus de fruits

Défendeur :

Benaïche, Culina (Sté), UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Madame RIFFAULT-SILK

Conseillers :

M. Roche, Mme Kermina

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Mira-Bettan, Me Bodin-Casalis

Avocats :

Mes Romnicianu, Levy, Franck

TGI Paris, du 20 oct. 2003

20 octobre 2003

L'Union fédérale des consommateurs Que Choisir (ci-après UFC) a fait paraître dans le numéro 370 daté d'avril 2000 de la revue qu'elle édite sous le nom " Que choisir ", les conclusions d'un test comparatif sur 16 produits étiquetés pur jus d'orange pouvant se conserver à température ambiante, et a publié dans le numéro 372 paru en juin 2000 un commentaire de ce test comparatif intitulé " Vrai-faux jus d'orange " et signé de Jacques Benaïche "représentant les jus d'orange Jaffa-Champion ".

Saisi en référé par l'Union nationale des producteurs et distributeurs de jus de fruits et de légumes, de nectars et de boissons aux fruits de la métropole et d'outre-mer (UNPJF) devenue Union interprofessionnelle des jus de fruits (ci-après Unijus), le Président du Tribunal de grande instance de Paris a ordonné une expertise le 17 juillet 2000, et enjoint à Jacques Benaïche de s'abstenir de délivrer des messages susceptibles de constituer un dénigrement des produits vendus par les adhérents de l'association.

L'expert ayant déposé son rapport le 1er août 2001, l'association Unijus a assigné les 5 et 20 novembre 2001 la société Culina Culigel (ci-après société Culina), Jacques Benaïche et l' association UFC-Que Choisir devant le même tribunal, estimant que l'article signé par Jacques Benaïche constituait un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale, demandant qu'il lui soit interdit sous astreinte ainsi qu'à la société Culina d'adresser des messages dénigrant les jus de fruits fabriqués ou vendus en France, demandant également la publication par communiqué de cette décision dans la revue Que Choisir et la condamnation in solidum des trois défendeurs à lui payer des dommages-intérêts. L'association Unijus s'est désistée de son action à l'encontre de l'UFC en exécution d'une transaction conclue le 25 octobre 2002, désistement constaté par jugement du 20 janvier 2003. Jacques Benaïche et la société Culina ont assigné en intervention forcée l'association UFC le 20 février 2003, demandant sa condamnation solidaire avec l'association Unijus à leur payer 304.898 euro de dommages-intérêts.

Par jugement contradictoire rendu le 20 octobre 2003, le tribunal saisi, joignant les causes, a

- rejeté les exceptions de nullité de l'assignation pour vice de forme et irrégularité de fond,

- faisant droit en revanche aux moyens développés par les défendeurs sur le fondement de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, estimé que le texte litigieux ne relevait pas des dispositions applicables à la concurrence déloyale, mais de celles de la loi susvisée réprimant les abus de la liberté d'expression, et constaté que l'acte introductif d'instance était en conséquence entaché de nullité comme ne respectant pas les exigences fixées par l'article 53 de cette loi,

- dit irrecevable la demande présentée par Jacques Benaïche et la société Culina sur le fondement de l'article 13 de la même loi relatif au droit de réponse,

- débouté Jacques Benaïche et la société Culina de leurs demandes à l'encontre de l'association UFC fondées sur l'article 1382 du Code civil,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de quiconque,

- condamné l'association Unijus aux dépens.

Régulièrement appelante le 24 novembre 2003 à l'encontre de Jacques Benaïche et de la société Culina, l'association Union interprofessionnelle des jus de fruits Unijus a déposé le 18 janvier 2005 des conclusions par lesquelles elle demande à la cour de :

- statuer par le même jugement sur les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir soulevées par Jacques Benaïche et par la société Culina ainsi que sur le fond,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Jacques Benaïche et la société Culina de leur demande reconventionnelle à l'encontre de l'association Unijus.

- infirmer pour le surplus le jugement et statuant à nouveau,

- rejeter les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir soulevées par Jacques Benaïche et la société Culina,

- interdire, sous astreinte provisoire de 10 000 euro par infraction constatée, à Jacques Benaïche ainsi qu'à la société Culina, à compter de la signification de la décision, d'adresser à qui que ce soit et sous quelque forme que ce soit, en son nom ou au nom d'une personne morale quelconque, un message dénigrant les jus de fruits fabriqués ou vendus en France,

- se réserver le droit de liquider cette astreinte,

- condamner in solidum Jacques Benaïche et la société Culina à lui payer une indemnité de 90 000 euro avec les intérêts légaux à compter de l'assignation,

- condamner in solidum les mêmes à lui payer 30 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel en ceux compris les frais d'instance en référé à l'exception des frais d'expertise pris en charge par l'UFC en exécution de la transaction intervenue entre elles deux.

Jacques Benaïche et la société Culina Culigel, qui ont assigné en appel provoqué l'UFC, demandent à la cour, par conclusions enregistrées le 28 février 2005, de :

- vu l'arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 9 octobre 2003, dire l'action non-conforme aux exigences procédurales des articles 53 et suivants de la loi du 29 juillet 1881,

- dire et juger nulle l'assignation délivrée par l'association Unijus pour violation des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881,

- en conséquence débouter l'association Unijus de toutes ses demandes,

- infirmant le jugement,

- dire et juger que l'acte introductif d'instance délivré par l'association NPJF est nul et non avenu, ce en vertu des articles 648 et 56 du nouveau Code de procédure civile,

- dire en tout état de cause cette action prescrite au regard de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881,

- dire et juger que l'association UNPJF ne peut avoir la qualité de demandeur, n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration à la préfecture ni d'une publication au Journal officiel,

- dire et juger que l'association UNPJF est donc dépourvue de personnalité juridique au regard de l'article de la loi de 1901,

- constater que l'énumération des membres de l'UNPJF démontre que cette dernière ne défend pas un intérêt collectif : Laiteries de Saint-Denis de l'Hôtel, SILL, Société des eaux de Volvic, qui n'ont rien de commun avec le jus d'orange et la vitamine C,

- subsidiairement sur le fond,

- dire et juger que Jacques Benaïche n'a fait que participer après avoir "insister " (sic) à un test sur les jus d'orange et a tenté de rectifier une omission dans ces opérations du produit Jaffa-Champion que la société Culina distribue,

- dire et juger que Jacques Benaïche n'a fait qu'énoncer les grands principes concernant la conservation des jus de fruits et leurs caractéristiques physico-chimiques, nutritionnelles et organoleptiques,

- dire et juger qu'en publiant après l'avoir tronquée la lettre de Jacques Benaïche, l'UFC a pris seule la responsabilité de cette publication tout en continuant à porter préjudice à la société Culina ainsi qu'au produit qu'elle commercialise en ne citant pas cette marque et en n'effectuant pas de test sur ces produits, ainsi enfin qu'à Jacques Benaïche,

- débouter l'UNPJF de toutes ses demandes à leur encontre, dès lors qu'ils n'ont fait que soulever des problèmes vérifiés par les tests effectués par la revue Que choisir,

- infirmant le jugement et recevant leur demande reconventionnelle, condamner solidairement l'UNPJF et Que Choisir à leur payer 343 229,46 euro en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil,

- condamner solidairement les mêmes à leur payer 70 000 euro pour leurs frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens y compris ceux d'expertise.

L'association UFC Que Choisir, intimée, sollicite de la cour, par conclusions déposées le 18 février 2005, de :

Vu les articles 13 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil,

- débouter Jacques Benaïche et la société Culina de toutes leurs demandes,

- en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable leur demande d'insertion d'un droit de réponse fondée sur l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, et déclaré qu'elle-même n'avait commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité civile,

A titre reconventionnel,

Vu les articles 32-1 et 50 du nouveau Code de procédure civile, 1382 du Code civil,

- dire et juger que Jacques Benaïche et la société Culina ont agi avec une légèreté et une imprudence blâmables constitutives d'une faute, en contraignant l'UFC-Que Choisir à intervenir dans la présente procédure, et qu'il en est résulté un préjudice à son détriment,

- en conséquence, les condamner solidairement à lui payer 2 000 euro de dommages-intérêts, ainsi que 5 000 euro pour ses frais irrépétibles et aux dépens.

Sur ce,

Sur les moyens de procédure

Considérant que si Jacques Benaïche et la société Culina excipent, en premier lieu, de la nullité de l'acte introductif d'instance en ce qu'il ne respecterait pas les conditions fixées par l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, cette prétention qui suppose l'analyse préalable du texte incriminé et le rejet des demandes de l'appelante tendant à ce qu'il soit fait application des textes applicables à la concurrence déloyale, ne peut être examinée qu'avec le fond de l'affaire ;

Considérant que les intimés soulèvent, en second lieu, une exception de nullité de l'acte introductif d'instance fondée sur les dispositions de l'article 648 du nouveau Code de procédure civile, en ce que cet acte ne permettait pas d'identifier l'UNPJF en tant que personne morale et que de plus l'UNPJF ne précisait dans ce document quel était l'organe habilité à la représenter;

Mais considérant qu'ainsi que l'ont exactement relevé les premiers Juges, l'association Unijus, qui est un syndicat professionnel régi par les articles L. 411-10 et suivants du Code du travail, justifie de sa personnalité morale et de l'accomplissement des formalités de dépôt prévues par les articles L. 411-3 et R. 411-1 du même Code ; qu'il résulte de la combinaison des articles 114 et 648 du nouveau Code de procédure civile que le vice de forme tenant au défaut d'indication de l'organe représentant le syndicat dans l'acte introductif d'instance n'est sanctionné par l'annulation de l'acte que s'il en est résulté un grief pour le défendeur ; qu'il est constant, en l'espèce, et relevé par les premiers juges, que le syndicat Unijus a communiqué en première instance ses statuts ainsi que le procès-verbal de la réunion de son bureau du 6 juillet 2000 ayant donné pouvoir à son président d'engager cette action en justice, conformément à l'article 16 des statuts qui confient au bureau le soin " de donner autorisation au président d'ester en justice au nom de l'Union ", les intimés ne justifiant d'aucun grief à cet égard;

Que les intimés font valoir, en troisième lieu, une fin de non-recevoir tirée d'une absence de qualité à agir de l'association UNPJF devenue Unijus, en ce qu'elle ne justifierait pas représenter les intérêts collectifs de la profession de producteurs et distributeurs de jus de fruits, seule une majorité de ces professionnels ayant adhéré à cette organisation;

Mais considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 411-11 du Code du travail que les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile, dès lors que les faits déférés au juge peuvent, par eux-mêmes, porter un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent; qu'en l'espèce, l'association Unijus justifie tant de sa qualité de syndicat professionnel par la production de la liste de ses adhérents, étant observé que l'adhésion de la totalité des professionnels du secteur concerné n'est pas une condition de recevabilité de l'action du syndicat, que de la défense d'un intérêt collectif, dès lors que son action se fonde sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil applicables notamment à la concurrence déloyale par dénigrement;

Sur le fond

*sur les faits reprochés à Jacques Benaïche et à la société Culina Culigel

Considérant que si les abus de la liberté d'expression prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, constituent des actes de concurrence déloyale relevant de la responsabilité délictuelle visée par cet article le dénigrement d'un produit concurrent, et celui du fabricant de ce produit lorsqu'il tend à un déplacement de clientèle et que l'entreprise visée est nommément désignée même implicitement ou qu'elle est identifiable par cette clientèle;

Considérant qu'à la suite de la publication dans la revue Que Choisir d'un test comparatif sur " l6 jus d'orange du rayon ambiant étiquetés 100 % pur jus" soit les produits étiquetés pur jus d'orange pouvant se conserver à température ambiante, paru dans l'édition d'avril 2000, la société Culina a sollicité de l'association UFC, par courrier du 4 avril 2000 signé de Jacques Benaïche, la publication d'un commentaire sur ce test ; que par courrier du 18 avril 2000, l'association UFC lui faisait savoir que le texte transmis était " beaucoup trop long " et lui soumettait pour avis une proposition de texte " raccourci à la longueur voulue " ; que par lettre du 19 avril 2000 signée de Jacques Benaïche, la société Culina confirmait son accord pour la publication de cette proposition sous réserve de deux modifications dont elle transmettait la rédaction, la deuxième, à laquelle il n'a été donné suite, visant à remplacer la signature in fine du texte par la mention " Jacques Benaïche représentant les jus d'orange 100% naturels concentrés surgelés Jaffa Champion garantissant une teneur en vitamine C naturelle de 45 mg % et vendus dans les magasins Picard Surgelés"

Considérant que sous l'intitulé " Vrai-faux jus d'orange " et sous la signature de " Jacques Benaïche, Montrouge (92), représentant les jus d'orange Jaffa-Champion ", le texte publié en juin 2000 dans le magazine Que Choisir mentionne " Suite à votre test de jus d'orange (QG n° 370), je voudrais apporter quelques précisions. Les producteurs de jus d'orange n'achètent que des fruits matures contenant au moins 11 g de sucre. Vos analyses affichant une teneur systématiquement inférieure à 11 g, il y a forcément rajout d'eau. Mais cette eau n 'est pas détectable par analyse puisqu'elle est issue du fruit. En effet, tous les fabricants font du concentré et ont ainsi à disposition l'eau d'évaporation provenant du fruit d'origine qu'ils réinjectent ensuite dans le produit fini. Pour les teneurs en sucre, la réglementation autorise des rajouts jusqu'à 15 g/l mais les étiquettes ne le précisent pas alors que cela peut être important pour la santé des consommateurs. Concernant la vitamine C, vos analyses ont révélé la présence d'acide ascorbique de synthèse pour deux produits. Comme vous l'avez écrit, c'est une fraude mais il faut savoir que de toute façon, la vitamine C des jus d'orange n'est plus active dans la demi-heure qui suit le pressage du fruit. Enfin, plutôt que de parler de flore microbienne, mieux aurait valu écrire que le jus d'orange contient naturellement une flore mésophile, composée de levure et de lactobacilles, indispensables à une bonne digestion du produit. En cas de traitement thermique, cette flore disparaît. Le jus en question n'est donc plus un " 100 % pur jus ". Aux Etat-Unis, seuls les jus d'orange concentrés surgelés ont droit à l'appellation jus d'orange, les autres produits en bouteilles ou en brique ne sont que des soft drinks, c'est-à-dire des boissons aux oranges ";

Considérant que ce texte adressé par la société Culina à l'association UFC, sous la signature de Jacques Benaïche, faisait état principalement de :

- l'ajout d'eau dans les jus de fruits objet du test comparatif, masqué à son avis par l'usage d'eau issue de la concentration des jus d'orange,

- l'indication d'une dégradation de la vitamine C dans de brefs délais après l'obtention du jus et de la disparition lors de la mise en œuvre du traitement de conservation des jus de la flore microbienne utile à leur digestion,

- l'impossibilité d'appliquer l'appellation "100 % pur jus " à ces produits en cas de traitement thermique en raison de ces modifications;

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise déposé le 1er août 2001, qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats dès lors qu'il est rédigé en langue française contrairement aux assertions des intimés, que :

- l'ajout d'eau (ou mouillage) notamment par des eaux de condensation d'évaporation de jus d'orange, s'est avéré non vérifiable mais d'autre part peu probable (voire difficilement concevable) à l'échelle industrielle, l'expert ajoutant que le Laboratoire Interrégional de Montpellier de la DGCCRF spécialisé dans le contrôle des jus de fruits lui a indiqué ne pas avoir été confronté à cette fraude,

- l'affirmation selon laquelle la vitamine C, dont la présence est caractéristique des jus d'agrumes et fait l'objet d'une attention particulière, se dégraderait dans un très bref délai après l'obtention du jus "est totalement erronée ", étant au surplus observé par l'expert que la notion de " vitamine C active " n'existe pas dans la littérature technique, et encore relevé que les teneurs en vitamine C analysées dans le cadre de la mission d'expertise ont été comprises entre 270 mg/l et 400 mg/l, et ce alors que la norme française NF V 76 005 impose à la date limite d'utilisation optimale (DLUO), soit après douze mois, une teneur de 200 mg/l,

- l'absence d'une flore microbienne ne peut avoir d'effet sur la digestibilité des jus d'orange,

- l'appellation soft drinks correspond, tant en France qu'aux USA ou en Europe, à des boissons plates ou gazéifiées contenant de 10 à 20 % de jus d'orange, l'affirmation selon laquelle " seuls les jus d'organe concentrés surgelés ont droit à l'appellation de jus d'orange " étant inexacte;

Considérant dès lors que les informations présentées comme des précisions apportées au test comparatif publié par la revue Que Choisir constituent des allégations fausses et malveillantes sur les propriétés ou les conditions de fabrication de produits concurrents des jus d'orange Jaffa-Champion commercialisés par l'auteur de cet article ainsi que le texte le précise;

Que les producteurs des jus de fruits incriminés, qui ne sont pas nommément cités dans ce courrier, sont aisément identifiables par la référence au " test de jus d'orange (QG n° 370) ", leur liste figurant en pages 32 et 33 de ce numéro;

Qu'il s'ensuit que l'action en responsabilité engagée par l'association Unijus contre la société Culina et Jacques Benaïche, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil applicables à la concurrence déloyale par dénigrement, est bien fondée;

*sur le préjudice

Considérant qu'il est incontestable que le message dénigrant adressé aux lecteurs de la revue Que Choisir, du fait de la large diffusion de ce magazine tiré à 292 000 exemplaires, n'a pu qu'avoir un impact négatif sur la perception qu'ont les consommateurs du produit de grande consommation que constitue le jus d'orange 100 % pur jus que commercialisent les adhérents de l'association Unijus ; que l'appelante verse aux débats un courrier d'une agence de relations publiques proposant diverses actions de communication destinées à restaurer l'image du produit (diffusion d'un publi-rédactionnel publié dans la presse santé grand public ainsi que dans la presse famille, mise en place d'un numéro vert et d'une adresse Internet pour répondre aux questions des consommateurs, éditions de brochures d'informations en complément de ces mesures) dont le coût total est chiffré à 88 572 euro (581 000 F);

Que la cour dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 60 000 euro le préjudice subi par l'association Unijus ; que la société Culina et Jacques Benaïche seront solidairement condamnés à lui payer cette somme ; qu'en matière délictuelle, la créance de réparation ne peut produire d'intérêts que du jour où elle est allouée judiciairement, la demande de l'association Unijus tendant à ce que cette somme soit assortie d'intérêts à compter de l'assignation ne pouvant qu'être rejetée;

Considérant en revanche qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes d'interdiction et de condamnation sous astreinte formée par l'appelante, qui n'allègue ni ne justifie que les pratiques reprochées aux intimés se soient poursuivies;

* sur les demandes reconventionnelles de Jacques Benaïche et de la société Culina

Considérant que Jacques Benaïche et la société Culina dénoncent en appel la mesure "d'éviction" dont les jus d'orange Jaffa-Champion auraient été victimes du fait de la procédure engagée par l'association Unijus qui leur a interdit toute communication sur leur produit; qu'il y a lieu de relever cependant que la seule interdiction qui leur a été faite, par ordonnance de référé du 17 juillet 2000, était de ne pas délivrer de messages dénigrants concernant des produits concurrents, et qu'il leur était par conséquent loisible d'assurer la promotion de leurs propres produits par toute mesure de communication appropriée ;

Qu'ils ne peuvent davantage se plaindre de la non-prise en compte dans le test comparatif des produits surgelés tels que les produits vendus par la société Culina, dès lors que le test comparatif portait sur les jus fabriqués sans procédés de concentration ni matières premières concentrées et pouvant se conserver à température ambiante, ce qui n'est pas le cas des concentrés de jus de fruits surgelés commercialisés sous la marque Jaffa-Champion ;

Que la teneur des courriers échangés entre les intimés et l'association UFC est exclusive de toute " manipulation " dont ceux-ci auraient été victime de la part de celle-là; qu'enfin les intimés ne justifient pas en quoi ils auraient été privés de l'exercice d'un droit de réponse tel que prévu par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'ils n'étaient pas nommément désignés dans des conditions ouvrant droit à réponse et qu'en tout état de cause ils n'ont pas exercé cette faculté dans les délais prévus par le texte susvisé ;

Considérant qu'il y a lieu, confirmant sur ce point le jugement, de rejeter les demandes reconventionnelles formées par Jacques Benaïche et la société Culina;

* Sur les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'association UFC ne justifie pas du caractère abusif de l'action engagée à son encontre, sa demande de dommages-intérêts devant être rejetée;

Qu'il est toutefois équitable que l'association Unijus et l'association UFC soient indemnisées de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel, pour lesquels leur seront alloués respectivement 10 000 et 5 000 euro;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incidents jugés réguliers en la forme, Rejette les exceptions de nullité de l'acte introductif d'instance soulevées par Jacques Benaïche et la société Culina, Ecarte les fins de non-recevoir tirées d'une absence de qualité à agir de l'association Unijus, Au fond, Infirme le jugement en ce qu'il a débouté l'association Unijus de ses demandes, Et statuant à nouveau, Dit que le texte publié dans la revue Que Choisir de juin 2000 est constitutif de concurrence déloyale par dénigrement, Condamne solidairement Jacques Benaïche et la société Culina à payer à l'association Unijus 60 000 euro de dommages-intérêts, Déboute Jacques Benaïche et la société Culina de toutes leurs demandes et l'association Unijus du surplus des siennes, Déboute l'association UFC de sa demande de dommages-intérêts, Condamne solidairement Jacques Benaïche et la société Culina à payer à l'association Unijus 10 000 euro, et à l'association UFC 5 000 euro, pour leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne solidairement Jacques Benaïche et la société Culina aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de Maître Bodin-Casalis et de la SCP Duboscq-Pellerin, avoués.