CJCE, 6e ch., 27 février 2002, n° C-37/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Herbert Weber
Défendeur :
Universal Ogden Services Ltd
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Macken
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
Mme Colneric, MM. Puissochet, Schintgen, Skouris
Avocats :
Mes van Staden ten Brink, van Nispen, Schaafsma, Smith
LA COUR (sixième chambre),
1. Par arrêt du 4 février 2000, parvenu à la Cour le 10 février suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, posé trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 5, point 1, de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la "convention de Bruxelles").
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Weber, ressortissant allemand domicilié à Krefeld (Allemagne), à son employeur, la société de droit écossais Universal Ogden Services Ltd (ci-après "UOS"), établie à Aberdeen (Royaume-Uni), à la suite de la rupture de son contrat de travail par cette dernière.
Le cadre juridique
La convention de Bruxelles
3. Les règles de compétence édictées par la convention de Bruxelles figurent au titre II de celle-ci, constitué des articles 2 à 24.
4. L'article 2, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, qui fait partie du titre II de celle-ci, section 1, intitulée "Dispositions générales", énonce:
"Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État."
5. L'article 3, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, qui figure dans la même section, stipule:
"Les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d'un autre État contractant qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du présent titre."
6. Dans les sections 2 à 6 du titre II, la convention de Bruxelles prévoit des règles de compétence spéciale ou exclusive.
7. Ainsi, aux termes de l'article 5, qui figure dans la section 2, intitulée "Compétences spéciales", du titre II de la convention de Bruxelles:
"Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée; en matière de contrat individuel de travail, ce lieu est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail; lorsque le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, l'employeur peut être également attrait devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur;
[...]"
Le droit international applicable
8. La convention sur le plateau continental, conclue à Genève le 29 avril 1958 (ci-après la "convention de Genève"), est entrée en vigueur le 10 juin 1964 et a été ratifiée par le Royaume des Pays-Bas le 18 février 1966. En revanche, la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, n'a été ratifiée par le Royaume des Pays-Bas que le 28 juin 1996, de sorte qu'elle n'était pas applicable dans cet État à la date des faits au principal.
Les dispositions nationales pertinentes
9. Aux Pays-Bas, la Wet arbeid mijnbouw Noordzee (loi relative au travail minier en mer du Nord, ci-après la "WAMN"), du 2 novembre 1992, est entrée en vigueur le 1er février 1993.
10. L'article 1er, sous a), de la WAMN dispose qu'il convient d'entendre par "plateau continental" au sens de cette loi ce qu'il y a lieu d'entendre par la même notion dans la Mijnwet continentaal plat (loi sur l'exploitation minière du plateau continental), du 23 septembre 1965, à savoir la partie du sol marin et du tréfonds de celui-ci qui est située sous la mer du Nord en dehors des eaux territoriales sur laquelle le Royaume des Pays-Bas possède des droits souverains (ci-après la "zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas"), notamment en application de la convention de Genève.
11. Conformément à l'article 1er, sous b), de la WAMN, l'expression "installation minière" au sens de cette loi vise une installation établie sur ou au-dessus de la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas en vue de la prospection ou de l'extraction de matières minérales ou un ensemble d'installations dont au moins l'une d'entre elles répond à cette description.
12. Il ressort de l'exposé des motifs de l'article 1er de la WAMN que cette définition de l'installation minière englobe également les navires de forage et vise toutes les installations de prospection ou d'extraction de matières minérales établies en dehors des eaux territoriales, qu'il s'agisse d'installations fixes ou d'installations flottantes (amarrées).
13. L'article 1er, sous c), de la WAMN prévoit que par "travailleur" au sens de cette loi il y a lieu d'entendre:
"1) une personne qui travaille dans les liens d'un contrat de travail sur ou au départ d'une installation minière;
2) une personne, autre qu'une personne visée sous 1), qui a été engagée par contrat de travail pour effectuer, pendant une période d'au moins trente jours, des travaux de reconnaissance, de prospection ou d'extraction de matières minérales sur ou au départ d'un navire qui se trouve dans les eaux territoriales ou au-dessus du plateau continental de la mer du Nord en dehors des eaux territoriales".
14. L'article 2 de la WAMN est ainsi libellé:
"Le contrat de travail d'un travailleur est régi par le droit néerlandais des contrats de travail, y compris les règles de droit international privé qui s'y rapportent. Pour l'application des règles de droit international privé, le travail accompli par un travailleur est réputé avoir été accompli sur le territoire des Pays-Bas."
15. L'article 10, paragraphe 1, de la WAMN dispose:
"Sans préjudice des dispositions de l'article 98, paragraphe 2, et de l'article 126 du Code de procédure civile, le Kantonrechter te Alkmaar est compétent pour connaître des litiges relatifs au contrat de travail d'un travailleur et à l'application de la présente loi."
16. L'exposé des motifs de l'article 10 de la WAMN précise que cette disposition ne peut pas déroger aux règles prévues par la convention de Bruxelles.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17. Il ressort du dossier de l'affaire au principal que M. Weber a été employé par UOS en qualité de cuisinier du mois de juillet 1987 au 30 décembre 1993.
18. La juridiction de renvoi constate que, jusqu'au 21 septembre 1993, M. Weber a travaillé pour le compte d'UOS, "notamment" au-dessus de la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas, à bord de navires ou sur des installations minières au sens de la WAMN.
19. Selon la juridiction de renvoi, il n'est pas établi à quel(s) moment(s) précis au cours de la période comprise entre le début de sa relation de travail avec UOS, en juillet 1987, et le 21 septembre 1993 M. Weber a exercé ses activités sur la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas ni à quelles dates exactes il a travaillé sur des installations minières ou des navires visés par la WAMN.
20. En effet, selon les allégations de M. Weber, ce dernier a, au cours de toute cette période, travaillé principalement sur la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas, en l'occurrence sur des installations minières et des navires battant pavillon néerlandais; l'exactitude de ces affirmations est toutefois contestée par UOS.
21. En revanche, il est constant que, du 21 septembre au 30 décembre 1993, M. Weber a exercé son activité de cuisinier à bord d'une grue flottante utilisée dans les eaux territoriales danoises pour la construction d'un pont au-dessus du Grand Belt (Danemark).
22. Reprochant à UOS d'avoir illégalement mis fin à sa relation de travail, M. Weber a, le 29 juin 1994, assigné cette société devant le Kantonrechter te Alkmaar (Pays-Bas), conformément à l'article 10, paragraphe 1, de la WAMN.
23. Cette juridiction a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par UOS pour des motifs tirés du droit néerlandais et a déclaré partiellement fondé le recours de M. Weber.
24. UOS a alors interjeté appel devant le Rechtbank te Alkmaar (Pays-Bas), qui a considéré, également sur le seul fondement du droit national, que le premier juge avait retenu à tort sa compétence pour connaître de la demande de M. Weber. Le Rechtbank te Alkmaar a jugé, en substance, qu'il ne pouvait être tenu compte que de la période d'emploi postérieure au 1er février 1993, date d'entrée en vigueur de la WAMN, et que la période de travail de plus de trois mois accomplie dans les eaux territoriales danoises devait l'emporter sur celle passée au-dessus de la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas.
25. Le 7 janvier 1998, M. Weber s'est pourvu en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden qui a jugé que le Rechtbank te Alkmaar avait commis une erreur de droit en n'examinant pas d'office si la compétence des juridictions néerlandaises pouvait être déduite des règles de la convention de Bruxelles. À cet égard, la juridiction de renvoi se demande si, pour les besoins de l'application de l'article 5, point 1, de cette convention, d'une part, le travail effectué par M. Weber sur la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas doit être considéré comme l'ayant été aux Pays-Bas - et, partant, sur le territoire d'un État contractant - et, d'autre part, si l'intéressé a, depuis son entrée au service d'UOS en juillet 1987, accompli "habituellement" son travail à cet endroit, au sens de ladite disposition de la convention de Bruxelles.
26. Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige dépend de l'interprétation de la convention de Bruxelles, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Un travail réalisé sur la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas par un travailleur au sens de la WAMN doit-il être considéré comme, ou assimilé à, du travail accompli aux Pays-Bas pour l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, faut-il, pour répondre à la question de savoir si le travailleur doit être considéré comme ayant accompli son travail 'habituellement' aux Pays-Bas, tenir compte de toute la durée de sa relation de travail ou uniquement de la dernière période de celle-ci?
3) Faut-il, pour répondre à la deuxième question, établir une distinction entre, d'une part, la période antérieure à l'entrée en vigueur de la WAMN - période au cours de laquelle la législation néerlandaise n'avait pas encore désigné de juge néerlandais territorialement compétent pour un cas tel que le cas d'espèce - et, d'autre part, la période postérieure à l'entrée en vigueur de la WAMN?"
Sur la première question
27. Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante, l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles ne peut trouver application lorsque le contrat de travail est exécuté entièrement en dehors du territoire des États contractants, en raison du fait que le travailleur effectue toutes ses activités dans des pays tiers (voir arrêt du 15 février 1989, Six Constructions, 32-88, Rec. p. 341, point 22).
28. En conséquence, l'application dudit article 5, point 1, présuppose que le contrat individuel de travail en exécution duquel le salarié exerce ses activités professionnelles puisse être rattaché au territoire d'au moins un État contractant.
29. En second lieu, il résulte de l'article 29 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 que, "[à] moins qu'une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l'égard de l'ensemble de son territoire".
30. C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient de déterminer si, pour les besoins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, un travail effectué comme dans l'affaire au principal sur la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas doit être considéré comme une activité exercée sur le territoire des Pays-Bas et, dès lors, d'un État contractant.
31. En l'absence de disposition de ladite convention régissant cet aspect de son champ d'application et à défaut d'autres indices quant à la réponse à apporter à cette question, il y a lieu de se référer aux principes du droit international public relatifs au régime juridique du plateau continental et, en particulier, à la convention de Genève, qui était applicable aux Pays-Bas à la date des faits au principal.
32. Conformément à l'article 2 de la convention de Genève, l'État riverain exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de l'exploration de celui-ci et de l'exploitation de ses ressources naturelles. Ces droits sont exclusifs et indépendants de toute proclamation expresse.
33. Aux termes de l'article 5 de la même convention, "l'État riverain a le droit de construire et d'entretenir ou de faire fonctionner sur le plateau continental les installations et autres dispositifs nécessaires pour l'exploration de celui-ci et l'exploitation de ses ressources naturelles". Le même article 5 prévoit que ces installations ou dispositifs sont "soumis à la juridiction de l'État riverain".
34. Aussi la Cour internationale de justice a-t-elle jugé que les droits de l'État riverain concernant la zone de plateau continental qui constitue un prolongement naturel de son territoire sous la mer existent ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de l'État sur ce territoire et par une extension de cette souveraineté sous la forme de l'exercice de droits souverains aux fins de l'exploration du lit de la mer et de l'exploitation de ses ressources naturelles (arrêt du 20 février 1969, affaires dites "du plateau continental de la mer du Nord", Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances, 1969, p. 3, paragraphe 19).
35. Au demeurant, c'est en conformité avec ces principes du droit international public que l'article 10, paragraphe 1, de la WAMN a prévu qu'une juridiction néerlandaise était compétente pour connaître des litiges relatifs au contrat de travail d'une personne dont l'activité est exercée sur ou à partir d'une installation minière établie sur la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas ou se trouvant au-dessus de ladite zone, aux fins de la prospection et/ou de l'exploitation de ses ressources naturelles.
36. Il s'ensuit qu'il convient de répondre à la première question qu'un travail accompli par un salarié sur des installations fixes ou flottantes situées sur ou au-dessus du plateau continental adjacent à un État contractant, dans le cadre de l'exploration et/ou de l'exploitation de ses ressources naturelles, doit être considéré comme un travail accompli sur le territoire dudit État pour les besoins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.
Sur la deuxième question
37. En vue de répondre à cette question, il importe de rappeler, à titre liminaire, la jurisprudence de la Cour relative à l'interprétation de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles lorsque le litige porte sur un contrat individuel de travail.
38. En premier lieu, il ressort de cette jurisprudence que, s'agissant de ce type de contrats, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, visé par ladite disposition de la convention de Bruxelles, doit être déterminé non pas, comme pour la généralité des contrats, par référence à la loi nationale applicable selon les règles de conflit de la juridiction saisie (jurisprudence constante depuis l'arrêt du 6 octobre 1976, Tessili, 12-76, Rec. p. 1473), mais, au contraire, sur la base de critères uniformes qu'il incombe à la Cour de définir en se fondant sur le système et les objectifs de la convention de Bruxelles (voir, notamment, arrêts du 13 juillet 1993, Mulox IBC, C-125-92, Rec. p. I-4075, points 10, 11 et 16; du 9 janvier 1997, Rutten, C-383-95, Rec. p. I-57, points 12 et 13, et du 28 septembre 1999, GIE Groupe Concorde e.a., C-440-97, Rec. p. I-6307, point 14).
39. En deuxième lieu, la Cour considère que la règle de compétence spéciale prévue à l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles se justifie par l'existence d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et la juridiction appelée à en connaître, en vue de garantir une bonne administration de la justice ainsi que de permettre l'organisation utile du procès, et que le juge du lieu où doit s'exécuter l'obligation du travailleur d'exercer les activités convenues est le plus apte à trancher le litige auquel le contrat de travail peut donner lieu (voir, notamment, arrêts précités Mulox IBC, point 17, et Rutten, point 16).
40. En troisième lieu, la Cour constate que, en matière de contrats de travail, l'interprétation de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles doit tenir compte du souci d'assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible du point de vue social et qu'une telle protection est mieux assurée si les litiges relatifs à un contrat de travail relèvent de la compétence du juge du lieu où le travailleur s'acquitte de ses obligations à l'égard de son employeur, dans la mesure où c'est à cet endroit que le travailleur peut, à moindres frais, s'adresser aux tribunaux ou se défendre (arrêts précités Mulox IBC, points 18 et 19, et Rutten, point 17).
41. La Cour en déduit que l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que, en matière de contrats de travail, le lieu d'exécution de l'obligation pertinente, au sens de cette disposition, est celui où le travailleur exerce en fait les activités convenues avec son employeur (arrêts précités Mulox IBC, point 20; Rutten, point 15, et GIE Groupe Concorde e.a., point 14).
42. La Cour a également précisé que, dans l'hypothèse où le travail est effectué dans plus d'un État contractant, il importe d'éviter une multiplication des juridictions compétentes, afin de prévenir le risque de contrariété de décisions et de faciliter ainsi la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires en dehors de l'État dans lequel elles ont été rendues, et que, dès lors, l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles ne peut pas être interprété en ce sens qu'il conférerait une compétence concurrente aux juridictions de chaque État contractant sur le territoire duquel le travailleur exerce une partie de ses activités professionnelles (arrêts précités Mulox IBC, points 21 et 23, et Rutten, point 18).
43. En conséquence, la Cour a jugé, aux points 25 et 26 de l'arrêt Mulox IBC, précité, que, dans une telle hypothèse, le lieu où l'obligation caractérisant le contrat de travail a été ou doit être exécutée, au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, est l'endroit où, ou à partir duquel, le travailleur s'acquitte principalement de ses obligations à l'égard de son employeur et qu'il convient de tenir compte de la circonstance que l'exécution de la mission confiée au salarié a été assurée à partir d'un bureau situé dans un État contractant, où ce travailleur avait établi sa résidence, à partir duquel il exerçait ses activités pour son employeur et où il revenait après chaque déplacement professionnel dans d'autres pays.
44. Dans l'arrêt Rutten, précité, la Cour a dit pour droit, dans une hypothèse similaire, que le lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, est celui où il a établi le centre effectif de ses activités professionnelles et que, pour la détermination concrète de ce lieu, il convient de prendre en considération la circonstance que l'intéressé accomplit la majeure partie de son temps de travail dans un des États contractants où il a un bureau à partir duquel il organise ses activités pour le compte de son employeur et où il retourne après chaque voyage professionnel à l'étranger.
45. S'agissant de la détermination concrète du lieu de travail habituel, visé à l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, dans une affaire telle que celle au principal, il convient de rappeler, d'une part, que l'ensemble du contexte factuel du différend opposant M. Weber à son employeur n'a pas encore été clairement établi devant les juridictions nationales.
46. Ainsi, s'il est constant que l'intéressé a travaillé à bord d'une grue flottante dans les eaux territoriales danoises du 21 septembre au 30 décembre 1993, pour le surplus, il ressort seulement du dossier que, de juillet 1987 au 21 septembre 1993, M. Weber a été, à tout le moins pour une partie de cette période, employé par UOS sur des navires ou des installations minières, au sens de la WAMN, localisés au-dessus de la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas. En particulier, les parties au principal sont en désaccord en ce qui concerne les dates exactes de la période auxquelles M. Weber a travaillé au-dessus de ladite zone et le dossier ne permet pas davantage de savoir si, au cours de cette même période, l'intéressé a effectué des prestations au profit d'UOS à un autre endroit et, dans l'affirmative, le ou les pays concernés et la durée de ces activités. Il ressort seulement des constatations du Rechtbank te Alkmaar que M. Weber a, pendant la période du 1er février au 21 septembre 1993, travaillé 79 jours au-dessus de la zone de plateau continental adjacent aux Pays-Bas, sans qu'il soit clairement établi s'il a, durant les 144 autres jours, travaillé ailleurs ou, au contraire, bénéficié de temps de repos.
47. En dépit de ces incertitudes, il est toutefois constant que, durant sa période d'emploi au profit d'UOS, M. Weber a été occupé dans au moins deux États contractants différents.
48. D'autre part, à la différence des faits dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Mulox IBC et Rutten, M. Weber ne disposait pas dans un des États contractants d'un bureau qui aurait constitué le centre effectif de ses activités professionnelles et à partir duquel il se serait acquitté de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur.
49. Cette jurisprudence ne saurait donc être transposée dans son intégralité à la présente affaire. Toutefois, elle demeure pertinente dans la mesure où elle implique que, s'agissant d'un contrat de travail exécuté sur le territoire de plusieurs États contactants, l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles doit, au regard de la nécessité tant de déterminer le lieu avec lequel le litige présente le lien de rattachement le plus significatif aux fins de désigner le juge le mieux placé pour statuer que d'assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible et d'éviter la multiplication des tribunaux compétents, être interprété comme visant l'endroit où, ou à partir duquel, le travailleur s'acquitte en fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur. En effet, c'est à cet endroit que le travailleur peut, à moindres frais, intenter une action judiciaire à l'encontre de son employeur ou se défendre et le juge de ce lieu est le plus apte à trancher la contestation relative au contrat de travail (voir arrêt Rutten, précité, points 22 à 24).
50. Dans ces conditions, s'agissant d'une affaire telle que celle au principal, le critère pertinent à prendre en considération pour déterminer le lieu de travail habituel, au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, est, en principe, l'endroit où le travailleur a accompli la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur.
51. En effet, dans une hypothèse telle que celle au principal, dans laquelle le salarié a, pendant toute la période de travail en cause, exercé en permanence la même activité au profit de son employeur, en l'occurrence celle de cuisinier, le critère qualitatif, tiré de la nature et de l'importance du travail accompli dans différents endroits des États contractants, est dénué de toute pertinence.
52. Or, le critère temporel énoncé au point 50 du présent arrêt, fondé sur la durée respective du temps de travail effectué dans les différents États contractants en cause, implique logiquement que l'intégralité de la période d'activité du travailleur soit prise en compte pour déterminer l'endroit où le salarié a accompli la partie la plus significative de son emploi et où, dans un tel cas de figure, se situe le centre de gravité de son rapport contractuel avec l'employeur.
53. Ce ne serait que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait du cas d'espèce, l'objet de la contestation en cause présente des liens de rattachement plus étroits avec un autre lieu de travail que le principe énoncé au point précédent ne trouverait pas à s'appliquer.
54. Ainsi, la période de travail la plus récente devrait être retenue lorsque le travailleur, après avoir accompli son travail pendant une certaine durée à un endroit déterminé, exerce ensuite ses activités de manière durable en un lieu différent, dès lors que, selon la volonté claire des parties, ce dernier est destiné à devenir un nouveau lieu de travail habituel au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.
55. En revanche, au cas où les critères énoncés aux points 50 à 54 du présent arrêt ne mettraient pas la juridiction nationale en mesure de déterminer le lieu habituel de travail aux fins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, en raison du fait que soit il existe au moins deux lieux de travail d'importance égale, soit aucun des différents endroits où l'intéressé a exercé ses activités professionnelles ne présente un rapport suffisamment stable et intense avec le travail fourni pour être considéré comme un lieu d'attache prépondérant pour les besoins de la détermination de la juridiction compétente, il importe, ainsi qu'il ressort déjà des points 42 et 49 du présent arrêt, d'éviter la multiplication des tribunaux compétents pour connaître d'un même rapport juridique. L'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles ne peut pas, dès lors, être interprété en ce sens qu'il conférerait une compétence concurrente aux juridictions de chaque État contractant sur le territoire duquel le travailleur a exercé une partie de ses activités professionnelles.
56. À cet égard, il convient de rappeler, d'une part, que, ainsi qu'il ressort du rapport de M. Jenard relatif à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1, 22), les règles de compétence spéciale ne constituent qu'une option supplémentaire au choix du demandeur, sans pour autant affecter le principe général, énoncé à l'article 2, premier alinéa, de ladite convention, selon lequel les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. D'autre part, l'article 5, point 1, dernier membre de phrase, de la convention de Bruxelles prévoit que, lorsque le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, l'employeur peut être "également" attrait devant le tribunal du lieu où se trouve, ou se trouvait, l'établissement qui a embauché le travailleur.
57. En conséquence, dans l'hypothèse évoquée au point 55 du présent arrêt, le travailleur pourra choisir d'intenter son recours contre l'employeur soit devant le tribunal du lieu de l'établissement qui l'a embauché, conformément à l'article 5, point 1, dernier membre de phrase, de la convention de Bruxelles, soit devant les juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel l'employeur a son domicile, conformément à l'article 2, premier alinéa, de ladite convention, pour autant que ces deux fors ne sont pas identiques.
58. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où le salarié exécute les obligations résultant de son contrat de travail dans plusieurs États contractants, le lieu où il accomplit habituellement son travail, au sens de cette disposition, est l'endroit où, ou à partir duquel, compte tenu de toutes les circonstances du cas d'espèce, il s'acquitte en fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur.
S'agissant d'un contrat de travail en exécution duquel le salarié exerce les mêmes activités au profit de son employeur dans plus d'un État contractant, il faut, en principe, tenir compte de toute la durée de la relation de travail pour déterminer le lieu où l'intéressé accomplissait habituellement son travail, au sens de ladite disposition.
À défaut d'autres critères, ce lieu est celui où le travailleur a accompli la plus grande partie de son temps de travail.
Il n'en serait autrement que si, au regard des éléments de fait du cas d'espèce, l'objet de la contestation en cause présentait des liens de rattachement plus étroits avec un autre lieu de travail, cas dans lequel ce lieu serait pertinent aux fins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.
Au cas où les critères définis par la Cour ne permettraient pas à la juridiction nationale de déterminer le lieu habituel de travail visé par l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, le travailleur aura le choix d'attraire son employeur soit devant le tribunal du lieu de l'établissement qui l'a embauché, soit devant les juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel est situé le domicile de l'employeur.
Sur la troisième question
59. S'agissant de cette question, il convient, d'une part, de relever que la convention de Bruxelles a pour objet de déterminer la compétence des juridictions des États contractants dans l'ordre juridique intracommunautaire en matière civile et commerciale, de sorte que les législations procédurales internes sont écartées des matières réglées par cette convention au bénéfice des dispositions de celle-ci (voir arrêt du 13 novembre 1979, Sanicentral, 25-79, Rec. p. 3423, point 5).
60. Il y a lieu de rappeler, d'autre part, qu'il résulte d'une jurisprudence constante que les termes de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles doivent, en matière de contrats de travail, être interprétés de manière autonome, de façon à assurer tant la pleine efficacité que l'application uniforme dans tous les États contractants de cette convention, dont l'objectif consiste notamment à unifier les règles de compétence des juridictions des États contractants (voir, notamment, arrêts précités Mulox IBC, points 10 et 16, ainsi que Rutten, points 12 et 13).
61. Il s'ensuit que le droit national n'est d'aucune pertinence pour l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, en sorte que la date d'entrée en vigueur de la WAMN ne modifie en rien la portée de ladite disposition.
62. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que le droit national applicable au litige au principal n'a aucune incidence sur l'interprétation de la notion de lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, au sens de l'article 5, point 1, de ladite convention, qui fait l'objet de la deuxième question.
Sur les dépens
63. Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 4 février 2000, dit pour droit:
1) Un travail accompli par un salarié sur des installations fixes ou flottantes situées sur ou au-dessus du plateau continental adjacent à un État contractant, dans le cadre de l'exploration et/ou de l'exploitation de ses ressources naturelles, doit être considéré comme un travail accompli sur le territoire dudit État pour les besoins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise.
2) L'article 5, point 1, de ladite convention doit être interprété en ce sens que, dans l'hypothèse où le salarié exécute les obligations résultant de son contrat de travail dans plusieurs États contractants, le lieu où il accomplit habituellement son travail, au sens de cette disposition, est l'endroit où, ou à partir duquel, compte tenu de toutes les circonstances du cas d'espèce, il s'acquitte en fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur.
S'agissant d'un contrat de travail en exécution duquel le salarié exerce les mêmes activités au profit de son employeur dans plus d'un État contractant, il faut, en principe, tenir compte de toute la durée de la relation de travail pour déterminer le lieu où l'intéressé accomplissait habituellement son travail, au sens de ladite disposition.
À défaut d'autres critères, ce lieu est celui où le travailleur a accompli la plus grande partie de son temps de travail.
Il n'en serait autrement que si, au regard des éléments de fait du cas d'espèce, l'objet de la contestation en cause présentait des liens de rattachement plus étroits avec un autre lieu de travail, cas dans lequel ce lieu serait pertinent aux fins de l'application de l'article 5, point 1, de ladite convention.
Au cas où les critères définis par la Cour ne permettraient pas à la juridiction nationale de déterminer le lieu habituel de travail visé par l'article 5, point 1, de ladite convention, le travailleur aura le choix d'attraire son employeur soit devant le tribunal du lieu de l'établissement qui l'a embauché, soit devant les juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel est situé le domicile de l'employeur.
3) Le droit national applicable au litige au principal n'a aucune incidence sur l'interprétation de la notion de lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, au sens de l'article 5, point 1, de ladite convention, qui fait l'objet de la deuxième question.