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Décisions

CJCE, 27 avril 1999, n° C-99/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hans-Hermann Mietz

Défendeur :

Intership Yachting Sneek BV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kapteyn, Puissochet, Hirsch, Jann

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Gulmann, Murray, Edward, Ragnemalm, Sevón, Wathelet

Avocats :

Mes Lloyd Jones, Hans-Jürgen Rabe, Berrisch

CJCE n° C-99/96

27 avril 1999

LA COUR,

1 Par ordonnance du 29 février 1996, parvenue à la Cour le 26 mars suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 13, premier alinéa, points 1 et 3, 24, 28, deuxième alinéa, et 34, deuxième alinéa, de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1, ci-après la "convention").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure introduite devant une juridiction allemande en vue d'obtenir en Allemagne l'exequatur d'un jugement rendu le 12 mai 1993 (ci-après le "jugement néerlandais") par le président de l'Arrondissementsrechtbank te Leeuwarden (Pays-Bas) (ci-après la "juridiction d'origine") à la suite d'une procédure contradictoire en référé ("kort geding") entre Intership Yachting Sneek BV (ci-après "Intership Yachting"), société à responsabilité limitée établie à Sneek (Pays-Bas), et M. Mietz, domicilié à Lüchow (Allemagne).

3 Dans le système de la convention, la règle générale en matière de compétence judiciaire, énoncée à l'article 2, premier alinéa, est que les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.

4 L'article 3, premier alinéa, de la convention prévoit que les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d'un autre État contractant qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du titre II, c'est-à-dire aux articles 5 à 18 de la convention.

5 Les articles 13 et 14 font partie de la section 4, intitulée "Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs", du titre II de la convention. L'article 13, premier alinéa, dispose:

"En matière de contrat conclu par une personne pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ci-après dénommée `le consommateur', la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l'article 4 et de l'article 5 paragraphe 5:

1) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

2) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets;

3) pour tout autre contrat ayant pour objet une fourniture de services ou d'objets mobiliers corporels si:

a) la conclusion du contrat a été précédée dans l'État du domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité

et que

b) le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat."

6 L'article 14, deuxième alinéa, de la convention prévoit:

"L'action intentée contre le consommateur par l'autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur."

7 En outre, l'article 24, qui figure au titre II, section 9, de la convention et qui régit spécifiquement les mesures provisoires et conservatoires, dispose:

"Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre État contractant est compétente pour connaître du fond."

8 Les règles en matière de reconnaissance et d'exécution des décisions font partie du titre III de la convention. L'article 28, qui fait partie de sa section première, intitulée "Reconnaissance", prévoit:

"De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 5 du titre II ont été méconnues ainsi que dans le cas prévu à l'article 59.

Lors de l'appréciation des compétences mentionnées à l'alinéa précédent, l'autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l'État d'origine a fondé sa compétence.

Sans préjudice des dispositions du premier alinéa, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l'État d'origine; les règles relatives à la compétence ne concernent pas l'ordre public visé à l'article 27 paragraphe 1."

9 L'article 29, qui figure à la même section de la convention, dispose:

"En aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l'objet d'une révision au fond."

10 L'article 34, deuxième et troisième alinéas, qui fait partie de la section 2, intitulée "Exécution", du titre III de la convention, est rédigé ainsi:

"La requête ne peut être rejetée que pour l'un des motifs prévus aux articles 27 et 28.

En aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l'objet d'une révision au fond."

11 M. Mietz et Intership Yachting ont conclu par écrit à Sneek un "contrat de vente" portant sur l'achat d'un bateau Intership modèle 1150 G auquel devaient être apportées différentes modifications. M. Mietz devait, en contrepartie, payer la somme de 250 000 DM en cinq versements.

12 Celui-ci ne s'étant pas totalement acquitté de son obligation de paiement du prix, Intership Yachting a obtenu le jugement néerlandais par lequel M. Mietz a, notamment, été condamné à lui verser la somme de 143 750 DM majorée des intérêts. Ce jugement a été déclaré exécutoire par provision.

13 Le 29 octobre 1993, le Landgericht Lüneburg (Allemagne) a fait droit à la demande d'Intership Yachting de voir le jugement néerlandais déclaré exécutoire et lui a accordé l'exequatur.

14 M. Mietz a fait opposition à cette décision d'exequatur devant l'Oberlandesgericht compétent. Il a soutenu qu'Intership Yachting et lui-même s'étaient mis d'accord sur tous les détails de la commande du bateau en cause, destiné à son usage personnel, lors de la Bootsmesse (foire de la navigation de plaisance) de Düsseldorf (Allemagne) et que, réunis à Sneek une semaine plus tard, ils n'avaient fait que signer le contrat et il avait payé l'acompte convenu de 40 000 DM. Il en a conclu que, conformément à l'article 14, deuxième alinéa, de la convention, seuls les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le débiteur, à savoir l'Allemagne, étaient compétents.

15 L'Oberlandesgericht ayant rejeté cette opposition, M. Mietz a formé un pourvoi en "Revision" à l'encontre de cette décision devant le Bundesgerichtshof.

16 Ce dernier considère que la reconnaissance et l'exécution du jugement néerlandais ne pourraient être refusées, conformément à l'article 28, premier alinéa, de la convention, que si M. Mietz pouvait se prévaloir des règles de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs prévues aux articles 13 et 14 de la convention.

17 A cet égard, le Bundesgerichtshof fait état des différentes définitions que les États membres ont données aux notions de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels (Kauf beweglicher Sachen auf Teilzahlung) et de fourniture d'objets mobiliers corporels (Lieferung beweglicher Sachen), notions figurant respectivement aux points 1 et 3 de l'article 13, premier alinéa, de la convention.

18 Par ailleurs, le Bundesgerichtshof relève que le jugement néerlandais ne contient aucune information sur la localisation des actes préparatoires à la conclusion du contrat, de sorte qu'il est dans l'impossibilité de déterminer sur cette base si la juridiction d'origine n'a pas violé l'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention qui réserve aux juges de l'État de résidence du consommateur les litiges relatifs aux contrats ayant pour objet une fourniture de services ou d'autres objets mobiliers corporels lorsque certains actes préparatoires ont eu lieu dans cet État. A cet égard, M. Mietz a, au cours de la procédure d'opposition, soutenu que la créancière avait fait de la publicité en vue de cette vente au cours d'une foire spécialisée organisée en Allemagne et que le contrat avait été conclu oralement au cours de cette foire. Le Bundesgerichtshof se demande toutefois s'il peut tenir compte de ce nouvel argument de M. Mietz, dans la mesure où l'article 28, deuxième alinéa, de la convention prohibe la révision au fond.

19 Si la Cour devait considérer que M. Mietz pouvait effectivement se prévaloir des règles de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs, le Bundesgerichtshof se demande si la juridiction d'origine n'aurait pas pu valablement y déroger en vertu de l'article 24 de la convention, les articles 13 et 14 de cette dernière ne faisant alors pas obstacle à la reconnaissance du jugement néerlandais.

20 Le Bundesgerichtshof a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'opération convenue par des cocontractants dans un document, qu'ils ont dénommé `contrat de vente', par lequel le premier s'est engagé à fabriquer un yacht à moteur comportant neuf modifications par rapport au modèle type et à en transférer la propriété à l'autre cocontractant contre paiement de 250 000 DM payables en cinq tranches est-elle une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels au sens de l'article 13, premier alinéa, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la `convention de Bruxelles')?

En cas de réponse négative à la première question:

2) Le contrat décrit dans la première question est-il un contrat ayant pour objet une fourniture d'objets mobiliers corporels au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention de Bruxelles?

3) Faut-il, conformément aux dispositions combinées de l'article 34, deuxième alinéa, et de l'article 28, deuxième alinéa, de la convention de Bruxelles, tenir compte également de faits nouveaux que le débiteur allègue pour démontrer que la juridiction de l'État d'origine a violé les dispositions de la section 4 du titre II de la convention de Bruxelles?

En cas de réponse affirmative à la première question ou à la deuxième et à la troisième question:

4) Un jugement ordonnant le paiement d'une contre-prestation contractuelle, obtenu en référé conformément aux articles 289 à 297 du Code de procédure civile néerlandais, est-il une mesure provisoire au sens de l'article 24 de la convention de Bruxelles?"

21 Il y a lieu de répondre tout d'abord aux première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, puis à la quatrième question et enfin à la troisième question.

Sur les première et deuxième questions

22 Afin de préciser la portée des première et deuxième questions, il convient de rappeler que le litige au principal concerne un contrat conclu entre deux parties, qualifié par ces dernières de "contrat de vente", portant sur la construction d'un yacht conforme à un modèle type, auquel, cependant, certaines modifications ont été apportées. Le premier cocontractant s'est engagé à fabriquer le yacht et à en transférer la propriété à l'autre cocontractant, lequel s'est engagé, en contrepartie, à en payer le prix moyennant cinq versements. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que le dernier versement devait être effectué à l'occasion du voyage d'essai, c'est-à-dire avant que la possession du yacht ne soit définitivement transférée au second cocontractant.

23 Eu égard à certaines observations concernant l'assimilation éventuelle d'un bateau enregistré à un bien immobilier, il convient de préciser qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi que, indépendamment de la question de savoir si le contrat litigieux doit être considéré comme étant un contrat de fourniture de services ou d'un objet mobilier corporel, le yacht en cause au principal doit être, en tout état de cause, qualifié d'objet mobilier corporel au sens de la convention.

24 C'est dans ce contexte que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la notion de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels, au sens de l'article 13, premier alinéa, point 1, de la convention, doit être comprise comme s'étendant à un contrat:

- portant sur la fabrication par le premier cocontractant d'un objet mobilier corporel conforme à un modèle type, auquel certaines modifications ont été apportées,

- par lequel le premier cocontractant s'est engagé à transférer la propriété dudit objet à l'autre cocontractant qui s'est engagé, en contrepartie, à en payer le prix moyennant plusieurs versements, et

- dans lequel il est prévu que le dernier versement sera effectué avant que la possession dudit objet ne soit définitivement transférée au second cocontractant.

En cas de réponse négative, la juridiction de renvoi demande, par sa deuxième question, si un tel contrat doit être qualifié de fourniture d'objets mobiliers corporels au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention.

25 Il importe de souligner que la Cour n'est pas appelée à se prononcer sur la question de savoir si une personne dans la situation de M. Mietz remplit les autres conditions énumérées à l'article 13 de la convention pour être qualifiée de consommateur au sens de cette disposition.

26 Selon une jurisprudence constante, les notions décrites aux articles 13 et 14 de la convention doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de la convention (voir, notamment, arrêts du 21 juin 1978, Bertrand, 150-77, Rec. p. 1431, points 14 à 16 et 19; du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton, C-89-91, Rec. p. I-139, point 13, et du 3 juillet 1997, Benincasa, C-269-95, Rec. p. I-3767, point 12).

27 En outre, les règles de compétence dérogatoires à la règle générale en matière de compétence, telles que celles figurant aux articles 13 et 14, ne sauraient donner lieu à une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées par la convention (voir arrêts précités Bertrand, point 17; Shearson Lehman Hutton, points 14 à 16, et Benincasa, points 13 et 14).

28 La Cour a constaté, au point 20 de l'arrêt Bertrand, précité, que la notion de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels s'entend comme étant une transaction dans laquelle le prix s'acquitte en plusieurs versements ou qui est liée à un contrat de financement.

29 Il est vrai qu'un contrat tel que celui décrit au point 22 du présent arrêt est une transaction dans laquelle le prix convenu s'acquitte en plusieurs versements, en sorte qu'un tel contrat est susceptible d'être qualifié de contrat de vente, le transfert de possession et de propriété n'intervenant qu'après paiement de la totalité du prix convenu.

30 Toutefois, un tel contrat ne saurait être qualifié de "vente à tempérament" au sens de l'article 13, premier alinéa, point 1, de la convention.

31 En effet, il ressort des termes de la convention, et notamment de l'expression "instalment credit terms" figurant dans la version anglaise, que l'article 13, premier alinéa, point 1, vise uniquement la protection de l'acheteur lorsque le vendeur lui a octroyé un crédit, c'est-à-dire qu'il a transféré à l'acquéreur la possession du bien concerné avant que celui-ci n'ait payé la totalité du prix. Dans un tel cas, d'une part, au moment de la conclusion du contrat, l'acheteur peut être induit en erreur quant au montant réel de la somme dont il est redevable et, d'autre part, il assumera le risque de perte dudit bien tout en étant tenu de s'acquitter des versements restant à payer. De telles considérations ne s'appliquent pas, en revanche, aux cas dans lesquels le prix doit être intégralement payé avant que le transfert de possession ne s'effectue. En effet, lorsque la totalité du prix est exigible avant le transfert de possession du bien, la protection spéciale visée à l'article 13, premier alinéa, de la convention ne saurait bénéficier à l'acheteur au seul motif qu'il lui a été accordé de pouvoir s'acquitter du prix en plusieurs versements.

32 En revanche, s'agissant de la deuxième question, il y a lieu de souligner que la juridiction de renvoi n'interroge la Cour que sur la question de savoir si un contrat tel que celui au principal est à qualifier de contrat de fourniture d'un objet mobilier corporel au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention. Il ne peut y avoir de doutes qu'un tel contrat devrait être qualifié de contrat ayant pour objet la fourniture soit de services, soit d'un objet mobilier corporel. Or, il n'est pas nécessaire, aux fins du présent arrêt, de décider s'il s'agit, concrètement, d'une fourniture de services ou d'une fourniture d'un objet mobilier corporel.

33 Il y a donc lieu de répondre aux première et deuxième questions que l'article 13, premier alinéa, point 1, de la convention doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à un contrat entre deux parties ayant les caractéristiques suivantes, à savoir un contrat:

- portant sur la fabrication par le premier cocontractant d'un objet mobilier corporel conforme à un modèle type, auquel certaines modifications ont été apportées,

- par lequel le premier cocontractant s'est engagé à transférer la propriété dudit objet à l'autre cocontractant qui s'est engagé, en contrepartie, à en payer le prix moyennant plusieurs versements, et

- dans lequel il est prévu que le dernier versement sera effectué avant que la possession dudit objet ne soit définitivement transférée au second cocontractant.

Il est, à cet égard, indifférent que les cocontractants aient qualifié leur contrat de "contrat de vente". En revanche, un contrat ayant les caractéristiques précédemment mentionnées doit être qualifié de contrat ayant pour objet la fourniture de services ou la fourniture d'un objet mobilier corporel au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention. Il appartient, le cas échéant, au juge national de déterminer s'il s'agit, concrètement, d'une fourniture de services ou d'une fourniture d'un objet mobilier corporel.

Sur la quatrième question

34 Il y a lieu de préciser, à titre liminaire, que les articles 289 à 297 du Code de procédure civile néerlandais (ci-après le "Code néerlandais") concernent une forme de procédure, dénommée "kort geding", qui permet au président de l'Arrondissementsrechtbank d'accorder des mesures exécutoires "dans toutes les affaires qui, compte tenu des intérêts des parties, requièrent une mesure immédiate en raison de l'urgence" (article 289, paragraphe 1).

35 Selon l'article 292 du Code néerlandais, "les décisions au provisoire ne préjudicient pas à l'affaire au principal". La kort geding peut être engagée sans qu'il soit nécessaire d'introduire une procédure au fond devant le tribunal compétent. Toutefois, le président de l'Arrondissementsrechtbank peut renvoyer les parties à la procédure ordinaire (article 291).

36 Pour exercer sa compétence au titre de la kort geding, le président de l'Arrondissementsrechtbank est tenu de respecter les règles de compétence prévues par le droit néerlandais.

37 Selon l'article 289 du Code néerlandais, la kort geding peut être engagée dans les plus brefs délais et, conformément à l'article 295, un appel doit, sous peine d'irrecevabilité, être interjeté dans un délai de deux semaines.

38 Dans ces conditions, il convient de constater que la kort geding est une procédure du type de celles visées à l'article 24 de la convention selon lequel une juridiction est autorisée, par la loi de son État, à ordonner des mesures provisoires ou conservatoires même si, en vertu de la convention, elle n'est pas compétente pour connaître du fond.

39 La quatrième question posée par la juridiction de renvoi doit donc être comprise comme visant à savoir si un jugement ordonnant le paiement d'une contre-prestation contractuelle, prononcé au terme d'une procédure telle que la kort geding, est une mesure provisoire susceptible d'être octroyée en vertu de la compétence prévue à l'article 24 de la convention.

40 Il importe de souligner qu'il n'est pas nécessaire que le juge saisi d'une demande visant à l'octroi de mesures provisoires ou conservatoires ait recours à l'article 24 de la convention lorsqu'il a, en tout état de cause, compétence pour connaître du fond d'une affaire conformément aux articles 2 et 5 à 18 de la convention (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 1998, Van Uden, C-391-95, non encore publié au Recueil, point 19).

41 A cet égard, la Cour a jugé dans l'arrêt Van Uden, précité, point 22, que la juridiction compétente pour connaître du fond d'une affaire en vertu d'un des chefs de compétence prévus à la convention reste également compétente pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, sans que cette dernière compétence soit subordonnée à d'autres conditions.

42 En revanche, s'agissant d'un jugement prononcé uniquement en vertu de la compétence prévue à l'article 24 de la convention et ordonnant le paiement par provision d'une contre-prestation contractuelle, la Cour a dit pour droit, dans l'arrêt Van Uden, précité, qu'un tel jugement ne constitue pas une mesure provisoire au sens de cette disposition à moins que, d'une part, le remboursement au défendeur de la somme allouée soit garanti dans l'hypothèse où le demandeur n'obtiendrait pas gain de cause au fond de l'affaire et, d'autre part, la mesure ordonnée ne porte que sur des avoirs déterminés du défendeur se situant, ou devant se situer, dans la sphère de la compétence territoriale du juge saisi.

43 Il convient donc de répondre à la quatrième question qu'un jugement ordonnant un paiement par provision d'une contre-prestation contractuelle, prononcé au terme d'une procédure telle que celle prévue aux articles 289 à 297 du Code néerlandais par une juridiction n'étant pas compétente en vertu de la convention pour connaître du fond de l'affaire, n'est pas une mesure provisoire susceptible d'être octroyée en vertu de l'article 24 de la convention à moins que, d'une part, le remboursement au défendeur de la somme allouée soit garanti dans l'hypothèse où le demandeur n'obtiendrait pas gain de cause au fond de l'affaire et, d'autre part, la mesure ordonnée ne porte que sur des avoirs déterminés du défendeur se situant, ou devant se situer, dans la sphère de la compétence territoriale du juge saisi.

Sur la troisième question

44 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si la juridiction requise peut, dans le cadre de la procédure d'exequatur prévue au titre III de la convention, tenir compte de faits nouveaux invoqués par une partie pour démontrer qu'un contrat, tel que celui décrit au point 22 du présent arrêt, remplit les conditions énumérées à l'article 13, premier alinéa, point 3, sous a) et b), de la convention.

45 Il y a lieu toutefois de relever que, même si M. Mietz était autorisé à démontrer qu'il aurait dû être qualifié de consommateur, au sens de l'article 13 de la convention, la juridiction d'origine aurait néanmoins pu être compétente pour ordonner des mesures provisoires.

46 En effet, l'article 24 de la convention prévoit expressément qu'un juge est compétent, en vertu de son droit national, pour faire droit à une demande visant à l'octroi de telles mesures, même s'il ne l'est pas pour connaître du fond. Cette compétence doit être exercée dans les limites prévues à l'article 24 de la convention en ce qui concerne, notamment, l'octroi de mesures ordonnant un paiement par provision, limites qui ne s'appliquent pas lorsque le juge est compétent pour connaître du fond de l'affaire (voir, en ce sens, arrêt Van Uden, précité, point 19).

47 Il importe toutefois de veiller à ce que l'exécution, dans l'État requis, des mesures provisoires ou conservatoires prétendument fondées sur la compétence prévue à l'article 24 de la convention, mais qui vont au-delà de cette compétence, n'aboutisse pas à contourner les règles de compétence du fond énoncées aux articles 2 et 5 à 18 de la convention (voir, en ce sens, arrêt Van Uden, précité, point 46).

48 Il y a lieu ensuite de relever que, si, dans l'affaire au principal, la juridiction d'origine n'a ordonné qu'une seule mesure - à savoir un paiement par provision -, il se peut que, dans d'autres situations, le juge d'origine ordonne plusieurs mesures dont certaines devraient être qualifiées de mesures provisoires ou conservatoires au sens de l'article 24 de la convention, alors que d'autres iraient au-delà des limites prévues à cette disposition.

49 La question qui se pose pour le juge requis ne concerne donc pas la compétence, en tant que telle, du juge d'origine, mais plutôt les limites qui s'imposent à la possibilité de demander l'exequatur d'une décision rendue dans l'exercice de la compétence reconnue par l'article 24. En effet, cette compétence constitue, dans le cadre de la convention, un régime spécial (voir, à cet égard, arrêts du 21 mai 1980, Denilauler, 125-79, Rec. p. 1553, point 15, et Van Uden, précité, point 42).

50 Il y a lieu enfin de souligner qu'il ne s'agit, dans l'affaire au principal, ni d'un cas dans lequel la juridiction d'origine a expressément motivé sa compétence pour ordonner un paiement par provision en invoquant sa compétence, en vertu de la convention, pour connaître du fond de l'affaire ni d'un cas dans lequel une telle compétence ressort, de toute évidence, des termes même de sa décision, comme ce serait notamment le cas s'il ressortait clairement de ces derniers que le défendeur était domicilié sur le territoire de l'État contractant de la juridiction d'origine et qu'aucune des compétences exclusives prévues à l'article 16 de la convention n'était applicable.

51 Dans ces hypothèses, seules les dispositions de l'article 27 et, le cas échéant, de l'article 28, premier alinéa, de la convention seraient susceptibles de faire obstacle à la reconnaissance et à l'exequatur de la décision du juge d'origine.

52 Il importe néanmoins d'observer, dans ce contexte, que, contrairement à ce qu'ont indiqué le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission, le fait que le défendeur comparaisse devant le juge des référés dans le cadre d'une procédure expéditive, destinée à l'octroi de mesures provisoires ou conservatoires en cas d'urgence et qui ne préjudicie pas à l'examen de l'affaire au fond, ne saurait, en soi, suffire à conférer à ce juge, en vertu de l'article 18 de la convention, une compétence illimitée pour ordonner toute mesure provisoire ou conservatoire qu'il considérerait appropriée comme s'il était compétent, en vertu de la convention, pour connaître du fond.

53 A la différence des hypothèses ci-dessus évoquées, le jugement néerlandais, dont l'exequatur est demandé dans l'affaire au principal, se caractérise par les éléments suivants:

- il a été prononcé à l'issue d'une procédure qui n'est pas, par sa nature même, une procédure au fond, mais une procédure d'urgence destinée à l'octroi de mesures provisoires,

- le défendeur n'était pas domicilié sur le territoire de l'État contractant dont relève la juridiction d'origine et il ne ressort pas du jugement néerlandais que, pour d'autres raisons, cette juridiction était compétente, en vertu de la convention, pour connaître du fond de l'affaire,

- il ne contient aucune motivation destinée à établir la compétence de la juridiction d'origine pour connaître du fond de l'affaire

et

- il se limite à ordonner le paiement d'une contre-prestation contractuelle, sans pour autant que, d'une part, le remboursement au défendeur de la somme allouée soit garanti dans l'hypothèse où le demandeur n'obtiendrait pas gain de cause au fond de l'affaire et, d'autre part, la mesure ordonnée ne porte que sur des avoirs déterminés du défendeur se situant, ou devant se situer, dans la sphère de la compétence territoriale du juge saisi.

54 Or, il résulte de la réponse apportée à la quatrième question préjudicielle que, si la juridiction d'origine avait expressément indiqué dans sa décision avoir fondé sa compétence sur son droit national en combinaison avec l'article 24 de la convention, le juge requis aurait dû conclure que la mesure ordonnée - à savoir un paiement par provision inconditionnel - n'était pas une mesure provisoire ou conservatoire au sens de cet article, et qu'elle n'était donc pas susceptible de faire l'objet d'un exequatur en vertu du titre III de la convention.

55 S'agissant donc du silence de la juridiction d'origine en ce qui concerne le fondement de sa compétence, le souci de ne pas voir contournées les règles de la convention (voir, à cet égard, le point 47 du présent arrêt) impose que sa décision doit être comprise en se sens qu'il a fondé sa compétence pour ordonner des mesures provisoires sur son droit national relatif aux référés et non pas sur une compétence pour connaître du fond tirée de la convention.

56 Il s'ensuit que, dans un cas caractérisé par les éléments résumés au point 53 du présent arrêt, le juge requis devrait conclure que la mesure ordonnée n'est pas une mesure provisoire au sens de l'article 24, de sorte qu'elle ne serait pas susceptible de faire l'objet d'un exequatur en vertu du titre III de la convention.

57 Partant, il ne serait pas nécessaire que le juge requis examine la question de savoir si, et dans quelles conditions, il pourrait tenir compte de faits nouveaux aux fins de l'application éventuelle de l'article 28, deuxième alinéa, de la convention.

58 Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas nécessaire que la Cour réponde à la troisième question posée.

Sur les dépens

59 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 29 février 1996, dit pour droit:

60 L'article 13, premier alinéa, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à un contrat entre deux parties ayant les caractéristiques suivantes, à savoir un contrat:

- portant sur la fabrication par le premier cocontractant d'un objet mobilier corporel conforme à un modèle type, auquel certaines modifications ont été apportées,

- par lequel le premier cocontractant s'est engagé à transférer la propriété dudit objet à l'autre cocontractant qui s'est engagé, en contrepartie, à en payer le prix moyennant plusieurs versements, et

- dans lequel il est prévu que le dernier versement sera effectué avant que la possession dudit objet ne soit définitivement transférée au second cocontractant.

Il est, à cet égard, indifférent que les cocontractants aient qualifié leur contrat de "contrat de vente". En revanche, un contrat ayant les caractéristiques précédemment mentionnées doit être qualifié de contrat ayant pour objet la fourniture de services ou la fourniture d'un objet mobilier corporel au sens de l'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention du 27 septembre 1968. Il appartient, le cas échéant, au juge national de déterminer s'il s'agit, concrètement, d'une fourniture de services ou d'une fourniture d'un objet mobilier corporel.

61 Un jugement ordonnant un paiement par provision d'une contre-prestation contractuelle, prononcé au terme d'une procédure telle que celle prévue aux articles 289 à 297 du Code de procédure civile néerlandais par une juridiction n'étant pas compétente en vertu de la convention du 27 septembre 1968 pour connaître du fond de l'affaire, n'est pas une mesure provisoire susceptible d'être octroyée en vertu de l'article 24 de ladite convention à moins que, d'une part, le remboursement au défendeur de la somme allouée soit garanti dans l'hypothèse où le demandeur n'obtiendrait pas gain de cause au fond de l'affaire et, d'autre part, la mesure ordonnée ne porte que sur des avoirs déterminés du défendeur se situant, ou devant se situer, dans la sphère de la compétence territoriale du juge saisi.