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Décisions

CJCE, 6e ch., 20 février 1997, n° C-106/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mainschiffahrts-Genossenschaft eG

Défendeur :

Les Gravières Rhénanes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Murray

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Kakouris, Kapteyn, Hirsch, Ragnemalm

Avocats :

Mes Thor von Waldstein, Fink von Waldstein, Hans-Juergen Rabe

CJCE n° C-106/95

20 février 1997

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 6 mars 1995, parvenue à la Cour le 31 mars suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77, ci-après la "convention"), deux questions sur l'interprétation des articles 5, point 1, et 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de cette convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la coopérative de transport fluvial Mainschiffahrts-Genossenschaft eG (MSG) (ci-après "MSG"), dont le siège est à Wuerzburg (Allemagne), aux Gravières Rhénanes SARL (ci-après les "Gravières Rhénanes"), dont le siège est en France, au sujet de la réparation des dommages causés à un bâtiment de navigation fluviale, dont MSG est propriétaire et qu'elle avait loué aux Gravières Rhénanes par contrat d'affrètement à temps conclu verbalement entre les parties.

3 Il ressort du dossier de l'affaire au principal que ce bateau a fait la navette sur le Rhin entre le 1er juin 1989 et le 10 février 1991, essentiellement pour transporter des chargements de gravier. Mis à part certaines exceptions, les lieux de chargement étaient tous situés en France, tandis que les lieux de déchargement étaient toujours en France. Selon MSG, les appareils de manutention utilisés par les Gravières Rhénanes pour le déchargement des marchandises ont endommagé son bateau. Le litige au principal porte sur un montant de 197 284 DM, soit précisément la différence entre la somme versée par l'assureur des Gravières Rhénanes et celle réclamée par MSG.

4 MSG a introduit un recours devant le Schiffahrtsgericht Wuerzburg, estimant que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention lui permettait de saisir cette juridiction, du fait que le lieu de son siège, à savoir Wuerzburg, avait été valablement désigné par les parties comme lieu d'exécution et lieu du for.

5 L'article 17, premier alinéa, première et deuxième phrases, de la convention dispose:

"Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État contractant, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents. Cette convention attributive de juridiction doit être conclue soit par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit, dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître."

6 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, à l'issue des négociations contractuelles, MSG avait envoyé aux Gravières Rhénanes une lettre de confirmation commerciale dans laquelle était insérée la mention préimprimée suivante:

"Le lieu d'exécution et celui du for auquel toute compétence est attribuée est Wuerzburg".

Par ailleurs, les factures établies par MSG mentionnaient également, directement et par référence aux conditions de connaissement, ce for. Gravières Rhénanes n'a pas contesté la lettre de confirmation commerciale et a réglé l'ensemble des factures sans émettre de réserve. Le Schiffahrtsgericht Wuerzburg a déclaré le recours recevable.

7 Saisi en appel par les Gravières Rhénanes, l'Oberlandesgericht Nuernberg a rejeté le recours comme irrecevable, considérant qu'il n'y avait pas de compétence internationale. MSG a, dès lors, introduit un pourvoi en "Revision" devant le Bundesgerichtshof.

8 Ce dernier a constaté que, de prime abord, la compétence des juridictions françaises était confirmée tant par la règle générale de l'article 2, premier alinéa, de la convention (lieu du domicile de la défenderesse), que par l'article 5, point 3 (lieu où le fait dommageable s'est produit), ainsi que par l'article 5, point 1 (lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée). En effet, les obligations contractuelles nées du contrat de transport devaient être exécutées en France et MSG avait l'obligation de présenter le bateau au siège des Gravières Rhénanes, qui est en France. Selon le Bundesgerichtshof, pour écarter la compétence des juridictions françaises en faveur de la compétence internationale des juridictions allemandes, deux possibilités existent en l'espèce.

9 En premier lieu, il serait envisageable de considérer Wuerzburg comme le lieu d'exécution, au sens de l'article 5, point 1, de la convention, du fait qu'il était indiqué comme tel par la convention verbale des parties. Le Bundesgerichtshof relève que, en l'occurrence, cette convention était "abstraite". Il qualifie d'abstraite une convention sur le lieu d'exécution lorsqu'elle vise non pas à fixer l'endroit où le débiteur devra fournir la prestation qui lui incombe, mais seulement à déterminer un for sans que les conditions de forme énoncées par l'article 17 de la convention soient respectées. La seule finalité d'une telle convention serait donc de dissimuler une convention attributive de juridiction. En l'occurrence, les obligations contractuelles devraient en effet être de toute manière exécutées en France où se trouvait, dans la totalité des cas, le lieu de déchargement.

10 Le Bundesgerichtshof, tout en soulignant que, au regard du droit allemand applicable, la convention litigieuse sur le lieu d'exécution a été valablement conclue, exprime toutefois des doutes quant à la validité de telles conventions "abstraites" au regard de la convention dans la mesure où elles comportent un risque d'abus, c'est-à-dire un détournement des règles de forme de l'article 17 de cette dernière.

11 En second lieu, pour le cas où un accord "abstrait" sur le lieu d'exécution serait considéré comme invalide, le Bundesgerichtshof relève que la compétence des juridictions allemandes pourrait en l'occurrence résulter de l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention.

12 C'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Un accord verbal sur le lieu d'exécution (article 5 de la convention de 1968) doit-il être reconnu comme valide même lorsqu'il vise non pas à déterminer l'endroit où le débiteur devra exécuter la prestation qui lui incombe, mais exclusivement à établir un lieu du for déterminé sans être contraint par des exigences de forme (convention `abstraite' sur le lieu d'exécution)?

2) En cas de réponse négative à la première question:

a) Une convention attributive de juridiction conclue dans le commerce international, au sens de l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention de 1968, dans sa version applicable à partir de 1978, peut-elle être considérée comme valablement conclue du fait que l'une des parties n'a pas contesté la teneur d'une lettre commerciale de confirmation dans laquelle se trouvait insérée une mention préimprimée attribuant compétence exclusive aux tribunaux du lieu d'établissement de l'expéditeur, ou faut-il dans tous les cas un accord de volontés préalable sur la teneur de la lettre de confirmation?

b) Pour retenir l'existence d'une convention attributive de juridiction au sens de la disposition précitée, suffit-il que les factures envoyées par l'une des parties aient toutes contenu une mention relative à la compétence exclusive des tribunaux du lieu d'établissement du transporteur et une référence aux conditions - qui incluaient une clause identique - du connaissement appliquées par ce dernier, et que l'autre partie ait toujours payé ces factures sans soulever aucune contestation, ou faut-il là encore un accord de volontés préalable?"

Sur la seconde question

13 Par sa seconde question, qu'il convient d'examiner d'abord dans la mesure où elle concerne une compétence exclusive, la juridiction nationale demande en substance si, dans le cadre d'un contrat conclu verbalement, une convention attributive de juridiction peut, dans le commerce international, être considérée comme conclue dans la forme requise par l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention, du seul fait de l'absence de réaction de l'autre partie contractante à une lettre de confirmation commerciale que son cocontractant lui a envoyée, ou du paiement répété et sans contestation de factures, lorsque ces documents contiennent une mention préimprimée indiquant le lieu du for, ou s'il faut en tout état de cause un accord préalable de volontés des intéressés, seule la confirmation écrite de l'accord étant inutile.

14 Il convient de relever à cet égard que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les dispositions de l'article 17 de la convention, du fait qu'elles excluent tant la compétence déterminée par le principe général du for du défendeur consacré par l'article 2 que les compétences spéciales des articles 5 et 6, sont d'interprétation stricte quant aux conditions y fixées (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 1976, Estasis Salotti, 24-76, Rec. p. 1831, point 7, et Segoura, 25-76, Rec. p. 1851, point 6).

15 La Cour a par ailleurs jugé, concernant la formulation initiale de l'article 17, que, en subordonnant la validité d'une clause attributive de juridiction à l'existence d'une "convention" entre les parties, cette disposition impose au juge saisi l'obligation d'examiner, en premier lieu, si la clause qui lui attribue compétence a fait effectivement l'objet d'un consentement entre les parties, qui doit se manifester d'une manière claire et précise, et que les formes exigées par l'article 17 ont pour fonction d'assurer que le consentement soit effectivement établi (arrêts Estasis Salotti et Segoura, précités, respectivement points 7 et 6).

16 Toutefois, afin de tenir compte des usages particuliers et des exigences du commerce international, la convention d'adhésion du 9 octobre 1978, précitée, a introduit à l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, de la convention, un troisième cas de figure, qui prévoit, dans le commerce international, la conclusion valable d'une clause attributive de juridiction en une forme admise par les usages dans ce domaine que les parties connaissent ou sont censées connaître.

17 Cet assouplissement introduit à l'article 17 par la convention d'adhésion de 1978 ne signifie pourtant pas qu'un accord de volontés entre les parties sur une clause de prorogation de compétence ne devrait pas nécessairement exister, la réalité du consentement des intéressés étant toujours l'un des objectifs de cette disposition. En effet, il convient de protéger la partie contractante la plus faible en évitant que des clauses attributives de juridiction, insérées dans un contrat par une seule partie, ne passent inaperçues.

18 Considérer, toutefois, que l'assouplissement ainsi intervenu concerne uniquement les conditions de forme de l'article 17, par la simple suppression de la nécessité d'une forme écrite du consentement, reviendrait à méconnaître les exigences de non-formalisme, de simplicité et de rapidité dans le commerce international et à priver cette disposition d'une grande partie de son effet utile.

19 Ainsi, à la lumière de la modification apportée à l'article 17 par la convention d'adhésion de 1978, l'accord de volontés des parties contractantes sur une clause attributive de juridiction est présumé établi lorsqu'il existe à cet égard des usages commerciaux dans la branche considérée du commerce international, usages que ces mêmes parties connaissent ou sont censées connaître.

20 Il convient, dès lors, de considérer que l'absence de réaction et le silence d'une des parties contractantes à une lettre commerciale de confirmation, présentée par l'autre partie, dans laquelle se trouve insérée la mention préimprimée du lieu du for, ainsi que la circonstance qu'une des parties a réglé de manière répétée et sans aucune contestation des factures émises par l'autre partie et contenant une mention analogue, peuvent valoir consentement sur la clause attributive de juridiction litigieuse, si un tel comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel opèrent les parties en question et si ces dernières connaissent cet usage ou sont censées le connaître.

21 S'il incombe au juge national d'apprécier si le contrat en question entre dans le cadre du commerce international et de vérifier l'existence d'un usage dans la branche du commerce international dans laquelle les parties en cause opèrent ainsi que la connaissance effective ou présumée de cet usage par les parties, il appartient toutefois à la Cour de lui indiquer les éléments objectifs et nécessaires à une telle appréciation.

22 Il convient d'abord de considérer qu'un contrat conclu dans un domaine tel que celui de la navigation sur le Rhin entre deux sociétés établies dans des États contractants différents relève du commerce international.

23 Il y a lieu ensuite de relever que l'existence d'un usage ne doit pas être déterminée par référence à la loi d'un des États contractants. Par ailleurs, elle doit être constatée non pas par rapport au commerce international en général, mais dans la branche commerciale dans laquelle les parties contractantes exercent leur activité. Il y a usage dans la branche commerciale considérée lorsque, notamment, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type.

24 Enfin, la connaissance effective ou présumée d'un tel usage par les parties contractantes est établie lorsque, notamment, elles avaient auparavant noué des rapports commerciaux entre elles ou avec d'autres parties opérant dans le secteur considéré ou lorsque, dans celui-ci, un certain comportement est suffisamment connu, du fait qu'il est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d'un certain type de contrats, pour pouvoir être considéré comme une pratique consolidée.

25 Il convient donc de répondre à la seconde question que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention, tel que modifié par la convention d'adhésion du 9 octobre 1978, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat conclu verbalement dans le commerce international, une convention attributive de juridiction est censée être valablement conclue, au regard de cette disposition, du fait de l'absence de réaction de l'autre partie contractante à une lettre de confirmation commerciale que son cocontractant lui a envoyée, ou du paiement répété et sans contestation de factures, lorsque ces documents contiennent une mention préimprimée indiquant le lieu du for, si un tel comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel opèrent les parties en question et si ces dernières connaissent cet usage ou sont censées le connaître. Il appartient au juge national de vérifier l'existence d'un tel usage ainsi que la connaissance de celui-ci par les parties contractantes. Il existe un usage dans une branche du commerce international lorsque, notamment, un certain comportement est généralement suivi par les parties contractantes opérant dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type. La connaissance de cet usage de la part des parties contractantes est établie lorsque, notamment, elles avaient auparavant noué des rapports commerciaux entre elles ou avec d'autres parties opérant dans la branche commerciale en question ou lorsque, dans celle-ci, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d'un certain type de contrats, de sorte qu'il peut être considéré comme une pratique consolidée.

Sur la première question

26 La réponse à la première question s'impose pour le cas où le juge national parviendrait à la conclusion qu'il n'existe pas, en l'occurrence, un usage dans la branche commerciale considérée que les parties connaissaient ou étaient censées connaître et que, en conséquence, une clause attributive de juridiction n'a pas été valablement conclue.

27 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si un accord verbal sur le lieu d'exécution, qui vise non pas à déterminer l'endroit où le débiteur devra exécuter effectivement la prestation qui lui incombe, mais exclusivement à établir un lieu de for déterminé, est valide au regard de l'article 5, point 1, de la convention.

28 L'article 5, point 1, de la convention prévoit:

"Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée".

29 Conformément à la jurisprudence de la Cour, la compétence dérogatoire à la règle de compétence générale du for du défendeur a été introduite par cette disposition en considération de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître, en vue de l'organisation utile du procès (arrêt du 6 octobre 1976, Tessili, 12-76, Rec. p. 1473, point 13).

30 Par ailleurs, la Cour a également jugé que le lieu d'exécution d'une obligation contractuelle peut également être fixé par voie de convention entre les parties et que, si la loi applicable permet aux parties contractantes, aux conditions qu'elle détermine, de désigner le lieu d'exécution d'une obligation sans imposer aucune condition de forme particulière, la convention portant sur le lieu d'exécution de l'obligation suffit à ancrer au même lieu la compétence juridictionnelle au sens de l'article 5, point 1, de la convention (arrêt du 17 janvier 1980, Zelger, 56-79, Rec. p. 89, point 5).

31 Il convient toutefois de relever à cet égard que, si les parties sont libres de convenir d'un lieu d'exécution des obligations contractuelles différent de celui qui serait déterminé en vertu de la loi applicable au contrat, sans être tenues de respecter des conditions de forme particulières, elles ne sauraient pour autant, au regard du système établi par la convention, fixer, dans le seul but de déterminer un for compétent, un lieu d'exécution ne présentant aucun lien effectif avec la réalité du contrat et auquel les obligations découlant du contrat ne pourraient pas être exécutées suivant les termes de celui-ci.

32 Cette approche se fonde, en premier lieu, sur la lettre de l'article 5, point 1, de la convention qui attribue compétence au tribunal du lieu où l'obligation contractuelle qui sert de base à la demande "a été ou doit être exécutée". Cette disposition vise donc le lieu d'exécution effective de l'obligation comme critère de compétence en raison de son lien de rattachement direct avec le tribunal auquel elle attribue compétence.

33 En second lieu, il convient de considérer que la fixation d'un lieu d'exécution ne présentant aucun rapport effectif avec l'objet réel du contrat devient fictive et a comme seul objectif la détermination d'un lieu du for. Or, une telle convention attributive de juridiction est régie par l'article 17 de la convention et est ainsi soumise à des conditions de forme précises.

34 Ainsi, dans le cas d'une telle convention, non seulement il n'y aurait aucun lien de rattachement direct entre la contestation et le tribunal appelé à en connaître, mais il y aurait également détournement de l'article 17 qui, s'il introduit une compétence exclusive en faisant abstraction de tout élément objectif de connexité entre le rapport litigieux et le tribunal désigné (arrêt Zelger, précité, point 4), exige, précisément pour cette raison, que les conditions de forme strictes y énoncées soient respectées.

35 Il convient donc de répondre à la première question que la convention doit être interprétée en ce sens qu'un accord verbal sur le lieu d'exécution, qui vise non pas à déterminer l'endroit où le débiteur devra exécuter effectivement la prestation qui lui incombe, mais exclusivement à établir un lieu de for déterminé, n'est pas régi par l'article 5, point 1, de la convention, mais par l'article 17 de celle-ci et n'est valide que lorsque les conditions y énoncées sont respectées.

Sur les dépens

36 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et hellénique, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 6 mars 1995, dit pour droit:

1) L'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel que modifié par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat conclu verbalement dans le commerce international, une convention attributive de juridiction est censée être valablement conclue, au regard de cette disposition, du fait de l'absence de réaction de l'autre partie contractante à une lettre de confirmation commerciale que son cocontractant lui a envoyée, ou du paiement répété et sans contestation de factures, lorsque ces documents contiennent une mention préimprimée indiquant le lieu du for, si un tel comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel opèrent les parties en question et si ces dernières connaissent cet usage ou sont censées le connaître. Il appartient au juge national de vérifier l'existence d'un tel usage ainsi que la connaissance de celui-ci par les parties contractantes. Il existe un usage dans une branche du commerce international lorsque, notamment, un certain comportement est généralement suivi par les parties contractantes opérant dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type. La connaissance de cet usage de la part des parties contractantes est établie lorsque, notamment, elles avaient auparavant noué des rapports commerciaux entre elles ou avec d'autres parties opérant dans la branche commerciale en question ou lorsque, dans celle-ci, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d'un certain type de contrats, de sorte qu'il peut être considéré comme une pratique consolidée.

2) La convention du 27 septembre 1968 doit être interprétée en ce sens qu'un accord verbal sur le lieu d'exécution, qui vise non pas à déterminer l'endroit où le débiteur devra exécuter effectivement la prestation qui lui incombe, mais exclusivement à établir un lieu de for déterminé, n'est pas régi par l'article 5, point 1, de la convention, mais par l'article 17 de celle-ci et n'est valide que lorsque les conditions y énoncées sont respectées.