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Décisions

CJCE, 16 mars 1999, n° C-159/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Trasporti Castelletti Spedizioni Internazionali SpA

Défendeur :

Hugo Trumpy SpA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kapteyn, Jann

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Mancini, Gulmann, Murray, Edward, Ragnemalm, Sevón, Wathelet, Schintgen

Avocats :

Mes di Leo, Kielland, Sperati, Fiumara

CJCE n° C-159/97

16 mars 1999

LA COUR,

1 Par ordonnance du 24 octobre 1996, parvenue à la Cour le 25 avril 1997, la Corte suprema di cassazione a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, quatorze questions relatives à l'interprétation de l'article 17 de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77, ci-après la "convention").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant, au sujet de la réparation du dommage prétendument causé lors du déchargement de marchandises transportées sous divers connaissements d'Argentine en Italie, Trasporti Castelletti Spedizioni Internazionali SpA (ci-après "Castelletti"), ayant son siège à Milan (Italie), à laquelle ont été délivrées les marchandises, à Hugo Trumpy SpA (ci-après "Trumpy"), ayant son siège à Gênes (Italie), prise en sa qualité d'agent consignataire du navire et du transporteur Lauritzen Reefers A/S (ci-après "Lauritzen"), dont le siège est à Copenhague.

La convention

3 L'article 17, premier alinéa, première et deuxième phrases, de la convention dispose:

"Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État contractant, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents. Cette convention attributive de juridiction doit être conclue soit par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit, dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître."

4 Il convient de relever que cette rédaction a été modifiée, postérieurement aux faits à l'origine du litige au principal, par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1). L'article 17, premier alinéa, dispose désormais:

"Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État contractant, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents. Cette convention attributive de juridiction est conclue:

a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, soit

b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, soit

c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée."

Le litige au principal

5 Les marchandises qui sont à l'origine du litige au principal ont été embarquées par différents chargeurs argentins, sur la base de 22 connaissements émis à Buenos Aires le 14 mars 1987, à bord d'un navire exploité par Lauritzen, afin d'être transportées à Savone (Italie), où elles devaient être délivrées à Castelletti. A la suite de difficultés survenues lors du déchargement des marchandises, Castelletti a assigné Trumpy devant le Tribunale di Genova, en vue d'obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

6 Trumpy a excipé de l'incompétence de la juridiction saisie en se prévalant de la clause n_ 37 des connaissements, laquelle attribue compétence à la High Court of Justice, London.

7 Cette clause, rédigée en anglais comme l'ensemble des connaissements dans lesquels elle s'insère et en caractères réduits, mais lisibles, constitue la dernière mention figurant au verso du document imprimé. Elle est rédigée en ces termes: "The contract evidenced by this Bill of Lading shall be governed by English Law and any disputes thereunder shall be determined in England by the High Court of Justice in London according to English Law to the exclusion of the Courts of any other country" (le contrat attesté par le présent connaissement est régi par le droit anglais et tout litige survenant à l'occasion de son application sera soumis au Royaume-Uni à la compétence de la High Court of Justice à Londres qui statuera conformément au droit anglais, et ne pourra être porté devant aucune autre juridiction de quelque État que ce soit).

8 Au recto des connaissements figurent, notamment, un encadré destiné à être complété par des mentions relatives aux caractéristiques des marchandises chargées, ainsi qu'une mention, rédigée en caractères plus apparents que ceux utilisés dans le reste des clauses, renvoyant aux conditions inscrites au verso. Sous cette indication sont apposés la date et le lieu d'émission du connaissement, ainsi que la signature de l'agent local du transporteur; celle du chargeur initial figure en dessous des mentions relatives aux caractéristiques des marchandises chargées et au-dessus de la mention de renvoi.

9 Par jugement du 14 décembre 1989, le Tribunale di Genova a accueilli l'exception, estimant, au vu du connaissement produit devant lui, que la clause attributive de juridiction, bien que contenue dans un formulaire non signé par le chargeur, était valable au regard des usages du commerce international. Par arrêt du 7 décembre 1994, la Corte d'appello di Genova a confirmé ce jugement, mais en opérant une substitution de motifs. Après avoir examiné l'ensemble des connaissements, elle a en effet jugé que la signature apposée au recto par le chargeur entraînait l'acceptation par Castelletti de toutes les clauses, y compris de celles figurant au verso.

10 Castelletti s'est alors pourvue en cassation, en faisant valoir que la signature du chargeur initial n'avait pas pu emporter acceptation par celui-ci de toutes les clauses, mais seulement, ainsi qu'il ressortirait de sa localisation, de celles qui la précédaient, relatives aux caractéristiques des marchandises transportées.

11 La Corte suprema di cassazione a jugé que cette thèse méritait d'être accueillie et que la signature du chargeur initial ne pouvait se voir attribuer la valeur d'un consentement portant sur l'ensemble des clauses du connaissement. Excluant ainsi qu'une convention attributive de juridiction ait été conclue par écrit, ou même verbalement avec confirmation écrite, elle a estimé que la solution du litige nécessitait l'interprétation de l'article 17 de la convention, en ce qu'il prévoit qu'une convention attributive de juridiction peut être conclue, "dans le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce domaine et que les parties connaissent ou sont censées connaître".

12 C'est dans ces conditions que la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour:

"1) La première question à soumettre à la Cour de justice est la suivante.

La jurisprudence de la Cour de justice, en ce qui concerne le texte initial de l'article 17, a imposé - grâce aux conditions posées par cette règle pour qu'une clause attributive de compétence soit valable - l'exigence que le consentement effectif des parties à l'égard de la prorogation de compétence soit établi et protégé, et cela également dans le cas où la validité de la clause est reconnue, lorsque le connaissement dans lequel elle figure a été émis dans le cadre de rapports commerciaux courants entre les parties; selon cette même jurisprudence, il doit ainsi être prouvé que ces rapports sont régis par des conditions générales (prévues par l'un des contractants, à savoir par le transporteur) comportant cette clause (voir l'arrêt du 19 juin 1984, Tilly Russ/Nova, 71-83, Rec. p. 2417, qui cite les arrêts précédents qui insistent sur l'exigence, pour les parties, de manifester leur consentement d'une manière claire et précise).

Toutefois, eu égard à l'introduction, dans la nouvelle rédaction de l'article 17, d'un élément tel que l'usage, qui a un caractère `normatif' (et, comme tel, est sans lien avec la volonté des parties, tout au moins en ce qui concerne spécifiquement un contrat particulier), nous demandons à la Cour de justice si la condition relative à la connaissance (effective), ou à l'absence de connaissance due à une ignorance coupable et inexcusable, est suffisante pour renouveler constamment (dans chacun des rapports semblables à celui qui est ici en cause) la validité de la clause de prorogation de compétence. En d'autres termes, n'est-il plus nécessaire de se référer à la constatation de la volonté des parties, bien que l'article 17 emploie le mot `conclue', qui se réfère à l'expression d'une volonté, c'est-à-dire à des usages `commerciaux' (clauses d'usage)?

2) La deuxième question concerne la signification, sous différents aspects, de l'expression `forme admise'. Le premier de ces aspects a trait au mode d'expression de la clause, c'est-à-dire à la question de savoir si cette dernière doit nécessairement être contenue dans un acte écrit, signé par la partie qui l'a prévue, et qui a donc exprimé l'intention de s'en prévaloir, en assortissant par exemple la signature du connaissement d'une référence précise à une clause qui renvoie à la clause attributive de compétence exclusive, même lorsque l'autre partie (chargeur) n'a pas fait une semblable référence.

Le deuxième aspect de cette question consiste à établir s'il est nécessaire que la clause relative à la compétence soit individuellement mise en évidence, dans l'ensemble du texte du contrat, ou s'il est suffisant (et par conséquent sans importance aux fins de la validité de la clause) qu'elle soit insérée parmi de nombreuses autres clauses, destinées à régir tous les aspects et les effets du contrat de transport.

Le troisième aspect concerne la langue dans laquelle la clause est rédigée, c'est-à-dire la question de savoir si celle-ci doit avoir un rapport quelconque avec la nationalité des parties contractantes, ou bien s'il est suffisant qu'il s'agisse d'une langue communément employée dans le commerce international.

3) La troisième question concerne le fait de savoir si le juge désigné, en plus d'appartenir à un État contractant, doit avoir un rapport quelconque avec la nationalité et/ou le domicile des parties contractantes, ou avec le lieu de l'exécution et/ou de la conclusion du contrat, ou bien si la première condition énoncée est suffisante, sans qu'aucun autre lien matériel avec le rapport juridique en cause ne soit nécessaire.

4) La quatrième question concerne le processus de formation de l'usage, c'est-à-dire la question de savoir si la répétition constante de la clause dans les connaissements émis par les organisations professionnelles ou par un nombre important d'entreprises de transport maritime est suffisante ou bien s'il est nécessaire de prouver qu'en ne soulevant aucune objection et en n'émettant aucune réserve à l'encontre d'une telle répétition constante, les utilisateurs (professionnels ou non) de ces moyens de transport font preuve d'une adhésion tacite aux conditions énoncées par les autres parties, de sorte qu'il n'est plus possible de juger qu'un conflit existe entre ces deux catégories.

5) La cinquième question concerne les formes de publicité consacrées par la pratique. Ainsi, est-il nécessaire que le formulaire du connaissement dans lequel figure la clause de prorogation soit déposé dans un bureau quelconque (association professionnelle; chambre du commerce; bureaux portuaires, etc.) pour être consulté, ou doit-il être porté à la connaissance du public d'une autre manière?

6) La sixième question a trait au problème de la validité de la clause, dans le cas également où (en vertu des dispositions matérielles applicables devant le tribunal choisi) elle se traduit par une clause d'exonération ou de limitation de la responsabilité du transporteur.

7) La septième question porte sur la possibilité que le juge saisi (autre que celui qui a été désigné), aux fins d'apprécier la validité de la clause, puisse contrôler le bien-fondé de cette dernière, et donc l'objectif que poursuivait le transporteur en désignant un juge différent de celui qui aurait été compétent en vertu des critères ordinaires établis par la convention de Bruxelles ou par la lex fori.

8) La huitième question consiste à déterminer si le fait que de nombreux chargeurs et/ou endossataires de connaissements aient contesté la validité de la clause, au moyen d'actions introduites devant d'autres tribunaux que ceux qui étaient indiqués dans la clause même, est un indice montrant que l'insertion de cette clause dans des formulaires ne constitue pas un usage établi.

9) La neuvième question consiste à déterminer si l'usage doit être établi dans tous les pays de la Communauté européenne, ou si l'expression `commerce international' signifie qu'il est suffisant que l'usage s'établisse dans les pays qui, traditionnellement, occupent une position prédominante dans le commerce international.

10) La dixième question consiste à déterminer s'il est possible d'invoquer l'usage en cause pour déroger à des dispositions législatives obligatoires de certains États, telles que, en Italie, l'article 1341 du code civil qui, s'agissant des conditions générales du contrat établies par l'un des contractants, prévoit qu'elles ne produiront d'effets que si l'autre contractant en a connaissance ou est en mesure d'en avoir connaissance, et qui impose que les clauses qui établissent des limitations particulières ou des dérogations à la compétence de l'autorité judiciaire fassent l'objet d'une confirmation écrite.

11) La onzième question porte sur les conditions en présence desquelles l'insertion de la clause en cause dans un formulaire préétabli et qui n'a pas été signé par la partie étrangère à son établissement peut être considérée comme étant excessivement lourde pour cette dernière, voir abusive.

12) La douzième question concerne la vérification du fait que l'usage est connu ou est en mesure de l'être, eu égard non seulement à la condition exposée ci-dessus sous 5, mais eu égard également au connaissement tel qu'il se présente en pratique, c'est-à-dire sous la forme d'un document reproduisant sur son verso un grand nombre de clauses (voir ci-dessus, sous 2).

13) La treizième question porte sur l'identification du sujet qui est censé connaître ou être en mesure de connaître l'usage: doit-il s'agir du chargeur initial, même s'il n'est pas ressortissant d'un État contractant (tel que, en l'espèce, l'Argentine), ou bien est-il suffisant qu'il s'agisse de l'endossataire du connaissement, lequel est ressortissant d'un État contractant (en l'espèce, l'Italie)?

14) La quatorzième question a pour objet de savoir si l'expression `sont censées connaître' se réfère à la notion de bonne foi et d'honnêteté dans la formation d'un contrat donné, ou bien à la notion de diligence ordinaire, à savoir celle que l'on est en droit d'attendre eu égard à la nature de l'activité exercée, compte tenu de l'exigence voulant que chaque partie connaisse parfaitement la pratique courante du commerce international, au sens qui a été défini sous 9."

Sur les questions préjudicielles

13 A titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour a jugé dans l'arrêt du 14 décembre 1976, Estasis Salotti (24-76, Rec. p. 1831, point 9), que, si la simple impression, sur le verso d'un contrat établi sur le papier d'affaires de l'une des parties, d'une clause attributive de juridiction ne satisfait pas aux exigences de l'article 17, il en est autrement dans le cas où, dans le texte même du contrat signé par les deux parties, un renvoi exprès est fait à des conditions générales comportant une clause attributive de juridiction.

14 Il y a lieu également de rappeler que, compte tenu de la répartition des compétences dans le cadre de la procédure préjudicielle prévue par le protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention, il appartient à la seule juridiction nationale de définir l'objet des questions qu'elle entend poser à la Cour. En effet, selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (arrêts du 27 février 1997, Van den Boogaard, C-220-95, Rec. p. I-1147, point 16, et du 20 mars 1997, Farrell, C-295-95, Rec. p. I-1683, point 11).

15 Or, il ressort du libellé des questions posées que la juridiction de renvoi demande exclusivement à ce que soient précisés quatre éléments conditionnant la validité d'une clause attributive de juridiction conclue en une forme admise par les usages, troisième cas de figure de l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, de la convention, à savoir:

- le consentement des parties à la clause (première question);

- la notion d'usage du commerce international (neuvième, quatrième, cinquième et huitième questions);

- la notion de forme admise (deuxième, onzième et dixième questions); et

- la connaissance de l'usage par les parties (treizième, quatorzième et douzième questions).

16 Il apparaît également de ces questions que la juridiction de renvoi s'interroge sur l'existence, au regard de l'article 17 de la convention, d'éventuelles limitations quant au choix du tribunal désigné (troisième, septième et sixième questions).

Sur la première question relative au consentement des parties à la clause attributive de juridiction

17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 17 de la convention, dans sa rédaction issue de la convention d'adhésion du 9 octobre 1978, en tant qu'il se réfère à la notion d'"usages" tout en employant le terme "conclue", suppose nécessairement que soit constaté le consentement des parties à la clause attributive de juridiction.

18 A cet égard, il convient de rappeler que, dans sa formulation initiale, l'article 17 subordonnait la validité d'une clause attributive de juridiction à l'existence d'une convention écrite, ou d'une convention verbale confirmée par écrit, et que c'est afin de tenir compte des usages particuliers et des exigences du commerce international que la convention d'adhésion du 9 octobre 1978 a introduit, à l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, un troisième cas de figure, qui prévoit, dans le commerce international, la conclusion valable d'une clause attributive de juridiction en une forme admise par les usages dans ce domaine que les parties connaissent ou sont censées connaître (arrêt du 20 février 1997, MSG, C-106-95, Rec. p. I-911, point 16).

19 Dans l'arrêt MSG, précité, point 17, la Cour a jugé que, malgré l'assouplissement introduit à l'article 17, il demeure que la réalité du consentement des intéressés est toujours l'un des objectifs de cette disposition, justifié par le souci de protéger la partie contractante la plus faible en évitant que des clauses attributives de juridiction, insérées dans un contrat par une seule partie, ne passent inaperçues.

20 La Cour a toutefois ajouté que la modification apportée à l'article 17 permet de présumer établie l'existence de ce consentement lorsqu'il existe à cet égard des usages commerciaux dans la branche considérée du commerce international, usages que ces mêmes parties connaissent ou sont censées connaître (arrêt MSG, précité, points 19 et 20).

21 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention doit être interprété en ce sens que le consentement des parties contractantes à la clause attributive de juridiction est présumé exister lorsque leur comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel elles opèrent et dont elles ont ou sont censées avoir connaissance.

Sur les neuvième, quatrième, cinquième et huitième questions relatives à la notion d'usage du commerce international

22 Par ces questions, la juridiction de renvoi s'interroge en substance sur les pays dans lesquels doit être constatée l'existence d'un usage, sur le processus de formation de ce dernier, sur les formes de publicité dont il doit faire l'objet et sur les conséquences à déduire, quant à l'existence d'un usage dans ce domaine, d'actions contestant la validité de clauses attributives de juridiction insérées dans des connaissements.

23 Dans l'arrêt MSG, précité, point 21, la Cour a indiqué qu'il incombe au juge national, en premier lieu, d'apprécier si le contrat en question entre dans le cadre du commerce international et, en second lieu, de vérifier l'existence d'un usage dans la branche du commerce international dans laquelle les parties en cause opèrent.

24 S'agissant du premier point, il est constant que, dans l'affaire au principal, le contrat relève du commerce international.

25 S'agissant du second point, la Cour a précisé dans l'arrêt MSG, précité, point 23, que l'existence d'un usage ne doit pas être déterminée par référence à la loi d'un des États contractants et doit être constatée non pas par rapport au commerce international en général, mais dans la branche commerciale dans laquelle les parties contractantes exercent leur activité.

26 La Cour a également jugé dans l'arrêt MSG, précité, point 23, qu'il y a usage dans la branche commerciale considérée lorsque, notamment, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type.

27 Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire qu'un tel comportement soit établi dans des pays déterminés ni, en particulier, dans tous les États contractants. Le fait qu'une pratique soit généralement et régulièrement observée par les opérateurs des pays occupant une position prépondérante dans la branche du commerce international en cause peut constituer un indice facilitant la preuve de l'existence d'un usage. Le critère déterminant demeure toutefois de savoir si le comportement en cause est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans la branche du commerce international dans lequel opèrent les parties contractantes.

28 L'article 17 de la convention ne contenant aucune indication quant aux formes de publicité, il y a lieu de considérer, ainsi que l'a fait M. l'avocat général au point 152 de ses conclusions, que la publicité éventuelle qui pourrait être donnée auprès d'associations ou d'organismes spécialisés aux formulaires préimprimés dans lesquels figure une clause attributive de juridiction, tout en étant de nature à faciliter la preuve d'une pratique généralement et régulièrement suivie, ne saurait être requise pour établir l'existence d'un usage.

29 Un comportement réunissant les éléments constitutifs d'un usage ne perd pas sa qualité d'usage du fait qu'il fait l'objet de contestations devant les tribunaux, quelle que soit l'ampleur de ces contestations, tant qu'il continue néanmoins à être généralement et régulièrement suivi dans le secteur d'activité concerné pour le type de contrat en cause. Ainsi, le fait que de nombreux chargeurs et/ou endossataires de connaissements aient contesté la validité d'une clause attributive de juridiction en saisissant des tribunaux autres que ceux qui étaient désignés ne serait pas de nature à faire perdre sa qualité d'usage à l'insertion de cette clause dans ces documents, dès lors et aussi longtemps qu'il serait établi qu'elle correspond à une pratique généralement et régulièrement suivie.

30 Il y a donc lieu de répondre aux neuvième, quatrième, cinquième et huitième questions que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention doit être interprété de la façon suivante:

L'existence d'un usage, qui doit être constatée dans la branche commerciale dans laquelle les parties contractantes exercent leur activité, est établie lorsqu'un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type.

Il n'est pas nécessaire qu'un tel comportement soit établi dans des pays déterminés ni, en particulier, dans tous les États contractants.

Une forme de publicité précise ne peut être systématiquement requise.

La contestation devant les tribunaux d'un comportement constitutif d'un usage ne suffit pas pour lui faire perdre sa qualité d'usage.

Sur les deuxième, onzième et dixième questions relatives à la notion de forme admise

31 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi s'interroge sur les exigences concrètes que recouvre la notion de "forme admise", au sens de l'article 17 de la convention. Elle demande plus précisément si la clause attributive de juridiction doit nécessairement être contenue dans un acte écrit, portant la signature de la partie qui l'a prévue, signature elle-même assortie d'une référence à la clause, si cette dernière doit être mise en évidence par rapport aux autres clauses et si la langue dans laquelle elle est rédigée doit avoir un rapport avec la nationalité des parties.

32 Par sa onzième question, la juridiction de renvoi s'interroge sur les conditions en présence desquelles l'insertion de la clause en cause dans un formulaire préétabli, non signé par la partie étrangère à son établissement, peut être considérée comme étant excessivement lourde pour cette dernière, voire abusive.

33 Par sa dixième question, la juridiction de renvoi demande s'il peut être admis, dans le cadre de l'article 17 de la convention, que soit invoqué un usage qui dérogerait aux dispositions législatives obligatoires adoptées par certains États contractants quant à la forme des clauses attributives de compétence.

34 A cet égard, il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 24 juin 1981, Elefanten Schuh (150-80, Rec. p. 1671, point 25), la Cour a jugé que l'article 17 a pour objet de prévoir lui-même les conditions de forme que doivent réunir les clauses attributives de compétence, et ceci pour garantir la sécurité juridique et pour assurer le consentement des parties.

35 Il s'ensuit que la validité d'une clause attributive de juridiction ne peut être subordonnée au respect d'une condition particulière de forme que si cette condition se rattache aux exigences de l'article 17.

36 Il appartient donc au juge national de se référer aux usages commerciaux dans la branche considérée du commerce international pour déterminer si, dans l'affaire dont il est saisi, la présentation matérielle de la clause attributive de juridiction, en ce compris la langue dans laquelle elle est rédigée, et son insertion dans un formulaire préétabli non signé par la partie étrangère à son établissement sont conformes aux formes admises par ces usages.

37 Dans l'arrêt Elefanten Schuh, précité, point 26, la Cour a précisé que les États contractants n'ont pas la liberté de prescrire d'autres exigences de forme que celles prévues par la convention.

38 Dès lors, les usages auxquels l'article 17 fait référence ne sauraient être mis en échec par des dispositions législatives nationales qui exigeraient le respect de conditions de forme supplémentaires.

39 Il y a donc lieu de répondre aux deuxième, onzième et dixième questions que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention doit être interprété en ce sens que les exigences concrètes que recouvre la notion de "forme admise" doivent être appréciées exclusivement au regard des usages commerciaux de la branche considérée du commerce international, sans tenir compte des exigences particulières que pourraient prévoir des dispositions nationales.

Sur les treizième, quatorzième et douzième questions relatives à la connaissance par les parties de l'usage

40 Par ces questions, la juridiction de renvoi demande en substance, d'abord, quelle est la partie qui doit avoir connaissance de l'usage et si sa nationalité joue un rôle à cet égard, ensuite, quel degré de connaissance cette partie doit avoir dudit usage et, enfin, si une publicité doit être donnée et, le cas échéant, sous quelle forme aux formulaires préimprimés contenant des clauses attributives de juridiction.

41 Quant au premier aspect, la Cour a jugé dans l'arrêt Tilly Russ, précité, point 24, que, dans la mesure où la clause attributive de compétence insérée dans un connaissement est valide au sens de l'article 17 de la convention dans le rapport entre le chargeur et le transporteur, elle peut être invoquée à l'égard du tiers porteur du connaissement, dès lors que, en vertu du droit national applicable, le porteur du connaissement succède aux droits et obligations du chargeur.

42 La validité de la clause au regard de l'article 17 devant être appréciée dans les rapports entre les parties originaires, il s'ensuit que c'est dans le chef de ces mêmes parties que doit être appréciée la connaissance de l'usage, la nationalité des parties étant sans incidence aux fins de cet examen.

43 Quant au deuxième aspect, il ressort de l'arrêt MSG, précité, point 24, que la connaissance effective ou présumée d'un usage par les parties contractantes peut être établie, notamment, par la démonstration soit que les parties avaient auparavant noué des rapports commerciaux entre elles ou avec d'autres parties opérant dans le secteur considéré, soit que, dans ce secteur, un certain comportement est suffisamment connu, du fait qu'il est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d'un certain type de contrats, pour pouvoir être considéré comme une pratique consolidée.

44 Quant au troisième aspect, il y a lieu de considérer, eu égard au silence de la convention quant aux moyens de preuve susceptibles d'être avancés pour établir la connaissance d'un usage, que, si la publicité éventuellement donnée auprès d'associations ou d'organismes spécialisés aux formulaires préimprimés contenant des clauses attributives de juridiction est de nature à faciliter la preuve requise, elle ne saurait constituer un moyen indispensable à cet effet.

45 Il y a donc lieu de répondre aux treizième, quatorzième et douzième questions que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention doit être interprété en ce sens que la connaissance de l'usage doit être appréciée dans le chef des parties originaires à la convention attributive de juridiction, leur nationalité étant sans incidence à cet égard. Cette connaissance est établie, indépendamment de toute forme spécifique de publicité, lorsque, dans la branche commerciale dans laquelle opèrent les parties, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d'un certain type de contrats, de sorte qu'il peut être considéré comme une pratique consolidée.

Sur les troisième, septième et sixième questions relatives au choix du tribunal désigné

46 Par ces questions, la juridiction de renvoi s'interroge sur l'existence, au regard de l'article 17 de la convention, d'éventuelles limitations quant au choix du tribunal désigné. Elle demande s'il est nécessaire que les parties choisissent un tribunal ayant un lien quelconque avec l'affaire, si le juge saisi peut contrôler le bien-fondé de la clause ainsi que l'objectif poursuivi par la partie qui l'a insérée et si le fait que les dispositions matérielles applicables devant le tribunal choisi conduisent à un allégement de la responsabilité de cette partie est susceptible d'exercer une incidence sur la validité de la clause.

47 A cet égard, il y a lieu de rappeler que la convention ne concerne pas les règles de droit matériel (arrêt du 13 novembre 1979, Sanicentral, 25-79, Rec. p. 3423, point 5), mais a pour objectif la création de règles uniformes de compétence judiciaire internationale (arrêt du 3 juillet 1997, Benincasa, C-269-95, Rec. p. I-3767, point 25).

48 Ainsi que la Cour l'a relevé à plusieurs reprises, il est conforme à l'esprit de sécurité qui constitue l'un des buts de la convention que le juge national saisi puisse aisément se prononcer sur sa propre compétence sur la base des règles de la convention, sans être contraint de procéder à un examen de l'affaire au fond (arrêts du 22 mars 1983, Peters, 34-82, Rec. p. 987, point 17; du 29 juin 1994, Custom Made Commercial, C-288-92, Rec. p. I-2913, point 20, et Benincasa, précité, point 27). Dans l'arrêt Benincasa, précité, points 28 et 29, la Cour a précisé que ce souci de garantir la sécurité juridique par la possibilité de prévoir avec certitude le for compétent a été interprété, dans le cadre de l'article 17 de la convention, par la fixation de conditions de forme strictes, cette disposition ayant pour objectif de désigner, de manière claire et précise, une juridiction d'un État contractant qui soit exclusivement compétente conformément à l'accord de volontés des parties.

49 Il s'ensuit que le choix du tribunal désigné ne saurait être apprécié qu'au regard de considérations qui se rattachent aux exigences établies par l'article 17.

50 C'est pour ces motifs que la Cour a déjà jugé à plusieurs reprises que l'article 17 de la convention fait abstraction de tout élément objectif de connexité entre le rapport litigieux et le tribunal désigné (arrêts du 17 janvier 1980, Zelger, 56-79, Rec. p. 89, point 4; MSG, précité, point 34, et Benincasa, précité, point 28).

51 Pour les mêmes raisons, dans une situation comme celle de l'espèce au principal, il y a lieu d'exclure un contrôle supplémentaire du bien-fondé de la clause et de l'objectif poursuivi par la partie qui l'a insérée, et il ne saurait être reconnu une incidence, au regard de la validité de ladite clause, des règles matérielles de responsabilité applicables devant le tribunal choisi.

52 Il y a lieu par conséquent de répondre aux troisième, septième et sixième questions que l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention doit être interprété en ce sens que le choix du tribunal désigné dans une clause attributive de juridiction ne peut être apprécié qu'au regard de considérations qui se rattachent aux exigences établies par l'article 17 de la convention. Des considérations relatives aux liens entre le tribunal désigné et le rapport litigieux, au bien-fondé de la clause et aux règles matérielles de responsabilité applicables devant le tribunal choisi sont étrangères à ces exigences.

Sur les dépens

53 Les frais exposés par les Gouvernements italien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Corte suprema di cassazione, par ordonnance du 24 octobre 1996, dit pour droit:

L'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième cas de figure, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, doit être interprété de la façon suivante:

1) Le consentement des parties contractantes à la clause attributive de juridiction est présumé exister lorsque leur comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel elles opèrent et dont elles ont ou sont censées avoir connaissance.

2) L'existence d'un usage, qui doit être constatée dans la branche commerciale dans laquelle les parties contractantes exercent leur activité, est établie lorsqu'un certain comportement est généralement et régulièrement suivi par les opérateurs dans cette branche lors de la conclusion de contrats d'un certain type.

Il n'est pas nécessaire qu'un tel comportement soit établi dans des pays déterminés ni, en particulier, dans tous les États contractants.

Une forme de publicité précise ne peut être systématiquement requise.

La contestation devant les tribunaux d'un comportement constitutif d'un usage ne suffit pas pour lui faire perdre sa qualité d'usage.

3) Les exigences concrètes que recouvre la notion de "forme admise" doivent être appréciées exclusivement au regard des usages commerciaux de la branche considérée du commerce international, sans tenir compte des exigences particulières que pourraient prévoir des dispositions nationales.

4) La connaissance de l'usage doit être appréciée dans de chef des parties originaires à la convention attributive de juridiction, leur nationalité étant sans incidence à cet égard. Cette connaissance est établie, indépendamment de toute forme spécifique de publicité, lorsque, dans la branche commerciale dans laquelle opèrent les parties, un certain comportement est généralement et régulièrement suivi lors de la conclusion d'un certain type de contrats, de sorte qu'il peut être considéré comme une pratique consolidée.

5) Le choix du tribunal désigné dans une clause attributive de juridiction ne peut être apprécié qu'au regard de considérations qui se rattachent aux exigences établies par l'article 17 de la convention du 27 septembre 1968. Des considérations relatives aux liens entre le tribunal désigné et le rapport litigieux, au bien-fondé de la clause et aux règles matérielles de responsabilité applicables devant le tribunal choisi sont étrangères à ces exigences.