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Décisions

CJCE, 27 mars 1979, n° 143-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

De Cavel

Défendeur :

De Cavel

CJCE n° 143-78

27 mars 1979

LA COUR,

1 Attendu que, par ordonnance du 22 mai 1978, parvenue à la Cour le 19 juin suivant , le Bundesgerichtshof a saisi la Cour de justice, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), d'une question relative à l'interprétation de l'article 1, alinéa 2, chiffre 1, de cette convention, excluant du champ d'application de celle-ci l'état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions ;

2 Que cette question a été posée dans le cadre d'un litige relatif à l'exécution, en République fédérale d'Allemagne, d'une ordonnance rendue le 19 janvier 1977 par le juge aux affaires matrimoniales près le Tribunal de grande instance de Paris, autorisant à titre de mesure conservatoire au cours d'une procédure en divorce entre les parties au principal l'apposition de scellés sur des meubles, effets et objets se trouvant dans l'appartement dédites parties à Francfort-sur-le-Main et la saisie de biens et comptes de la défenderesse au principal dans deux établissements bancaires de la même ville ;

Que, se fondant sur l'article 31 de la convention, l'époux, demandeur en divorce, au profit de qui avait été rendue l'autorisation de saisie, a présenté requête au président du Landgericht de Francfort-sur-le-Main en vue de voir revêtir de la formule exécutoire l'ordonnance du juge français, mais que cette requête a été rejetée, parce que le demandeur n'avait pas présenté les documents visés à l'article 47 de la convention ;

Que, saisi en degré d'appel, l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main a, lui aussi, rejeté la demande, motif pris de ce que les mesures de sauvegarde pour lesquelles l'exequatur était demandé se situaient dans le cadre d'une procédure en divorce et seraient, dès lors, en vertu de l'article 1, alinéa 2, chiffre 1, de la convention, exclues du champ d'application de celle-ci ;

3 Que, saisi à son tour, le Bundesgerichtshof a posé à la Cour la question suivante : 'la convention communautaire concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 27 septembre 1968, est-elle inapplicable à l'apposition de scellés et la saisie de biens ordonnées à l'endroit de la défenderesse en divorce par le juge aux affaires matrimoniales à l'occasion d'une procédure en divorce pendante devant un tribunal français parce qu'il s'agit d'une procédure accessoire (Nebenverfahren) à une procédure judiciaire relative à l'état des personnes ou aux régimes matrimoniaux (article 1, alinéa 2, chiffre 1, de la convention) ?' ;

4 Que, selon la Commission et le demandeur au principal, il devrait être répondu que les procédures visées rentrent dans le champ d'application de la convention, tandis que les gouvernements du Royaume-Uni et de la République fédérale d'Allemagne, ainsi que la défenderesse au principal, proposent de répondre que la convention est inapplicable ;

5 Qu'il apparait du dossier que les points en litige devant les juridictions allemandes concernent, d'une part, le lien entre les mesures ordonnées par le juge français aux affaires matrimoniales et la procédure de divorce et, d'autre part, la question de l'applicabilité éventuelle de la convention en raison du caractère patrimonial des mesures conservatoires en question ;

6 Attendu que le champ d'application de la convention s'étend, aux termes de l'article 1, à 'la matière civile et commerciale' ;

Que cependant, en raison de la spécificité de certaines matières dont 'l'etat et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions', les litiges relatifs à ces matières, ont été exclus de ce champ d'application ;

7 Attendu que le règlement provisoire des rapports juridiques patrimoniaux entre époux, lorsqu'il s'impose au cours d'une instance en divorce, est étroitement lié aux causes du divorce, à la situation personnelle des époux ou des enfants nés du mariage et est, à ce titre, inséparable des questions d'état des personnes soulevées par la dissolution du lien conjugal ainsi que de la liquidation du régime matrimonial ;

Qu'il s'ensuit que la notion 'régimes matrimoniaux' comprend non seulement les régimes de biens spécifiquement et exclusivement conçus par certaines législations nationales en vue du mariage, mais également tous les rapports patrimoniaux résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci ;

Que des litiges portant sur les biens des époux au cours d'une instance en divorce peuvent, dès lors, suivant le cas concerner, ou se trouver étroitement liés à : 1) soit des questions relatives à l'état des personnes ; 2) soit des rapports juridiques patrimoniaux entre époux résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci ; 3) soit encore des relations juridiques patrimoniales existant entre eux, mais sans rapport avec le mariage ;

Que si les litiges de la dernière catégorie rentrent dans le champ d'application de la convention, ceux relatifs aux deux premières doivent en être exclus ;

8 Attendu que les considérations qui précèdent valent tant pour les mesures provisoires relatives aux biens des époux que pour celles ayant un caractère définitif ;

Que des mesures provisoires de sauvegarde relatives à des biens - telles des appositions de scellés ou des saisies - étant aptes à sauvegarder des droits de nature fort variée, leur appartenance au champ d'application de la convention est déterminée, non par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde ;

9 Attendu par ailleurs que la convention ne fournit aucune base juridique permettant de distinguer, quant à son champ d'application matériel, entre mesures provisoires et définitives ;

Que cette conclusion n'est pas affectée par l'article 24 de la convention selon lequel : 'les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un état contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet état, même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre état contractant est compétente pour connaitre du fond' ;

Qu'en effet, cette disposition vise expressément le cas de mesures provisoires dans un état contractant lorsque la juridiction d'un autre état contractant est 'en vertu de la présente convention' compétente pour connaitre du fond et qu'elle ne saurait, dès lors, être invoquée pour faire rentrer dans le champ d'application de la convention, les mesures provisoires ou conservatoires relatives à des matières qui en sont exclues ;

10 Attendu qu'il y a donc lieu de conclure que des décisions judiciaires autorisant des mesures de sauvegarde provisoires - telles des appositions de scellés ou des saisies sur les biens des époux - au cours d'une procédure de divorce, ne relèvent pas du champ d'application de la convention, tel qu'il est défini à l'article 1 de celle-ci, dès lors que ces mesures concernent, ou sont étroitement liées à, soit des questions d'état des personnes impliquées dans l'instance en divorce, soit des rapports juridiques patrimoniaux, résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci ;

Sur les dépens

11 Attendu que les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;

Que la procédure, revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 22 mai 1978, dit pour droit :

Les décisions judiciaires autorisant des mesures de sauvegarde provisoires - telles des appositions de scellés ou des saisies sur les biens des époux - au cours d'une procédure de divorce, ne relèvent pas du champ d'application de la convention du 27 septembre 1968, relative à la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel qu'il est défini à l'article 1 de celle-ci, dès lors que ces mesures concernent, ou sont étroitement liées à, soit des questions d'état des personnes impliquées dans l'instance en divorce, soit des rapports juridiques patrimoniaux, résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci.