CJCE, 4e ch., 7 juin 1984, n° 129-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Siegfried Zelger
Défendeur :
Sebastiano Salinitri
LA COUR,
1 Par ordonnance du 22 juin 1983, parvenue à la Cour le 8 juillet 1983, l'Oberlandesgericht Munchen a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 21 de cette convention.
2 Les deux parties au principal sont des commerçants dont l'un est établi à Munich en République Fédérale d'Allemagne, et l'autre à Mascali en Sicile. Le demandeur au principal a engagé contre le défendeur au principal une action en remboursement d'un solde de prêt datant des années 1975 et 1976. La demande en justice, qui fait l'objet du litige, a été remise le 5 août 1976 au greffe du Landgericht Munchen I, et notifiée au défendeur au principal le 13 janvier 1977. En outre, le demandeur au principal a formé une autre demande, ayant le même objet et la même cause, devant le tribunal civile de Catane en Italie, par assignation qui y a été remise le 22 ou le 23 septembre 1976 et a été signifiée au défendeur le 23 septembre 1976.
3 Le Landgericht a rejeté la demande comme irrecevable pour défaut de compétence internationale. L'instance n'aurait été introduite, devant le Landgericht, que le 13 janvier 1977, par notification de la demande (paragraphe 261, alinéa 1, et paragraphe 254, alinéa 1, du Zivilprozessordnung) alors qu'elle l'aurait été devant le Tribunal de Catane dès le 23 septembre 1976 par notification d'une pièce de procédure analogue. De l'avis du Landgericht, le Tribunal de Catane est compétent, en vertu de l'article 21 de la convention.
4 Le demandeur a interjeté appel devant l'Oberlandesgericht en faisant valoir que ce n'est pas le moment de la notification de la demande qui importe, mais le moment où le tribunal est saisi de la demande.
5 Estimant que le litige soulève des questions d'interprétation de la convention, l'Oberlandesgericht a sursis à statuer et a posé a la Cour, par ordonnance du 22 juin 1983, la question préjudicielle suivante :
'Pour trancher la question de savoir quelle juridiction d'un état contractant a été saisie en premier d'une demande (article 21 de la convention), est-ce le moment où la juridiction est saisie de la demande ('Anhangigkeit') qui est déterminant ou le moment où l'instance est introduite, par suite de la notification de la demande au défendeur ('Rechtshangigkeit')?'
6 L'article 21 de la convention dispose :
'Lorsque les demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant les juridictions d'états contractants différents, la juridiction saisie en second lieu doit, même d'office, se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi.
La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir à statuer si la compétence de l'autre juridiction est contestée.'
7 Le demandeur au principal estime que la convention, dans son article 21, a pris comme moment de la formation de la demande la date de la présentation de la demande au tribunal. Le texte allemand de la convention utiliserait le mot 'anhangig' comme l'équivalent du mot 'formées' dans la version française. Un litige serait 'anhangig' en droit allemand des le moment de la présentation au tribunal de la requête introductive d'instance. En revanche, à l'article 22 de la convention le mot 'formées' dans le texte français aurait été traduit comme 'erhoben' dans le texte allemand. Le requérant au principal en déduit que la convention a voulu faire une distinction entre la notion de la formation d'une demande au sens de l'article 21, pour laquelle la simple présentation suffirait et la notion de la formation d'une demande au sens de l'article 22, pour laquelle le litige devrait être définitivement pendant selon le droit national de l'État membre concerné.
8 Selon le demandeur au principal, en droit allemand la notification de la demande à la partie défenderesse doit être effectuée par les soins du tribunal et ne relève donc pas du champ d'action des parties. La compétence du tribunal saisi ne saurait cependant dépendre de retards dans la notification effectuée par le tribunal lui-même.
9 Le défendeur au principal estime que la différence entre les mots allemands utilisés aux articles 21 et 22 de la convention comme équivalant à 'formées' dans la version française ne devrait pas avoir de conséquences pour l'interprétation de la convention. Il soutient que la notion de demande formée au sens de l'article 21 de la convention devrait être interprétée comme indiquant l'introduction définitive de l'action, et que cette notion devrait être déterminée par référence à la lex fori du tribunal saisi.
10 Il y a lieu de faire remarquer que les règles de procédure des différents états contractants ne sont pas identiques en ce qui concerne la détermination de la date de la saisine des juridictions.
11 Il apparait, en effet, des renseignements de droit compare mis à la disposition de la Cour que, en France, en Italie, au Luxembourg et aux Pays-Bas, c'est à partir du moment de la signification au défendeur de l'acte introductif d'instance que le litige est considéré comme pendant devant la juridiction. En Belgique, l'inscription de la cause sur le rôle général de la juridiction saisit le juge ; l'inscription au rôle impliquant en principe la signification préalable de l'exploit de citation au défendeur.
12 En République Fédérale d'Allemagne, la demande est, en vertu du paragraphe 253, alinéa 1, de la Zivilprozessordnung, formée lorsque l'acte introductif d'instance a été notifié au défendeur. La notification est effectuée d'office par la juridiction à laquelle l'acte a été préalablement soumis. Le stade procédural qui se situe entre la remise de l'acte à la juridiction et la signification est appelé 'Anhangigkeit'. La remise de l'acte introductif joue un rôle en matière de prescription et de respect des délais procéduraux, mais ne détermine en aucun cas le moment de la litispendance. Il ressort de la combinaison du paragraphe 253 précité et du paragraphe 261, alinéa 1, de la zivil prozessordnung que la litispendance nait à partir de la notification de l'acte introductif au défendeur.
13 Il résulte de la comparaison de ces législations qu'on ne saurait déduire une notion commune de la litispendance d'un rapprochement des différentes dispositions nationales pertinentes. A plus forte raison, on ne saurait étendre à l'ensemble des parties contractantes, comme il est proposé par le demandeur au principal, une conception qui est particulière au droit allemand et qui, en raison de ses caractéristiques, ne peut pas être transposée aux autres systèmes juridiques en présence.
14 Il est permis d'inférer de l'article 21, pris dans son ensemble, que l'obligation, pour une juridiction, de se dessaisir en faveur d'un autre tribunal ne vient à exister que s'il est établi qu'une demande en justice a été formée définitivement devant la juridiction d'un autre état sur le même objet et entre les mêmes parties. Pour le surplus, l'article 21 ne donne pas d'indication sur la nature des formalités procédurales à prendre en considération pour reconnaitre l'existence d'un tel effet ; en particulier, il ne donne pas d'indication sur la question de savoir si la litispendance résulte de l'entrée d'une requête auprès d'un tribunal ou de la notification ou signification de cette requête à la partie concernée.
15 La convention n'ayant pas pour objet d'unifier ces formalités, étroitement liées à l'organisation de la procédure judiciaire dans les différents états, la question de savoir à quel moment sont réunies les conditions d'une saisine définitive au sens de l'article 21 doit être appréciée et résolue, pour chaque juridiction, selon les règles de son propre droit national. Cette méthode permet à toute juridiction d'établir, avec une certitude suffisante, par référence à sa propre loi nationale, en ce qui la concerne, et par référence à la loi nationale de toute autre juridiction saisie, en ce qui concerne celle-ci, l'ordre de priorité dans le temps entre demandes multiples, formées dans les conditions définies par la convention.
16 Il y a donc lieu de répondre à la question posée par l'Oberlandesgericht Munchen que l'article 21 de la convention doit être interprété en ce sens que droit être considérée comme 'première saisie' la juridiction devant laquelle ont été remplies en premier lieu les conditions permettant de conclure à une litispendance définitive, ces conditions devant être appréciées, selon la loi nationale de chacune des juridictions concernées.
Sur les dépens
17 Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (quatrième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par l'Oberlandesgericht Munchen, par ordonnance du 22 juin 1983, dit pour droit :
L'article 21 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme 'première saisie' la juridiction devant laquelle ont été remplies en premier lieu les conditions permettant de conclure à une litispendance définitive, ces conditions devant être appréciées, selon la loi nationale de chacune des juridictions concernées.