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Décisions

CJCE, 22 février 1979, n° 133-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gourdain

Défendeur :

Nadler

CJCE n° 133-78

22 février 1979

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 22 mai 1978, parvenue au greffe le 12 juin suivant, le Bundesgerichtshof a saisi la Cour de justice, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (appelée ci-après la convention), d'une question relative à l'interprétation de l'article 1, alinéa 2, n° 2, excluant les "faillites, concordats et autres procédures analogues" du champ d'application de ladite convention ;

2. Que cette question a été posée à la suite d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 15 mars 1976, - condamnant le gérant de fait d'une société française, déclarée en état de liquidation des biens, à supporter une part des dettes sociales en application de l'article 99 de la loi française n° 67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes - dont le syndic a demandé qu'il soit revêtu de la formule exécutoire pour la République fédérale d'Allemagne, en faisant valoir qu'il s'agissait d'un cas particulier de responsabilité civile rentrant dans le champ d'application de l'article 1, alinéa 1, de la convention ;

Que l'Oberlandesgericht de Frankfurt/Main avait, avant la saisine du Bundesgerichtshof, rejeté une demande d'exequatur, aux motifs que la condamnation personnelle au titre de l'article 99 de la loi française, inconnue dans l'ordre juridique allemand, n'entrait pas dans le cadre des décisions en matière civile et commerciale de la convention, mais s'intégrait dans la procédure de la liquidation des biens ;

Que c'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a posé à la Cour la question suivante :

"Faut-il considérer comme rendue dans le cadre d'une faillite ou d'une procédure analogue la décision d'une juridiction civile française fondée sur l'article 99 de la loi française n° 67.563 du 13 juillet 1967 et condamnant le dirigeant de fait d'une personne morale à verser une certaine somme à la masse (art.1 alinéa 2, n° 2, de la convention) ou convient-il de considérer un tel jugement comme une décision en matière civile et commerciale (article 1, alinéa 1, de la convention)"?

3. Attendu que la convention - qui a notamment pour objectif d'assurer la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires et de renforcer dans la Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies - a posé pour principe que son champ d'application comprend "la matière civile et commerciale", sans cependant définir le contenu de cette expression ;

Que, cependant, en raison de la spécificité de certaines matières et des divergences profondes entre les législations des états contractants, il a été exclu de son champ d'application général certains domaines dont "les faillites, les concordats et autres procédures analogues", sans que soit précisée - non plus - la signification de ces notions ;

Que, l'article 1 servant à indiquer le champ d'application de la convention, il importe - en vue d'assurer, dans la mesure du possible, l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de celle-ci pour les états contractants et les personnes intéressées - de ne pas interpréter les termes de cette disposition comme un simple renvoi au droit interne de l'un ou de l'autre des états concernés ;

Que l'article 1, alinéa 1, en précisant que la convention s'applique "quelle que soit la nature de la juridiction", indique que la notion de matière civile et commerciale ne saurait être interprétée en fonction de la seule répartition de compétences entre les différents ordres juridictionnels existant dans certains états ;

Qu'il y a donc lieu de considérer les notions utilisées à l'article 1 comme des notions autonomes qu'il faut interpréter en se référant, d'une part, aux objectifs et au système de la convention et, d'autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des systèmes de droit nationaux ;

4. Attendu qu'en ce qui concerne les faillites, concordats et autres procédures analogues qui sont des procédures fondées, selon les diverses législations des parties contractantes, sur l'état de cessation de paiement, l'insolvabilité ou l'ébranlement du crédit du débiteur impliquant une intervention de l'autorité judiciaire aboutissant à une liquidation forcée et collective des biens ou, à tout le moins, un contrôle de cette autorité, il faut, pour que les décisions se rapportant à une faillite soient exclues du champ d'application de la convention, qu'elles dérivent directement de la faillite et s'insèrent étroitement dans le cadre d'une procédure de liquidation des biens ou de règlement judiciaire, ainsi caractérisée ;

Que, pour répondre à la question posée par le juge national, il y a donc lieu de rechercher si une action telle que celle de l'article 99 de la loi française tire son fondement juridique du droit de la faillite tel qu'interprété au regard de la convention ;

5. Attendu que l'action en recouvrement du passif social, prévue spécialement dans une loi sur la faillite, est exercée exclusivement devant le tribunal qui a prononcé le règlement judiciaire ou la liquidation des biens ;

Que seul le syndic - en dehors du tribunal qui peut agir d'office - peut introduire cette action au nom et dans l'intérêt de la masse en vue du remboursement partiel des créanciers en respectant entre eux le principe d'égalité compte tenu des droits de préférence régulièrement acquis ;

Que cette action, dérogeant aux règles générales du droit de la responsabilité, fait peser sur les dirigeants sociaux de droit ou de fait, une présomption de responsabilité dont ils ne peuvent se dégager qu'en faisant la preuve qu'ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires ;

Que la prescription de l'action (3 ans) court à compter de l'arrêté définitif des créances et se trouve suspendue pour la durée du concordat, s'il en a été conclu un, et recommence à courir en cas de résolution ou d'annulation de celui-ci ;

Que, si l'action contre le dirigeant social réussit, c'est la masse des créanciers qui en bénéficie, un élément d'actif entrant dans son patrimoine, comme lorsque le syndic fait reconnaitre l'existence d'une créance au profit de la masse ;

Qu'en outre, le tribunal peut prononcer le règlement judiciaire ou la liquidation des biens de ceux des dirigeants à la charge desquels a été mis tout ou partie du passif d'une personne morale et qui ne s'acquittent pas de cette dette, sans qu'il y ait lieu de vérifier si ces dirigeants sont commerçants et en état de cessation de paiement ;

6. Que, de cet ensemble de constatations, il apparait bien que l'article 99, qui a pour but, en cas de faillite d'une société commerciale, d'atteindre, au-delà de la personne morale, ses dirigeants dans leur patrimoine, tire son fondement juridique uniquement des dispositions du droit de la faillite tel qu'interprété au regard de la convention ;

Qu'ainsi, il y a lieu de considérer comme rendue dans le cadre d'une faillite ou d'une procédure analogue, au sens de l'article 1, alinéa 2, de la convention, une décision telle que celle d'une juridiction civile française fondée sur l'article 99 de la loi française n° 67.563 du 13 juillet 1967 et condamnant le dirigeant de fait d'une personne morale à verser une certaine somme à la masse ;

7. Attendu que les frais exposés par la Commission des CE et par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, qui ont présenté des observations en vertu de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;

Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant le Bundesgerichtshof, il appartient à cette juridiction de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof par ordonnance du 22 mai 1978, dit pour droit :

Il y a lieu de considérer comme rendue dans le cadre d'une faillite ou d'une procédure analogue, au sens de l'article 1, alinéa 2, de la convention du 27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une décision telle que celle d'une juridiction civile française fondée sur l'article 99 de la loi française n° 67.563 du 13 juillet 1967 et condamnant le dirigeant de fait d'une personne morale à verser une certaine somme à la masse.