CJCE, 3e ch., 22 octobre 1981, n° 27-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Établissements Rohr (SA)
Défendeur :
Ossberger
LA COUR,
1 Par arrêt du 26 novembre 1980, parvenu à la Cour le 16 février 1981, la Cour d'appel de Versailles a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 18 de cette convention.
2 Cette question a été posée dans le cadre d'une procédure d'appel introduite par les Etablissements Rohr SA (Rohr) ayant leur siège à Sarcelles, en France, contre une ordonnance d'exequatur du Président du Tribunal de grande instance de Pontoise du 5 juin 1979. Par cette ordonnance, cette juridiction avait, à la demande de l'entreprise Ossberger Turbinenfabrik (Ossberger), ayant son siège à Weissenberger, en République fédérale d'Allemagne, revêtu de la formule exécutoire un jugement provisoirement exécutoire du Landgericht Ansbach du 15 décembre 1978 ainsi qu'une ordonnance de taxation des dépens de cette même juridiction du 5 février 1979.
3 Les décisions en question avaient été rendues par le Landgericht Ansbach à la suite d'un recours introduit par Ossberger contre Rohr en paiement de certaines factures pour des livraisons effectuées par Ossberger. Rohr s'étant limitée, devant le Landgericht, à contester la compétence ratione Loci de celui-ci sans se défendre au fond, et le Landgericht ayant considéré qu'il était compétent, conformément à l'article 17 de la convention, en raison d'une clause prorogative de compétence contenue dans les conditions générales de vente d'Ossberger, Rohr avait été condamnée à payer lesdites factures et à supporter les dépens. Rohr a interjeté appel devant l'Oberlandesgericht Nürnberg en invoquant à nouveau l'exception d'incompétence sans présenter de défense au fond ; cet appel a été rejeté par jugement du 13 juin 1979, l'Oberlandesgericht Nürnberg ayant considéré que le Landgericht était compétent en vertu des dispositions de la convention et que Rohr n'avait pas non plus soulevé en appel de moyens concernant le fond. Un pourvoi en révision devant le Bundesgerichtshof, introduit par Rohr, a été rejeté comme irrecevable par ordonnance du 19 mars 1980, parce qu'il n'avait pas été motivé dans les délais.
4 Devant la Cour d'appel de Versailles, Rohr a fait valoir que l'ordre public, au sens de l'article 27, n° 1, de la convention, s'opposerait à la reconnaissance et à l'exécution des décisions du Landgericht Ansbach : l'article 18 de la convention ayant interdit à Rohr de soulever une défense au fond devant les juridictions allemandes sous peine de perdre le droit de soulever l'exception d'incompétence, le fait que celles-ci ne s'étaient pas bornées à statuer sur la compétence, mais avaient également jugé l'affaire au fond, constituerait une violation manifeste des droits de la défense et, partant, de l'ordre public en France. Ossberger a soutenu que l'article 18 de la convention, tout comme le droit allemand de procédure civile, n'aurait pas interdit à Rohr de se défendre au fond, mais que Rohr s'en était volontairement abstenue.
5 Considérant que ce litige soulevait une question d'interprétation de la convention, la Cour d'appel de Versailles a posé à la Cour une question préjudicielle visant en substance à savoir si l'article 18 de la convention permet au défendeur qui conteste la compétence de la juridiction saisie d'un recours de présenter, conjointement mais subsidiairement, une défense au fond, sans perdre de ce fait le bénéfice de l'exception d'incompétence.
6 Le Gouvernement italien et la Commission des Communautés européennes ont soutenu que cette question devait recevoir une réponse affirmative.
7 La Cour a eu l'occasion de statuer sur une question préjudicielle semblable dans son arrêt du 29 juin 1981 (Elefanten Schuh Gmbh/Jacqmain, 150-80, pas encore publié). Dans cet arrêt, la Cour a constaté ce qui suit : 'bien que des divergences apparaissent entre les différentes versions linguistiques de l'article 18, la convention sur le point de savoir si le défendeur, pour écarter la compétence de la juridiction saisie, doit se limiter à la seule contestation de cette compétence ou si, au contraire, il peut arriver au même but en contestant aussi bien la compétence de la juridiction saisie que la demande au fond, cette dernière solution est plus conforme aux finalités et à l'esprit de la convention. En effet, d'après le droit de procédure civile de certains états contractants, le défendeur qui ne soulèverait que le problème de la compétence, pourrait être forclos à faire valoir ses moyens de fond dans le cas où le juge rejetterait le moyen d'incompétence. Une interprétation de l'article 18, qui permettrait d'arriver à un tel résultat, serait contraire à la protection des droits de la défense dans la procédure d'origine, qui constitue l'un des objectifs de la convention.'
8 La présente affaire n'a révélé aucun élément de nature à modifier ces raisonnements. Il convient, dès lors, de répondre à la question posée que l'article 18 de la convention du 27 septembre 1968 doit être interprété en ce sens qu'il permet au défendeur de contester non seulement la compétence, mais de présenter en même temps, à titre subsidiaire, une défense au fond, sans pour autant perdre le droit de soulever l'exception d'incompétence.
Sur les dépens
9 Les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Versailles par arrêt du 26 novembre 1980, dit pour droit :
L'article 18 de la convention du 27 septembre 1968 doit être interprété en ce sens qu'il permet au défendeur de contester non seulement la compétence, mais de présenter en même temps, à titre subsidiaire, une défense au fond, sans pour autant perdre le droit de soulever l'exception d'incompétence.