Livv
Décisions

CJCE, 22 novembre 1978, n° 33-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Somafer (SA)

Défendeur :

Saar-Ferngas AG

CJCE n° 33-78

22 novembre 1978

LA COUR,

1 Attendu que, par ordonnance du 21 février 1978, parvenue à la Cour le 13 mars suivant, l'Oberlandesgericht de Saarbrücken a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971, relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, N L 299, p. 32) (ci-après dénommée 'la convention'), trois questions relatives à l'interprétation de l'article 5, chiffre 5, de cette convention ;

Que, selon la disposition dont l'interprétation est demandée, le défendeur, domicilié sur le territoire d'un état contractant, peut être attrait dans un autre état contractant ' ...5) s'il s'agit d'une contestation relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, devant le tribunal du lieu de leur situation ' ;

2 Que les questions posées doivent permettre à la juridiction nationale de décider si elle est compétente en vertu de la disposition susdite - sans préjudice de sa compétence sur base d'autres dispositions de la convention - pour prendre connaissance d'une action dirigée par une entreprise allemande contre une entreprise française dont le siège social est en territoire français, mais qui possède sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne un bureau ou point de contact désigné sur son papier à lettres comme 'Vertretung fur Deutschland', et visant au remboursement de frais engagés par l'entreprise allemande, en vue de mettre des conduites de gaz lui appartenant à l'abri de dommages éventuels qui pourraient être provoqués par des travaux de démolition que l'entreprise française exécutait à proximité pour le compte du Land de Sarre ;

Sur la première question

3 Attendu que, par la première question, il est demandé si 'la compétence relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, visée à l'article 5, 5), de la convention du 27 septembre 1968, se détermine[t-elle] :

a) selon le droit de l'état dont les tribunaux sont saisis ou

b) selon le droit des états en cause (qualification selon le droit applicable au principal) ou,

c) de façon autonome, c'est-à-dire en fonction des objectifs et du système de la convention 1968 ainsi que des principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des ordres juridiques nationaux (arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 14 octobre 1976, Eurocontrol, NJW, 1977, p. 489, 490) ?'

4 Attendu que la convention, conclue en vertu de l'article 220 du traité CEE, vise, selon les termes exprès de son préambule, à mettre en œuvre les dispositions de cet article relatives à la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires, ainsi qu'à renforcer, dans la Communauté, la protection juridique des personnes qui y sont établies ;

Qu'en vue de supprimer les entraves aux relations juridiques et à la solution des litiges dans l'ordre des relations intracommunautaires en matière civile et commerciale, elle comporte, entre autres, des règles permettant de déterminer la compétence des juridictions des états contractants dans ces relations et facilitant la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires ;

Que la convention doit, dès lors, être interprétée en tenant compte, à la fois du système et des objectifs qui lui sont propres et de son lien avec le traité ;

5 Attendu que, la convention faisant un usage fréquent d'expressions et de notions juridiques tirées du droit civil, commercial et procédural, et pouvant avoir une signification différente d'un état contractant à l'autre, la question se pose de savoir si ces expressions et notions doivent être considérées comme autonomes, et donc communes à l'ensemble des états contractants, ou comme renvoyant aux règles du droit applicable, dans chaque espèce, en vertu des règles de conflit du juge premier saisi ;

Que cette question doit être résolue de façon à assurer à la convention sa pleine efficacité dans la réalisation des objectifs qu'elle poursuit ;

6 Attendu que les notions énoncées dans la phrase : 'contestation relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement' qui déterminent la compétence visée à l'article 5, chiffre 5, ont un contenu différent d'un état contractant à l'autre, non seulement dans les législations respectives mais également dans l'application donnée aux conventions bilatérales relatives à la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers ;

7 Attendu que leur fonction, dans le cadre de la convention, doit être appréciée par rapport à la règle générale d'attribution de compétence, décrite à l'article 2, paragraphe 1, de la convention, selon lequel' sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un état contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet état' ;

Que si l'article 5 prévoit des attributions de compétences spéciales dont le choix dépend d'une option du demandeur, c'est à raison de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaitre, en vue de l'organisation utile du procès ;

Que, compte tenu de la circonstance qu'une multiplication des chefs de compétence pour un même litige n'est pas de nature à favoriser la sécurité juridique et l'efficacité de la protection juridictionnelle sur l'ensemble des territoires formant la Communauté, il est conforme à l'objectif de la convention d'éviter une interprétation extensive et multiforme des exceptions à la réglé générale de compétence énoncée à l'article 2 ;

Qu'il en est d'autant plus ainsi que, dans les législations nationales ou dans les conventions bilatérales, l'exception analogue est fréquemment inspirée ainsi que le relève, à juste titre, dans ses observations écrites, le Gouvernement du Royaume-Uni, par l'idée qu'un état national sert les intérêts de ses ressortissants en leur offrant la possibilité de se soustraire à la compétence d'une juridiction étrangère, tandis que pareille considération n'est pas de mise dans l'espace communautaire, la justification des dérogations, apportées par l'article 5 à la règle générale de compétence de l'article 2, devant exclusivement entre recherchée dans le souci d'une bonne administration de la justice ;

8 Attendu que la portée et les limites de la faculté réservée au demandeur par l'article 5, chiffre 5, sont fonction de l'appréciation des facteurs particuliers qui, soit dans les relations entre une maison-mère et ses succursales, agences ou autres établissements, soit dans les relations entre une de ces dernières entités et des tiers, font apparaitre le lien de rattachement spécial, justifiant, en dérogation à l'article 2, l'option accordée audit demandeur ;

Qu'il s'agit, par définition, de facteurs qui concernent deux entités établies dans des états contractants différents, mais qui, malgré cela, doivent pouvoir être appréciées de façon identique, qu'ils soient considérés du point de vue de la maison mère, de celui du (ou des) prolongement(s) que cette maison mère a établi(s) dans d'autres États membres ou encore du point de vue des tiers avec lesquels, à travers ces prolongements, sont nés des relations juridiques ;

Que, dans ces circonstances, le souci d'assurer la sécurité juridique ainsi que l'égalité des droits et obligations des parties, en ce qui concerne la faculté de déroger à la règle de compétence générale de l'article 2, impose une interprétation autonome et, dès lors, commune à l'ensemble des états contractants, des notions visées à l'article 5, chiffre 5, de la convention et qui font l'objet de la demande préjudicielle ;

Sur les deuxième et troisième questions

9 Attendu que, pour le cas où l'expression visée doit être interprétée de façon autonome, il est demandé, par une seconde question, quels critères d'interprétation il y a lieu d'appliquer relativement à la liberté de décision (entre autres pour la conclusion d'affaires) et à l'importance de l'installation matérielle ;

Que, par la troisième question, il est demandé si, pour l'interprétation de la notion visée, il y a lieu de prendre en considération 'Comme le veut par exemple le droit allemand (voir article 21 de la 'Zivilprozessordnung', Baumbach, 36 édition, note 2 a [;] Stein-Jonas, 19 édition, note II 2 ; Oberlandesgericht de Cologne NJW 73, 1834, Oberlandesgericht de Breslau HRR 39, n° 111), certains principes au titre de la responsabilité civile de celui qui, par un ensemble d'actes extérieurs, c'est-à-dire d'actes qui lui sont opposables par tout tiers de bonne foi, a fait croire à l'existence d'une succursale ou d'une agence, avec cette conséquence que celui qui suscite une telle impression doit être censé avoir exploité une telle succursale ou une telle agence' ?

10 Attendu qu'il y a lieu de répondre conjointement à ces deux questions ;

11 Attendu que, compte tenu de ce que les notions visées ouvrent la faculté de déroger au principe général de compétence de l'article 2 de la convention, leur interprétation doit permettre de déceler sans difficulté le lien de rattachement particulier qui justifie cette dérogation ;

Que ce lien de rattachement spécial concerne, en premier lieu, les signes matériels qui permettent aisément de reconnaitre l'existence de la succursale, de l'agence ou de l'établissement et, en second lieu, le rapport qu'il y a entre l'entité ainsi localisée et l'objet du litige dirigé contre la maison-mère, établie dans un autre état contractant ;

12 Qu'en ce qui concerne le premier point, la notion de succursale, d'agence ou de tout autre établissement implique un centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur comme le prolongement d'une maison-mère, pourvu d'une direction et matériellement équipé de façon à pouvoir négocier des affaires avec des tiers, de telle façon que ceux-ci, tout en sachant qu'un lien de droit éventuel s'établira avec la maison-mère dont le siège est à l'étranger, sont dispensés de s'adresser directement à celle-ci, et peuvent conclure des affaires au centre d'opérations qui en constitue le prolongement ;

13 Qu'en ce qui concerne le second point, il est, en outre, nécessaire que l'objet du litige concerne l'exploitation de la succursale, de l'agence ou de tout autre établissement ;

Que cette notion d'exploitation comprend, d'une part, les litiges portant sur les droits et obligations contractuels ou non-contractuels relatifs à la gestion proprement dite de l'agence, de la succursale ou de l'établissement eux-mêmes, tels que ceux relatifs à la location de l'immeuble où ces entités seraient établies ou à l'engagement sur place du personnel qui y travaille ;

Que, d'autre part, elle comprend également ceux relatifs aux engagements pris par le centre d'opérations ci-dessus décrit au nom de la maison-mère et qui doivent être exécutés dans l'état contractant où ce centre d'opérations est établi, ainsi que les litiges relatifs aux obligations non-contractuelles qui trouveraient leur origine dans les activités que la succursale, l'agence ou tout autre établissement, au sens ci-dessus déterminé, a assumé au lieu où il est établi pour compte de la maison-mère ;

Qu'il appartient dans chaque cas à la juridiction saisie de relever les indices qui permettent de constater l'existence d'un centre effectif d'opérations et de qualifier le rapport de droit litigieux par rapport à la notion 'd'exploitation', telle qu'interprétée ci-dessus ;

14 Que les considérations ci-dessus rendent une réponse spécifique à la troisième question superflue ;

Sur les dépens

15 Attendu que les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations écrites à la Cour, ne peuvent pas faire l'objet de remboursement ;

Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident, soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht de Saarbrücken, par ordonnance du 21 février 1978, dit pour droit :

1. Le souci d'assurer la sécurité juridique ainsi que l'égalité des droits et obligations des parties, en ce qui concerne la faculté de déroger à la règle de compétence générale de l'article 2, impose une interprétation autonome et, dès lors, commune à l'ensemble des états contractants, des notions visées à l'article 5, chiffre 5, de la convention.

2. La notion de succursale, d'agence ou de tout autre établissement implique un centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur comme le prolongement d'une maison-mère, pourvu d'une direction et matériellement équipé de façon à pouvoir négocier des affaires avec des tiers, de telle façon que ceux-ci, tout en sachant qu'un lien de droit éventuel s'établira avec la maison-mère dont le siège est à l'étranger, sont dispensés de s'adresser directement à celle-ci, et peuvent conclure des affaires au centre d'opérations qui en constitue le prolongement.

3. La notion 'd'exploitation'comprend :

- les litiges portant sur les droits et obligations contractuels ou non-contractuels relatifs à la gestion proprement dite de l'agence, de la succursale ou de l'établissement eux-mêmes, tels que ceux relatifs à la location de l'immeuble où ces entités seraient établies ou à l'engagement sur place du personnel qui y travaille ;

- les litiges relatifs aux engagements pris par le centre d'opérations ci-dessus décrit au nom de la maison-mère et qui doivent être exécutés dans l'état contractant où ce centre d'opérations est établi, ainsi que les litiges relatifs aux obligations non-contractuelles qui trouveraient leur origine dans les activités que la succursale, l'agence ou tout autre établissement, au sens ci-dessus déterminé, a assumé au lieu où il est établi pour compte de la maison-mère.

4. Il appartient dans chaque cas à la juridiction saisie de relever les indices qui permettent de constater l'existence d'un centre effectif d'opérations et de qualifier le rapport de droit litigieux par rapport à la notion 'd'exploitation', telle qu'interprétée ci-dessus.