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Décisions

CJCE, 5e ch., 24 octobre 2002, n° C-121/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Walter Hahn

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. La Pergola

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

MM. Jann, Bahr

CJCE n° C-121/00

24 octobre 2002

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par ordonnance du 21 mars 2000, parvenue à la Cour le 30 mars suivant, le Bezirksgericht Innere Stadt Wien a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la directive 91-493-CEE du Conseil, du 22 juillet 1991, fixant les règles sanitaires régissant la production et la mise sur le marché des produits de la pêche (JO L 268, p. 15).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre M. Hahn ou, le cas échéant, les responsables de la société Nordsee GmbH (ci-après "Nordsee") pour mise en circulation, par négligence, de denrées alimentaires nocives pour la santé humaine.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. L'article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 91-493 dispose:

"La mise sur le marché des produits de la pêche capturés dans le milieu naturel est soumise aux conditions suivantes:

[...]

d) ils doivent avoir été soumis à un contrôle sanitaire conformément au chapitre V de l'annexe".

4. Le chapitre V de l'annexe de la directive 91-493, intitulé "Contrôle sanitaire et surveillance des conditions de production", contient, outre une partie I relative à la surveillance générale, une partie II énumérant des conditions spécifiques, à savoir des contrôles organoleptiques, parasitaires, chimiques et microbiologiques. Quant à ces derniers, le chapitre V, partie II, point 4, de l'annexe de la directive 91-493 prévoit que, "[s]elon la procédure prévue à l'article 15 de la présente directive, des critères microbiologiques, incluant des plans d'échantillonnage et des méthodes d'analyse, pourront être fixés, en cas de besoin, pour la protection de la santé publique".

5. Selon l'article 2, point 14, de la directive 91-493, aux fins de celle-ci, on entend par "établissement: tout local où des produits de la pêche sont préparés, transformés, réfrigérés, congelés, emballés ou entreposés. Les halles de criée et les marchés de gros dans lesquels se font exclusivement l'exposition et la vente en gros ne sont pas considérés comme des établissements".

6. L'article 6 de la directive 91-493 prévoit:

"1. Les États membres veillent à ce que les responsables des établissements prennent toutes les mesures nécessaires pour que, à tous les stades de la production des produits de la pêche, les prescriptions de la présente directive soient observées.

À cet effet, lesdits responsables doivent effectuer des autocontrôles fondés sur les principes suivants:

- identification des points critiques dans leur établissement en fonction des procédés de fabrication utilisés,

- établissement et mise en œuvre de méthodes de surveillance et de contrôle de ces points critiques,

- prélèvement d'échantillons pour analyse dans un laboratoire approuvé par l'autorité compétente, aux fins de contrôle des méthodes de nettoyage et de désinfection et aux fins de vérification du respect des normes fixées par la présente directive,

- conservation d'une trace écrite ou enregistrée de façon indélébile des points précédents en vue de leur présentation à l'autorité compétente. Les résultats de différents contrôles et tests seront notamment conservés pendant une période de deux ans au moins.

2. Si les résultats des autocontrôles ou toute information dont disposent les responsables visés au paragraphe 1 révèlent l'existence d'un risque sanitaire ou permettent d'en soupçonner l'existence, et sans préjudice des mesures prévues à l'article 3 paragraphe 1 quatrième alinéa de la directive 89-662-CEE, les mesures appropriées sont prises, sous contrôle officiel.

3. Les modalités d'application du paragraphe 1 deuxième alinéa sont fixées selon la procédure prévue à l'article 15."

7. L'article 2, paragraphe 1, de la décision 94-356-CE de la Commission, du 20 mai 1994, portant modalités d'application de la directive 91-493-CEE du Conseil en ce qui concerne les autocontrôles sanitaires pour les produits de la pêche (JO L 156, p. 50), dispose:

"Doivent être considérés comme point critique, au sens de l'article 6 paragraphe 1 deuxième alinéa premier tiret de la directive 91-493-CEE, tout point, étape, ou procédure où un danger pour la sécurité alimentaire peut être évité, éliminé ou réduit à un niveau acceptable par une action de contrôle appropriée. Tous les points critiques utiles pour assurer le respect des prescriptions hygiéniques de ladite directive doivent être identifiés.

Pour l'identification de ces points critiques, les dispositions du chapitre Ier de l'annexe de la présente décision sont applicables."

8. Le chapitre I, intitulé "Identification des points critiques", de l'annexe de la décision 94-356, précise, à son point 6, intitulé "Établissement de la liste des dangers et des mesures nécessaires pour les maîtriser", sous a), qu'une équipe pluridisciplinaire devrait:

"Dresser la liste de tous les dangers biologiques, chimiques ou physiques potentiels dont l'apparition peut être raisonnablement envisagée pour chaque étape [...].

Par danger, il faut entendre tout ce qui est susceptible de porter préjudice à la santé et qui rentre dans le cadre des objectifs hygiéniques de la directive 91-493-CEE. De façon plus spécifique, il peut s'agir de :

- la contamination (ou la re-contamination) à un taux inacceptable, de nature biologique (micro-organismes, parasites), chimique ou physique, des matières premières, des produits intermédiaires ou des produits finis,

- la survie ou la multiplication à des taux inacceptables de micro-organismes pathogènes et la génération à des taux inacceptables de corps chimiques dans les produits intermédiaires, les produits finis, la ligne de production ou son environnement,

[...]"

9. Selon le chapitre I, point 6, sous b), de l'annexe de la décision 94-356, l'équipe pluridisciplinaire devrait:

"Considérer et décrire les mesures de maîtrise, lorsqu'elles existent, qui peuvent être appliquées à chaque danger.

Les mesures de maîtrise correspondent aux actions et activités qui peuvent être utilisées pour prévenir un danger, l'éliminer ou réduire son impact ou sa probabilité d'apparition à un niveau acceptable.

Plusieurs mesures de maîtrise peuvent être nécessaires pour maîtriser un danger identifié et plusieurs dangers peuvent être maîtrisés par une mesure de maîtrise. Par exemple, la pasteurisation ou la cuisson contrôlée peut donner la garantie d'une réduction suffisante du niveau à la fois des salmonelles et des listeria.

[...]"

La réglementation nationale

10. L'article 7, paragraphe 1, sous a), du Lebensmittelgesetz 1975 (loi de 1975 sur les denrées alimentaires, BGBl. 1975-86), dans sa version résultant de la modification parue dans le BGBl. 1988-226 (ci-après le "LMG"), lu en combinaison avec l'article 8, sous a), de la même loi, interdit la mise en circulation des denrées alimentaires, des produits destinés à la consommation humaine et des additifs qui sont nocifs pour la santé, c'est-à-dire qui "sont susceptibles de mettre en danger la santé ou de nuire à celle-ci".

11. Il résulte des articles 56, paragraphe 1, point 1, et 57, paragraphe 1, du LMG que celui qui par négligence met en circulation des denrées alimentaires, des produits destinés à la consommation humaine ou des additifs nocifs pour la santé "est passible d'une peine privative de liberté jusqu'à six mois ou d'une amende jusqu'à 360 unités journalières".

12. Aux termes de l'article 51 du LMG:

"Il incombe au ministre fédéral de la Santé et de l'Environnement de publier le code alimentaire autrichien (Codex Alimentarius Austriacus). Ce dernier sert à établir des dénominations techniques, à définir des notions, à fixer des méthodes d'analyse et des principes d'évaluation, ainsi qu'à établir des directives pour la mise à la consommation de produits relevant de la présente loi fédérale."

13. En vertu de l'article 52, paragraphe 1, du LMG, une commission du Codex est mise en place pour servir de conseil au ministre fédéral de la Santé et de l'Environnement dans les domaines couverts par cette loi, ainsi que pour préparer le Codex Alimentarius Austriacus. L'article 53 du LMG prévoit que la commission du Codex désigne un comité permanent d'hygiène (ci-après le "comité permanent d'hygiène").

14. La directive 91-493 et la décision 94-356 ont été transposées en Autriche par la Verordnung über Hygienebestimmungen für das Inverkehrbringen von Fischerzeugnissen (Fischhygieneverordnung) [règlement portant dispositions sanitaires relatives à la mise en circulation de produits à base de poisson (règlement d'hygiène halieutique), BGBl. II 1997-260]. Le chapitre I, point 6, sous a), deuxième alinéa, et sous b), deuxième et troisième alinéas, de l'annexe 2 dudit règlement est identique au chapitre I, point 6, sous a), deuxième alinéa, et sous b), deuxième et troisième alinéas, de l'annexe de la décision 94-356.

Le litige au principal et la question préjudicielle

15. M. Hahn ou, le cas échéant, les responsables de Nordsee sont prévenus d'avoir mis en circulation, par négligence, des denrées nocives pour la santé humaine. Les denrées alimentaires mises en cause sont différents produits à base de poisson fumé, notamment du saumon fumé danois.

16. Il ressort de l'ordonnance de renvoi qu'une série d'échantillons ont été prélevés, notamment, à la fin de l'année 1998 et au début de l'année 1999 dans les locaux de Nordsee et dans des magasins d'alimentation qui avaient été fournis en produits à base de poisson émanant de cette entreprise, tant dans le cadre de contrôles de routine effectués par les autorités de police sanitaire des aliments qu'à la suite de plaintes déposées, notamment, dans des cas symptomatiques d'intoxication alimentaire. Le contrôle organoleptique (aspect, odeur et goût) des échantillons prélevés n'a révélé aucune particularité éveillant l'attention et la date de péremption n'était pas encore atteinte. Toutefois, une contamination à la listeria monocytogenes a été constatée dans des échantillons de 25 g. L'analyse qualitative n'a pas été doublée d'une analyse quantitative.

17. La juridiction de renvoi relève que, lors de sa réunion du 9 février 1998, le comité permanent d'hygiène a établi un protocole d'évaluation pour la listeria monocytogenes, caractérisé par une tolérance égale à zéro. Selon ce protocole, tant en ce qui concerne les produits non autrement traités, mais stabilisés, par exemple par un procédé de fumaison, de salage ou d'emballage sous vide, que pour les denrées alimentaires crues, prêtes à être consommées, et pour les produits alimentaires ayant subi un traitement thermique, un rapport négatif ne peut être établi que si la présence de l'agent pathogène n'est "pas décelable dans 25 grammes". Si, à l'inverse, la présence de la listeria monocytogenes est démontrée, le produit alimentaire doit être considéré comme nuisible à la santé.

18. Ce choix d'une tolérance égale à zéro aurait été expressément maintenu lors de la réunion du comité permanent d'hygiène du 30 mars 1998. Par la suite, le comité aurait cependant établi que, pour les produits n'ayant pas subi un traitement thermique mais ayant été soumis à un procédé de conservation chimique, le dépassement du seuil de 100 cfu (unités formant colonie)-g comporte un risque pour la santé publique.

19. À cet égard, la juridiction de renvoi observe qu'un grand nombre d'études scientifiques font apparaître qu'une tolérance égale à zéro n'est pas fondée du point de vue scientifique. En effet, la listeria monocytogenes serait très répandue dans l'environnement et les produits alimentaires, alors que le nombre de cas cliniques serait très peu élevé. En outre, parvenir à une absence totale de listeria monocytogenes serait irréalisable pour beaucoup de substances crues dans l'état actuel d'obtention et de traitement des aliments, même si l'obtention ou la fabrication se déroule dans de bonnes conditions.

20. La juridiction de renvoi, estimant que la décision du comité permanent d'hygiène, fixant une tolérance égale à zéro en ce qui concerne la listeria monocytogenes, heurte la directive 91-493, selon laquelle les risques doivent être réduits à un niveau acceptable, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La directive 91-493-CEE du Conseil, du 22 juillet 1991, fixant les règles sanitaires régissant la production et la mise sur le marché des produits de la pêche, transposée en droit interne par le règlement de la ministre fédérale de la Condition féminine et de la Protection des consommateurs, portant dispositions sanitaires relatives à la mise à la consommation de produits à base de poisson (règlement d'hygiène halieutique), publié au Bundesgesetzblatt n° 260-1997, doit-elle globalement être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application de règles nationales établissant pour des produits à base de poisson non conservés par un procédé chimique (en particulier le saumon fumé) une tolérance égale à zéro en ce qui concerne la contamination de ces denrées alimentaires par la listeria monocytogenes?"

Sur la question préjudicielle

21. La Cour étant compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d'apprécier, pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie, la compatibilité d'une réglementation nationale avec le traité CE (voir, notamment, arrêt du 13 décembre 1990, Bellon, C-42-90, Rec. p. I-4863, point 6), il convient, eu égard aux observations qui ont été déposées devant la Cour et des débats qui ont eu lieu devant elle, de comprendre la question préjudicielle comme portant sur le point de savoir si la directive 91-493 et la décision 94-356 ou, le cas échéant, les articles 28 CE et 30 CE s'opposent à l'application de règles nationales établissant une tolérance égale à zéro quant à la présence de la listeria monocytogenes dans des produits à base de poisson non conservés par un procédé chimique.

Observations soumises à la Cour

22. M. Hahn fait valoir que les autorités autrichiennes qualifient automatiquement un produit de nuisible à la santé humaine dès que des listeria sont décelables dans un échantillon de 25 g. Cette règle serait contraire à la directive 91-493, lue à la lumière des dispositions d'application contenues dans la décision 94-356, qui n'aurait pas fixé une tolérance égale à zéro. Le chapitre I, point 6, sous a), deuxième alinéa, et sous b), deuxième et troisième alinéas, de l'annexe de la décision 94-356 ferait référence à des "taux inacceptables" et à la "réduction suffisante du niveau [...] des listeria".

23. À titre subsidiaire, M. Hahn fait valoir que les mesures nationales en cause au principal sont contraires aux articles 28 CE et 30 CE et à la jurisprudence y relative. À cet égard, se fondant sur l'arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne (178-84, Rec. p. 1227), il soutient que si, à défaut d'harmonisation en matière de protection de la santé, il appartient aux États membres de décider dans quelle mesure ils souhaitent garantir la protection de la santé et de la vie des personnes, le principe de proportionnalité exige toutefois que les interdictions de mise sur le marché se limitent à ce qui est effectivement nécessaire à la protection de la santé publique.

24. Or, rien n'indiquerait objectivement qu'une interdiction absolue de mise en circulation de tout produit de la pêche contenant des listeria, quelle qu'en soit la concentration, respecte le principe de proportionnalité. À cet égard, M. Hahn cite notamment les résultats d'une recherche effectuée par le US Center for Disease Control and Prevention (CDC), publiés en février 1996, laquelle conclurait que la population des États-Unis d'Amérique consomme souvent des quantités réduites à modérées de listeria monocytogenes dans des denrées alimentaires, mais que seule une fraction très limitée de cette population développe des maladies (en 1993, 1092 cas seulement auraient été recensés dans toute la population des États-Unis).

25. M. Hahn soutient qu'il peut être considéré comme certain que les listeria ne présentent un danger pour la santé que pour un nombre de personnes extrêmement limité et que, même pour ces personnes, le caractère dangereux d'une concentration de listeria inférieure à 100 cfu/g peut être mis en doute. Il s'agirait des personnes immunodéficientes, des personnes très âgées et des femmes enceintes, dont le foetus peut être atteint.

26. Le Gouvernement autrichien fait valoir que la directive 91-493 ne procède pas à une harmonisation totale des valeurs limites de contamination considérées comme nuisibles à la santé humaine, mais se borne à fixer en la matière des objectifs de protection de base formulés à la manière de clauses générales. Leur exécution incomberait aux États membres qui auraient recours à des expertises à cette fin.

27. La décision 94-356 se limiterait à préciser les notions et procédures prévues dans la directive 91-493. Les termes "taux inacceptable" et "niveau acceptable", utilisés au chapitre I, point 6, sous a) et b), de l'annexe de cette décision, n'ayant pas été davantage précisés dans la directive 91-493 ou dans la décision 94-356, les règles communautaires laisseraient une marge aux États membres tant pour préciser les organismes et les matières concernées que pour définir les valeurs limites par un ensemble de dispositions-cadres légales combinées à des expertises.

28. En ce qui concerne l'application des articles 28 CE et 30 CE, le gouvernement autrichien, se fondant sur les arrêts du 6 juin 1984, Melkunie (97-83, Rec. p. 2367), et du 19 septembre 1984, Heijn (94-83, Rec. p. 3263), soutient que des mesures nationales telles que celles en cause au principal répondent aux exigences de l'article 30 CE, y compris au regard du principe de proportionnalité, et qu'elles ne sont donc pas contraires aux dispositions relatives à la libre circulation des marchandises.

29. La Commission relève que, dans le droit communautaire en vigueur, il n'existe aucune disposition spécifique fixant des critères microbiologiques relatifs à la listeria monocytogenes pour les produits de la pêche en cause dans l'affaire au principal. Par conséquent, il faudrait examiner les règles générales du traité.

30. À cet égard, après avoir constaté que les mesures nationales en cause au principal constituent une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 28 CE, la Commission se réfère, en ce qui concerne l'application de l'article 30 CE, par analogie, à la jurisprudence de la Cour relative aux additifs (arrêts du 4 juin 1992, Debus, C-13-91 et C-113-91, Rec. p. I-3617, et du 16 juillet 1992, Commission/France, C-344-90, Rec. p. I-4719), dont il résulterait que l'examen du caractère nécessaire d'un additif, qui doit être effectué dans le cadre du principe de proportionnalité, doit porter sur le risque qu'il présente pour la santé en tenant compte, d'une part, des résultats de la recherche scientifique internationale, notamment des travaux du comité scientifique communautaire de l'alimentation humaine et de la commission du Codex Alimentarius de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et de l'OMS (Organisation mondiale de la santé), et, d'autre part, des habitudes alimentaires dans l'État membre d'importation ainsi que de l'existence d'un besoin réel, notamment d'ordre technologique.

31. S'agissant de l'affaire au principal, les discussions scientifiques en cours concernant les normes microbiologiques correctes pour les bactéries pathogènes présentes dans divers produits alimentaires, notamment la listeria monocytogenes, et les différents critères dont il faut tenir compte pour définir ces normes seraient de telle nature que l'on ne pourrait pas automatiquement en conclure, dans le cadre de l'examen de proportionnalité, que les normes sévères sont inutiles et que des normes plus laxistes seraient des mesures tout aussi efficaces mais moins restrictives des échanges intracommunautaires. Tant que les résultats provisoires de ces discussions scientifiques n'ont pas été traduits dans la réglementation communautaire, les États membres auraient le droit, par précaution, de fixer des normes microbiologiques plus sévères en vue de protéger la santé humaine, et en particulier la santé des groupes à risque.

Appréciation de la Cour

32. Il convient d'emblée de constater que, comme le rappelle à juste titre le gouvernement autrichien, quoique la directive 91-493 harmonise notamment les procédures de manipulation, de traitement et d'emballage des produits de la pêche ainsi que les contrôles sanitaires à effectuer au stade de la production desdits produits, elle ne procède pas à l'harmonisation exhaustive des valeurs limites pour lutter contre la contamination par la listeria monocytogenes des produits à base de poisson fumé. En effet, la directive 91-493 ne fixe pas de critères microbiologiques, mais confère au législateur communautaire la compétence pour le faire, en cas de besoin, aux fins de la protection de la santé publique, selon la procédure prévue à son article 15. À ce jour, des critères microbiologiques ont uniquement été fixés conformément à cette procédure pour les crustacés et mollusques cuits, par la décision 93-51-CEE de la Commission, du 15 décembre 1992, relative aux critères microbiologiques applicables à la production de crustacés et de mollusques cuits (JO 1993, L 13, p. 11).

33. Quant à l'utilisation des termes "taux inacceptable", "taux inacceptables" et "niveau acceptable" au chapitre I, point 6, sous a) et b), de l'annexe de la décision 94-356, il suffit de constater, ainsi que le fait M. l'avocat général au point 30 de ses conclusions, que ces dispositions n'empêchent pas les États membres de considérer une tolérance égale à zéro comme étant le seul niveau acceptable pour certains risques.

34. Toutefois, si, en l'absence d'une harmonisation exhaustive en la matière, les États membres sont en droit de fixer les normes auxquelles les produits destinés à la consommation humaine doivent satisfaire sur leur territoire respectif, les réglementations nationales en cause n'échappent pas au champ d'application des articles 28 CE et 30 CE (voir arrêt Melkunie, précité, points 9 et 10).

35. Il y a donc lieu d'examiner si les articles 28 CE et 30 CE s'opposent à l'application de règles nationales établissant une tolérance égale à zéro quant à la présence de la listeria monocytogenes dans des produits à base de poisson non conservés par un procédé chimique.

36. À cet égard, il est constant que, s'agissant des produits en provenance d'un autre État membre, l'application d'une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui interdit effectivement la mise sur le marché d'un produit à base de poisson si la présence de la listeria monocytogenes est décelable dans 25 g de ce produit, est susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire et constitue de ce fait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 28 CE.

37. Il convient cependant d'examiner si une telle interdiction peut être justifiée par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes.

38. Selon une jurisprudence constante, parmi les motifs susceptibles de justifier des dérogations à l'article 28 CE, la protection de la santé et de la vie des personnes occupe le premier rang et, dans la mesure où des incertitudes subsistent en l'état actuel de la recherche scientifique, il appartient aux États membres, dans les limites imposées par le traité, de décider du niveau auquel ils entendent assurer cette protection et, en particulier, du degré de sévérité des contrôles à effectuer (voir notamment, en ce sens, arrêts Commission/Allemagne, précité, point 41, et du 16 avril 1991, Eurim-Pharm, C-347-89, Rec. p. I-1747, point 26).

39. Toutefois, une réglementation ou pratique nationale ayant ou de nature à avoir un effet restrictif sur les échanges intracommunautaires n'est compatible avec le traité que pour autant qu'elle est nécessaire aux fins d'une protection efficace de la santé et de la vie des personnes. Elle ne bénéficie pas de la dérogation lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires (voir, notamment, arrêt Eurim-Pharm, précité, point 27).

40. Il y a également lieu de rappeler que l'existence d'un risque pour la santé publique doit être appréciée en tenant compte notamment des résultats de la recherche scientifique internationale, en particulier des travaux des comités scientifiques communautaires, et des habitudes alimentaires dans l'État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts précités Bellon, point 17, et Commission/France, point 13).

41. Il convient notamment d'avoir égard aux travaux du comité scientifique des mesures vétérinaires en rapport avec la santé publique (CSMVSP) consacrés à la listeria monocytogenes et ayant abouti à l'avis rendu par ce comité le 23 septembre 1999, invoqué par la Commission. Il ressort de cet avis, avec lequel le comité scientifique de l'alimentation humaine a exprimé son accord dans un avis du 22 juin 2000, que la listeria monocytogenes est une bactérie pathogène susceptible de provoquer des maladies graves chez l'homme. Elle pourrait causer diverses infections, mais la listériose attaquerait principalement l'utérus des femmes enceintes, le système nerveux central et la circulation sanguine. Quoique la listériose puisse toucher des adultes et des enfants en bonne santé, les personnes le plus fréquemment atteintes seraient les femmes enceintes, les nouveaux-nés, les personnes âgées et celles dont le système immunitaire est affaibli par des médicaments ou par une maladie.

42. Il ressort également dudit avis que, si la propagation de la listériose chez l'homme est relativement limitée - de 2 à 15 cas par million d'habitants -, le taux de mortalité semble se situer entre 20 et 40 %, voire 75 % chez les personnes immunodéficientes. Le CSMVSP en déduit que la listériose constitue une menace rare mais sérieuse pour la santé publique, en particulier pour les groupes à haut risque cités au point précédent.

43. Même si, ainsi que l'a indiqué la Commission, le rapport du CSMVSP conclut que "[s]elon les données épidémiologiques disponibles, il semblerait que la présence de [listeria] monocytogenes dans les produits alimentaires représente un risque très faible pour tous les groupes de population quand la concentration de [listeria] monocytogenes est inférieure à 100 cfu/g", il convient de relever, d'une part, que le CSMVSP reste très prudent, utilisant même la forme conditionnelle "il semblerait" ("it would seem" en anglais, langue de l'avis), et, d'autre part, qu'il se réfère à plusieurs reprises aux grandes incertitudes qui subsistent en la matière et qui sont dues au nombre limité de cas pour lesquels l'information est disponible. Le CSMVSP souligne également que les informations concernant les habitudes de consommation des denrées alimentaires concernées ne sont pas directement disponibles et n'ont donc pas pu être prises en considération.

44. En outre, le CSMVSP constate que, en raison des incertitudes relatives à l'estimation du risque pour le consommateur et du fait que les études semblent montrer un potentiel très important de reproduction de listeria monocytogenes dans les produits alimentaires, il se peut que des valeurs limites inférieures à 100 cfu/g doivent être appliquées pour les produits alimentaires dans lesquels une telle reproduction peut avoir lieu. À cet égard, le CSMVSP indique qu'il se peut même que, pour des produits ayant reçu certains types de traitements, il soit nécessaire d'exiger que la présence de listeria monocytogenes ne soit pas décelable dans 25 g au moment de la production.

45. Il apparaît donc que les données disponibles, en l'état actuel de la recherche scientifique, ne permettent pas de fixer avec certitude la concentration précise d'agents pathogènes de listeria monocytogenes au-delà de laquelle un produit à base de poisson présente un danger pour la santé humaine. Ainsi, il appartient aux États membres, à défaut d'harmonisation en la matière, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises.

46. À cet égard, une réglementation nationale visant à ce que la présence de l'agent pathogène ne soit pas décelable dans 25 g de produit à base de poisson, simplement parce que, pour certains produits, même de faibles quantités de listeria monocytogenes sont susceptibles de faire courir un risque pour la santé de certains consommateurs particulièrement sensibles, doit être considérée comme conforme aux exigences du traité (voir, en ce sens, arrêts Melkunie, précité, point 18, et du 14 juillet 1994, Van der Veldt, C-17-93, Rec. I-3537, point 17).

47. Dès lors, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que ni la directive 91-493 et la décision 94-356, ni les articles 28 CE et 30 CE ne s'opposent à l'application de règles nationales établissant une tolérance égale à zéro quant à la présence de la listeria monocytogenes dans des produits à base de poisson non conservés par un procédé chimique.

Sur les dépens

48. Les frais exposés par le gouvernement autrichien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Bezirksgericht Innere Stadt Wien, par ordonnance du 21 mars 2000, dit pour droit:

Ni la directive 91-493-CEE du Conseil, du 22 juillet 1991, fixant les règles sanitaires régissant la production et la mise sur le marché des produits de la pêche, et la décision 94-356-CE de la Commission, du 20 mai 1994, portant modalités d'application de la directive 91-493-CEE du Conseil en ce qui concerne les autocontrôles sanitaires pour les produits de la pêche, ni les articles 28 CE et 30 CE ne s'opposent à l'application de règles nationales établissant une tolérance égale à zéro quant à la présence de la listeria monocytogenes dans des produits à base de poisson non conservés par un procédé chimique.