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Décisions

CJCE, 5e ch., 29 avril 1999, n° C-267/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coursier

Défendeur :

Fortis Bank (SA), Bellami, épouse Coursier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Puissochet

Avocat général :

M. La Pergola

Juges :

MM. Jann, Moitinho de Almeida, Gulmann, Edward

Avocats :

Mes Kauffman, Noesen

CJCE n° C-267/97

29 avril 1999

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par arrêt du 26 juin 1997, parvenu à la Cour le 22 juillet suivant, la Cour supérieure de justice a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question sur l'interprétation de l'article 31, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la "convention de Bruxelles").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Coursier, demeurant en France, à Fortis Bank SA (ci-après "Fortis"), établie à Luxembourg, et à Mme Bellami, épouse Coursier, demeurant en France, au sujet de l'exécution à Luxembourg d'un arrêt rendu le 6 janvier 1993 par la Cour d'appel de Nancy (France) (ci-après l'"arrêt litigieux"), condamnant les époux Coursier-Bellami à rembourser à Fortis le montant d'un emprunt qu'elle leur avait accordé.

3 Le 13 août 1990, Fortis a consenti aux époux Coursier-Bellami un prêt de 480 000 LFR. Compte tenu de la carence de ces derniers, Fortis a, le 22 mars 1991, dénoncé ce prêt et assigné les époux Coursier-Bellami devant le tribunal de leur domicile, en vertu des articles 13 et 14 de la convention de Bruxelles qui concernent la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs. Fortis a obtenu, par l'arrêt litigieux, la condamnation des époux Coursier-Bellami au remboursement de la somme de 563 282 LFR, majorée des intérêts conventionnels et des frais d'instance. Cet arrêt a été signifié aux débiteurs le 24 février 1993.

4 Par jugement du 1er juillet 1993, le Tribunal de commerce de Briey (France) a converti le redressement judiciaire de M. Coursier, exploitant un débit de boissons à Rehon (France), en liquidation judiciaire dans le cadre de laquelle Fortis a fait une déclaration de créance.

5 Par jugement du 16 juin 1994 (ci-après le "jugement de faillite"), ce tribunal a prononcé la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif et a précisé "que les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle uniquement dans les conditions prévues à l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985".

6 L'article 169, premier alinéa, de la loi n° 85-98, du 25 janvier 1985, sur la liquidation des biens et le règlement judiciaire des entreprises, qui fait partie de la section II "Clôture des opérations de liquidation judiciaire" de celle-ci, est libellé, dans sa version qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1994 et qui ne modifie pas, dans le cas présent, le sens de la version précédente, comme suit:

"Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, sauf si la créance résulte:

1_ D'une condamnation pénale soit pour des faits étrangers à l'activité professionnelle du débiteur, soit pour fraude fiscale, au seul bénéfice, dans ce cas, du Trésor public;

2_ De droits attachés à la personne du créancier.

Toutefois, la caution ou le coobligé qui a payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci."

7 M. Coursier ayant par la suite obtenu, en tant que frontalier, un emploi salarié au Luxembourg, Fortis a introduit devant la justice de paix de Luxembourg une procédure de saisie sur le salaire de M. Coursier. Dans le cadre de cette procédure, le président du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a, par ordonnance du 2 juillet 1996, accordé, en vertu de la convention de Bruxelles, l'exequatur à l'arrêt litigieux.

8 Par actes des 9 et 14 août 1996, M. Coursier a, conformément à l'article 36 de la convention de Bruxelles, interjeté appel de cette ordonnance devant la Cour supérieure de justice au motif que, selon l'article 169, premier alinéa, de la loi n° 85-98, l'arrêt litigieux n'étant plus exécutoire en France, l'exequatur ne peut lui être accordé au Luxembourg en vertu de l'article 31 de la convention de Bruxelles.

9 Aux termes de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, cette dernière s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Cependant, selon le second alinéa, point 2, de cette même disposition, sont exclus de son champ d'application les faillites, concordats et autres procédures analogues.

10 L'article 31, premier alinéa, qui fait partie de la section 2, intitulée "Exécution", du titre III de la convention de Bruxelles, prévoit:

"Les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée."

11 Estimant que le litige soulevait un problème d'interprétation de la convention de Bruxelles, la Cour supérieure de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Une décision rendue dans le pays d'origine dans le contexte d'une procédure de liquidation judiciaire, matière exclue du champ d'application de la convention de Bruxelles et qui n'est pas non plus susceptible d'être reconnue dans le pays requis en vertu du droit national de cet État, mais qui, dans le pays où elle a été rendue, confère à l'une des parties une immunité d'exécution de la décision dont l'exequatur est demandé, affecte-t-elle le caractère exécutoire auquel sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution d'une décision selon l'article 31, premier alinéa, de la convention?"

Sur la portée de la question préjudicielle

12 Pour répondre à la question posée, il convient de mettre en exergue, à titre liminaire, les éléments du dossier relatifs à la portée et aux effets juridiques de l'arrêt litigieux ainsi que ceux du jugement de faillite.

13 Il résulte des termes mêmes de l'arrêt litigieux qu'il est revêtu de la formule exécutoire. Cet arrêt a été signifié aux époux Coursier-Bellami le 24 février 1993 et, faute d'un pourvoi introduit à l'encontre de celui-ci, est passé en force de chose jugée.

14 Il est constant qu'une telle décision relève du champ d'application de la convention de Bruxelles et qu'elle est, en tant que telle, susceptible de bénéficier du régime de reconnaissance et d'exécution prévu à son titre III.

15 Il ressort du dossier que les époux Coursier-Bellami ne prétendent pas que l'obligation de paiement de la dette judiciairement reconnue par l'arrêt litigieux a été éteinte du fait du paiement de la dette ou d'une autre cause, telle que la prescription.

16 S'agissant du jugement de faillite, il porte sur une matière, à savoir la faillite, expressément exclue du champ d'application de la convention de Bruxelles par son article 1er, second alinéa, point 2.

17 Il ressort du dossier au principal que le tribunal de commerce de Briey a, conformément à l'article 167 de la loi n° 85-98, prononcé la clôture de la liquidation judiciaire au motif que la poursuite des opérations de liquidation judiciaire était devenue impossible en raison de l'insuffisance d'actif.

18 Conformément à l'article 169, premier alinéa, de la loi n° 85-98, le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif a pour effet d'interdire aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. Selon les éléments d'information dont dispose la Cour, cette disposition n'a pas pour conséquence d'éteindre l'obligation de paiement dans le chef du débiteur, de sorte qu'une obligation naturelle subsiste à la charge de celui-ci et que, s'il se libère spontanément entre les mains du créancier, un tel versement ne pourra pas être qualifié de paiement indu sujet à répétition.

Sur la question préjudicielle

19 Selon Fortis, l'article 169 de la loi n° 85-98 confère une sorte d'immunité d'exécution uniquement à M. Coursier, et ce seulement en France, immunité qui ne retire pas à l'arrêt litigieux son caractère intrinsèquement exécutoire relevant de l'article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles.

20 M. Coursier estime que, en vertu de l'article 169 de la loi n° 85-98, l'arrêt litigieux a perdu son caractère exécutoire à son encontre. Il ressortirait spécialement du libellé de l'article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles que l'immunité personnelle d'exécution dont il bénéficie en France joue également à son profit dans les autres États contractants.

21 Selon la Commission, l'arrêt litigieux ne remplit pas la condition visée à l'article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, selon laquelle une décision doit être effectivement exécutable dans l'État d'origine. En effet, il n'y aurait pas lieu de reconnaître à l'arrêt litigieux une autorité et une efficacité supérieures à celles qu'il possède déjà dans l'État d'origine. A cet égard, même si le jugement de faillite est exclu du champ d'application de la convention de Bruxelles en vertu de son article 1er, second alinéa, point 2, il aurait une incidence qui serait indissociable de l'exécution de l'arrêt litigieux.

22 Eu égard aux termes de la question préjudicielle, il y a lieu de souligner qu'un arrêt tel que l'arrêt litigieux est, en principe, susceptible de bénéficier du régime de reconnaissance des décisions prévu par la section première du titre III (articles 26 à 30) de la convention de Bruxelles.

23 Le régime d'exécution des décisions est prévu à la section 2 du titre III (articles 31 à 45) de la convention de Bruxelles. Il résulte de l'article 31, premier alinéa, qui fait partie de ce régime, que le caractère exécutoire de la décision dans l'État d'origine constitue une condition de l'exécution de cette décision dans l'État requis.

24 Il y a lieu, toutefois, d'opérer une distinction entre, d'une part, la question de savoir si une décision revêt, du point de vue formel, un caractère exécutoire et, d'autre part, celle de savoir si cette décision ne peut plus être exécutée en raison du paiement de la dette ou d'un autre motif.

25 A cet égard, la convention de Bruxelles tend à faciliter la libre circulation des jugements, en mettant en place une procédure simple et rapide dans l'État contractant où l'exécution d'une décision étrangère est demandée. Cette procédure d'exequatur constitue un système autonome et complet (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank, 148-84, Rec. p. 1981, point 17, et du 21 avril 1993, Sonntag, C-172-91, Rec. p. I-1963, points 32 et 33).

26 Ainsi, selon l'article 34 de la convention de Bruxelles, la procédure tendant à l'obtention d'une autorisation d'exécution se déroule dans les plus brefs délais, sans que la partie contre laquelle l'exécution est demandée puisse, à ce stade de la procédure, présenter d'observations.

27 D'après l'article 36 de la convention de Bruxelles, la partie contre laquelle l'exécution est demandée ne peut présenter d'observations qu'à un stade ultérieur de la procédure, à savoir dans le cadre d'un recours contre la décision par laquelle l'exécution est autorisée et devant l'une des juridictions mentionnées à l'article 37, premier alinéa, de cette convention.

28 Ainsi, la Cour a jugé que la convention de Bruxelles se borne à régler la procédure d'exequatur des titres exécutoires étrangers et ne touche pas à l'exécution proprement dite qui reste soumise au droit national du juge saisi (voir arrêts Deutsche Genossenschaftsbank, précité, point 18, et du 4 février 1988, Hoffmann, 145-86, Rec. p. 645, point 27).

29 Dans ces conditions, il ressort de l'économie générale de la convention de Bruxelles que le terme "exécutoires" figurant à l'article 31 de cette convention vise uniquement le caractère exécutoire, du point de vue formel, des décisions étrangères et non les conditions dans lesquelles ces décisions peuvent être exécutées dans l'État d'origine.

30 Cette interprétation est confortée par le rapport sur la convention du 26 mai 1989 (JO 1990, C 189, p. 35). Selon le paragraphe 29 de ce rapport, bien que l'expression "déclarées exécutoires" figurant à l'article 31 de la convention de Bruxelles ait remplacé l'expression "revêtues de la formule exécutoire" qui figure dans sa version originale pour rendre cette convention conforme à celle de Lugano, du 16 septembre 1988, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 319, p. 9), ces deux expressions peuvent être considérées comme pratiquement équivalentes.

31 Il s'ensuit qu'une décision, telle que l'arrêt litigieux, qui est formellement revêtue du caractère exécutoire, doit, en principe, bénéficier du régime d'exécution prévu au titre III de la convention de Bruxelles.

32 S'agissant d'un jugement tel que le jugement de faillite, matière expressément exclue du champ d'application de la convention de Bruxelles, il appartient au juge de l'État requis dans le cadre d'un recours présenté conformément à l'article 36 de la convention de Bruxelles de déterminer, selon son propre droit, y compris les règles de droit international privé, quels en sont les effets juridiques sur son territoire.

33 Il convient dès lors de répondre à la question posée que le terme "exécutoires" figurant à l'article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'il vise uniquement le caractère exécutoire, du point de vue formel, des décisions étrangères et non les conditions dans lesquelles ces décisions peuvent être exécutées dans l'État d'origine. Il appartient au juge de l'État requis dans le cadre d'un recours présenté conformément à l'article 36 de la convention de Bruxelles de déterminer, selon son propre droit, y compris les règles de droit international privé, quels sont les effets juridiques d'une décision rendue dans l'État d'origine dans le contexte d'une procédure de liquidation judiciaire.

Sur les dépens

34 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour supérieure de justice, par arrêt du 26 juin 1997, dit pour droit:

Le terme "exécutoires" figurant à l'article 31, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise, doit être interprété en ce sens qu'il vise uniquement le caractère exécutoire, du point de vue formel, des décisions étrangères et non les conditions dans lesquelles ces décisions peuvent être exécutées dans l'État d'origine. Il appartient au juge de l'État requis dans le cadre d'un recours présenté conformément à l'article 36 de la convention du 27 septembre 1968 de déterminer, selon son propre droit, y compris les règles de droit international privé, quels sont les effets juridiques d'une décision rendue dans l'État d'origine dans le contexte d'une procédure de liquidation judiciaire.