CA Nouméa, 31 juillet 2003, n° 270-2002
NOUMÉA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chevalier
Défendeur :
Espace Réduit (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fey
Conseillers :
MM. Stoltz, Mesière
Avocats :
Selarl Benech-Boiteau, Selarl Descombes
Procédure de première instance
Par acte notarié en date du 4 janvier 2000, Monsieur Jean-Claude Chevalier a cédé à la société Luvant-Kaddour dénommée Espace Réduit un fonds de commerce artisanal de terrassement comprenant, outre la clientèle et un contrat passé avec la SLN, du matériel commercial servant à l'exploitation de ce fonds.
Ce matériel comprenait notamment une mini-pelle Komatsu.
Par une requête en date du 7 juin 2001, la société Espace Réduit a assigné monsieur Chevalier devant le Tribunal de première instance de Nouméa afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 1 268 755 F avec intérêt de droit, montant qui correspond à la remise en état de la pelle Komatsu,
Il était réclamé en outre la somme de 2 500 000 F en réparation du préjudice subi et la somme de 160 000 F au titre des frais irrépétibles.
La SARL Espace Réduit exposait avoir rencontré rapidement des difficultés dans l'utilisation de la mini-pelle Komatsu et, les pannes se multipliant, ce matériel avait été confié aux établissements Ballande pour une remise en état.
Elle exposait qu'un expert sollicité par elle, monsieur Raymond Clerc, avait examiné l'engin et qu'il en avait conclu que Monsieur Chevalier ne pouvait pas ignorer l'usure prématurée du moteur et le mauvais état général du matériel. Il était ajouté que l'horomètre manquait de fiabilité et que le nombre d'heures de fonctionnement du matériel figurant sur cet horomètre ne correspondait pas à la réalité. Il en concluait l'existence de vices cachés.
Sur le préjudice, la société Espace Réduit exposait que l'immobilisation du matériel lui avait causé un préjudice évident puisqu'elle avait perdu l'opportunité de réaliser de très nombreux chantiers qui lui auraient permis d'encaisser un chiffre d'affaire supplémentaire d'un minimum de 300 à 400 000 F par marché soit au total 1 500 000 F.
Monsieur Chevalier a conclu en réplique au rejet de la demande et sollicité la somme de 160 000 F au titre des frais irrépétibles.
Il expose que le contrat prévoyait une clause exonératoire de responsabilité empêchant l'acquéreur d'élever une réclamation pour quelque cause que ce soit notamment pour plus ou moins bon état des éléments corporels.
Il ajoute qu'il n'est démontré aucune faute contractuelle à son encontre en indiquant que la société Espace Réduit n'ignorait pas qu'il s'agissait d'une pelle d'occasion et que le matériel vendu en l'état avait pu être examiné et essayé.
Sur le rapport d'expertise établi par monsieur Clerc, Monsieur Chevalier relève qu'il n'a aucun caractère contradictoire et que les constatations faites d'une usure rapide du bloc moteur peuvent être expliquées par une mauvaise utilisation ou un mauvais entretien de la pelle par les acquéreurs pendant six mois avant.
La société Espace Réduit précisait qu'elle fondait son action sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil et que cette action ne pouvait être prescrite. Elle indiquait avoir assigné en référé Monsieur Chevalier le 21 décembre 2000 soit trois semaines après la découverte du vice constitué par l'usure anormale volontairement dissimulée à l'acheteur par le vendeur.
Elle indiquait par ailleurs que l'expertise présentait un caractère contradictoire puisque Monsieur Clerc avait procédé à l'audition de Monsieur Chevalier.
Par jugement en date du 10 juin 2002, le Tribunal de première instance de Nouméa a fait droit à la demande de la société Espace Réduit et a condamné Monsieur Jean-Claude Chevalier à lui verser la somme de 1 268 755 F avec intérêt légal à compter du jour du jugement outre la somme de 80 000 F au titre des frais irrépétibles.
Procédure d'appel
Le 5 juillet 2002, Monsieur Chevalier a relevé appel de ce jugement signifié le 27 juin 2002.
Dans son mémoire ampliatif en date du 4 septembre 2002 il conclut à la réformation de cette décision au motif que le rapport d'expertise produit ne présente aucun caractère contradictoire à son égard et doit être écarté des débats et que l'existence d'un vice caché n'est pas démontrée, s'agissant d'un véhicule d'occasion que l'acquéreur a pu examiner et essayer avant la vente, cet acquéreur ayant été au surplus informé des dysfonctionnements de l'horomètre et ayant pu consulter le contrat d'entretien et tous autres documents faisant apparaître la réalité des travaux exécutés pour le compte de la SLN.
Monsieur Chevalier estimait que l'usure constatée par l'expert pouvait résulter d'un manque d'entretien par l'acquéreur après la vente car, compte tenu des conditions de travail dans un air saturé de particules de minéraux de nickel, il convenait de nettoyer les filtres à air au moins deux fois par jour sous peine d'abîmer le moteur.
Il précisait de plus que l'acquéreur était un professionnel qui ne pouvait avoir été surpris lors de la vente et rappelait qu'une clause d'exclusion de garantie avait été prévue à l'acte.
Monsieur Chevalier sollicite la somme de 180 000 FCFP au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions du 2 décembre 2002, la société Espace Réduit a demandé la confirmation du jugement mais formé appel incident en demandant à la cour de condamner Monsieur Chevalier à lui payer la somme de 2 500 000 FCFP à titre de dommages et intérêts, cette demande ayant été rejetée par le premier juge.
Elle réclame par ailleurs la somme de 200 000 FCFP au titre des frais irrépétibles.
Sur le caractère contradictoire du rapport de l'expert, elle souligne que celui-ci s'est rendu au domicile de Monsieur Chevalier qui a pu fournir toutes les explications qu'il souhaitait.
Sur l'existence du vice, l'expert est catégorique et relève une usure prématurée du moteur ainsi qu'un mauvais état général de l'engin dont l'horomètre n'était pas fiable, ce que savait Monsieur Chevalier puisqu'il dit l'avoir précisé au moment de la vente.
Il est soutenu de ce fait que le vice était antérieur à la vente et la société Espace Réduit expose que le fait qu'elle est professionnelle ne pouvait l'empêcher d'être victime de la supercherie résultant de l'absence de fiabilité de l'horomètre, cette manœuvre conduisant à écarter l'exclusion contractuelle de garantie.
Dans ses dernières écritures, Monsieur Chevalier maintient que le rapport doit être écarté des débats car l'expert s'est borné à recueillir son avis sur les conditions de la vente après que les opérations d'expertise aient été terminées et sans connaître les conclusions que l'expert en tirait.
Sur l'usure anormale relevée, il estime que l'acquéreur n'a pas procédé à l'entretien qu'imposaient les conditions d'utilisation de la pelle en ne changeant pas les filtres à air 2 fois par jour comme il le faisait.
Il ajoute que le matériel était accessoire lors de la transaction par rapport à la cession du contrat avec la SLN et que le prix de vente du fonds avait été convenu au prix de 30 000 000 FCFP alors qu'il en était espéré 40 000 000 FCFP.
A l'audience, il a été précisé que la société Luvant-Kaddour avait changé de dénomination sociale est s'appelait désormais société Espace Réduit.
Motifs de la décision
Sur la procédure
L'appel interjeté par Monsieur Chevalier dans les formes et les délais légaux est recevable.
Il sera par ailleurs donné acte à la société Luvant-Kaddour de son changement de dénomination sociale.
Sur le fond
La société Espace Réduit fonde sa demande sur l'existence d'un vice qui lui aurait été caché au moment de la vente, à savoir une usure anormale du moteur de la pelle mécanique.
Il sera relevé que la société Espace Réduit a utilisé cette pelle pendant plusieurs mois après l'avoir achetée d'occasion en même temps que le fonds de commerce à partir du mois d'avril 2000, cette pelle achetée quatre années auparavant par Monsieur Chevalier ayant été évaluée dans l'inventaire du matériel vendu pour une valeur de 1 736 590 F.
Par ailleurs, il apparaît des pièces produites que ce matériel n'a connu aucune panne significative avant qu'il ne soit confié pour une simple révision aux établissements Ballande fin août 2000 : seules en effet sont produites une facture portant sur un achat de batterie et une autre facture relative au remplacement des chenilles.
Il appartient à la société Espace Réduit de démontrer que l'usure anormale du moteur qu'elle invoque est antérieure à la vente et qu'elle était connue de Monsieur Chevalier.
L'expertise à laquelle la société Espace Réduit a fait procéder unilatéralement après que les établissements Ballande lui aient indiqué que la remise en état s'élèverait à la somme de 1 268 755 F a effectivement révélé une usure anormale du moteur.
Au plan procédural, ce rapport ne saurait être considéré comme contradictoire à l'égard de Monsieur Chevalier comme le soutient la société Espace Réduit au motif que l'expert a procédé à l'audition de Monsieur Chevalier.
En effet, l'expert a procédé seul à ses investigations et n'a aucunement fait part du résultat de ses travaux à Monsieur Chevalier lequel n'a été entendu qu'en qualité de simple sachant avant que l'expert n'établisse unilatéralement ses conclusions.
Ce rapport doit en conséquence être écarté des débats et, en tout état de cause, l'expert ne démontre aucunement que l'usure anormale constatée était antérieure à la vente en faisant mention dans ses conclusions d'un entretien sommaire de cet engin par Monsieur Chevalier.
S'il est constant que l'horomètre de cette pelle n'indiquait pas avec exactitude le temps d'activité du moteur comme s'accordent à le dire l'une et l'autre des parties, la société Espace Réduit soutient que Monsieur Chevalier ne l'en a pas informé, ce que ce dernier conteste.
En l'absence d'autres éléments de preuve sur ce point, une incertitude demeure mais la société Espace Réduit, en sa qualité de professionnelle, ne pouvait ignorer que ce type de compteur n'est pas rigoureusement fiable et, de plus, elle était à même de vérifier au travers des pièces remises lors de l'achat du fonds de commerce le volume de travail effectivement accompli par cette pelle pour le compte de la SLN, étant ajouté que les acquéreurs ont pu examiner et essayer ce matériel avant l'achat et que l'état apparent des chenilles qu'ils ont changées ne pouvait les tromper.
Par ailleurs, il est essentiel de relever que messieurs Luvant et Kaddour qui avaient eux-mêmes travaillé dans l'enceinte de la SLN ne pouvaient ignorer que cette pelle fonctionnait depuis quatre ans dans des conditions extrêmement difficiles dans un air saturé de poussières de nickel, ce qui imposait le nettoyage des filtres au moins deux fois par jour comme l'attestent Monsieur Bouteiller et Monsieur Henin, anciens chauffeurs de cet engin, ainsi que les factures d'achat de filtres produites par Monsieur Chevalier qui démontrant que ce dernier a procédé à un entretien régulier et attentif de ce matériel contrairement à ce qu'a pu indiquer l'expert mandaté par la société Espace Réduit.
Par contre, la société Espace Réduit ne justifie aucunement avoir pris ces précautions lors de l'utilisation de ce matériel à compter de la vente et il est dès lors incontestable que cette absence de précaution a pu provoquer très rapidement une usure anormale du moteur.
Compte tenu de ses éléments, la preuve d'un vice caché antérieur à la vente n'est pas rapportée.
La cour en conséquence réforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur Chevalier au paiement de la somme de remise en état pour un montant de 1 268 755 F.
Le jugement sera par contre confirmé en ce qu'il a débouté la société Espace Réduit de sa demande en dommages et intérêts.
Au titre des frais irrépétibles, il est équitable d'allouer à Monsieur Chevalier la somme de 100 000 F.
La société Espace Réduit qui succombe supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire; Déclare l'appel principal de Monsieur Chevalier et l'appel incident de la société Espace Réduit anciennement dénommée Luvant-Kaddour recevables, Reforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur Chevalier au paiement de la somme de remise en état pour un montant de 1 268 755 F, Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en dommages-intérêts présentée par la société Espace Réduit, Déboute la société Espace Réduit de ses autres demandes, Condamne la société Espace Réduit à payer à Monsieur Chevalier la somme de cent mille (100 000) FCFP au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, Condamne la société Espace Réduit aux entiers dépens tant de première instance que d'appel avec distraction au profit de la Selarl Bennech-Boiteau, avocats aux offres de droit.