CJCE, 5e ch., 1 février 2001, n° C-237/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. La Pergola
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Wathelet, Edward, Jann, Sevón
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 juin 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, à l'occasion de différentes procédures d'adjudication de marchés publics concernant la construction de logements effectuées par des offices publics d'aménagement et de construction (ci-après les "OPAC") et par des sociétés anonymes d'habitations à loyer modéré (ci-après les "SA HLM"), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54, ci-après la "directive"), et plus particulièrement de son article 11, paragraphe 2.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2. La directive dispose, à son article 1er, sous b) :
"Sont considérés comme pouvoirs adjudicateurs l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.
On entend par 'organisme de droit public tout organisme:
- créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial
et
- doté de la personnalité juridique
et
- dont soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.
Les listes des organismes et des catégories d'organismes de droit public qui remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa du présent point figurent à l'annexe I. Ces listes sont aussi complètes que possible et peuvent être révisées selon la procédure prévue à l'article 35. À cet effet, les États membres notifient périodiquement à la Commission les modifications intervenues dans leurs dites listes."
3. L'article 11, paragraphe 2, de la directive prévoit:
"Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de travaux par procédure ouverte, restreinte ou négociée dans les cas visés à l'article 7 paragraphe 2 font connaître leur intention au moyen d'un avis."
La réglementation nationale
4. Les dispositions pertinentes du droit français se trouvent dans le livre IV du Code de la construction et de l'habitation (ci-après le "Code"). Aux termes de son article L. 411-1, elles "ont pour objet de fixer les règles relatives à la construction, l'acquisition, l'aménagement, l'assainissement, la réparation, la gestion d'habitations collectives ou individuelles, urbaines ou rurales, répondant aux caractéristiques techniques et de prix de revient déterminées par décision administrative et destinées aux personnes et aux familles de ressources modestes".
5. Aux termes de l'article L. 411-2 du Code, "[l]es organismes d'habitations à loyer modéré comprennent:
- les offices publics d'aménagement et de construction;
- les offices publics d'habitations à loyer modéré;
- les sociétés anonymes d'habitations à loyer modéré;
- les sociétés anonymes coopératives de production d'habitations à loyer modéré;
- les sociétés anonymes de crédit immobilier;
- les fondations d'habitations à loyer modéré."
6. Il ressort de l'article L. 421-1 du Code que les OPAC sont des établissements publics à caractère industriel et commercial.
7. Conformément à l'article L. 422-2 du Code, les SA HLM ont pour objet de réaliser, dans les conditions fixées par leurs statuts, principalement en vue de la location, les opérations prévues à l'article L. 411-1 dudit Code.
8. L'article L. 451-1 du Code dispose que les organismes d'habitations à loyer modéré sont soumis au contrôle de l'Administration. Conformément à l'article R. 451-1 du même Code, ce contrôle appartient au ministre chargé des finances et au ministre chargé de la construction et de l'habitation.
9. L'article L. 451-2 du Code précise que les fonctionnaires chargés du contrôle peuvent, dans l'intérêt exclusif de ce contrôle, consulter, dans les bureaux des architectes ou entrepreneurs ayant traité avec des organismes soumis à ce même contrôle, tous documents comptables, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses.
10. L'article L. 422-7 du Code énonce:
"En cas d'irrégularités graves, de faute grave dans la gestion ou de carence du conseil d'administration ou du directoire et du conseil de surveillance d'une société d'habitations à loyer modéré ou de crédit immobilier, le ministre chargé de la construction et de l'habitation peut, après avoir entendu les observations de la société ou celle-ci ayant été dûment appelée à les présenter, prononcer sa dissolution et nommer un liquidateur."
11. Selon l'article L. 422-8 du Code, le ministre chargé du logement peut se borner, dans ces cas, à suspendre les organes dirigeants et nommer un administrateur provisoire, auquel est transféré, de plein droit, l'ensemble de leurs pouvoirs pour la continuation des opérations en cours.
12. L'article L. 423-1, premier alinéa, du Code dispose:
"Tout organisme d'habitations à loyer modéré qui gère moins de 1 500 logements et qui n'a pas construit au moins 500 logements ou accordé 300 prêts pendant une période de dix ans peut être dissous et un liquidateur désigné par arrêté du ministre chargé de la construction et de l'habitation et, lorsqu'il s'agit d'un office public d'habitations à loyer modéré ou d'un office public d'aménagement et de construction, par arrêté conjoint dudit ministre et du ministre de l'Intérieur."
13. Aux termes de l'article L. 423-2 du Code:
"Tout organisme d'habitations à loyer modéré gérant plus de 50 000 logements peut être mis en demeure, par arrêté du ministre chargé de la construction et de l'habitation, de céder tout ou partie des logements excédant ce nombre à un ou plusieurs organismes nommément désignés".
14. Par le décret n° 93-236, du 22 février 1993 (JORF du 24 février 1993, p. 2941), une mission interministérielle d'inspection du logement social a été créée. Aux termes de l'article 3 de ce décret:
"La mission est chargée du contrôle des personnes physiques ou morales intervenant dans le domaine du logement social.
Elle contrôle sur pièces et sur place les opérations de construction, d'acquisition ou d'amélioration de logements réalisés au moyen de financements aidés ou réglementés par l'État ou faisant l'objet d'une convention avec celui-ci, ou adossés à des ressources défiscalisées.
[...]
Elle peut être chargée par les ministres dont elle relève de contrôles et d'enquêtes ainsi que d'études, d'audits ou d'évaluations dans le domaine du logement social.
Elle formule des propositions sur les suites à donner à ses rapports d'inspection et s'assure de la mise en œuvre par les personnes contrôlées des mesures prises par les ministres dont elle relève.
La mission apporte, à leur demande, son soutien aux services déconcentrés des ministères chargés de l'économie, des finances, du budget et de l'équipement."
La procédure précontentieuse
15. La Commission a adressé aux autorités françaises, le 7 décembre 1995, une lettre de mise en demeure. Dans cette lettre, la Commission remettait en cause la compatibilité avec le droit communautaire des procédures d'attribution de marchés publics de travaux par différents organismes gestionnaires d'habitations à loyer modéré.
16. Plus précisément, la Commission s'est référée à un avis d'appel d'offres ouvert publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 7 février 1995 par l'OPAC du Val-de-Marne, à un avis d'appel d'offres restreint que la SA HLM Logirel, établie à Lyon (France), avait fait paraître au Moniteur des travaux publics et du bâtiment du 17 février 1995 et à un avis de marchés négociés que l'OPAC de Paris avait fait paraître au Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 16 février 1995.
17. La Commission a relevé que les organismes en question n'avaient pas publié lesdits avis au Journal officiel des Communautés européennes, contrairement aux exigences de l'article 11, paragraphe 2, de la directive.
18. Les autorités françaises ont répondu en soutenant que lesdits organismes n'étaient pas des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive.
19. N'étant pas satisfaite de cette réponse et au vu de la pratique constante des organismes en question, consistant à s'abstenir de toute publication des avis de marchés au Journal officiel des Communautés européennes, la Commission a adressé, le 10 août 1998, un avis motivé à la République française, dans lequel elle constate que cette dernière a méconnu ses obligations découlant de la directive.
20. La République française s'étant bornée à reprendre, dans sa lettre répondant à l'avis motivé, les arguments déjà développés dans la réponse à la mise en demeure, la Commission a introduit le présent recours.
Sur l'objet du recours
21. La Commission demande à la Cour de constater que, à l'occasion de différentes procédures d'adjudication de marchés publics concernant la construction de logements effectuées par des OPAC et des SA HLM, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.
22. Or, il y a lieu de constater qu'à l'origine du présent recours se trouvent trois procédures d'adjudication bien précises, effectuées respectivement par les OPAC de Paris et du Val-de-Marne, ainsi que par la SA HLM Logirel. C'est le non-respect de la directive dans le cadre de ces trois passations de marchés publics qui a été reproché à la République française tout au long de la procédure précontentieuse.
23. Il est vrai que, dans l'avis motivé, la Commission a précisé qu'elle reprochait également à la République française de n'avoir pris aucune mesure d'ordre général pour assurer le respect du droit communautaire applicable aux procédures de passation des marchés publics effectuées par des OPAC et des SA HLM. Force est toutefois de constater que ce grief n'a pas été repris dans la requête.
24. Il convient par conséquent de considérer que l'objet du présent recours se limite aux trois procédures d'adjudication explicitement visées par la Commission dans sa requête.
Sur le fond
Arguments des parties
25. Quant à l'application de la directive aux OPAC, la Commission se réfère tout d'abord aux articles L. 411-1 et L. 421-1 du Code pour démontrer que ces derniers ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel et commercial. Ensuite, elle fait valoir que les OPAC sont dotés de la personnalité juridique. Enfin, la Commission soutient, notamment, que la composition du conseil d'administration des OPAC démontre une prédominance des pouvoirs publics.
26. La Commission en déduit que les OPAC remplissent ainsi les trois conditions caractérisant un organisme de droit public mentionnées à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive.
27. La Commission en conclut que, dans ces circonstances, les OPAC auraient dû respecter l'obligation de publication des avis de marchés en cause au Journal officiel des Communautés européennes prévue à l'article 11, paragraphe 2, de la directive.
28. Quant à l'application de la directive aux SA HLM, la Commission, se référant aux conditions énoncées à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive, infère des articles L. 411-1 et L. 422-2 du Code que ces organismes satisfont également des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel et commercial. Elles seraient par ailleurs dotées de la personnalité juridique.
29. Concernant la troisième condition caractérisant un organisme de droit public, la Commission rappelle qu'elle consiste en trois critères alternatifs. Elle considère que le critère relatif au contrôle de la gestion par la puissance publique est rempli. Elle se réfère à cet égard aux articles L. 451-2 et R. 451-1 du Code selon lesquels les SA HLM sont soumises au contrôle de l'État. Ce contrôle serait explicité dans les articles L. 422-7 et L. 422-8 du Code.
30. Par ailleurs, la Commission se réfère également aux dispositions des articles L. 423-1 et L. 423-2 du Code, ainsi qu'aux clauses types qui doivent être contenues dans les statuts des SA HLM en vertu de l'article R. 422-1 du Code, qui prévoient notamment la transmission aux pouvoirs publics de l'ensemble des documents comptables et des rapports présentés à l'assemblée des actionnaires ainsi que du compte rendu de celle-ci.
31. La Commission fait valoir en outre que la mission interministérielle d'inspection du logement social, créée par le décret n° 93-236, dispose également de pouvoirs de contrôle étendus.
32. Le Gouvernement français ne conteste pas que les OPAC et la SA HLM visés par le recours auraient dû observer l'obligation de publication des avis de marchés prévue par la directive s'ils devaient être considérés comme des organismes de droit public.
33. À la lumière des arrêts du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a. (C-44-96, Rec. p. I-73), et du 10 novembre 1998, BFI Holding (C-360-96, Rec. p. I-6821), il souscrit désormais également à l'analyse de la Commission selon laquelle les OPAC sont des organismes de droit public.
34. En revanche, ledit gouvernement, tout en admettant que les SA HLM réunissent les deux premiers éléments constitutifs de la notion d'organisme de droit public au sens le l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive, soutient que lesdites sociétés ne remplissent aucun des trois critères alternatifs du troisième élément constitutif de ladite notion.
35. S'agissant en particulier du contrôle de la gestion, le Gouvernement français fait valoir que le contrôle exercé en l'espèce par la puissance publique correspond à un contrôle de type administratif et non pas à un contrôle de gestion ou d'investissement. L'État n'aurait pas d'influence sur les décisions concernant la bonne marche des SA HLM. Le Gouvernement français soutient que l'article L. 422-7 du Code ne peut trouver à s'appliquer que dans des conditions exceptionnelles et qu'il ne saurait être déduit de cette disposition qu'un contrôle par la puissance publique est exercé de manière régulière et constante sur la gestion desdites sociétés. Il fait valoir que l'article L. 422-8 du Code concerne également des situations exceptionnelles: d'une part, la nomination d'un administrateur ne pourrait intervenir que dans des cas d'irrégularités graves ou de faute grave et, d'autre part, cette situation n'aurait pas vocation à durer.
36. Le Gouvernement français fait également valoir que le contrôle prévu par les articles L. 451-2 et R. 451-1 du Code consiste en une vérification de la comptabilité des organismes concernés. Dans la pratique, ces dispositions constitueraient plutôt une menace qui pèse constamment sur les organismes susceptibles d'être visités qu'un contrôle de gestion au sens strict, aboutissant à des décisions concernant les choix de stratégie ou d'investissement. Il ne s'agirait pas de moyens permettant d'orienter de manière significative la gestion des organismes en question et les mesures visées par lesdites dispositions seraient sans importance pratique.
37. Par ailleurs, le Gouvernement français soutient dans sa duplique que le contrôle exercé en vertu du décret n° 93-236 se situe dans le cadre d'une mission d'inspection de nature administrative, assurant le respect de la réglementation, la transparence de l'affectation des fonds utilisés par les SA HLM et l'information du ministre en charge de la construction et de l'habitation.
38. Le Gouvernement du Royaume-Uni, qui a été admis à intervenir dans le présent litige à l'appui des conclusions de la République française par ordonnance du président de la Cour du 26 janvier 2000, défend également la thèse selon laquelle les termes "contrôle de gestion" ne recouvrent ni le simple contrôle de légalité ou de l'usage approprié des fonds ni des mesures exceptionnelles susceptibles d'être prises à l'encontre d'un organisme déterminé.
Appréciation de la Cour
39. Le présent litige portant sur la qualification éventuelle de différents organismes comme organismes de droit public au sens de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive, il y a lieu de rappeler que, aux termes de cette disposition, un organisme de droit public est un organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, doté de la personnalité juridique et dépendant étroitement de l'État, de collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public (voir arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, point 20).
40. Il y a lieu de rappeler également que les trois conditions qu'énonce ladite disposition ont un caractère cumulatif (arrêt Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, point 21).
41. Par ailleurs, en ce qui concerne l'objectif de la directive, la Cour a jugé que la coordination au niveau communautaire des procédures de passation des marchés publics vise à supprimer les entraves à la libre circulation des services et des marchandises et donc à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d'offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre (voir, en dernier lieu, arrêt du 3 octobre 2000, University of Cambridge, C-380-98, non encore publié au Recueil, point 16).
42. Il s'ensuit que l'objectif de la directive est d'exclure à la fois le risque qu'une préférence soit donnée aux soumissionnaires ou candidats nationaux lors de toute passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs et la possibilité qu'un organisme financé ou contrôlé par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres qu'économiques (arrêt University of Cambridge, précité, point 17).
43. C'est à la lumière de ces objectifs que la notion de pouvoir adjudicateur, y compris celle d'organisme de droit public, doit recevoir une interprétation fonctionnelle (voir, en ce sens, en dernier lieu, arrêt du 17 décembre 1998, Commission/Irlande, C-353-96, Rec. p. I-8565, point 36).
44. S'agissant des critères alternatifs figurant à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, de la directive, il y a lieu de rappeler qu'ils reflètent chacun la dépendance étroite d'un organisme à l'égard de l'État, des collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public (arrêt University of Cambridge, précité, point 20).
45. À la lumière de cette jurisprudence, il y a lieu de constater, en ce qui concerne les OPAC, qu'il ressort effectivement de la réglementation les concernant, telle qu'elle a été décrite par la Commission, dont l'argumentation n'a au demeurant pas été contredite sur ce point par le Gouvernement français, qu'ils remplissent les trois conditions caractérisant un organisme de droit public qui figurent à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive.
46. Il s'ensuit que le recours est fondé en tant qu'il reproche à la République française le fait que les deux OPAC qu'il vise explicitement n'ont pas respecté l'obligation de publication des avis de marchés au Journal officiel des Communautés européennes prévue à l'article 11, paragraphe 2, de la directive.
47. S'agissant des SA HLM, il est constant et le Gouvernement français ne conteste au demeurant pas qu'elles satisfont des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial et qu'elles sont dotées de la personnalité juridique.
48. Quant à la troisième condition caractérisant un organisme de droit public, il convient d'examiner si les différents contrôles auxquels les SA HLM sont soumises créent une dépendance de celles-ci à l'égard des pouvoirs publics qui permet à ces derniers d'influencer leurs décisions en matière de marchés publics.
49. Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 48 de ses conclusions, étant donné que le contrôle de gestion au sens de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, de la directive constitue l'un des trois critères mentionnés par cette disposition, il doit créer une dépendance à l'égard des pouvoirs publics équivalente à celle qui existe lorsque l'un des deux autres critères alternatifs est rempli, à savoir le financement provenant majoritairement des pouvoirs publics ou la nomination par ces derniers de plus de la moitié des membres composant les organes dirigeants de la SA HLM.
50. À cet égard, il convient de constater, d'une part, ainsi que l'a fait M. l'avocat général aux points 53 à 64 de ses conclusions, que, si les SA HLM sont des sociétés commerciales, leur activité est toutefois très étroitement encadrée.
51. En effet, l'article L. 411-1 du Code définit leurs activités en des termes généraux et dispose que les caractéristiques techniques ainsi que les prix de revient sont déterminés par décision administrative. Aux termes de l'article R. 422-1 du Code, les statuts des SA HLM doivent contenir des clauses conformes aux clauses types reproduites en annexe audit Code, clauses qui sont très détaillées, notamment quant à l'objet social de ces entités.
52. Or, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 67 de ses conclusions, dès lors que les règles de gestion sont très détaillées, la simple surveillance de leur respect peut, à elle seule, aboutir à conférer une emprise importante aux pouvoirs publics.
53. D'autre part, en ce qui concerne les contrôles prévus sur l'activité des SA HLM, il y a lieu de constater, tout d'abord, que, conformément aux articles L. 451-1 et R. 451-1 du Code, les organismes d'habitations à loyer modéré sont soumis au contrôle de l'Administration et plus précisément du ministre chargé des Finances ainsi que du ministre chargé de la Construction et de l'Habitation. Ces dispositions ne précisent pas dans quelles limites un tel contrôle est exercé ni si celui-ci se borne à une simple vérification de comptabilité, ainsi que le prétend le Gouvernement français, lequel n'a toutefois assorti cette allégation d'aucun élément de preuve susceptible d'en établir la véracité.
54. Ensuite, il y a lieu de rappeler le pouvoir que détient le ministre chargé de la Construction et de l'Habitation, en vertu de l'article L. 422-7 du Code, de prononcer la dissolution d'une SA HLM et de nommer un liquidateur, ainsi que son pouvoir de suspendre les organes dirigeants et de nommer un administrateur provisoire, qui lui est conféré par l'article L. 422-8 dudit Code.
55. Ces pouvoirs sont prévus pour des cas d'irrégularités graves, de faute grave dans la gestion ou de carence du conseil d'administration ou du directoire et du conseil de surveillance. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 72 à 75 de ses conclusions, les deux derniers cas d'intervention de l'Administration relèvent de la politique de gestion de la société concernée et non pas du simple contrôle de la régularité.
56. En outre, en admettant même que, ainsi que le soutient le Gouvernement français, l'exercice des pouvoirs conférés au ministre compétent par lesdites dispositions demeure effectivement exceptionnel, il implique néanmoins un contrôle permanent qui seul permet la découverte de fautes graves ou de carences de la part des organes dirigeants.
57. En outre, il ressort des articles L. 423-1 et L. 423-2 du Code que le ministre chargé de la Construction et de l'Habitation peut imposer aux SA HLM un profil de gestion déterminé soit en les contraignant à un minimum de dynamisme, soit en limitant leur activité considérée comme excessive.
58. Enfin, il y a lieu de relever que la mission interministérielle d'inspection du logement social créée par le décret n° 93-236 peut être chargée, outre des contrôles sur pièces et sur place des opérations des organismes d'habitations à loyer modéré, d'études, d'audits ou d'évaluations dans le domaine du logement social et peut formuler des propositions sur les suites à donner à ses rapports d'inspection. Elle s'assure également de la mise en œuvre par les personnes contrôlées des mesures prises par les ministres dont elle relève.
59. Il découle de l'ensemble des dispositions mentionnées aux points 51 à 58 du présent arrêt que la gestion des SA HLM est soumise à un contrôle des pouvoirs publics qui leur permet d'influencer les décisions de ces dernières en matière de marchés publics.
60. Par conséquent, les SA HLM, qui satisfont également à tout le moins à l'un des trois critères alternatifs mentionnés à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, de la directive, remplissent ainsi les trois conditions caractérisant un organisme de droit public au sens de celle-ci et sont des pouvoirs adjudicateurs.
61. Il s'ensuit que le recours est également fondé en tant qu'il concerne la passation d'un marché public par la SA HLM Logirel.
62. Dès lors, il convient de constater que, les OPAC du Val-de-Marne et de Paris ainsi que la SA HLM Logirel n'ayant pas fait publier d'avis de marchés dans le Journal officiel des Communautés européennes, concernant les marchés publics annoncés par avis, respectivement, au Bulletin officiel des annonces des marchés publics des 7 et 16 février 1995 et au Moniteur des travaux publics et du bâtiment du 17 février 1995, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive, et plus particulièrement de son article 11, paragraphe 2.
Sur les dépens
63. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Le Royaume-Uni, qui est intervenu au litige, supportera ses propres dépens, en application de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
Déclare et arrête :
1) Les offices publics d'aménagement et de construction du Val-de-Marne et de Paris ainsi que la société anonyme d'habitations à loyer modéré Logirel n'ayant pas fait publier d'avis de marchés dans le Journal officiel des Communautés européennes, concernant les marchés publics annoncés par avis, respectivement, au Bulletin officiel des annonces des marchés publics des 7 et 16 février 1995 et au Moniteur des travaux publics et du bâtiment du 17 février 1995, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, et plus particulièrement de son article 11, paragraphe 2.
2) La République française est condamnée aux dépens.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supporte ses propres dépens.