CJCE, 6e ch., 13 juin 2002, n° C-430/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Inspecteur van de Belastingdienst Douane, district Rotterdam
Défendeur :
Sea-Land Service Inc., Nedlloyd Lijnen BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Macken
Avocat général :
M. Alber
Juges :
MM. Gulmann, Puissochet, Schintgen, Rodrigues
Avocats :
Mes Smallegange, Braakman
LA COUR (sixième chambre),
1. Par arrêts du 4 novembre 1999, parvenus à la Cour le 8 novembre suivant, le Raad van State a posé, en vertu de l'article 234 CE, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 92, 59 et 56 du traité CE (devenus, après modification, articles 87 CE, 49 CE et 46 CE), ainsi que du règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement l'Inspecteur van de Belastingdienst Douane, district Rotterdam (ci-après l'"Inspecteur"), à Sea-Land Service Inc. (ci-après "Sea-Land") et à Nedlloyd Lijnen BV (ci-après "Nedlloyd") au sujet du paiement d'une redevance pour l'assistance à la navigation.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3. Selon l'article 61, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 51, paragraphe 1, CE), la libre circulation des services dans le domaine des transports est régie par les dispositions du titre relatif aux transports.
4. L'article 84 du traité CE (devenu, après modification, article 80 CE) énonce, à son paragraphe 1, que ces dispositions s'appliquent aux transports par chemin de fer, par route et par voie navigable. Le paragraphe 2 de cet article prévoit que le Conseil "pourra décider si, dans quelle mesure et par quelle procédure des dispositions appropriées pourront être prises pour la navigation maritime et aérienne". Sur cette base, le Conseil a, le 22 décembre 1986, adopté le règlement n° 4055-86.
5. L'article 1er de ce règlement dispose:
"1. La libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers est applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire des services.
2. Les dispositions du présent règlement s'appliquent également aux ressortissants des États membres établis hors de la Communauté et aux transports maritimes établis hors de la Communauté et contrôlés par des ressortissants d'un État membre, si leurs navires sont immatriculés dans cet État membre conformément à sa législation.
3. Les dispositions des articles 55 à 58 et celles de l'article 62 du traité sont applicables à la matière régie par le présent règlement.
4. Aux fins du présent règlement, sont considérés comme des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers, s'ils sont normalement assurés contre rémunération:
a) les transports intracommunautaires:
Transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un autre État membre;
b) le trafic avec des pays tiers:
Transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un pays tiers."
6. L'article 8 du règlement n° 4055-86 est libellé comme suit:
"Sans préjudice des dispositions du traité relatives au droit d'établissement, le prestataire d'un service de transport maritime peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants."
7. Selon l'article 9 dudit règlement, "[a]ussi longtemps que les restrictions à la libre prestation des services ne sont pas supprimées, chacun des États membres les applique sans distinction de nationalité ou de résidence à tous les prestataires de services visés à l'article 1er paragraphes 1 et 2."
La réglementation nationale
8. La Scheepvaartverkeerswet (loi sur la navigation), telle que modifiée par la loi du 7 juillet 1994 (Staatsblad 1994, n° 585, ci-après la "SVW"), qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1995, prévoit notamment, dans le cadre du système d'assistance à la navigation ("verkeersbegeleidingssysteem", ci-après le "système VBS"), l'introduction d'une redevance pour cette assistance (ci-après la "redevance VBS"). Auparavant, les frais en résultant étaient couverts par les droits de pilotage, dont le service a été privatisé aux Pays-Bas en 1995. À l'époque pertinente pour la solution des litiges au principal, la redevance VBS n'était due que par les navires de haute mer.
9. L'article 1er, paragraphe 1, sous i), de la SVW définit l'assistance à la navigation comme la réalisation et le maintien, d'une manière systématique et interactive, d'une navigation sûre et fluide grâce à des moyens en personnel et en infrastructure.
10. D'après l'article 15c, paragraphe 1, de la SVW, le capitaine, le propriétaire ou l'affréteur coque nue d'un navire relevant du système VBS est tenu d'acquitter la redevance VBS et de fournir les informations nécessaires pour en fixer le montant.
11. L'article 15d de la SVW dispose:
"1. La redevance VBS est destinée à compenser les frais d'assistance à la navigation qui sont à la charge de l'État, pour autant que cette assistance constitue une prestation de services individuelle.
2. La redevance visée au paragraphe 1 est due à l'État. Une mesure administrative déterminera les chenaux auxquels la redevance s'applique, les critères d'application de cette redevance, ainsi que les dérogations.
3. La redevance visée au paragraphe 1 est fixée par arrêté ministériel. Celui-ci définit également les règles relatives à la perception et aux modalités de paiement."
12. Les dispositions de l'article 15d de la SVW ont été mises en œuvre par le Besluit verkeersbegeleidingstarieven scheepvaartverkeer (décret relatif à la redevance pour l'assistance à la navigation dans le secteur de la navigation maritime), du 4 novembre 1994 (Staatsblad 1994, n° 807), ci-après le "décret BVS"). En vertu de l'article 2, paragraphe 1, du décret BVS, la redevance VBS, fixée par arrêté ministériel, est due pour la navigation d'un navire de haute mer dans les zones suivantes:
a) Eems;
b) Den Helder;
c) Noordzeekanaal;
d) Nieuwe Waterweg, et
e) Westerschelde.
13. Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du décret BVS, la base d'imposition et le montant de la redevance VBS sont fixés en fonction de la longueur du navire, arrondie à des mètres entiers, seuls les mètres entiers étant pris en considération.
14. Aux termes de l'article 5, paragraphe 1, du décret BVS, la redevance VBS n'est pas due pour les navires appartenant aux catégories suivantes:
a) navires d'une longueur ne dépassant pas 41 mètres;
b) navires de guerre néerlandais;
c) autres navires appartenant à l'État ou gérés par lui;
d) navires de guerre autres que néerlandais, pour autant que cela a été convenu avec l'État du pavillon des navires concernés;
e) navires en provenance d'un port, d'un lieu d'ancrage ou d'un lieu de mouillage dans une zone soumise à la redevance qui sortent du chenal pour naviguer en mer et reviennent ensuite au point de départ par le même chenal;
f) navires qui entrent dans un port, un lieu d'ancrage ou un lieu de mouillage aux Pays-Bas sans exercer à ce titre une activité économique.
15. L'article 15d, paragraphe 3, de la SVW a été mis en œuvre par la Regeling verkeersbegeleidingstarieven scheepvaartverkeer (règlement relatif à la redevance pour l'assistance à la navigation dans le secteur de la navigation maritime), du 14 septembre 1995 (Nederlandse Staatscourant 1995, n° 8). Celui-ci prévoit que, pour les navires ayant une longueur se situant entre 41 et 100 mètres, une redevance de 250 NLG est due, tandis que chaque mètre supplémentaire entraîne un supplément de redevance de 17 NLG, avec un maximum de 2 800 NLG pour les navires d'une longueur égale ou supérieure à 250 mètres.
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
16. L'Inspecteur a envoyé, respectivement, à Sea-Land, société de droit américain dont le siège est à Wilmington (États-Unis), et à Nedlloyd, société de droit néerlandais dont le siège est à Rotterdam (Pays-Bas), des factures au titre de la perception de la redevance VBS. Ces deux sociétés de transports maritimes ont introduit une réclamation contre lesdites factures. L'Inspecteur a rejeté ces réclamations par décisions du 5 février et des 15 et 19 mai 1996. Par jugements du 19 janvier 1998, l'Arrondissementsrechtbank te Rotterdam (Pays-Bas) a décidé que les recours formés contre ces décisions étaient fondés et, partant, il les a annulées. L'Inspecteur a interjeté appel de ces jugements devant le Raad van State.
17. Sea-Land et Nedlloyd ont soutenu devant la juridiction de renvoi que la redevance VBS est contraire à la libre prestation des services. En effet, l'inégalité de traitement entre les bateaux de navigation fluviale et les navires de haute mer, s'agissant de l'assujettissement à la redevance VBS, donnerait lieu à une discrimination interdite par le traité. Lesdites sociétés ont également fait valoir que l'exonération de la redevance VBS, prévue en particulier pour la navigation fluviale, doit être qualifiée d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Puisque cette aide n'a pas été notifiée à la Commission, elle serait illicite.
18. Selon l'Inspecteur, l'obligation de participer au système VBS et d'acquitter la redevance VBS constitue une mesure licite, applicable indistinctement à tous les navires d'une longueur égale ou supérieure à 41 mètres, quelle que soit leur nationalité. Pour autant que cette redevance constitue néanmoins une entrave à la libre prestation des services, elle relèverait de la dérogation dont il est question dans l'arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55-94, Rec. p. I-4165), ou, à tout le moins, de celle tirée de raisons de sécurité publique, telle que visée à l'article 56 du traité, lu en combinaison avec l'article 66 de ce même traité (devenu article 55 CE). En outre, l'Inspecteur a fait valoir que l'exonération de la redevance VBS s'applique sans distinction quant à la nationalité des bateaux de navigation fluviale. Il n'y aurait donc aucune distorsion de la concurrence sur le marché concerné, à savoir celui de la navigation fluviale, et les échanges intracommunautaires ne seraient pas non plus sensiblement affectés. Dans la mesure où l'exonération devrait néanmoins être considérée comme une aide, l'Inspecteur a relevé que l'avantage financier est tellement réduit qu'il devrait être considéré comme une aide de minimis qui, comme telle, serait licite. Au demeurant, le système de financement public d'une infrastructure, tel que le régime de la redevance VBS, pourrait être considéré comme une mesure générale de politique économique.
19. Le Raad van State rappelle que, grâce à l'assistance à la navigation, des informations peuvent être données sans délai aux navires circulant dans les zones où le trafic est très dense ou dans lesquelles il y a de nombreux transports de charges dangereuses rendant la navigation difficile, informations qui ont notamment pour objectif de promouvoir la sécurité de la navigation.
20. Selon ladite juridiction, la redevance VBS n'est constitutive ni d'une discrimination directe ni d'une discrimination indirecte en raison de la nationalité. D'une part, cette redevance ne dépendrait pas du pavillon du navire. D'autre part, l'exonération de la redevance VBS dont jouissent les navires de navigation fluviale tiendrait à des raisons objectives. Cependant, il ne saurait être exclu que l'obligation de participer au système VBS et l'obligation concomitante d'acquitter la redevance VBS comportent une restriction non discriminatoire à la libre prestation des services. Dans ce cas, il conviendrait d'examiner si cette entrave entre dans les dérogations prévues par le traité, notamment celle visée à son article 56.
21. La juridiction de renvoi se demande en outre si l'exonération des navires de navigation fluviale constitue une aide prohibée par l'article 92 du traité. Elle considère que l'exonération de la redevance VBS est justifiée par la nature et l'architecture interne du système. En tout état de cause, il serait douteux que cette mesure fausse la concurrence ou affecte les échanges entre États membres. À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la navigation maritime et la navigation fluviale ne sauraient être regardées comme constituant un seul et même marché, notamment en ce qui concerne l'axe Rotterdam-Anvers. À supposer même qu'il s'agisse d'une aide, il ne serait pas exclu que celle-ci doive être considérée comme une aide de minimis.
22. Dans ces conditions, le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont formulées en des termes identiques dans les deux affaires au principal:
"1) a) Un système tel que le VBS, en ce qu'il prévoit la participation obligatoire à l'assistance à la navigation, est-il constitutif d'une entrave à la libre prestation des services telle que visée dans les dispositions combinées du règlement (CEE) n° 4055-86 et de l'article 59 du traité CE [...]?
b) En cas de réponse négative à la question précédente, cette réponse doit-elle être différente si une rétribution est perçue pour le service fourni à ceux qui participent au système?
c) La réponse à la question 1) b) doit-elle être différente si cette rétribution est perçue à charge des navigateurs qui participent obligatoirement au régime, mais pas à charge des autres usagers, tels que la navigation fluviale ou les navires de haute mer d'une longueur inférieure à 41 mètres?
2) a) Si un système tel que le VBS et l'obligation concomitante d'acquitter une redevance sont constitutifs d'une entrave à la libre prestation des services, cette entrave relève-t-elle des dérogations prévues à l'article 56 du traité CE [...] pour les dispositions justifiées par des raisons de sécurité publique?
b) Aux fins de la réponse à la question sous a), importe-t-il de savoir si la redevance dépasse le coût effectif du service spécifique fourni à un navire déterminé?
3) Si un système tel que le VBS et l'obligation concomitante d'acquitter une redevance sont constitutifs d'une entrave à la libre prestation des services et si cette entrave n'est pas justifiée en vertu de l'article 56 du traité CE [...], peut-elle être justifiée soit parce qu'elle ne concerne qu'une modalité de vente non discriminatoire, au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, soit parce qu'elle remplit les conditions que la Cour a développées dans d'autres arrêts, en particulier dans l'arrêt Gebhard?
4) a) Un système d'un État membre tel que le VBS doit-il être considéré comme une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE [...], dans la mesure où il exonère certaines catégories de participants à ce système, en particulier la navigation fluviale, de l'obligation d'acquitter la redevance?
b) En cas de réponse affirmative à la question précédente, cette aide tombe-t-elle sous le coup de l'interdiction édictée par cette disposition?
c) S'il faut également répondre par l'affirmative à la question 4) b), la qualification d'aide interdite en vertu du droit communautaire a-t-elle également, sur la base du droit communautaire, une incidence sur la rétribution que les participants, à l'exception des participants exonérés, sont tenus d'acquitter?"
23. Par ordonnance du président de la Cour du 17 décembre 1999, les affaires C-430-99 et C-431-99 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt.
Sur les trois premières questions
24. Par ses trois premières questions, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement n° 4055-86, lu en combinaison avec les articles 56 et 59 du traité, s'oppose à un système d'assistance à la navigation, tel que le système VBS en cause au principal, qui impose le paiement d'une redevance aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres qui participent obligatoirement à un tel système, alors que d'autres navires, tels que les bateaux de navigation fluviale, sont exonérés de cette redevance.
25. À titre liminaire, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le champ d'application matériel du règlement n° 4055-86, il ressort du libellé de son article 1er, paragraphe 1, que ce règlement s'applique à des services de transport maritime entre les États membres et entre ces derniers et les pays tiers.
26. S'agissant du champ d'application personnel du règlement n° 4055-86, il importe de relever que, aux termes de son article 1er, paragraphes 1 et 2, la libre prestation des services de transport maritime est applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire des services, aux ressortissants des États membres établis hors de la Communauté et aux transports maritimes établis hors de la Communauté et contrôlés par des ressortissants d'un État membre, si leurs navires sont immatriculés dans cet État membre conformément à sa législation.
27. L'article 58 du traité CE (devenu article 48 CE), qui, en vertu de l'article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 4055-86, est applicable à la matière régie par celui-ci, dispose, à son premier alinéa, que les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté sont assimilées aux personnes physiques ressortissantes des États membres.
28. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier que les situations en cause au principal relèvent effectivement du champ d'application du règlement n° 4055-86, tel que décrit aux points 25 et 26 du présent arrêt.
29. Les développements qui suivent se fondent sur la prémisse que tel est bien le cas, ne fût-ce que pour l'une desdites situations.
30. Il convient de rappeler que le règlement n° 4055-86, adopté sur le fondement de l'article 84, paragraphe 2, du traité, a arrêté les mesures d'application, dans le secteur des transports maritimes, du principe de la libre prestation des services établi par l'article 59 du même traité. La Cour s'est d'ailleurs prononcée dans ce sens en jugeant que l'article 1er, paragraphe 1, dudit règlement définit les bénéficiaires de la libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers dans des termes qui sont substantiellement les mêmes que ceux de l'article 59 du traité (arrêt du 5 octobre 1994, Commission/France, C-381-93, Rec. p. I-5145, point 10).
31. En outre, il résulte notamment des articles 1er, paragraphe 3, et 8 du règlement n° 4055-86 que ce dernier rend applicable à la matière qu'il régit l'intégralité des règles du traité relatives à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, points 11 à 13).
32. Or, selon une jurisprudence constante, la libre prestation des services, telle que visée à l'article 59 du traité, exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir, notamment, arrêts du 18 juin 1998, Corsica Ferries France, C-266-96, Rec. p. I-3949, point 56; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369-96 et C-376-96, Rec. p. I-8453, point 33, et du 20 février 2001, Analir e.a., C-205-99, Rec. p. I-1271, point 21). En application de cette règle, la libre prestation des services peut être invoquée également par une entreprise à l'égard de l'État où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans un autre État membre (voir, notamment, arrêts Commission/France, précité, point 14, et du 29 avril 1999, Ciola, C-224-97, Rec. p. I-2517, point 11).
33. À cet égard, il importe de constater que le système VBS, en ce qu'il impose le paiement d'une redevance aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres et en exonère les bateaux de navigation fluviale, quels que soient leur pavillon et la nationalité des entreprises qui les exploitent, ne comporte aucune discrimination fondée directement sur la nationalité.
34. Sea-Land et Nedlloyd, soutenues par la Commission, font valoir que ledit système les défavorise indirectement en raison de la nationalité, car la navigation fluviale, qui est exonérée de la redevance VBS, se fait très majoritairement sous pavillon néerlandais. Or, les navires battant pavillon d'un État membre seraient exploités, en règle générale, par des opérateurs économiques nationaux, alors que les armateurs originaires d'autres États membres n'exploiteraient pas, en général, des navires immatriculés dans le premier État.
35. Ces arguments ne sauraient être accueillis.
36. S'il est vrai que les articles 59 du traité et 60, troisième alinéa, du même traité (devenu article 50, troisième alinéa, CE) prohibent toutes formes dissimulées de discrimination qui, bien que fondées sur des critères en apparence neutres, aboutissent en fait au même résultat (voir, notamment, arrêt du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral, 62-81 et 63-81, Rec. p. 223, point 8), il est également vrai qu'une différence de traitement ne saurait constituer une discrimination que si les situations considérées sont comparables (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 1995, Francovich, C-479-93, Rec. p. I-3843, point 23, et du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C-156-98, Rec. p. I-6857, point 84).
37. Or, ainsi qu'il ressort des arrêts de renvoi, il existe en l'occurrence des différences objectives entre les navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres et les bateaux de navigation fluviale, notamment en ce qui concerne leurs marchés respectifs, différences qui font apparaître, au demeurant, que ces deux catégories de moyens de transport ne se trouvent pas dans des situations comparables.
38. Néanmoins, force est de constater que le système VBS en cause au principal, en ce qu'il impose le paiement d'une redevance aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres, est de nature à gêner ou à rendre moins attrayante la prestation de ces services et constitue, dès lors, une restriction à leur libre circulation (voir, en ce sens, arrêt Analir e.a., précité, point 22).
39. Il importe de rappeler que la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre d'accueil. En outre, afin d'être ainsi justifiée, la réglementation nationale en cause doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir, notamment, arrêt Analir e.a., précité, point 25).
40. Tout d'abord, ainsi qu'il a été constaté précédemment, le système VBS ne s'applique pas de manière discriminatoire.
41. Ensuite, s'agissant de savoir s'il existe des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier la restriction à la libre prestation des services qui résulte dudit système, il convient de rappeler que la protection de la sécurité publique figure parmi les raisons qui peuvent, en vertu de l'article 56, paragraphe 1, du traité, justifier des restrictions qui découlent d'un régime spécial pour les ressortissants étrangers. La protection de la sécurité publique est donc, en principe, susceptible de justifier également une mesure nationale indistinctement applicable, comme c'est le cas dans les affaires au principal (voir, en ce sens, arrêt du 1er février 2001, Mac Quen e.a., C-108-96, Rec. p. I-837, point 28).
42. Or, l'assistance à la navigation fournie dans le cadre du système VBS constitue un service nautique essentiel au maintien de la sécurité publique dans les eaux côtières ainsi que portuaires et la redevance VBS à laquelle sont assujettis les navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres, en tant qu'utilisateurs de ce service, contribue à l'intérêt général de la sécurité publique dans ces eaux.
43. Enfin, quant à la proportionnalité, le système VBS, en ce qu'il impose le paiement d'une redevance VBS aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres, remplit ce critère pour autant qu'il y a une corrélation effective entre le coût que représente le service dont bénéficient ces navires et le montant de ladite redevance. Il n'en serait pas ainsi notamment dans le cas où un tel montant inclurait des facteurs de coût imputables à des catégories de navires autres que celle des navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres, telles que, en particulier, celle des bateaux de navigation fluviale.
44. Il y a donc lieu de répondre aux trois premières questions que, s'agissant de situations relevant du champ d'application du règlement n° 4055-86, ce dernier, lu en combinaison avec les articles 56 et 59 du traité, ne s'oppose pas à un système d'assistance à la navigation, tel que le système VBS en cause au principal, qui impose le paiement d'une redevance aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres qui participent obligatoirement à un tel système, alors que d'autres navires, tels que les bateaux de navigation fluviale, sont exonérés de cette redevance, pour autant qu'il y a une corrélation effective entre le montant de celle-ci et le coût que représente le service dont bénéficient ces navires de haute mer.
Sur la quatrième question
45. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si un système d'assistance à la navigation, tel que le système VBS en cause au principal, constitue une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité dans la mesure où, s'il impose le paiement d'une redevance aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres qui participent obligatoirement à un tel système, il exonère de cette redevance d'autres navires, en particulier les bateaux de navigation fluviale.
46. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415-93, Rec. p. I-4921, point 59). Néanmoins, la Cour a estimé ne pas pouvoir statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation ou l'appréciation de la validité d'une règle communautaire, demandées par la juridiction nationale, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 2000, Idéal tourisme, C-36-99, Rec. p. I-6049, point 20).
47. Or, il convient de constater que la quatrième question est dénuée de pertinence pour la solution des litiges au principal, qui concernent l'obligation pour Sea-Land et Nedlloyd de payer la redevance VBS. En l'occurrence, les redevables d'une contribution obligatoire ne sauraient exciper de ce que l'exonération dont bénéficient d'autres personnes constitue une aide d'État pour se soustraire au paiement de ladite contribution (voir arrêt du 20 septembre 2001, Banks, C-390-98, Rec. p. I-6117, point 80).
48. Il n'y a pas lieu, en conséquence, de répondre à la quatrième question.
Sur les dépens
49. Les frais exposés par le gouvernement néerlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Raad van State, par arrêts du 4 novembre 1999, dit pour droit:
S'agissant de situations relevant du champ d'application du règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, ce dernier, lu en combinaison avec les articles 56 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 46 CE et 49 CE), ne s'oppose pas à un système d'assistance à la navigation, tel que le "verkeersbegeleidingssysteem" en cause au principal, qui impose le paiement d'une redevance aux navires de haute mer d'une longueur supérieure à 41 mètres qui participent obligatoirement à un tel système, alors que d'autres navires, tels que les bateaux de navigation fluviale, sont exonérés de cette redevance, pour autant qu'il y a une corrélation effective entre le montant de celle-ci et le coût que représente le service dont bénéficient ces navires de haute mer.