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Décisions

CJCE, 5e ch., 9 septembre 1999, n° C-108/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

RI.SAN. Srl

Défendeur :

Comune di Ischia, Italia Lavoro SpA, Ischia Ambiente SpA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Puissochet

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. Jann, Gulmann, Edward, Sevón

Avocats :

Mes Montemurro, Castiello, Ricapito, Ferri, d'Avino, Tizzano, Sciaudone, Molinaro

CJCE n° C-108/98

9 septembre 1999

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par ordonnance des 19 novembre et 11 décembre 1997, parvenue à la Cour le 9 avril 1998, le Tribunale amministrativo regionale della Campania a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 55 et 90, paragraphe 2, du traité CE (devenus articles 45 CE et 86, paragraphe 2, CE).

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant RI.SAN. Srl (ci-après "RI.SAN.") à la commune d'Ischia, à Italia Lavoro SpA (ci-après "Italia Lavoro"), anciennement GEPI SpA (ci-après "GEPI"), ainsi qu'à Ischia Ambiente SpA (ci-après "Ischia Ambiente"), au sujet de l'organisation par la commune du service de collecte des déchets solides urbains.

La législation nationale

3. L'article 22, paragraphe 3, de la loi n° 142-90, du 8 juin 1990, relative à l'autonomie locale (GURI n° 135, du 12 juin 1990), prévoit que les communes et les provinces peuvent recourir aux formes de gestion suivantes des services publics locaux relevant de leur compétence aux termes de la loi:

"a) en régie, lorsqu'en raison des modestes dimensions ou des caractéristiques du service il n'est pas opportun de créer une institution ou une entreprise;

b) en concession à des tiers, lorsqu'il existe des raisons techniques, économiques ou d'opportunité sociale;

c) par des entreprises spéciales, y compris pour la gestion de plusieurs services d'intérêt économique et commercial;

d) par des institutions, pour l'exercice de services sociaux sans intérêt commercial;

e) par des sociétés par actions à capitaux publics locaux majoritaires, lorsque la participation d'autres personnes publiques ou privées apparaît opportune en fonction de la nature du service à fournir."

4. L'article 4, paragraphe 6, de la loi n° 95-95, du 29 mars 1995, relative aux sociétés mixtes de services publics (GURI n° 77, du 1er avril 1995), modifiant le décret-loi n° 26-95, du 31 janvier 1995 (GURI n° 26, du 31 janvier 1995), dispose:

"Afin de favoriser l'emploi ou le réemploi de travailleurs, les communes et les provinces sont autorisées à constituer des sociétés par actions avec GEPI SpA, y compris pour la gestion de services publics locaux."

5. Aux termes de l'article 4, paragraphe 8, de ladite loi, "les participations en actions détenues par GEPI SpA, dans les sociétés visées au présent article, sont cédées dans un délai de cinq ans selon une procédure d'appel d'offres".

6. GEPI est une société financière créée en application de l'article 5 de la loi n° 184-71, du 22 mars 1971 (GURI n° 105, du 28 avril 1971). Elle a pour but de concourir au maintien et à l'accroissement du niveau d'emploi. Son capital est entièrement détenu par le ministère du Trésor.

Faits et procédure au principal

7. Par décision du conseil communal du 19 mars 1996, la commune d'Ischia a constitué une société par actions à capital mixte au sens de l'article 22, paragraphe 3, sous e), de la loi n° 142-90 pour la gestion du service de collecte des déchets solides urbains. En application de l'article 4, paragraphe 6, de la loi n° 95-95, le capital de cette société était détenu à hauteur de 51 % par la commune et à hauteur de 49 % par GEPI. Par décision du 7 novembre 1996, le conseil communal a confié à cette société, Ischia Ambiente, le service de collecte des déchets solides urbains qui était auparavant assuré par RI.SAN., titulaire d'un contrat dont le terme était fixé au 4 janvier 1997.

8. Par deux recours, RI.SAN. a attaqué lesdites décisions du conseil communal en faisant valoir, notamment, que le choix de l'associé privé aurait dû faire l'objet d'une procédure d'adjudication publique et que le service de collecte des déchets aurait également dû être attribué à l'issue d'une telle procédure.

9. La juridiction de renvoi a émis des doutes sur la compatibilité avec le droit communautaire, et plus particulièrement avec les principes de la libre prestation des services et de la libre concurrence, de l'article 4, paragraphe 6, de la loi n° 95-95, lequel permet à une collectivité locale de choisir GEPI en qualité de coassocié pour la gestion de services publics locaux, sans qu'il ait été procédé à un appel d'offres préalable.

10. Elle a en revanche jugé que la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), n'était pas pertinente pour la solution du litige, étant donné que celui-ci concernait l'attribution non pas d'un marché public de services, mais d'une concession de service public.

11. Dans ces circonstances, le Tribunale amministrativo regionale della Campania a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 55 du traité (également applicable au domaine des services en vertu du renvoi effectué à l'article 66), aux termes duquel sont 'exceptées de l'application des dispositions du présent chapitre, en ce qui concerne l'État membre intéressé, les activités participant dans cet État, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique', doit-il être interprété assez largement pour s'appliquer aux activités de participation à des sociétés mixtes des collectivités locales, pour la gestion de services publics locaux, de GEPI SpA (devenue Itainvest SpA), au titre de l'article 4, paragraphe 6, de la loi n° 95 du 29 mars 1995 (ayant converti, avec des modifications, le décret-loi n° 26, du 31 janvier 1995), lorsque cette participation est caractérisée par le but de 'favoriser l'emploi ou le réemploi de travailleurs' déjà attachés au service dont la gestion est en cause, compte tenu de l'article 5 de la loi n° 184, du 22 mars 1971, instituant GEPI SpA, et assignant à cette dernière la tâche de 'contribuer au maintien et à l'augmentation du niveau d'emploi compromis par des difficultés temporaires, en vue de vérifier la possibilité concrète d'assainissement des entreprises concernées', selon les modalités spécifiées dans ce texte?

2) A la lumière des règles visées ci-dessus et applicables à GEPI SpA (devenue Itainvest SpA), peut-on estimer que le cas d'espèce relève de la dérogation visée à l'article 90, paragraphe 2, du traité, selon laquelle les 'entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ... sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie'?"

Sur l'objet de la demande préjudicielle

12. La commune d'Ischia, Italia Lavoro, Ischia Ambiente, le gouvernement italien et la Commission ont présenté des observations relatives à la question de savoir si la procédure de choix de l'entité chargée de la collecte des déchets est susceptible de relever des dispositions de la directive 92-50.

13. Cette directive s'applique à la passation des marchés publics de services, qui sont définis, en son article 1er, sous a), comme étant des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur.

14. La juridiction de renvoi a toutefois expressément exclu la pertinence de la directive 92-50, au motif qu'était en cause non pas un marché public de services, mais une concession de service public.

15. Certes, la définition de la notion de concession de service public au sens de la réglementation communautaire en matière de marchés publics ainsi que la question de savoir si une telle concession est exclue du champ d'application de la directive 92-50 relèvent du droit communautaire. De telles questions peuvent donc faire l'objet d'un renvoi préjudiciel, conformément à l'article 177 du traité, si une juridiction nationale estime qu'une décision sur l'une de ces questions est nécessaire pour rendre son jugement.

16. Toutefois, à supposer même que la directive 92-50 soit pertinente pour la solution du litige au principal, contrairement à la position adoptée par la juridiction de renvoi à cet égard, il convient de relever que la décision de cette dernière et les questions posées ne portent que sur des dispositions du traité et que la juridiction de renvoi s'est abstenue de fournir les éléments factuels qui seraient nécessaires pour que la Cour puisse statuer sur l'interprétation de cette directive.

17. Dans ces conditions, la Cour doit limiter sa réponse aux seules dispositions du traité expressément visées dans les questions préjudicielles.

Sur la première question

18. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 55 du traité doit être interprété en ce sens qu'il permet à une commune de choisir, sans procéder à un appel d'offres préalable, une société financière comme coassocié dans une société à capitaux publics locaux majoritaires ayant pour objet la gestion du service de collecte des déchets solides urbains.

19. A cet égard, il convient de constater que l'application de l'article 55 du traité, lu en combinaison, le cas échéant, avec l'article 66 du traité CE (devenu article 55 CE), en tant qu'ils constituent une dérogation aux dispositions du traité relatives respectivement à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, présuppose que ces dernières dispositions soient en principe applicables.

20. Selon l'analyse retenue par le juge de renvoi, dont la Cour n'est pas en mesure de vérifier l'exactitude, le litige au principal n'a pas trait à la passation d'un marché public de services. Cette constatation n'exclut cependant pas que les dispositions du traité relatives à la libre circulation, qui imposent notamment aux États membres des obligations d'égalité de traitement et de transparence vis-à-vis des opérateurs économiques d'autres États membres, puissent être pertinentes.

21. Il ressort toutefois du dossier que la société RI.SAN., qui conteste la légalité du choix opéré par la commune, a son siège en Italie et n'opère pas sur le marché italien en se prévalant de la liberté d'établissement ou de la libre prestation des services.

22. Une telle situation ne présente donc aucun élément de rattachement à l'une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre circulation des personnes et des services.

23. Il y a lieu dès lors de répondre à la première question que l'article 55 du traité ne trouve pas à s'appliquer dans une situation telle que celle au principal, dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre et qui, de ce fait, ne présente aucun élément de rattachement à l'une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre circulation des personnes et des services.

Sur la seconde question

24. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 90, paragraphe 2, du traité doit être interprété en ce sens qu'il permet à une commune de choisir, sans procéder à un appel d'offres préalable, une société

financière comme coassocié dans une société à capitaux publics locaux majoritaires ayant pour objet la gestion du service de collecte des déchets solides urbains.

25. Il convient de rappeler que l'article 90, paragraphe 2, constitue une dérogation aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, dont elle présuppose par conséquent l'application.

26. Or, ainsi qu'il vient d'être indiqué, aux points 19 à 22 du présent arrêt, les dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à la libre prestation des services ne s'appliquent pas dans une situation telle que celle au principal. Par ailleurs, ni l'ordonnance de renvoi ni les observations écrites ne fournissent à la Cour les éléments de fait et de droit qui lui permettraient d'interpréter les autres règles du traité, notamment les règles de concurrence, au regard de la situation créée par le choix, sans appel d'offres préalable, de GEPI en qualité de coassocié dans une société à capitaux publics majoritaires ayant pour objet la gestion du service de collecte des déchets solides urbains.

27. Dans ces conditions, la Cour n'est pas en mesure de répondre utilement à la seconde question.

Sur les dépens

28. Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale amministrativo regionale della Campania, par ordonnance des 19 novembre et 11 décembre 1997, dit pour droit:

L'article 55 du traité CE (devenu article 45 CE) ne trouve pas à s'appliquer dans une situation telle que celle au principal, dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre et qui, de ce fait, ne présente aucun élément de rattachement à l'une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre circulation des personnes et des services.