CJCE, 3e ch., 18 mars 1981, n° 139-80
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Blanckaert & Willems PVBA
Défendeur :
Luise Trost
LA COUR,
1 Par ordonnance du 21 mars 1980, parvenue à la Cour le 11 juin 1980, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention) deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 5, n° 5, de cette convention.
2 Selon cette disposition qui déroge à la règle générale du forum Domicilii, exprimée à l'article 2 de la convention, le défendeur domicilié sur le territoire d'un état contractant peut être attrait dans un autre état contractant, 's'il s'agit d'une contestation relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, devant le tribunal du lieu de leur situation'.
3 La firme Blanckaert et Willems, fabricant belge de meubles et défenderesse au principal (ci-après Blanckaert) a, selon ses dires, été, depuis 1960, en relation d'affaires avec la firme allemande Hermann Bey (ci-après Bey, agence de meubles (Mobelagentur), qu'elle avait chargée d'établir en République Fédérale d'Allemagne un réseau de vente des meubles qu'elle fabrique. En exécution de cette obligation, Bey a conclu, au nom de Blanckaert, avec Trost, demanderesse au principal, un contrat de représentation pour la zone Rhein-Ruhr, Eifel, Westphalie-du-sud. Selon les termes de ce contrat, Trost prospectait directement pour Blanckaert et recevait de cette dernière une commission de 5 %. Le contrat obligeait Trost à faire passer les commandes qu'il récolterait pour compte de Blanckaert, par l'intermédiaire de Bey à Aix-la-Chapelle. Sur ces mêmes commandes qui lui étaient ainsi transmises par l'intermédiaire de Bey, Blanckaert payait à ce dernier une 'sur commission' telle qu'elle est habituellement allouée aux agents commerciaux qui supervisent et contrôlent d'autres agents commerciaux d'une entreprise.
4 En décembre 1976, Blanckaert a mis fin au contrat qui le liait à Trost, provoquant ainsi de la part de cette dernière une action en paiement de commissions et d'indemnités. Trost a porté cette action devant le Landgericht d'Aix-la-Chapelle, parce qu'il considérait que Bey constituait une agence ou succursale de Blanckaert, de sorte que le litige pouvait être porté devant le juge du lieu d'établissement de cette agence ou succursale.
5 Le Landgericht d'Aix-la-Chapelle a rejeté ce point de vue et s'est déclaré incompétent, mais l'Oberlandesgericht de Cologne, saisi en appel, a estimé que les conditions de la compétence internationale du Landgericht d'Aix-la-Chapelle étaient réunies parce que Bey constituait une agence de Blanckaert au sens de l'article 5 de la convention et parce que les montants réclamés avaient leur origine dans l'exploitation de cette agence.
6 Saisi en révision du litige, le Bundesgerichtshof, après avoir constaté que l'Oberlandesgericht de Cologne avait, à juste titre, reconnu que tant la firme Bey que la firme Trost avaient travaillé pour Blanckaert : 'en qualité d'agent commercial et plus précisément en qualité d'intermédiaire, c'est-à-dire que toutes deux étaient constamment chargées de recueillir, comme operateurs indépendants au sens du paragraphe 84, alinéa 1, du code de commerce allemand des commandes au profit d'une entreprise, à savoir la défenderesse', a déclaré que la question de savoir si l'exploitation d'une agence ou d'un autre établissement au sens de l'article 5, n° 5, de la convention englobe l'activité d'un agent commercial et plus spécialement d'un intermédiaire au sens de la disposition ci-dessus citée du droit allemand, n'a pas encore été jugée par la Cour de justice.
7 Estimant que le litige soulevait dès lors des questions d'interprétation de la convention, le Bundesgerichtshof a saisi la Cour de deux questions relatives à l'interprétation de l'article 5, n° 5, de cette convention.
Sur la première question
8 Par la première question, il est demandé en substance si l'agent commercial (intermédiaire) au sens des articles 84 et suivants du Code de commerce allemand (HGB) doit être considéré comme une 'agence' ou un 'autre établissement' au sens de l'article 5, n° 5, de la convention.
9 Ainsi que la juridiction nationale l'observe à juste titre, la Cour a déclaré, dans son arrêt du 6 octobre 1976 (De Bloos, affaire 14-76, Recueil p. 1497), qu'un des éléments essentiels qui caractérisent la notion de succursale et d'agence est la soumission à la direction et au contrôle de la maison-mère.
10 Dans cet arrêt la Cour n'a pas été amenée à préciser quels éléments permettraient, le cas échéant, de déterminer si une entreprise ou une firme était ou non soumise à la direction ou au contrôle d'une maison-mère, le litige au principal concernant les relations entre une firme et le concessionnaire exclusif de celle-ci et la juridiction nationale ayant précisé que ce concessionnaire exclusif n'était soumis, ni au contrôle, ni à la direction du concédant.
11 Par ailleurs, dans son arrêt du 22 novembre 1978 (Somafer, affaire 33-78, Recueil p. 2183), la Cour a déclaré que 'la notion de succursale, d'agence ou de tout autre établissement implique un centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur comme le prolongement d'une maison-mère, pourvu d'une direction et matériellement équipé de façon à pouvoir négocier des affaires avec des tiers, de telle façon que ceux-ci, tout en sachant qu'un lien de droit éventuel s'établira avec la maison-mère dont le siège est à l'étranger, sont dispensés de s'adresser directement à celle-ci, et peuvent conclure des affaires au centre d'opérations qui en constitue le prolongement'.
12 Il résulte des considérations de ces deux arrêts, et en particulier du critère en vertu duquel une 'succursale, agence ou autre établissement' au sens de l'article 5, n° 5, doit apparaitre aux yeux des tiers et de façon aisément discernable comme un prolongement d'une maison-mère, que le lien de soumission à la direction et au contrôle de cette maison-mère n'est pas réalisé lorsque le représentant de la maison-mère peut librement organiser l'essentiel de son activité et déterminer son temps de travail'(paragraphe 84, alinéa 1, in fine, du Code de commerce allemand) sans que la maison-mère puisse lui donner des instructions à cet égard ; qu'en même temps il lui est loisible de représenter plusieurs firmes qui se font concurrence dans la production ou la commercialisation de produits identiques ou similaires et enfin qu'il ne participe pas effectivement au règlement et à l'exécution des affaires, mais se borne, pour l'essentiel, à transmettre des commandes à la firme qu'il représente. Cette triple circonstance exclut qu'une firme qui réunit ces caractéristiques puisse être qualifiée de centre d'opérations qui se manifeste de façon durable vers l'extérieur comme le prolongement d'une maison-mère.
13 Il y a donc lieu de répondre à la première question qu'un agent commercial (intermédiaire) indépendant, en ce sens qu'il est, en vertu de son statut légal, libre d'organiser l'essentiel de son activité et de déterminer le temps de travail qu'il consacre à une entreprise qu'il accepte de représenter, à qui l'entreprise qu'il représente ne peut interdire de représenter en même temps plusieurs firmes concurrentes dans le même secteur de production ou de commercialisation et qui, en outre, se borne à transmettre des commandes à la maison-mère, sans participer ni à leur règlement ni à leur exécution, ne réunit pas les caractéristiques d'une succursale, agence ou autre établissement au sens de l'article 5, n° 5, de la convention.
Sur la seconde question
14 La seconde question n'ayant été posée que pour le cas où il serait répondu affirmativement à la première, il n'y a pas lieu de statuer à son égard.
Sur les dépens
15 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes qui a soumis des observations à la Cour ne peuvent pas faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 21 mars 1980, dit pour droit :
Un agent commercial (intermédiaire) indépendant, en ce sens qu'il est, en vertu de son statut légal, libre d'organiser l'essentiel de son activité et de déterminer le temps de travail qu'il consacre à une entreprise qu'il accepte de représenter, à qui l'entreprise qu'il représente ne peut interdire de représenter en même temps plusieurs firmes concurrentes dans le même secteur de production ou de commercialisation et qui, en outre, se borne à transmettre des commandes à la maison-mère, sans participer ni à leur règlement ni à leur exécution, ne réunit pas les caractéristiques d'une succursale, agence ou autre établissement au sens de l'article 5, n° 5, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.