CJCE, 21 juin 1978, n° 150-77
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bertrand
Défendeur :
Paul Ott KG
LA COUR,
1 Attendu que, par arrêt du 8 novembre 1977, parvenu au greffe de la Cour le 15 décembre suivant, la Cour de cassation de France a posé, en vertu des articles 1 à 3 du protocole du 3 juin 1971 (JO N L 204, p.28) relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO N L 299 du 31.12.1972, p.32), appelée par la suite 'la convention', une question à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 13, 14 et 28 de ladite convention ;
2 Que cette question a été posée dans le cadre d'un litige qui oppose deux sociétés commerciales, l'une ayant son siège social en Allemagne, l'autre en France, à propos d'un contrat de vente, datant du 12 février 1972, d'une machine-outil dont le prix, fixé à 74 205 DM, devait être payé par la société française en deux traites d'un montant égal, à échéances de 60 et 90 jours et qui n'ont été réglées que partiellement ;
3 Que, par jugement du 10 mai 1974, le Landgericht de Stuttgart a condamné par défaut la société française à payer la somme de 7 139 DM avec intérêts ;
4 Que cette décision a été déclarée exécutoire en France, d'abord par ordonnance du Tribunal de grande instance du Mans du 30 juin 1975, puis par arrêt confirmatif de la Cour d'appel d'Angers du 20 mai 1976 ;
5 Que cet arrêt a été frappé d'un pourvoi en cassation ;
6 Que la Cour de cassation a estimé que 'l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers serait justifié par application de l'article 28, alinéa 3, de la convention qui interdit au juge de l'exequatur de contrôler la compétence des juridictions de l'état d'origine, à moins que la vente ne puisse être considérée comme une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels, au sens de l'article 13 de la même convention, auquel cas, par application de l'article 14, alinéa 2, et de l'article 28, alinéa 1, l'action n'aurait pu être portée que devant les tribunaux de l'état sur le territoire duquel la société défenderesse a son domicile, c'est-à-dire devant les tribunaux français, et l'exequatur devrait être refusé à la décision d'un tribunal allemand' ;
7 Que la Cour de cassation en a déduit que la solution de ce problème dépendait de la qualification donnée au contrat, et elle a en conséquence saisi la Cour aux fins de dire, à titre préjudiciel, 'si la vente d'une machine consentie par une société à une autre société moyennant un prix payable par deux traités égales à 60 et à 90 jours peut être considérée comme une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels au sens de l'article 13 de la Convention de Bruxelles' ;
8 Attendu qu'en matière de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels, l'article 14, paragraphe 2, de la convention prescrit que 'l'action du vendeur contre l'acheteur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'état sur le territoire duquel le défendeur a son domicile' ;
9 Qu'il résulte de cette règle impérative de compétence juridictionnelle que le Landgericht de Stuttgart, juge d'origine, le Tribunal de grande instance du Mans et la Cour d'appel d'Angers, jugés de l'exequatur, pour définir leur compétence, ont refusé, implicitement ou explicitement, la qualification de contrat de vente à tempérament d'objet mobilier corporel au contrat de vente en cause ;
10 Que ce sont les doutes de la Cour de cassation sur la qualification exacte dudit contrat qui l'ont déterminée à saisir la Cour de justice de la question susvisée ;
11 Que celle-ci revient à demander à la Cour si un contrat de vente, tel que décrit, bénéficie du privilège de compétence juridictionnelle énoncée à l'article 14, paragraphe 2, de la convention ;
12 Attendu que la notion de contrat de vente à tempérament différé d'un État membre à l'autre selon les finalités poursuivies par les législations respectives ;
13 Que, si toutes se rattachent à l'idée de la protection de l'acheteur 'à tempérament' tant en position de faiblesse économique par rapport au vendeur, certaines se fondent également sur des considérations de politique économique, monétaire et d'épargne destinées à contrôler la pratique des ventes à tempérament, en particulier pour les objets de consommation durable (automobiles, matériel électroménager, audio-visuel etc.), le plus souvent par le biais de dispositions relatives aux acomptes minimaux ou à la durée maximale de crédit ou en instituant des montants minimum ou maximum du prix de vente global ;
14que ces divers objectifs poursuivis ayant conduit à l'établissement de réglementations différentes dans les divers États membres, il est nécessaire, en vue de supprimer les entraves aux relations juridiques et à la solution des litiges dans l'ordre des relations intracommunautaires en matière de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels, de considérer cette notion comme autonome et donc commune à l'ensemble des États membres ;
15 Qu'en effet, il ne serait pas possible de garantir le fonctionnement harmonieux des articles 13 et suivants de la convention si l'on donnait, à l'expression en cause, des significations différentes d'un État membre à l'autre, selon la juridiction première saisie d'un litige concernant un contrat de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels ou celle compétente en matière d'exequatur ;
16 Qu'il est donc indispensable, pour la cohérence des dispositions de la section 4 de la convention, de lui donner un contenu matériel uniforme rattaché à l'ordre communautaire ;
17 Attendu qu'à cette constatation il faut ajouter que la compétence obligatoire prévue par l'article 14, paragraphe 2, de la convention, en raison de son caractère dérogatoire aux principes généraux du système mis en place par la convention en matière contractuelle, tels qu'ils se dégagent notamment de ses articles 2 et 5, paragraphe 1, doit être strictement limitée aux objectifs propres à la section 4 de ladite convention ;
18 Que ces objectifs, tels qu'ils résultent des articles 13 et 14 de la convention, ont exclusivement été inspirés par un souci de protection à l'égard de certaines catégories d'acheteurs qui, ayant été parties à des contrats de 'vente à tempérament d'objets mobiliers corporels', ne peuvent être attraits par les vendeurs que devant les tribunaux de l'état sur le territoire duquel lesdits acheteurs ont leur domicile, alors que les vendeurs domiciliés sur le territoire d'un état contractant peuvent être assignés soit devant les tribunaux de cet état, soit devant ceux de l'état contractant sur le territoire duquel sont domiciliés les acheteurs ;
19 Attendu que c'est compte tenu des principes généraux qui ressortent en cette matière de l'ensemble des législations des États membres et au vu de l'objectif de protection d'une certaine catégorie d'acheteurs qu'il faut s'efforcer de dégager une notion autonome du contrat de vente à tempérament pour apporter une réponse à la question posée :
20 Qu'il résulte de règles communes aux législations des États membres que la vente à tempérament d'objets mobiliers corporels s'entend comme étant une transaction dans laquelle le prix s'acquitte en plusieurs versements ou qui est liée à un contrat de financement ;
21 Qu'une interprétation restrictive de l'article 14, paragraphe 2, conforme aux objectifs poursuivis par la section 4, conduit à ne réserver le privilège juridictionnel ci-dessus décrit qu'aux acheteurs ayant besoin de protection, leur position économique étant caractérisée par leur faiblesse vis-à-vis des vendeurs, du fait qu'ils sont des consommateurs finals à caractère privé, non engagés, par l'achat du produit acquis à tempérament, dans des activités commerciales ou professionnelles ;
22 Qu'il convient donc de répondre à la juridiction nationale que la notion de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels, au sens de l'article 13 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ne peut pas être comprise comme s'étendant à la vente d'une machine consentie par une société à une autre société moyennant un prix payable par traités échelonnées ;
Sur les dépens
23 Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes et par les Gouvernements de la République Fédérale d'Allemagne, de la République italienne et du Royaume de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
24 Que la procédure revêt, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation de France par arrêt du 8 novembre 1977, dit pour droit :
La notion de vente à tempérament d'objets mobiliers corporels, au sens de l'article 13 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, ne peut pas être comprise comme s'étendant à la vente d'une machine consentie par une société à une autre société, moyennant un prix payable par traités échelonnées.