CJCE, 2e ch., 12 juillet 1984, n° 178-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Firma P
Défendeur :
Firma K
LA COUR,
1 Par ordonnance du 12 août 1983, parvenue au greffe de la Cour le 18 août 1983, l'Oberlandesgericht Frankfurt AM main a posé, en vertu de l'article 2, point 2, et de l'article 3, paragraphe 2, du protocole du 3 juin 1971, relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 40, alinéa 2, première phrase, de la convention.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant l'entreprise P. (ci-après la demanderesse) à l'entreprise K. (ci-après la défenderesse) et portant sur la possibilité éventuelle de ne pas faire comparaitre, devant la juridiction saisie en appel, la partie contre laquelle l'exécution d'un jugement par défaut, rendu le 20 janvier 1982 par l'Arrondissementsrechtbank TE Rotterdam, est demandée.
3 Par ce jugement, la défenderesse avait été condamnée à verser à la demanderesse la somme de 678 095 Rials saoudiens ou la contre-valeur de cette somme en dollars US, augmentée des intérêts légaux. Au motif que la défenderesse disposerait d'un avoir bancaire sur un institut de crédit SIS à Frankfurt AM main, la demanderesse a demandé au Landgericht Frankfurt AM main d'apposer la formule exécutoire pour la République Fédérale d'Allemagne sur ledit jugement.
4 Par ordonnance du 10 janvier 1983, le président de la troisième chambre civile de cette juridiction, statuant sans que la défenderesse ait été appelée à comparaitre, a rejeté cette demande au motif que les pièces exigées par l'article 46, alinéa 2, à savoir
'L'original ou une copie certifiée conforme du document établissant que l'acte introductif d'instance à été signifié ou notifié à la partie défaillante',
Et par l'article 47, alinéa 1, de la convention, à savoir
'Tout document de nature à établir que, selon la loi de l'état d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée,'
N'auraient pas été produites.
5 Contre cette ordonnance, la demanderesse a formé une 'beschwerde' (appel), à l'appui de laquelle elle a produit des documents supplémentaires établissant, selon elle, que la requête et le jugement rendus par défaut auraient été régulièrement notifiés.
6 L'Oberlandesgericht Frankfurt AM main, estimant que la suite de la procédure pendante devant elle dépendait de l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 40 de la convention, a sursis à statuer et a posé à la Cour la question suivante :
'La juridiction saisie du recours d'une partie qui demande l'exécution doit-elle, en application de l'article 40, alinéa 2, première phrase, de la convention de 1968, appeler à comparaitre la partie contre laquelle l'exécution est demandée même lorsque : a) la demande d'apposition de la formule exécutoire a été rejetée pour la seule raison que des documents n'avaient pas été produits en temps utile et b) l'apposition de la formule exécutoire est demandée pour un état qui n'est pas l'état de séjour de la partie contre laquelle l'exécution est demandée de sorte que cette dernière pourra, en règle générale, connaitre quelle partie de ses biens (en l'occurrence : une créance sur une banque) doit faire l'objet d'une exécution dans cet état tiers et sera ainsi en mesure de disposer de cette partie de ses biens avant que n'intervienne une saisie?'
7 L'article 40, alinéa 2, de la convention dispose que :
'La partie contre laquelle l'exécution est demandée est appelée à comparaitre devant la juridiction saisie du recours. En cas de défaut, les dispositions de l'article 20, alinéas 2 et 3, sont applicables alors même que cette partie n'est pas domiciliée sur le territoire d'un des états contractants.'
8 Il y a lieu de faire remarquer que le texte de cette disposition ne fait apparaitre aucune exception.
9 Nonobstant, l'Oberlandesgericht pose la question de savoir si une telle exception ne devrait pas être admise en raison du fait que, d'une part, le Landgericht n'aurait rejeté la demande d'apposition de la formule exécutoire qu'au seul motif que les documents n'avaient pas été produits en temps utile par la demanderesse et que, d'autre part, le système de l'article 40 serait inadapté à la présente espèce puisque l'exécution doit avoir lieu dans un état qui n'est pas celui du domicile de la partie contre laquelle elle est demandée.
10 La position prise par l'Oberlandesgericht s'explique, dans le cadre de la présente espèce, par le fait que le Landgericht, afin de sauvegarder pleinement, à son niveau, l'effet de surprise de l'exequatur, aurait pu davantage pousser l'instruction et chercher à obtenir les informations qui lui ont fait défaut en vue d'aboutir à une décision sur le fond.
11 Il n'en reste pas moins que la convention exige formellement que la procédure soit contradictoire au niveau de l'appel, sans distinguer selon la portée de la décision prise en première instance. Cette disposition est conforme à l'esprit général de la convention qui est de concilier l'effet de surprise nécessaire dans les procédures de ce genre avec le respect des droits de la défense (voir arrêt de la Cour du 21.5.1980, Denilauler, 125-79, recueil 1980, p. 1553). C'est pour cette raison qu'en première instance, le défendeur ne peut pas s'expliquer, alors qu'en appel, la procédure devient nécessairement contradictoire. On ne saurait déroger à cette règle dans une situation où, pour des raisons imputables à la demanderesse, le juge de première instance a été amené à repousser une demande d'exequatur pour des raisons purement formelles. Il n'y a pas lieu d'apprécier cette situation de manière différente selon que le défendeur a sa résidence habituelle, ou son siège, dans l'état requis ou dans un autre état.
12 En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale que la juridiction saisie du recours d'une partie qui demande l'exécution, en application de l'article 40, alinéa 2, première phrase, de la convention, doit appeler à comparaitre la partie contre laquelle l'exécution est demandée, même lorsque la demande d'apposition de la formule exécutoire a été rejetée en première instance pour la seule raison que des documents n'avaient pas été produits en temps utile et que ladite apposition est demandée pour un état qui n'est pas l'état de séjour de la partie contre laquelle l'exécution est demandée.
Sur les dépens
13 Les frais exposés par le Gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht Frankfurt AM main, par ordonnance du 12 août 1983, dit pour droit :
La juridiction saisie du recours d'une partie qui demande l'exécution, en application de l'article 40, alinéa 2, première phrase, de la convention, doit appeler à comparaitre la partie contre laquelle l'exécution est demandée, même lorsque la demande d'apposition de la formule exécutoire a été rejetée en première instance pour la seule raison que des documents n'avaient pas été produits en temps utile et que ladite apposition est demandée pour un état qui n'est pas l'état de séjour de la partie contre laquelle l'exécution est demandée.