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Décisions

CA Paris, 15e ch. B, 9 avril 1999, n° 1997-06047

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cougnenc

Défendeur :

Financière Eurafrique (SA), Demeures de Galisbay Saint-Martin (SNC), Mouial Simorre (SCP), Citerne, Lagier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Salzmann

Conseillers :

M. Binoche, Mme Le Gars

Avoués :

Me Nut, Blin, SCP Lagourgue, SCP Faure-Arnaudy

Avocats :

Mes Martin, Guichon, Bouyer, Gobert

TGI Paris, 2e ch., 2e sect., du 7 févr. …

7 février 1997

Par jugement du 7 février 1997, le Tribunal de grande instance de Paris (2e chambre, 2e section) saisi d'une demande principale en nullité de vente immobilière et nullité de prêt avec restitution du prix, d'une demande subsidiaire en résolution et de demandes accessoires en dommages-intérêts par Madame Suzy Salasc épouse Cougnenc, à l'encontre de la SNC "Demeures de Galisbay Saint-Martin", la Banque de l'Eurafrique, Jacqueline Henneton divorcée Citerne, Maître Lagier notaire, la SCP Mouial-Simorre notaires associés, a :

- dit mal fondées toutes demandes, fins ou conclusions en nullité,

- dit irrecevable, subsidiairement mal fondée l'action en résolution pour vices cachés,

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation en date du 9 octobre 1995,

- dit recevables mais mal fondées toutes autres demandes, fins ou conclusions de Suzy Cougnenc en l'en déboutant;

- dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts pour procédure abusive.

- condamné Suzy Cougnenc à payer à Jacqueline Henneton-Citerne sur le fondement de l'article 700 du NCPC la somme de 12 000 F et à Maître Lagier la somme de 8 000 F.

Il sera référé au jugement dont s'agit, à l'encontre duquel Madame Cougnenc a interjeté appel le 11 mars 1997, pour complet exposé, sauf à rappeler quelques éléments de fait nécessaires à la compréhension du litige, à savoir : que par acte authentique en date du 17 novembre 1988 au rapport de la SCP Mouial-Simorre notaires associés à Saint-Martin - Guadeloupe, Madame Cougnenc a acquis de la SNC "Demeures de Galisbay" au vu de plaquettes publicitaires qui lui avaient été communiquées par une dame Henneton-Citerne mandataire de Eurafrique un appartement situé à Marigot dans l'île de Saint-Martin, ceci pour le prix de 387 000 F financé à hauteur de 348 700 F par la Banque de l'Eurafrique. C'est motif pris de ce que son achat avait été déterminé par le bénéfice qui lui avait été annoncé par la dame Citerne des avantages fiscaux de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 dite "Loi Pons", ce qui s'était révélé inexact dans ce cas d'espèce que Madame Cougnenc a saisi le Tribunal de grande instance de Paris de demandes de nullité tant de l'acte de vente que de l'acte de prêt avec les conséquences afférentes à ces nullités.

Exposant par ailleurs que le bien vendu n'était pas conforme au bien décrit, Madame Cougnenc avait sollicité en première instance et subsidiairement la résolution de la vente, toutes demandes ayant donné lieu au jugement dont appel.

Dans ses écritures d'appel, Madame Suzy Cougnenc qui sollicite la réformation du jugement du 7 février 1997 demande à la cour:

- de prononcer la nullité du contrat de prêt intervenu entre la Banque de l'Eurafrique et elle-même pour non-respect des dispositions d'ordre public de la loi du 13 juillet 1979;

- de prononcer la résolution de la vente du 17 novembre 1988, en vertu des articles 1643, 1184 et 1603 et suivants du Code civil.

Madame Cougnenc fait valoir sur ce point que le bien vendu était affecté d'un vice caché, en ce sens que contrairement à ce qui était annoncé dans les documents publicitaires qui lui avaient été remis préalablement à la vente, la rentabilité locative n'était pas conforme aux promesses, l'assurance locative inexistante, et la défiscalisation impossible. Elle ajoute que la conformité à destination n'est par ailleurs pas réalisée, le bien étant actuellement squatté.

Estimant engagées à son égard et de ces faits les responsabilités de :

- la SNC " Demeures de Galisbay " en qualité de vendeur,

- la Banque de l'Eurafrique en qualité de vendeur-gestionnaire-prêteur de deniers,

- Madame Citerne en qualité de courtier - mandataire de Eurafrique - négociateur de financement,

- la SCP Mouial-Simorre à Saint-Martin, et Maître Lagier notaire à Aix, pour manquement à leur devoir d'information et de conseil.

Madame Cougnenc demande qu'en ces qualités les intimés soient condamnés solidairement à réparer son préjudice qu'elle chiffre comme suit dans ses dernières écritures (10 février 1999):

- en cas de seule nullité du contrat de prêt à la somme de 865 574,45 F

- en cas de nullité de l'acte de vente à la somme de 868 874,45 F,

- en cas de résolution de vente à la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts correspondant aux pertes locatives depuis le début de l'opération,

- en tout état de cause elle sollicite la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La Banque de l'Eurafrique qui demande à la cour de lui donner acte de ce que depuis le 28 décembre 1998 sa dénomination sociale est "La Financière Eurafrique" SA a conclu aux côtés de la SNC "Demeures de Galisbay". Les deux concluantes sollicitent la confirmation du jugement déféré, le débouté de Madame Cougnenc et sa condamnation à leur payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elles soulèvent:

- que le contrat de prêt est conforme aux dispositions légales satisfaisant aux dispositions en vigueur à l'époque où il a été conclu;

- que le bien vendu n'était pas affecté d'un vice caché,

- qu'il n'existe aucun manquement à l'obligation de délivrance.

La SCP Mouial conclut également à la confirmation du jugement entrepris, au débouté de Madame Cougnenc et à sa condamnation à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Rappelant que pour les notaires l'obligation de conseil est une obligation de moyens, la SCP expose qu'en l'espèce, outre le fait qu'elle n'a jamais rencontré Madame Cougnenc, qu'il ne lui appartenait pas en tant que rédacteur d'acte, d'insérer dans ledit acte une clause garantissant la rentabilité locative du bien vendu. Elle ajoute que Madame Cougnenc ne démontre aucunement que son acquisition était incompatible avec une opération de défiscalisation, étant observé qu'elle a réellement bénéficié d'avantages fiscaux.

Maître Lagier qui s'associe aux demandes et aux moyens développés par la SCP Mouial sollicite en ce qui le concerne la condamnation de Madame Cougnenc à lui verser une indemnité de 30 000 F au titre des frais irrépétibles.

Madame Henneton divorcée Citerne qui demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de constater qu'elle n'a commis aucune faute dans le cadre de son mandat de nature à engager sa responsabilité délictuelle, sollicite la condamnation de Madame Cougnenc à lui payer les sommes de 20 000 F à titre de dommages-intérêts, 10 000 F pour appel abusif et 15 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Cela étant exposé :

Sur la nullité du contrat de prêt:

Considérant qu'il ressort des éléments du dossier qu'à la date du 21 juillet 1988 la Banque de l'Eurafrique a émis au profit de Madame Cougnenc une offre de prêt en vue de financer une acquisition immobilière à Saint-Martin;

Que si la preuve n'est pas rapportée de ce que cette offre a été transmise à Madame Cougnenc par voie postale, ce grief soulevé par l'appelante n'est pas pertinent, dès lors que ce n'est que par une loi du 31 décembre 1989 (soit postérieure de 17 mois à l'offre dont s'agit) que cette obligation a été instaurée, en remplacement du système en vigueur antérieurement sous l'emprise de la loi du 13 juillet 1979 qui prévoyait que l'offre devait être "remise ou adressée gratuitement contre récépissé";

Qu'en l'espèce il est rappelé dans l'acte authentique que l'offre "remise" à l'emprunteur le 21 juillet 1988 et dont il recevait un exemplaire a été acceptée par lui le 1er septembre 1988 (le délai de 10 jours postérieurement à l'offre étant ainsi respecté);

Considérant que l'acte authentique décrit également avec précision les caractéristiques du prêt, à savoir:

- montant : 348 300 F,

- durée : 10 ans,

- remboursement : 120 mensualités de 4 667,44 F en ce compris capital, intérêts et assurance; 1re échéance : 28 novembre 1988 - dernière : 28 octobre 1998,

- intérêts : taux mensuel moyen marché interbancaire + 2,75 % soit 10,09 % au TEG 11,62 %;

Que s'il est exact qu'aucun tableau d'amortissement n'est annexé à l'offre, il sera rappelé qu'aux termes de l'article 87 de la loi du 12 avril 1996 modifiant les dispositions de l'article L. 312-8 du Code de la consommation, sont réputées régulières les offres de prêt immobilier émises avant le 31 décembre 1994 dès lors qu'elles ont indiqué le montant des échéances du remboursement du prêt leur périodicité, leur nombre ou la durée du prêt, ainsi que le cas échéant les modalités de leur variation;

Considérant que force est en conséquence de constater que l'offre du 21 juillet 1988 ne contrevient à aucune disposition légale;

Que le moyen soulevé par Madame Cougnenc sur ce fondement sera donc rejeté par la cour;

Sur la résolution de la vente :

Considérant qu'à l'appui de cette prétention, Madame Cougnenc fait valoir en bref qu'alors que les documents publicitaires qui lui avaient été fournis vantaient le produit litigieux étude de trésorerie à l'appui, elle n'a perçu à titre de loyers sur la période 1988-1991 qu'une somme de 36 395 F alors qu'elle escomptait 146 000 F, soit une perte locative de 110 000 F; que cette absence de rentabilité locative et d'assurance locative, jointes à l'absence de défiscalisation et au fait que le logement serait actuellement "squatté" constituent le vice caché de l'article 1643 du Code civil, duquel le vendeur est tenu;

Considérant cependant qu'il sera observé par la cour qu'une plaquette publicitaire, dès lors qu'elle est dépourvue de toute valeur contractuelle, ne saurait compte tenu de cette nature engager celui qui l'édite à une quelconque obligation de résultat ou d'efficience;

Considérant par ailleurs que pour que soit retenue l'existence d'un vice caché, il faut que celui-ci soit inhérent au bien vendu et affecte sa destination normale, laquelle était en l'espèce l'habitation (ce qui ne peut être sérieusement contesté le bien étant déjà loué au moment de l'acquisition, ce dont était informée Madame Cougnenc par un courrier du 4 octobre 1988 antérieur de 45 jours à la vente) et non des accessoires tels que rentabilité (soumise aux aléas de l'offre et de la demande) et avantages fiscaux, ce dont a au demeurant bénéficié Madame Cougnenc, tel que cela ressort d'une attestation sur l'honneur établie par elle le 25 mars 1995;

Qu'il faut aussi que le vice soit antérieur à la vente, ce qui exclut qu'il puisse concerner un événement postérieur à celle-ci tel que en l'espèce une occupation par des "squatters" révélée à Madame Cougnenc par un courrier du 17 juin 1993 émanant du syndic de la copropriété;

Considérant que le moyen soulevé dans le contexte ci-dessus par Madame Cougnenc sera donc également rejeté;

Considérant que le moyen soulevé au regard d'un manquement à l'obligation de délivrance ne saurait non plus prospérer, le bien acquis par Madame Cougnenc lui ayant bien été "délivré" lors du transfert de la propriété résultant de l'acte authentique du 17 novembre 1988 et Madame Cougnenc ne rapportant aucunement la preuve de ce que ce bien précisément décrit à l'acte (page 2) ne serait pas conforme à cette description;

Considérant que dès lors que la cour retient n'y avoir lieu ni au prononcé de la nullité du contrat de prêt, ni au prononcé de la résolution de la vente du 17 novembre 1988, l'examen des responsabilités pouvant être encouru tant par les vendeur et prêteur que par Madame Citerne mandataire du prêteur, ainsi que par l'étude notariale Mouial rédacteur de l'acte, et par Maître Lagier notaire à Aix et auteur de la transmission à l'étude précédente de la procuration établie chez lui par Madame Cougnenc, devient sans objet, tout comme devient sans objet l'examen du préjudice allégué par l'appelante, laquelle sera déboutée de toutes ses fins et prétentions formulées en cause d'appel;

Considérant que si l'appel interjeté par Madame Cougnenc ne peut être qualifié "d'abusif', ce qui justifie le rejet de demande de dommages-intérêts formulée sur ce fondement par Madame Citerne, tout comme sa demande à ce même titre sans précision de fondement, l'équité commande que soit accueillie à hauteur de 8 000 F sa prétention au titre de l'article 700 du NCPC, tout comme seront accueillies à hauteur du même montant les prétentions à ce même titre formulées par "La Financière Eurafrique SA" et la SNC "Demeures de Galisbay" prises conjointement, la SCP Mouial, et Maître Lagier;

Par ces motifs, Contradictoirement, Donne acte à la Banque Eurafrique de sa nouvelle dénomination sociale à savoir "SA Financière Eurafrique"; Déclare Madame Cougnenc mal fondée en son appel, l'en déboute; Déboute Madame Henneton-Citerne de ses demandes de dommages-intérêts; Condamne Madame Cougnenc à payer en cause d'appel et au titre de l'article 700 du NCPC, une indemnité de 8 000 F à Madame Citerne, une indemnité du même montant à la SA "Financière Eurafrique" et à la SNC "Demeures de Galisbay" prises conjointement, à la SCP Mouial et à Maître Lagier; Condamne Madame Cougnenc aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers seront recouvrés directement par les avoués conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.