CJCE, 5e ch., 10 juillet 1986, n° 198-85
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Carron
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
LA COUR,
En droit 1 par ordonnance du 14 juin 1985, parvenue à la Cour le 26 juin suivant, la Cour de cassation de Belgique a, en vertu du protocole, du 3 juin 1971, relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après 'la convention'), posé trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 33, alinéa 2, de cette convention.
2 Ces questions sont posées dans le cadre d'un pourvoi en cassation introduit par M. Carron contre un jugement du 14 juin 1983, par lequel le Tribunal de première instance d'Anvers a rejeté l'opposition qu'il avait formée contre le jugement de cette même juridiction du 27 juillet 1982.
3 Par ce dernier jugement, rendu sur demande de la République fédérale d'Allemagne, le Tribunal de première instance d'Anvers a revêtu de la formule exécutoire en Belgique un jugement du 9 mars 1982, par lequel le Landgericht Duisburg a condamné M. Carron à payer à la République fédérale d'Allemagne une somme de 5 240 000 DM à titre de dommages et intérêts.
4 A l'appui de l'opposition introduite contre ce jugement d'exequatur, M. Carron a invoqué la nullité de la procédure suivie au motif que la République fédérale d'Allemagne n'avait pas procédé à l'élection de domicile dans la requête introductive d'instance. Le Tribunal de première instance d'Anvers, dans son jugement du 14 mars 1983, a fondé le rejet de cette opposition sur la circonstance que les prescriptions de l'article 33, alinéa 2, de la convention avaient été satisfaites par une élection de domicile dans l'acte de signification du jugement accordant l'exequatur.
5 La Cour de cassation de Belgique a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
'1) Le moment et la Facon d'opérer l'élection de domicile, visée à l'article 33, alinéa 2, de la convention, sont-ils régis par le droit de l'état requis?
2) Dans l'affirmative, la sanction est-elle également régie par le droit de l'état requis?
3) En cas de réponse négative à la première question, à quel moment et de quelle façon l'élection de domicile en question doit-elle se faire et quelle est la sanction éventuelle?'
Sur la première question
6 M. Carron et la Commission soulignent que la convention tend à la mise en œuvre d'une procédure d'exequatur uniforme dans tous les États membres ; aussi, le juge de l'état requis ne saurait-il appliquer les règles de procédure nationales que dans les cas où il y est expressément invité par la convention. L'article 33 de la convention n'ayant pas disposé en ce sens pour ce qui concerne le moment auquel l'élection de domicile doit être effectuée, il convient de répondre à la première question préjudicielle en fonction des finalités de cette disposition. Or, celle-ci tend à ce que le défendeur puisse exercer un recours contre le jugement d'exequatur dans les meilleurs délais : elle imposerait donc que l'élection de domicile soit faite, à tout le moins, avant le prononcé du jugement accordant l'exequatur.
7 Les gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni estiment à l'inverse que, en vertu des termes mêmes de l'article 33 de la convention, les modalités de l'élection de domicile sont déterminées par le droit de l'état requis. Eu égard au manque de précision de cette disposition en ce qui concerne le moment auquel il convient de procéder à cette élection, les deux gouvernements estiment qu'il y a lieu de tenir compte du fait que cette élection ne revêt d'importance pour la partie contre laquelle l'exécution est demandée que lorsque s'ouvre le délai du recours susceptible d'être exercé au titre de l'article 36 de la convention contre le jugement accordant l'exequatur, c'est-à-dire lorsque ce jugement doit lui être signifié.
8 Il convient de relever que, par ses articles 31 à 49, la convention a institué une procédure d'exequatur commune aux États membres. Cette procédure permet, dans une première phase de nature non contradictoire, au requérant qui cherche à faire exécuter un jugement dans un autre État membre d'obtenir rapidement satisfaction. Elle garantit, dans une deuxième phase revêtant une nature contradictoire, les droits de la partie contre laquelle l'exécution est poursuivie par l'institution d'une procédure de recours contre cette décision. Dans ce système, l'obligation, pour le requérant, d'élire domicile ou de designer un mandataire ad litem doit assurer à la partie contre laquelle l'exécution a été ordonnée la possibilité d'introduire le recours prévu par la convention, sans avoir à procéder à des formalités en dehors de la circonscription de la juridiction de son domicile. Si la convention fixe ces objectifs, dont la réalisation doit être assurée dans tous les États membres, il faut constater qu'elle ne règle pas les modalités de mise en œuvre de cette procédure et qu'elle se réfère expressément, sur plusieurs points, au droit de l'état requis.
9 C'est ainsi que, aux termes de l'article 33, alinéas 1 à 3, de la convention, 'les modalités du dépôt de la requête sont déterminées par la loi de l'état requis. Le requérant doit faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie. Toutefois, si la loi de l'état requis ne connait pas l'élection de domicile, le requérant désigne un mandataire ad litem'.
10 Il ressort de ces dispositions que la loi de l'état requis détermine l'ensemble des modalités du dépôt de la requête et que l'élection de domicile par le requérant figure au nombre de ces modalités. A défaut de précision dans le droit de l'état requis sur le moment précis auquel l'élection de domicile doit être faite, il convient d'admettre, pour respecter les objectifs visés par la convention, que cette formalité doit être accomplie à un moment tel que la procédure ne soit pas abusivement retardée et que les droits de la partie contre laquelle l'exécution est poursuivie soient sauvegardés. Ce moment se situe au plus tard lors de la signification du jugement accordant l'exequatur.
11 Il y a donc lieu de répondre à la première question préjudicielle que l'article 33, alinéa 2, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l'obligation d'élire domicile édictée par cette disposition doit être accomplie selon les modalités définies par la loi de l'état requis, et dans le silence de cette loi quant au moment où cette formalité doit être accomplie, au plus tard lors de la signification du jugement accordant l'exequatur.
Sur la deuxième question
12 M. Carron estime que, compte tenu du fait que l'obligation de procéder à l'élection de domicile avant le prononcé du jugement accordant l'exequatur est prescrite par le droit communautaire, il en va de même de la sanction de cette obligation. Eu égard aux termes impératifs de l'article 33, alinéa 2, et de l'obligation pour la juridiction saisie de signifier, conformément à l'article 35 de la convention, la décision 'aussitôt' rendue au requérant, cette sanction ne peut être que la nullité de la requête.
13 Il y a lieu d'admettre, avec les gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni, que, dans la mesure où la convention ne prévoit aucune sanction de la violation des prescriptions de l'article 33, cette sanction doit être déterminée par la loi de l'état requis comme les autres modalités de procédure prévues par cette disposition.
14 La loi de l'état requis demeure cependant soumise au respect des objectifs visés par la convention : la sanction prévue ne saurait donc ni remettre en cause la validité du jugement accordant l'exequatur, ni permettre qu'il soit porté atteinte aux droits de la partie contre laquelle l'exécution est poursuivie.
15 Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle que les conséquences qui résultent de la violation des modalités relatives à l'élection de domicile sont, en vertu de l'article 33 de la convention, définies par la loi de l'état requis, sous réserve du respect des objectifs visés par la convention.
Sur la troisième question
16 Compte tenu des réponses données aux deux premières questions préjudicielles, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.
Sur les dépens
17 Les frais exposés par la République fédérale d'Allemagne, le Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation de Belgique, par ordonnance du 14 juin 1985, dit pour droit :
1) L'article 33, alinéa 2 de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l'obligation d'élire domicile édictée par cette disposition doit être accomplie selon les modalités définies par la loi de l'état requis, et dans le silence de cette loi quant au moment où cette formalité doit être accomplie, au plus tard lors de la signification du jugement accordant l'exequatur.
2) Les conséquences qui résultent de la violation des modalités relatives à l'élection de domicile sont, en vertu de l'article 33 de la convention, définies par la loi de l'état requis, sous réserve du respect des objectifs visés par la convention.