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Décisions

CJCE, 4e ch., 27 novembre 1984, n° 258-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fabrique de chaussures Brennero (SAS)

Défendeur :

Wendel GmbH Schuhproduktion International

CJCE n° 258-83

27 novembre 1984

LA COUR,

1 Par ordonnance du 12 octobre 1983, parvenue à la Cour le 18 novembre suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 37 et 38 de la convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant deux entreprises de fabrication de chaussures dont l'une, Brennero, est établie en Italie et l'autre, Wendel, en République Fédérale d'Allemagne. La première a obtenu contre la seconde un jugement d'un tribunal italien dont elle poursuit l'exécution sur le territoire de la République Fédérale d'Allemagne, conformément aux dispositions de la convention.

3 Le jugement en cause a été revêtu de la formule exécutoire par le président de la quatrième Chambre civile du Landgericht Detmold qui a, en même temps, autorisé des mesures conservatoires sur les biens de l'entreprise allemande. Celle-ci ayant formé, en application de l'article 36, alinéa 1, de la convention, un recours contre cette décision, l'Oberlandesgericht Hamm a décidé, avant de statuer sur le recours, que l'exécution du jugement soit subordonnée à la constitution d'une garantie par l'entreprise italienne, même si l'exécution se limite à des mesures conservatoires.

4 Cette décision de l'Oberlandesgericht a fait l'objet d'une 'Rechtsbeschwerde', au sens de l'article 37, alinéa 2, de la convention, de la part de la firme Brennero. Celle-ci a fait valoir que la juridiction saisie d'un recours contre l'autorisation d'exécution ne saurait imposer la constitution d'une garantie sans statuer simultanément sur ce recours.

5 Le Bundesgerichtshof, saisi de la 'Rechtsbeschwerde', a constaté que l'Oberlandesgericht n'avait pas statué sur le recours contre l'autorisation de l'exécution mais qu'il avait plutôt suivi la suggestion faite par Wendel de décider à titre préliminaire sur la constitution d'une garantie. S'agissant, dans ces conditions, d'une décision intérimaire de l'Oberlandesgericht, il ne serait pas certain qu'une 'Rechtsbeschwerde' formée contre cette décision puisse être admise. En effet, d'après le droit allemand de procédure civile, un tel pourvoi ne serait pas recevable s'il est dirigé contre une ordonnance intérimaire d'un Oberlandesgericht ; il ne pourrait donc être examiné par le Bundesgerichtshof que si la convention prévoit un tel pourvoi.

6 Estimant qu'une interprétation sur ce point des articles 37 et 38 de la convention lui était nécessaire pour rendre sa décision, le Bundesgerichtshof a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

'1. L'Oberlandesgericht saisi, en République Fédérale d'Allemagne, du recours formé par le débiteur contre l'autorisation d'exécution accordée en application des articles 36 et 37 de la convention ne peut-il, en vertu de l'article 38, deuxième alinéa, de la convention, subordonner l'exécution à la constitution d'une garantie qu'en intégrant cette mesure dans sa décision définitive sur le recours ou également en ordonnant cette mesure à titre provisoire durant la procédure de recours?

2. La 'Rechtsbeschwerde' formée devant le Bundesgerichtshof contre l'ordonnance imposant la constitution d'une garantie, que l'Oberlandesgericht a prise à titre provisoire durant la procédure de recours en se référant à l'article 38, deuxième alinéa, de la convention, est-elle recevable par application directe ou analogique de l'article 37, deuxième alinéa, de la convention?'

Sur la première question (article 38)

7 La firme Brennero, le Gouvernement italien et la Commission des Communautés européennes sont d'avis que l'article 38 de la convention ne permet pas au juge saisi du recours contre l'autorisation d'exécution de rendre une décision intérimaire qui ordonnerait la constitution d'une garantie sans statuer sur le recours. Le pouvoir de prendre une telle décision serait exclu par les termes mêmes de l'article 38 selon lesquels le juge saisi du recours peut subordonner 'l'execution'à la constitution d'une garantie, exécution qui ne serait possible qu'après le rejet du recours. L'exercice, par la juridiction saisie, du pouvoir d'ordonner la constitution d'une garantie par décision intérimaire serait en outre contraire à l'un des objectifs de la convention, celle-ci visant précisément à rendre la procédure d'exécution d'une décision judiciaire rendue dans un autre état contractant aussi simple et expéditive que possible.

8 Le Gouvernement allemand estime que le pouvoir du juge saisi du recours d'ordonner la constitution d'une garantie à titre provisoire, pendant la procédure de recours, est de nature à éviter des risques pour le débiteur, risques qui seraient inhérents à l'incertitude régnant encore sur l'issue de la procédure dans l'état d'origine, étant donné que l'article 38 ne concerne que l'hypothèse dans laquelle la décision à exécuter n'a pas encore la force de chose jugée dans l'état d'origine.

9 A l'audience, la firme Wendel a appuyé cette façon de voir, en faisant notamment valoir que, si l'article 38 vise le cas où le jugement à exécuter est encore susceptible de recours dans l'état d'origine, l'article 39 qui autorise, à titre provisoire, des mesures conservatoires, ne s'applique que dans les cas où ce jugement est devenu définitif selon le droit de l'état d'origine. Dans un cas comme celui de l'espèce, seul l'article 38 pourrait donc jouer, à l'exclusion de l'application de l'article 39.

10 Il convient de rappeler d'abord, à cet égard, que la convention a pour but de limiter les exigences auxquelles l'exécution d'une décision judiciaire peut être soumise dans un autre état contractant. A cet effet, elle prévoit une procédure très sommaire afin d'obtenir l'exequatur tout en donnant à la partie contre laquelle l'exécution a été demandée la possibilité de former un recours. Contrairement à la procédure initiale visant l'autorisation d'exécution, celle devant la juridiction saisie du recours est contradictoire.

11 L'article 39 de la convention régit les droits de la partie ayant obtenu l'autorisation d'exécuter qui fait l'objet du recours. Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur ce recours, cette partie ne peut, selon cette disposition, procéder 'qu'à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée'. Il en résulte qu'aucune mesure exécutoire ne peut être prise aussi longtemps que la juridiction saisie du recours n'a pas encore statué.

12 C'est dans cette perspective que doit être compris l'article 38, alinéa 2, de la convention, aux termes duquel la juridiction saisie du recours peut 'subordonner l'exécution à la constitution d'une garantie qu'elle détermine'. Cette disposition prend tout son relief du fait que, dès le moment où la juridiction statue sur le recours, les limitations prévues à l'article 39 ne sont plus d'application : des mesures exécutoires sont donc possibles alors que la décision rendue peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou d'une 'Rechtsbeschwerde' conformément à l'article 37, alinéa 2, et que même le jugement rendu dans l'état d'origine peut encore être susceptible de recours, hypothèses expressément visée par l'article 38. C'est à ce moment que la protection des intérêts du débiteur peut exiger que l'exécution soit subordonnée à la constitution d'une garantie.

13 Il en résulte que l'article 38, alinéa 2, de la convention doit être interprété en ce sens qu'une juridiction saisie d'un recours contre l'autorisation d'exécution accordée en application de la convention ne peut subordonner l'exécution à la constitution d'une garantie qu'au moment où elle statue sur le recours.

Sur la deuxième question (article 37)

14 La firme Brennero a fait observer que l'interprétation uniforme de la convention serait compromise si une décision provisoire ou intérimaire de la juridiction saisie du recours ne pouvait pas faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou d'une 'Rechtsbeschwerde'. Pour la Commission et le Gouvernement allemand, en revanche, l'article 37, alinéa 2, de la convention est formel dans le sens que ses termes n'admettent la 'Rechtsbeschwerde' que contre la décision définitive sur le recours.

15 D'après le deuxième alinéa de l'article 37, la décision rendue sur le recours ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation et, en République Fédérale d'Allemagne, d'une 'Rechtsbeschwerde'. Dans le cadre de l'économie générale de la convention, et à la lumière d'un de ses objectifs principaux qui est de simplifier les procédures dans l'état où l'exécution est demandée, cette disposition ne saurait être étendue de façon à permettre un pourvoi contre une autre décision que celle statuant sur le recours, comme par exemple un pourvoi contre une décision préparatoire ou interlocutoire ordonnant des mesures d'instruction.

16 Il doit donc être répondu à la deuxième question que l'article 37, alinéa 2, de la convention doit être interprété en ce sens qu'il ne permet de pourvoi en cassation et, en République Fédérale d'Allemagne, la 'Rechtsbeschwerde' que contre la décision statuant sur le recours.

17 Si, en l'espèce, la réponse donnée à la deuxième question peut conduire le Bundesgerichtshof à déclarer irrecevable la 'Rechtsbeschwerde' contre la décision de l'Oberlandesgericht, alors que cette décision devrait être considérée comme illégale à la lumière de la réponse à la première question, il appartient cependant à l'Oberlandesgericht, au moment où il se saisit de nouveau du dossier de cette affaire, de révoquer la décision intérimaire dans la mesure où celle-ci a ordonné la constitution d'une garantie sans statuer sur le recours.

Sur les dépens

18 Les frais exposés par le Gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne, le Gouvernement de la République italienne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 12 octobre 1983, dit pour droit :

1) L'article 38, alinéa 2, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens qu'une juridiction saisie d'un recours contre l'autorisation d'exécution accordée en application de la convention ne peut subordonner l'exécution à la constitution d'une garantie qu'au moment où elle statue sur le recours.

2) L'article 37, alinéa 2, de la convention du 27 septembre 1968 doit être interprété en ce sens qu'il ne permet de pourvoi en cassation et, en République Fédérale d'Allemagne, la 'Rechtsbeschwerde' que contre la décision statuant sur le recours.