CJCE, 5e ch., 15 juin 1999, n° C-394/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Sami Heinonen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Puissochet
Avocat général :
M. Saggio
Juges :
MM. Jann, Moitinho de Almeida, Gulmann, Wathelet
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 5 novembre 1997, parvenue à la Cour le 25 novembre suivant, l'Helsingin käräjäoikeus a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 918-83 du Conseil, du 28 mars 1983, relatif à l'établissement du régime communautaire des franchises douanières (JO L 105, p. 1), et de la directive 69-169-CEE du Conseil, du 28 mai 1969, concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises perçues à l'importation dans le trafic international de voyageurs (JO L 133, p. 6).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale engagée à l'encontre de M. Heinonen pour infraction à l'article 10 de l'alkoholilaki (ci-après la "loi sur l'alcool"), telle que modifiée par la loi n° 287-96, et à l'article 8, paragraphe 1, de l'alkoholijuomista ja väkiviinasta annettu asetus (décret sur les boissons alcooliques et les spiritueux, tel que modifié par le décret n° 288-96, ci-après le "décret)".
Le droit communautaire
3 Le règlement (CE) n° 3285-94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif au régime commun applicable aux importations et abrogeant le règlement (CE) n° 518-94 (JO 1994, L 349, p. 53), qui, aux termes de son article 1er, s'applique "aux importations des produits originaires des pays tiers, à l'exception ... des produits originaires de certains pays énumérés dans le règlement (CE) n° 519-94 relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers", dispose en son article 24, paragraphe 2, sous a), i):
"2. a) Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, le présent règlement ne fait pas obstacle à l'adoption ou à l'application par les États membres:
i) d'interdictions, de restrictions quantitatives ou de mesures de surveillance justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, ou de protection de la propriété industrielle et commerciale".
4 Le règlement (CE) n° 519-94 du Conseil, du 7 mars 1994, relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers et abrogeant les règlements (CEE) n° 1765-82, (CEE) n° 1766-82 et (CEE) n° 3420-83 (JO L 67, p. 89), contient en son article 19, paragraphe 2, sous a), i), une disposition identique.
5 Aux termes de son article 1er, le règlement n° 918-83 détermine "les cas dans lesquels, en raison de circonstances particulières, une franchise de droits à l'importation ou de droits à l'exportation est octroyée". Selon le deuxième considérant du même règlement, il s'agit de circonstances dans lesquelles "les conditions particulières de l'importation des marchandises n'exigent pas l'application des mesures habituelles de protection de l'économie".
6 Le neuvième considérant du règlement n° 918-83 précise que ce dernier "ne fait pas obstacle à l'application par les États membres des interdictions ou restrictions d'importation ou d'exportation justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle ou commerciale".
7 L'article 45 du règlement n° 918-83 dispose:
"1. Sont admises en franchise de droits à l'importation, sous réserve des dispositions des articles 46 à 49, les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance d'un pays tiers, pour autant qu'il s'agisse d'importations dépourvues de tout caractère commercial.
2. Au sens du paragraphe 1, on entend par:
a) ...
b) importations dépourvues de tout caractère commercial, les importations qui:
- présentent un caractère occasionnel et
- portent exclusivement sur des marchandises réservées à l'usage personnel ou familial des voyageurs, ou destinées à être offertes en cadeau, la nature ou la quantité de ces marchandises ne devant traduire aucune préoccupation d'ordre commercial."
8 L'article 46 de ce règlement fixe les quantités maximales auxquelles est limitée, en ce qui concerne certaines marchandises, la franchise visée à l'article 45, paragraphe 1. Il ne fixe pas de quantité maximale en ce qui concerne la bière.
9 S'agissant des marchandises autres que celles énumérées à l'article 46, l'article 47, premier alinéa, du règlement n° 918-83, dans sa version issue du règlement (CE) n° 355-94 du Conseil, du 14 février 1994 (JO L 46, p. 5), limite la franchise à une valeur globale de 175 écus par voyageur.
10 L'article 49, paragraphe 1, du règlement n° 918-83 prévoit:
"1. Les États membres ont la faculté de réduire la valeur et/ou les quantités des marchandises à admettre en franchise lorsqu'elles sont importées:
- par des personnes ayant leur résidence dans la zone frontalière,
- par les travailleurs frontaliers,
- par le personnel des moyens de transport utilisés dans le trafic entre les pays tiers et la Communauté..."
11 L'article 1er de la directive 69-169, dans sa version résultant de la quatrième directive 78-1033-CEE du Conseil, du 19 décembre 1978 (JO L 366, p. 31), et de la directive 94-4-CE du Conseil, du 14 février 1994, modifiant les directives 69-169-CEE et 77-388-CEE et augmentant le niveau des franchises pour les voyageurs en provenance des pays tiers et les limites pour les achats hors taxes effectués lors de voyages intracommunautaires (JO L 60, p. 14), prévoit:
"1. Une franchise des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises perçues à l'importation est applicable aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance de pays tiers, pour autant qu'il s'agisse d'importations dépourvues de tout caractère commercial et que la valeur globale de ces marchandises ne dépasse pas, par personne, 175 écus".
12 Selon l'article 4 de la directive 69-169, chaque État membre institue, en ce qui concerne l'importation en franchise des marchandises qu'il énumère, certaines limites quantitatives. Cette disposition ne fixe pas de limite quantitative à l'importation de bière et n'édicte pas non plus de restriction à l'importation des boissons alcooliques en fonction de la durée du voyage.
13 L'article 3 de la directive 69-169 reprend, en ce qui concerne les importations dépourvues de tout caractère commercial, la même définition que celle donnée à l'article 45 du règlement n° 918-83.
14 L'article 5 de la directive 69-169 accorde aux États membres la faculté de réduire la valeur et/ou les quantités des marchandises à admettre en franchise dans les mêmes conditions que celles énoncées à l'article 49 du règlement n° 918-83.
La réglementation nationale
15 La République de Finlande applique de longue date, dans le cadre de sa politique en matière d'alcool, une attitude restrictive. Ainsi, selon la réglementation en vigueur du 1er juillet 1992 au 31 décembre 1994, l'importation d'alcool à l'occasion d'un voyage à l'étranger n'était possible, en principe, que si la durée du voyage dépassait 24 heures et que pour de très faibles quantités. Cette réglementation a été modifiée dans la perspective de l'adhésion à l'Union européenne. Au début de l'année 1995, les restrictions liées à la durée du voyage ont été abolies.
16 En 1996, des restrictions à l'importation d'alcool ont cependant été réintroduites. La loi sur l'alcool a été modifiée avec effet au 1er mai 1996 par la loi n° 287-96. Son article 10 dispose:
"La protection de l'ordre public, de la sécurité publique ainsi que de la santé des personnes permettent de restreindre par décret le droit pour des personnes en provenance de pays extérieurs à l'Espace économique européen d'importer pour leurs propres besoins des boissons alcooliques à l'occasion de voyages de courte durée."
17 L'article 8, paragraphe 1, du décret, tel que modifié avec effet à la même date, prévoit:
"Un résident en Finlande, arrivant sauf par voie aérienne d'un pays extérieur à l'Espace économique européen et dont le voyage a duré 20 heures ou moins, ne peut introduire de boissons alcooliques en Finlande."
18 La modification de la loi sur l'alcool a été justifiée dans les travaux préparatoires par les motifs suivants:
- les prix des boissons alcooliques sont beaucoup plus élevés en Finlande que dans les pays proches tels que la Russie ou l'Estonie;
- l'application des dispositions communautaires concernant les importations de marchandises par des voyageurs en provenance de pays tiers a causé en Finlande de graves problèmes sociaux, sanitaires et de maintien de l'ordre;
- pendant cette période, le nombre de voyageurs rapportant de Russie des boissons alcooliques et des produits du tabac a augmenté dans des proportions telles que le franchissement de la frontière par les véhicules utilitaires et les travailleurs frontaliers était devenu plus difficile;
- dans la zone frontalière russe, des magasins hors taxes spécialisés dans la vente des boissons alcooliques et des produits du tabac ont été établis;
- la consommation totale d'alcool en Finlande a augmenté d'environ 10 % pendant l'année 1995, et cette augmentation est allée de pair avec une augmentation des problèmes sanitaires et sociaux;
- l'ordre public et la sécurité publique en Finlande ont été affectés (banalisation de la conduite en état d'ivresse, augmentation et aggravation de la violence, en particulier dans certaines zones frontalières et dans les ports lors de l'arrivée des navires en provenance d'Estonie, apparition et multiplication de marchés illégaux, y compris à proximité des écoles, ventes de boissons alcooliques dans la rue à des mineurs et à des personnes en état d'ébriété, tous ces troubles nécessitant l'intervention de la police et gênant celle-ci dans l'accomplissement de ses autres missions);
- les ventes effectuées dans les magasins de l'entreprise finlandaise qui détient le monopole de l'alcool ont sensiblement diminué;
- la République de Finlande a perdu environ 400 millions de FIM de ressources fiscales.
Le litige au principal
19 Le 14 juin 1997, M. Heinonen, qui réside en Finlande, a embarqué à Helsinki sur un navire régulier à destination de Tallinn (Estonie). Il est revenu le même jour par la voie maritime, après un voyage de moins de 20 heures.
20 M. Heinonen a fait à son retour l'objet d'un contrôle de routine à la douane et a été trouvé en possession de 19 canettes de bière d'une contenance de 0,33 litre chacune. Les services douaniers ont dressé un procès-verbal le condamnant à une peine d'amende pour introduction frauduleuse d'une substance faiblement alcoolisée sur le territoire finlandais et ordonnant la confiscation de ladite substance.
21 Le 16 juin 1997, M. Heinonen a adressé au procureur de la République une lettre contestant ce procès-verbal. Le procureur a saisi en conséquence l'Helsingin käräjäoikeus, devant lequel il a requis la condamnation de M. Heinonen. Ce dernier a soutenu que son acte n'était pas passible de sanction pénale, étant donné que le droit communautaire l'autorisait à importer librement au moins la quantité de bière en cause.
22 L'Helsingin käräjäoikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Le règlement sur les franchises douanières ainsi que la directive sur le trafic international des voyageurs peuvent-ils être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que les États membres imposent, pour l'importation par les voyageurs de bière et d'autres boissons alcooliques, des restrictions nationales reposant sur les raisons citées au neuvième considérant du préambule du règlement sur les franchises douanières ainsi qu'à l'article 36 du traité, ou motivées par d'autres raisons impératives d'intérêt général?
2) Les faits exposés au titre IV, point 6, sous a) à h), de l'ordonnance de renvoi [point 18 du présent arrêt], qui ont motivé les restrictions décidées par l'État membre, sont-ils de nature à rendre ces dernières compatibles avec le règlement et la directive cités à la première question?
3) Est-il possible de considérer comme compatible avec le règlement et la directive précités une règle qui impose une restriction à l'importation par les voyageurs de boissons alcooliques, en l'espèce aussi de bière, en fonction de la durée du voyage?"
Sur la première question
23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 s'opposent à une réglementation nationale qui interdit ou restreint, pour des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé et de la vie des personnes, l'importation de certaines marchandises par des voyageurs en provenance de pays tiers.
24 Ainsi qu'il ressort de son quatrième considérant, l'objectif du règlement n° 918-83 est d'éliminer, conformément aux exigences de l'union douanière, les divergences en matière de franchises. Les articles 45 à 49 ont plus particulièrement pour objectif de faciliter le dédouanement des marchandises contenues dans les bagages des voyageurs en provenance de pays tiers (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 1981, Rewe, Rec. p. 1805, point 11) et, partant, de faciliter le trafic de voyageurs.
25 La directive 69-169, comme l'indique son intitulé, a pour objectif d'harmoniser les franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises perçues à l'importation dans le trafic international des voyageurs. Il s'agit, ainsi qu'il ressort de ses considérants et de ceux des directives qui l'ont ultérieurement modifiée, de libéraliser davantage le régime de taxation des importations dans le trafic de voyageurs afin de faciliter ce dernier.
26 Toutefois, le règlement n° 918-83 précise, en son neuvième considérant, qu'il ne fait pas obstacle à l'application par les États membres des interdictions ou restrictions d'importation ou d'exportation justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes, à savoir des motifs qui, même dans le cadre des échanges intracommunautaires, peuvent justifier, en vertu de l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE), des restrictions à la libre circulation des marchandises.
27 La même interprétation doit prévaloir en ce qui concerne la directive 69-169, laquelle, comme le règlement n° 918-83, se borne à prévoir un régime de franchises applicable à des marchandises dont l'importation n'est pas par ailleurs interdite pour l'un des motifs énumérés au point précédent.
28 Il convient de relever, à cet égard, que l'article 24, paragraphe 2, sous a, i), du règlement n° 3285-94 tout comme l'article 19, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 519-94 prévoient expressément que ces règlements ne font pas obstacle à l'adoption ou à l'application par les États membres d'interdictions, de restrictions quantitatives ou de mesures de surveillance justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes.
29 Il ressort de ce qui précède que, si le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 tendent à définir le régime douanier et fiscal applicable aux importations dépourvues de tout caractère commercial effectuées par des voyageurs en provenance de pays tiers, cette réglementation d'harmonisation n'a pas pour objet de régir spécifiquement la protection des exigences d'intérêt général visées à l'article 24, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 3285-94 et à l'article 19, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 519-94, de sorte que les États membres conservent leur compétence pour arrêter les mesures nécessaires à la protection de ces exigences.
30 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question que le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui interdit ou restreint, pour des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé et de la vie des personnes, l'importation de certaines marchandises par des voyageurs en provenance de pays tiers.
Sur la deuxième question
31 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les circonstances décrites au point 18 du présent arrêt peuvent être de nature à justifier une restriction à l'importation de boissons alcooliques par des voyageurs en provenance de pays tiers.
32 Il convient tout d'abord de relever que des considérations d'ordre économique, telles que les deux dernières circonstances visées au point 18 du présent arrêt, ne figurent pas parmi les raisons qui, selon l'article 24, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 3285-94 et l'article 19, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 519-94, sont de nature à justifier une restriction à l'importation de produits originaires des pays tiers (voir, par analogie, à propos de l'article 36 du traité, arrêt du 9 juin 1982, Commission/Italie, 95-81, Rec. p. 2187, point 27).
33 En revanche, le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure figurent au premier rang des intérêts visés à l'article 24, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 3285-94 et à l'article 19, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 519-94. Il en va de même de la protection de la santé et de la vie des personnes, à laquelle contribue la lutte contre l'alcoolisme (voir, dans le contexte de l'article 36 du traité, arrêt du 23 octobre 1997, Franzén, C-189-95, Rec. p. I-5909, point 76).
34 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la deuxième question que le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 ne s'opposent pas, en principe, à une réglementation nationale qui, afin d'assurer le maintien de l'ordre public, restreint l'importation de boissons alcooliques par des voyageurs en provenance de pays tiers.
Sur la troisième question
35 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 s'opposent à une réglementation nationale qui, dans le souci de lutter contre les troubles de l'ordre public liés à la consommation d'alcool, restreint l'importation de boissons alcooliques, y compris de boissons à faible teneur alcoolique, par les voyageurs en provenance de pays tiers en fonction de la durée du voyage.
36 Afin de préciser le sens de la question, il convient de rappeler que la Cour a précisé, dans le cadre des articles 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et 36 du traité, que, s'il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection des intérêts visés à l'article 36 du traité et de la manière dont ce niveau doit être atteint, ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité (arrêt Franzén, précité, point 75).
37 Ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 28 de ses conclusions, il s'agit donc d'apprécier ici si la mesure arrêtée par le législateur finlandais est proportionnée à l'objectif poursuivi.
38 Toutefois, il convient de relever que, si l'objectif poursuivi par les articles 30 et 36 du traité est d'assurer le respect de cette liberté fondamentale qu'est la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur, celui des dispositions douanières et fiscales communautaires en cause au principal est plus limité en ce qu'il vise à faciliter le trafic des voyageurs en provenance de pays tiers dans le respect des exigences de l'union douanière.
39 C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner si la réglementation en cause au principal est appropriée et nécessaire.
40 Quant au caractère approprié de cette réglementation, il y a lieu de constater qu'elle n'apporte qu'une dérogation limitée au régime communautaire de franchises douanières et fiscales applicables aux voyageurs, puisqu'elle ne porte que sur une catégorie précise de marchandises, les boissons alcooliques. Cette dérogation est encore limitée par le fait qu'elle ne concerne que des voyages répondant à des critères précis, à savoir des voyages par voie terrestre ou maritime d'une durée inférieure à 20 heures.
41 Ces limitations correspondent aux circonstances types qui ont été identifiées par les autorités finlandaises comme étant principalement à l'origine des problèmes sociaux et sanitaires auxquels elles se sont trouvées confrontées. Le gouvernement finlandais a par ailleurs souligné qu'une amélioration de la situation a pu être enregistrée dès la mise en œuvre de la réglementation en cause au principal. Ces éléments permettent de considérer que cette réglementation présente un caractère approprié.
42 Quant à la nécessité d'une réglementation telle que celle applicable au principal, la Commission a fait valoir que les autorités finlandaises auraient pu, en mettant en place des contrôles plus étroits des flux de voyageurs, mieux exploiter les possibilités prévues par la réglementation communautaire, telles qu'une application stricte de la notion d'"importations dépourvues de tout caractère commercial", une réduction des franchises accordées aux frontaliers et au personnel des moyens de transport et le refus de toute franchise aux voyageurs dont le séjour dans un autre pays n'a revêtu qu'un caractère symbolique. Le gouvernement finlandais a répondu que l'exploitation de ces possibilités n'aurait apporté qu'une réponse insuffisante aux problèmes à résoudre. En outre, elle aurait supposé des moyens matériels, notamment informatiques, qui n'étaient pas ou du moins pas immédiatement disponibles, alors que les autorités devaient faire face à des troubles graves de l'ordre public liés à une brusque augmentation de la consommation d'alcool.
43 Il convient de relever que les États membres, qui restent seuls compétents pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure (arrêt du 9 décembre 1997, Commission/France, C-265-95, Rec. p. I-6959, point 33), jouissent d'une marge d'appréciation pour déterminer, en fonction de la particularité des contextes sociaux et de l'importance qu'ils attachent à un objectif légitime au regard du droit communautaire, tel que la lutte contre les différentes formes de criminalité liées à la consommation d'alcool, les mesures qui sont de nature à parvenir à des résultats concrets.
44 Dans les circonstances décrites au point 18 du présent arrêt, l'introduction d'une restriction à l'importation de boissons alcooliques par les voyageurs en provenance de pays tiers en fonction de la durée du voyage apparaît revêtir un caractère nécessaire, les mesures alternatives proposées par la Commission ne paraissant pas suffisamment efficaces pour atteindre l'objectif poursuivi.
45 Dès lors, il y a lieu de répondre à la troisième question que le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, dans le souci de lutter contre des troubles de l'ordre public liés à la consommation d'alcool, restreint l'importation de boissons alcooliques par les voyageurs en provenance de pays tiers en fonction de la durée du voyage.
Sur les dépens
46 Les frais exposés par le Gouvernement finlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
Statuant sur les questions à elle soumises par l'Helsingin käräjäoikeus, par ordonnance du 5 novembre 1997, dit pour droit:
1) Le règlement (CEE) n° 918-83 du Conseil, du 28 mars 1983, relatif à l'établissement du régime communautaire des franchises douanières, et la directive 69-169-CEE du Conseil, du 28 mai 1969, concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises perçues à l'importation dans le trafic international de voyageurs, ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui interdit ou restreint, pour des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé et de la vie des personnes, l'importation de certaines marchandises par des voyageurs en provenance de pays tiers.
2) Le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 ne s'opposent pas, en principe, à une réglementation nationale qui, afin d'assurer le maintien de l'ordre public, restreint l'importation de boissons alcooliques par des voyageurs en provenance de pays tiers.
3) Le règlement n° 918-83 et la directive 69-169 ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, dans le souci de lutter contre des troubles de l'ordre public liés à la consommation d'alcool, restreint l'importation de boissons alcooliques par les voyageurs en provenance de pays tiers en fonction de la durée du voyage.