CJCE, 5e ch., 7 décembre 1993, n° C-83/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pierrel SpA
Défendeur :
Ministero della Sanità
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Moitinho de Almeida
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Joliet, Iglesias
Avocats :
Mes Guicciardi, Fiumara
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 20 décembre 1991, parvenue à la Cour le 16 mars 1992, le Consiglio di Stato a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 65-65-CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 22, p. 369; ci-après "directive 65-65"), telle que modifiée.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une demande de sursis à exécution introduite par les sociétés Pierrel, Serpero, Impresa Alba Intes Officina oftalmoterapica et Radimfarma à l'encontre de différents arrêtés, pris par le ministère italien de la Santé (ci-après "ministère"), déclarant caduc l'enregistrement de certaines de leurs spécialités pharmaceutiques.
3 La loi italienne n° 67 du 11 mars 1988 (ci-après "loi n° 67", suppl. ord. GURI n° 61 du 14 mars 1988) dispose en son article 19, paragraphe 11:
"Le défaut de mise sur le marché de médicaments dans un délai de dix-huit mois suivant la délivrance de l'autorisation y afférente, entraîne la caducité de ladite autorisation. Pour les médicaments déjà autorisés, le délai de dix-huit mois court à partir de la date d'entrée en vigueur de la présente loi."
4 Faisant application de cette disposition, le ministère a adopté différents arrêtés déclarant caducs les enregistrements de diverses spécialités pharmaceutiques produites par les quatre sociétés précitées.
5 Ces sociétés ont introduit devant le Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio une demande de sursis à l'exécution desdits arrêtés, qui n'a pas été satisfaite. Elles ont alors interjeté appel devant le Consiglio di Stato.
6 Doutant de l'interprétation à donner aux règles de droit communautaire qui régissent la matière, cette juridiction a, en vertu de l'article 177 du traité, posé à la Cour les questions suivantes:
"1. Les dispositions combinées des articles 11 et 21 de la directive 65-65-CEE du Conseil, du 26 janvier 1965 (telle que modifiée), doivent-elles être interprétées en ce sens que les raisons de suspension ou de retrait sont exhaustives et qu'elles s'opposent par conséquent à ce que les autorités nationales introduisent d'autres motifs de suspension ou de retrait?
2. En cas de réponse affirmative à la première question, les dispositions précitées doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles interdisent aux autorités nationales non seulement d'introduire d'autres motifs de suspension ou de retrait mais également d'introduire des cas de caducité, institution qui paraît bien distincte du retrait, dans la mesure où elle n'implique pas, à la différence de ce dernier, une nouvelle appréciation de l'utilité du produit, mais se présente comme l'effet automatique de la non-utilisation de l'autorisation pendant une certaine période de temps (en l'espèce dix-huit mois, conformément à l'article 19, paragraphe 11, de la loi italienne n° 67, du 11 mars 1988)?"
7 A titre liminaire, il convient de rappeler que les spécialités pharmaceutiques font l'objet, en droit communautaire, d'un ensemble élaboré de directives d'harmonisation qui visent à réaliser progressivement la libre circulation de ces produits dans la Communauté, tout en garantissant la sauvegarde de la santé publique.
8 Les bases de cette harmonisation ont été établies par la directive 65-65.
9 Dans le domaine concerné par la présente affaire, cette directive a été complétée et modifiée par
- la deuxième directive 75-319-CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13, ci-après "directive 75-319");
- la directive 83-570-CEE du Conseil, du 26 octobre 1983, modifiant les directives 65-65-CEE, 75-318-CEE et 75-319-CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 332, p. 1, ci-après "directive 83-570") et par
- la directive 92-27-CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concernant l'étiquetage et la notice des médicaments à usage humain (JO L 113, p. 8, ci-après "directive 92-27").
10 Des dispositions additionnelles et dérogatoires ont été prévues pour les médicaments de haute technologie par la directive 87-22-CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, portant rapprochement des mesures nationales relatives à la mise sur le marché des médicaments de haute technologie, notamment ceux issus de la biotechnologie (JO L 15, p. 38, ci-après "directive 87-22").
11 En ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché, le régime général est fixé par la directive 65-65. En application de l'article 3 de cette directive, aucune spécialité ne peut être mise sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation n'ait été préalablement délivrée par l'autorité nationale compétente de cet État membre. Des articles 4 et 5 de la même directive, tels que modifiés par la suite, il résulte qu'une telle autorisation ne sera délivrée que si le fabricant a prouvé, sur la base d'un dossier scientifique dûment constitué, que la spécialité n'était pas nocive dans les conditions normales d'emploi, qu'elle avait un effet thérapeutique et qu'elle avait la composition qualitative et quantitative déclarée.
12 Aux termes de l'article 10 de la directive 65-65, tel qu'adapté par l'article 1er, paragraphe 5, de la directive 83-570,
"L'autorisation a une durée de validité de cinq ans renouvelable par période quinquennale sur demande du titulaire présentée trois mois avant l'échéance".
13 Les dispositions communautaires en vigueur relatives aux causes de suspension et de retrait des autorisations de mise sur le marché peuvent se résumer comme suit.
14 La disposition fondamentale est l'article 11 de la directive 65-65 dont le premier alinéa prévoit:
"Les autorités compétentes des États membres suspendent ou retirent l'autorisation de mise sur le marché lorsqu'il apparaît que la spécialité pharmaceutique est nocive dans les conditions normales d'emploi ou que l'effet thérapeutique fait défaut ou enfin que la spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée.(...)."
15 Le second alinéa de l'article 11 a été modifié une première fois par l'article 36 de la directive 75-319, puis par l'article 1er, paragraphe 6, de la directive 83-570. Selon cette disposition, l'autorisation est également suspendue ou retirée lorsqu'il est reconnu que les renseignements figurant dans le dossier sont erronés ou n'ont pas été modifiés en tenant compte de l'avancement de la technique et du progrès de la science concernant les méthodes de contrôle et la qualité de la spécialité, ou lorsque les contrôles sur le produit fini n'ont pas été effectués.
16 Par la suite, une cause de suspension temporaire de l'autorisation de mise sur le marché a été ajoutée par l'article 11, paragraphe 1, de la directive 92-27. En cas de non-respect des prescriptions établies par cette directive en ce qui concerne l'étiquetage et la notice des médicaments à usage humain,
"les autorités des États membres pourront procéder, après une mise en demeure à l'intéressé non suivie d'effet, à la suspension de l'autorisation de mise sur le marché, jusqu'à ce que l'étiquetage et la notice du médicament en cause soient mis en conformité avec les prescriptions de la présente directive".
17 Malgré les modifications apportées à certaines dispositions de la directive 65-65, l'article 21 de cette directive, demeuré inchangé, précise enfin:
"L'autorisation de mise sur le marché ne peut être refusée, suspendue ou retirée que pour les raisons énumérées dans la présente directive."
18 Il convient encore de relever que, dans le secteur particulier des médicaments de haute technologie, sont autorisées, pour des motifs qui ne sont pas limitativement énumérés, des mesures de suspension ou de retrait, moyennant cependant l'avis du comité pour les spécialités pharmaceutiques (articles 1er et 2, paragraphe 4, de la directive 87-22).
19 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la procédure ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question préjudicielle
20 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que le Consiglio di Stato vise à savoir, en premier lieu, si les dispositions combinées des articles 11 et 21 de la directive 65-65, telle que modifiée, doivent être interprétées en ce sens que les motifs qu'elles mentionnent sont les seuls qui puissent justifier le retrait ou la suspension de l'autorisation de mise sur le marché et s'opposent, en conséquence, à ce que les États membres en introduisent d'autres.
21 Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 26 janvier 1984, Clin-Midy (301-82, Rec. p. 251, point 11), la Cour a déjà interprété l'article 21 de la directive 65-65 en ce sens que l'autorisation de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique ne peut être refusée, suspendue ou retirée que pour le motif de la protection de la santé publique visée par cette directive.
22 Depuis cet arrêt, le droit communautaire relatif aux médicaments s'est enrichi de nouvelles dispositions sur lesquelles peuvent se fonder de telles mesures. Toutefois, il n'en résulte pas que le législateur national soit habilité à prévoir des motifs de suspension ou de retrait autres que ceux qui sont énumérés limitativement par les directives communautaires.
23 Dès lors, il convient de répondre à la première question préjudicielle que, dans l'état actuel des dispositions relatives aux spécialités pharmaceutiques, l'article 21 de la directive 65-65 doit être interprété en ce sens que la suspension ou le retrait d'une autorisation de mise sur le marché ne peuvent être décidés que pour les raisons prévues par cette directive ou dans d'autres dispositions applicables du droit communautaire.
Sur la deuxième question préjudicielle
24 Par la deuxième question préjudicielle, le juge national demande en substance à la Cour si les dispositions précitées de la directive 65-65 s'opposent à ce que les autorités nationales non seulement introduisent d'autres motifs de suspension ou de retrait que ceux établis par le droit communautaire, mais également à ce qu'elles prévoient des cas de caducité des autorisations de mise sur le marché.
25 A cet égard, le gouvernement italien souligne que le caractère exhaustif des cas de suspension ou de retrait des autorisations de mise sur le marché ne retire pas aux États membres la possibilité de prévoir la caducité de ces autorisations, puisque la caducité n'est en tout état de cause pas assimilable aux cas de retrait prévus par l'article 11 de la directive 65-65.
26 Il est constant que, selon le droit national applicable, la caducité est une institution qui se distingue du retrait en ce qu'elle n'implique pas une nouvelle appréciation de l'utilité du produit. Elle s'analyse en effet comme une sanction à caractère automatique punissant le fait, pour une personne privée qui a obtenu une autorisation pour une période donnée, de ne pas avoir fait usage de prérogatives qui y sont attachées endéans cette période.
27 Toutefois, les effets de cette caducité sont les mêmes que ceux d'un retrait au sens de la directive 65-65 puisque, dans les deux cas, une autorisation existante est supprimée.
28 Or, le cadre harmonisé dressé par les directives relatives aux spécialités pharmaceutiques ainsi que leur effet utile seraient altérés s'il était permis aux États membres de prévoir non seulement d'autres hypothèses de retrait que celles qui y sont envisagées mais également d'autres causes de suppression de l'autorisation.
29 Il importe de remarquer à cet égard que nulle disposition de droit communautaire applicable à la matière ne dispose que l'autorisation doit être utilisée dans un délai déterminé. L'article 10 de la directive 65-65, tel qu'adapté par l'article 1er, paragraphe 5, de la directive 83-570, se borne en effet à limiter la validité de cette autorisation à une période de cinq ans, renouvelable sur simple demande du titulaire présentée trois mois au moins avant l'échéance.
30 Il en résulte que les dispositions de droit national qui prévoient la caducité des autorisations de mise sur le marché non utilisées dans un délai déterminé, ne sont pas compatibles avec les dispositions de la directive 65-65, telle que modifiée.
31 A ce qui précède, le gouvernement italien ne saurait objecter que l'article 19, paragraphe 11, de la loi n° 67 a été abrogé postérieurement à l'ordonnance de renvoi et remplacé par l'article 11, paragraphe 4, du décret législatif n° 178 du 29 mai 1991 (GURI n° 139 du 15 juin 1991). Cet article dispose que le titulaire d'une autorisation doit acquitter une nouvelle fois la taxe étatique prévue pour la délivrance de cette autorisation s'il n'a pas mis le médicament sur le marché dans les dix-huit mois qui ont suivi sa délivrance ou son renouvellement, mais ne prévoit plus la caducité de l'autorisation.
32 Il importe en effet de rappeler que l'article 177 donne compétence à la Cour pour interpréter le droit communautaire et que, dès lors, les changements intervenus dans la législation nationale postérieurement au renvoi ne sauraient influencer cette interprétation.
33 Il y a lieu par conséquent de répondre à la question posée que les dispositions de la directive 65-65, telle que modifiée, s'opposent à ce que les autorités nationales non seulement introduisent d'autres motifs de suspension ou de retrait que ceux établis par le droit communautaire, mais également à ce qu'elles prévoient des cas de caducité des autorisations de mise sur le marché.
Sur les dépens
34 Les frais exposés par le Gouvernement portugais, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Consiglio di Stato, par ordonnance du 20 décembre 1991, dit pour droit:
1) L'article 21 de la directive 65-65-CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques, doit être interprété en ce sens que la suspension ou le retrait d'une autorisation de mise sur le marché de médicaments ne peuvent être décidés que pour les raisons prévues par cette directive ou d'autres dispositions applicables du droit communautaire.
2) Les dispositions de la directive 65-65-CEE précitée, telle que modifiée, s'opposent à ce que les autorités nationales non seulement introduisent d'autres motifs de suspension ou de retrait que ceux établis par le droit communautaire, mais également à ce qu'elles prévoient des cas de caducité des autorisations de mise sur le marché.