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Décisions

CJCE, 4e ch., 16 septembre 1999, n° C-27/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Metalmeccanica Fracasso SpA, Leitschutz Handels- und Montage GmbH

Défendeur :

Amt der Salzburger Landesregierung für den Bundesminister für wirtschaftliche Angelegenheiten

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kapteyn

Avocat général :

M. Saggio

Juges :

MM. Murray, Ragnemalm

Avocats :

Mes Schmid, Wägenbaur

CJCE n° C-27/98

16 septembre 1999

LA COUR (quatrième chambre),

1. Par ordonnance du 27 janvier 1998, le Bundesvergabeamt a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), dans sa version résultant de la directive 97-52-CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, modifiant les directives 92-50-CEE, 93-36-CEE et 93-37-CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, des marchés publics de fournitures et des marchés publics de travaux respectivement (JO L 328, p. 1).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant les sociétés Metalmeccanica Fracasso SpA et Leitschutz Handels- und Montage GmbH (ci-après "Fracasso et Leitschutz") à l'Amt der Salzburger Landesregierung für den Bundesminister für wirtschaftliche Angelegenheiten (ci-après l'"Amt") au sujet du retrait par ce dernier d'un appel d'offres pour un marché de travaux publics pour lequel Fracasso et Leitschutz avaient soumissionné.

Le cadre juridique

3. La directive 93-37 a codifié la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5). Aux termes de l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37, dans sa version résultant de la directive 97-52 (ci-après la "directive 93-37"):

"L'attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au chapitre 3 du présent titre, compte tenu des dispositions de l'article 19, après vérification de l'aptitude des entrepreneurs non exclus en vertu de l'article 24, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 26 à 29."

4. Conformément à l'article 56, paragraphe 1, du Bundesvergabegesetz (loi fédérale sur les adjudications, ci-après le "BVergG"), la procédure de passation de marché se termine par la conclusion d'un contrat de prestations (adjudication) ou par le retrait de l'appel d'offres. Le BVergG ne connaît pas d'autre manière de mettre fin à une procédure de passation de marché.

5. L'article 52, paragraphe 1, du BVergG prévoit:

"(1) Avant de procéder au choix de l'offre à laquelle sera attribué le marché, le pouvoir adjudicateur, se fondant sur les résultats de l'examen, éliminera sans délai les offres suivantes:

1. offres de soumissionnaires ne présentant pas l'autorisation ou la capacité économique, financière et technique, ou la crédibilité nécessaire;

2. offres de soumissionnaires qui sont exclus de la concurrence, conformément à l'article 16, paragraphe 3 ou 4;

3. offres dont le prix total n'est pas constitué de manière plausible;

..."

6. L'article 55, paragraphe 2, du BVergG dispose:

"L'appel d'offres peut être retiré, dès lors qu'après l'élimination des offres effectuée conformément à l'article 52, il ne reste qu'une seule offre."

7. L'article 16, paragraphe 5, du BVergG précise:

"Il n'y a lieu de mettre en œuvre les procédures d'adjudication que s'il est vraiment prévu d'adjuger la prestation en cause".

Le litige au principal

8. Au printemps 1996, l'Amt a procédé à un appel d'offres portant sur des travaux de revêtement, y compris l'installation d'une protection du terre-plein central en béton, sur une portion de la Westautobahn A1. Le marché a été adjugé à la société ARGE Betondecke-Salzburg-West.

9. En novembre 1996, l'Amt a décidé, pour des motifs techniques, que le terre-plein central de la portion d'autoroute en cause serait équipé de glissières de protection en acier et non en béton, comme cela figurait dans l'appel d'offres. Il a alors lancé, selon une procédure ouverte, un autre appel d'offres relatif à la pose de glissières de sécurité en acier pour le terre-plein central. La procédure d'adjudication a commencé en avril 1997.

10. Quatre entreprises ou groupements d'entreprises ont soumissionné, parmi lesquels le groupement d'entreprises constitué de Fracasso et de Leitschutz.

11. L'Amt ayant examiné toutes les offres et ayant écarté celles des trois autres soumissionnaires sur le fondement de l'article 52, paragraphe 1, du BVergG, il n'est plus resté que la soumission de Fracasso et Leitschutz.

12. L'Amt a finalement décidé de ne plus faire réaliser la protection du terre-plein central en acier, mais en béton, et de retirer l'appel d'offres correspondant, conformément à l'article 55, paragraphe 2, du BVergG. Il a informé Fracasso et Leitschutz de ces deux points par lettre.

13. Celles-ci ont demandé à la Bundes-Vergabekontrollkomission (commission fédérale de contrôle des adjudications) de mettre en œuvre, conformément à l'article 109, paragraphe 1, point 1, du BVergG, une procédure de conciliation sur la question de savoir si la décision de l'Amt de retirer l'appel d'offres ainsi que son intention de procéder à un nouvel appel d'offres relatif aux glissières de sécurité étaient conformes aux dispositions du BVergG.

14. Le 19 août 1997, les parties sont parvenues à un accord amiable sur le nouvel appel d'offres proposé par le conciliateur, portant sur la construction de glissières de sécurité en acier sur les bords latéraux de l'autoroute. Ce marché devait faire l'objet d'une procédure restreinte incluant en principe tous les soumissionnaires qui avaient participé à l'appel d'offres retiré.

15. Fracasso et Leitschutz ont alors demandé à la Bundes-Vergabekontrollkomission de compléter la procédure de conciliation en faisant valoir que le différend concernant la légalité du retrait de l'appel d'offres relatif aux glissières de sécurité du terre-plein central n'avait pas été réglé.

16. La Bundes-Vergabekontrollkomission s'étant déclarée incompétente, Fracasso et Leitschutz ont saisi le Bundesvergabeamt d'une demande d'annulation de la décision de retrait de l'appel d'offres prise par l'Amt.

17. S'interrogeant sur la compatibilité de l'article 55, paragraphe 2, du BVergG avec l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37, le Bundesvergabeamt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La disposition figurant à l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37-CEE, selon laquelle l'attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au chapitre 3 du présent titre, compte tenu des dispositions de l'article 19, après vérification de l'aptitude des entrepreneurs non exclus en vertu de l'article 24, effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 26 à 29, doit-elle être interprétée de telle sorte que les pouvoirs adjudicateurs sont tenus d'adjuger le marché à une offre, même lorsque cette offre est la seule restant en lice pour la passation du marché en cause? L'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37-CEE est-il suffisamment concret et précis pour qu'un particulier puisse l'invoquer dans une procédure fondée sur des dispositions du droit national et que cette disposition puisse être opposée aux dispositions du droit national en tant qu'élément du droit communautaire ?"

Sur la première partie de la question

18. Par la première partie de la question, la juridiction nationale demande si la directive 93-37 doit être interprétée en ce sens que le pouvoir adjudicateur qui a procédé à un appel d'offres est tenu d'attribuer le marché au seul soumissionnaire jugé apte à y participer.

19. Selon Fracasso et Leitschutz, il résulte des articles 7, 8, 18 et 30 de la directive 93-37, tels qu'ils ont été interprétés, selon elles, par la Cour, que la faculté pour le pouvoir adjudicateur de renoncer à l'adjudication d'un marché public ou de recommencer la procédure doit rester limitée aux cas exceptionnels et ne peut être exercée que pour des motifs graves.

20. En revanche, l'Amt, les Gouvernements autrichien et français ainsi que la Commission font valoir, en substance, que la directive 93-37 n'interdit pas au pouvoir adjudicateur de ne pas donner suite à une procédure d'appel d'offres.

21. Il est constant que la directive 93-37 ne comporte aucune disposition imposant expressément au pouvoir adjudicateur qui a procédé à un appel d'offres d'attribuer le marché au seul soumissionnaire jugé apte à y participer.

22. Nonobstant l'absence d'une telle disposition, il convient de rechercher si, en vertu de la directive 93-37, le pouvoir adjudicateur est tenu de mener à son terme une procédure d'attribution d'un marché public de travaux.

23. En premier lieu, s'agissant des dispositions de la directive 93-37 invoquées par Fracasso et Leitschutz, il convient de relever que l'article 8, paragraphe 2, de la directive 93-37, qui impose au pouvoir adjudicateur d'informer dans les meilleurs délais les candidats et les soumissionnaires des motifs pour lesquels il a décidé de renoncer à passer un marché pour lequel il y a eu mise en concurrence ou de recommencer la procédure, ne prévoit pas qu'une telle renonciation soit limitée aux cas exceptionnels ou soit nécessairement fondée sur des motifs graves.

24. De même, en ce qui concerne les articles 7, 18 et 30 de la directive 93-37, qui visent à régler les procédures à suivre pour la passation des marchés publics de travaux et à déterminer les critères d'adjudication applicables, il suffit de constater qu'aucune obligation de passer le marché, au cas où une seule entreprise présenterait l'aptitude requise, ne peut être déduite de ces dispositions.

25. Il s'ensuit que la faculté du pouvoir adjudicateur de renoncer à passer un marché mis en concurrence ou de recommencer la procédure d'adjudication, implicitement admise par la directive 93-37, n'est pas soumise par celle-ci à la condition de l'existence de circonstances graves ou exceptionnelles.

26. En second lieu, il convient de rappeler que, selon le dixième considérant de la directive 93-37, celle-ci vise à développer une concurrence effective dans le domaine des marchés publics (voir également, s'agissant de la directive 71-305, arrêt du 20 septembre 1988, Beentjes, 31-87, Rec. p. 4635, point 21).

27. A cet égard, il y a lieu de relever, comme la Commission l'a fait à juste titre, que l'article 22, paragraphe 2, de la directive 93-37 poursuit expressément cet objectif en disposant que, lorsque les pouvoirs adjudicateurs passent un marché par procédure restreinte, le nombre de candidats admis à soumissionner doit, en toute hypothèse, être suffisant pour assurer une concurrence réelle.

28. En outre, l'article 22, paragraphe 3, de la directive 93-37 prévoit que, lorsque les pouvoirs adjudicateurs passent un marché par procédure négociée, dans les cas visés à l'article 7, paragraphe 2, de la même directive, le nombre des candidats admis à négocier ne peut être inférieur à trois, dans la mesure où il y a un nombre suffisant de candidats appropriés.

29. Il convient également de relever que l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37 prévoit que l'attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au titre IV, chapitre 3, de celle-ci.

30. Parmi les dispositions dudit chapitre 3 figure l'article 30, lequel prévoit, en son paragraphe 1, les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés, à savoir soit uniquement le prix le plus bas, soit, lorsque l'attribution se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché en question, tels que le prix, le délai d'exécution, le coût d'utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

31. Il en découle que, en vue de satisfaire à l'objectif de développement d'une concurrence effective dans le domaine des marchés publics, la directive 93-37 tend à organiser l'attribution des marchés de telle sorte que le pouvoir adjudicateur soit en mesure de comparer différentes offres et de retenir la plus avantageuse, sur la base de critères objectifs tels que ceux énumérés à titre d'exemple en son article 30, paragraphe 1 (voir en ce sens, s'agissant de la directive 71-305, arrêt Beentjes, précité, point 27).

32. Or, lorsque, à l'issue d'une des procédures de passation des marchés publics de travaux définies par la directive 93-37, il ne reste plus qu'une seule offre, le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de comparer entre les prix ou entre les autres caractéristiques de différentes offres afin d'attribuer le marché conformément aux critères visés au titre IV, chapitre 3, de la directive 93-37.

33. Il résulte de ce qui précède que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'attribuer le marché au seul soumissionnaire jugé apte à y participer.

34. Il y a donc lieu de répondre à la première partie de la question que l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37 doit être interprété en ce sens que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'attribuer le marché au seul soumissionnaire jugé apte à y participer.

Sur la seconde partie de la question

35. Par la seconde partie de la question, la juridiction nationale demande si l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37 peut être invoqué devant les juridictions nationales.

36. A cet égard, il suffit de constater que, aucune mesure particulière de mise en œuvre n'étant nécessaire pour le respect des exigences énumérées à l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37, les obligations qui en résultent pour les États membres sont donc inconditionnelles et suffisamment précises (voir en ce sens, s'agissant de l'article 20 de la directive 71-305, repris en substance dans l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37, arrêt Beentjes, précité, point 43).

37. Il convient donc de répondre à la seconde partie de la question que l'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37 peut être invoqué par un particulier devant les juridictions nationales.

Sur les dépens

38. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesvergabeamt, par ordonnance du 27 janvier 1998, dit pour droit:

1) L'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, dans sa version résultant de la directive 97-52-CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, modifiant les directives 92-50-CEE, 93-36-CEE et 93-37-CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, des marchés publics de fournitures et des marchés publics de travaux respectivement, doit être interprété en ce sens que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'attribuer le marché au seul soumissionnaire jugé apte à y participer.

2) L'article 18, paragraphe 1, de la directive 93-37, dans sa version résultant de la directive 97-52, peut être invoqué par un particulier devant les juridictions nationales.