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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 31 mai 2001, n° 98-03940

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Poivre d'Arvor

Défendeur :

Hachette Filipacchi Associés (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bardy

Conseillers :

M. Martin, Mme Liauzun

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis & Associés, SCP Bommart & Minault

Avocats :

Mes Moncorps, Landry

TGI Nanterre, 1re ch., du 21 janv. 1998

21 janvier 1998

Sous le titre "PPDA. Il souffre d'une étrange maladie", surmontant une photographie du visage de Monsieur Poivre d'Arvor, qui recouvre la quasi-totalité de la page de couverture, accompagnée du sous-titre suivant : "Claire Chazal, sa femme, la mort de son enfant, ses déchirures... pour la première fois, il parle même de viol", l'hebdomadaire France Dimanche, édité par la société EDI 7 devenue la société Hachette Filipacchi Associés, a publié dans les pages 24 et 25 de son numéro 2628 du 11 au 17 janvier 1997, un article formé de commentaires et de réflexions que lui inspirait le livre "Lettre aux violeurs de vie privée", que venait d'écrire Monsieur Poivre d'Arvor.

Jugeant que cette publication était constitutive d'une diffamation, en même temps qu'elle excédait les limites de la liberté d'expression, comme destinée à lui nuire, et qu'en outre elle portait atteinte à l'intimité de sa vie privée et à son droit à l'image, Monsieur Poivre d'Arvor a, selon acte d'huissier du 2 avril 1997, fait assigner la société EDI 7 devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, sollicitant une somme de 700 000 F à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'une mesure de publication judiciaire et une somme de 25 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 21 janvier 1998, le tribunal a :

- déclaré nulle l'assignation délivrée le 2 avril 1997 du chef de diffamation,

- rejeté l'action de Monsieur Patrick Poivre d'Arvor, en la déclarant mal fondée,

- condamné le demandeur au paiement d'une somme de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Poivre d'Arvor a interjeté appel de cette décision, sauf en ce qu'elle a prononcé la nullité de l'assignation du chef de la diffamation (au motif qu'elle n'était pas conforme aux dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ne contenant pas d'élection de domicile dans le ressort du Tribunal de grande instance de Nanterre).

Il demande à la cour, de :

- infirmer le jugement entrepris en, ce qu'il l'a débouté de sa demande fondée sur l'article 1382 du Code civil, et dire que la société éditrice s'est livrée à un abus dans l'exercice de la liberté d'expression, en diffusant l'article litigieux,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses prétentions sur le fondement de l'atteinte à la vie privée et au droit à l'image,

- condamner la société Hachette Filipacchi Associés au paiement d'une somme de 700 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, ainsi que d'une somme de 30 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Hachette Filipacchi Associés, intimée, conclut à la confirmation de la décision déférée et sollicite une somme de 20 000 F au titre des frais non taxables par elle exposés en appel.

Pour plus ample connaissance des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières écritures signifiées par l'appelant le 17 octobre 2000 et par la société intimée le 6 mars 2000.

Sur ce,

Sur la faute commise dans l'exercice de la liberté d'expression

Considérant que le jugement déféré relève que l'article querellé se situe dans la controverse qui oppose Monsieur Poivre d'Arvor à ses collègues de la presse dite " people ", et qu'il a été rédigé à la suite de la publication par l'intéressé d'un livre intitulé "lettre aux violeurs de vie privée", dans lequel l'auteur se pose en censeur de la moralité professionnelle des journalistes ; que France Dimanche, visé par cet ouvrage, prenant son lecteur à témoin, rappelle dans ledit article certains événements de la vie de Monsieur Poivre d'Arvor, d'où il est déduit que les leçons de morale que celui-ci prétend administrer sont privées de toute légitimité ;

Que s'il ne conteste pas la violence des attaques dirigées contre Monsieur Poivre d'Arvor, de même que l'intention de nuire que celui-ci dénonce au titre d'une faute commise dans l'exercice de la liberté d'expression, le tribunal retient en définitive que l'agressivité de l'article incriminé n'outrepasse pas le libre exercice du droit de critique, dans la mesure où il prend place dans un contexte très polémique alimenté par les attaques non dénuées d'une violence feutrée comprise dans le livre de Monsieur Poivre d'Arvor, principalement contre Axel Ganz, mais également contre France Dimanche;

Considérant que Monsieur Poivre d'Arvor soutient que contrairement à cette thèse, les propos incriminés permettent la caractérisation d'une faute commise par la société Hachette Filipacchi Associés dans l'exercice de la liberté d'expression, indépendante et distincte du délit de diffamation publique envers un particulier, et plus généralement des délits de presse prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, et qu'ils ont ainsi engagé la responsabilité civile de l'éditeur, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

Que concluant bien au contraire à la confirmation de la décision déférée, la société Hachette Filipacchi Associés fait valoir que les propos critiqués par Monsieur Poivre d'Arvor sont susceptibles d'être qualifiés au regard de la loi du 29 juillet 1881, en ce qu'ils sont de nature à porter atteinte à son honneur et à sa réputation, de sorte qu'ils ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; qu'au surplus, la publication incriminée, telle que replacée dans le contexte polémique qui oppose les partie, n'excède pas les limites de ce qu'autorise la controverse et qui participe de la liberté de critique, et ne permet pas de retenir l'existence d'un abus de la liberté d'expression, sanctionné par l'article 1382 du Code civil, un tel abus supposant, soit une dénaturation ou une falsification des faits, soit une négligence grave dans la vérification des informations, traduisant un mépris flagrant pour la recherche de la vérité ou une intention malveillante ;

Considérant toutefois que la cour constate qu'indépendamment des propos constitutifs d'atteintes à l'honneur et à la considération de Monsieur Poivre d'Arvor, (tels que visés en page 5-1 de son assignation) et qui ne sauraient effectivement être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la publication incriminée ne se borne pas à répondre et à commenter les accusations portées par Monsieur Poivre d'Arvor contre les journalistes qu'il qualifie dans son livre de "violeurs de la vie privée", mais cherche et trouve dans la parution de ce livre l'opportunité de régler ses comptes avec son auteur, dans l'intention évidente de lui nuire, comme en atteste notamment l'énonciation ou le rappel d'événements de la vie personnelle de Monsieur Poivre d'Arvor (tels par exemple que la "fausse" interview de Fidel Castro, la condamnation prononcée dans le cadre de l'affaire Botton, l'altercation avec un paparazzi sur l'île de Skyros, la vie sentimentale de l'appelant...), totalement étrangers à l'objet du livre et inutile aux besoins de la démonstration que la société Hachette Filipacchi Associés aurait été légitimement en droit de rapporter, dans le cadre d'une réponse aux accusations dirigées contre elle;

Qu'il y a lieu de retenir à cet égard que contrairement à la thèse de la société intimée, l'annulation des poursuites fondées sur la diffamation n'interdit pas la prise en compte de l'intention de nuire qui se déduit des propos contenus dans l'article litigieux, dans le cadre de l'appréciation des mérites de la demande présente, fondée sur l'abus dans la liberté d'expression imputé au journal;

Que telle que dictée par une intention malveillante, dans une revue normalement consacrée à l'évocation d'une certaine actualité, et au surplus émaillée de propos dont Monsieur Poivre d'Arvor souligne l'inexactitude (par exemple l'affirmation selon laquelle France Dimanche n'a jamais publié de photos de lui et de sa famille "volées dans l'intimité de leur vie privée", alors que des décisions judiciaires établissent le contraire), la publication litigieuse excède les limites de la liberté d'expression et permet de caractériser un abus dans l'exercice de cette liberté, qui engage la responsabilité de la société Hachette Filipacchi Associés sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil;

Sur l'atteinte à la vie privée

Considérant que l'article litigieux revient sur les relations que Monsieur Poivre d'Arvor aurait entretenu avec Madame Claire Chazal, laquelle est parfaitement identifiable puisque son nom apparaît non seulement dans le sous-titre de la page de couverture : "Claire Chazal, sa femme, la mort de son enfant ses déchirures... pour la première fois, il parle même de viol ", mais aussi dans le corps du texte, dans la phrase : "A moins que Monsieur Poivre d'Arvor ne considère comme relevant de l'intimité le fait de se promener en plein air main dans la main avec Claire Chazal, à l'occasion du mariage de Robert Namias, au vu et su des autres invités...

Que la relation évoquée avec Madame Chazal résulte encore des deux photographies reproduites page 25, où elle apparaît se promenant dans la rue en compagnie de Monsieur Poivre d'Arvor, qu'elle tient par la main, la tenue estivale des intéressés et leur attitude conduisant à penser qu'ils passent ensemble leurs vacances et qu'il existe par conséquent entre eux des liens plus étroits que ceux qu'impliquent de simples relations amicales ou de travail;

Que contrairement à la solution retenue par le tribunal, il est donc établi que la publication incriminée, par ses développements relatifs à Madame Claire Chazal, a porté atteinte à la vie privée de Monsieur Poivre d'Arvor;

Qu'en revanche, le contenu du titre de couverture, affirmant que Monsieur Poivre d'Arvor souffre d'une étrange maladie, ne peut à l'évidence être compris en ce sens que l'appelant présenterait réellement une pathologie, et ne saurait en conséquence réaliser une atteinte à la vie privée de l'intéressé ;

Sur l'atteinte au droit à l'image

Considérant que l'article litigieux est illustré par deux photographies de Monsieur Poivre d'Arvor, qui ne conteste pas qu'elles ont été réalisées à l'occasion de ses activités professionnelles ;

Que toutefois, dans la mesure où aucune circonstance légitime ne justifie leur utilisation dans une finalité différente de celle en vertu de laquelle elles avaient été prises et où leur publication n'a pas été autorisée par Monsieur Poivre d'Arvor, qui, bien au contraire, s'était plaint en justice de l'utilisation de la photographie de la page de couverture pour illustrer un article paru antérieurement dans une autre revue, Monsieur Poivre d'Arvor soutient à juste raison que leur publication constitue une atteinte au droit dont il dispose sur son image;

Qu'il en va de même des deux photographies qui le représentent en compagnie de Madame Claire Chazal, d'autant plus que celles-ci sont destinées à l'illustration des faits relatifs à la vie privée de Monsieur Poivre d'Arvor, peu important qu'elles aient été prises dans la rue, et alors que leur reproduction, compte tenu de l'état des relations qu'elles laissent supposer entre les intéressés, est à l'évidence exclusive du consentement de ce dernier, fût-il tacite;

Sur la réparation

Considérant que Monsieur Poivre d'Arvor sollicite une somme de 700 000 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait des atteintes retenues ci-dessus, en faisant valoir que la répétition des intrusions dans sa vie privée dont il est régulièrement l'objet, notamment de la part de la société Hachette Filipacchi Associés, a nui et nuit encore gravement à son environnement familial, et en ajoutant que le harcèlement dont il est victime explique qu'il ait eu la volonté de faire paraître l'ouvrage "lettre aux violeurs de vie privée", qui exprime, de la façon la plus nette qui soit, qu'il n'acceptera jamais que sa vie privée, sa personnalité et son image servent de " fonds de commerce " aux publications qui l'agressent et lui nuisent à longueur de semaines;

Que cette demande apparaît toutefois hors de proportion avec le dommage subi par Monsieur Poivre d'Arvor, étant rappelé que les atteintes à l'honneur et à la réputation dont l'intéressé s'était plaint dans son assignation initiale, ne font pas l'objet des poursuites présentes et qu'elles ne sauraient donc être prises en compte dans l'indemnisation due à l'appelant;

Que la cour disposant des éléments d'appréciation nécessaires pour fixer à la somme de 60 000 F le préjudice subi par Monsieur Poivre d'Arvor du fait de la publication litigieuse, abstraction faite de son aspect diffamatoire, il convient d'accueillir sa demande à due concurrence;

Sur les demandes accessoires

Considérant que l'équité commande d'allouer à Monsieur Poivre d'Arvor une somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Que succombant à l'action, la société Hachette Filipacchi Associés doit supporter les entiers de première instance et d'appel, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir de l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit Monsieur Poivre d'Arvor en son appel, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré nulle l'assignation délivrée le 2 avril 1997 du chef de diffamation, Statuant à nouveau et y ajoutant, Dit que la société Hachette Filipacchi Associés s'est livrée à un abus dans l'exercice de la liberté d'expression en diffusant dans le public l'article ayant pour titre "PPDA. Il souffre d'une étrange maladie", paru dans le numéro 2628 de l'hebdomadaire France Dimanche en date du 11 janvier 1997, Dit que la même société s'est en outre rendue coupable d'une atteinte à l'image et à l'intimité de Monsieur Poivre d'Arvor, en publiant ledit article, Condamne la société Hachette Filipacchi Associés à payer à M. Poivre d'Arvor la somme de 60 000 F (soit 9 146,94 euro) à titre de dommages-intérêts, outre celle de 20 000 F (soit 3 048,98 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette la demande formée par la société Hachette Filipacchi Associés sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Hachette Filipacchi Associés aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être directement recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.