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Décisions

CJCE, 19 février 2002, n° C-256/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Besix (SA)

Défendeur :

Wasserreinigungsbau Alfred Kretzschmar GmbH & Co. KG, Planungs - und Forschungsgesellschaft Dipl. Ing. W. Kretzschmar GmbH & Co. KG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Jann, Macken, Colneric

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. La Pergola, Puissochet, Wathelet, Schintgen, Skouris

Avocats :

Mes Delvaux, Hallet

CJCE n° C-256/00

19 février 2002

LA COUR,

1. Par arrêt du 19 juin 2000, parvenu à la Cour le 28 juin suivant, la Cour d'appel de Bruxelles a, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, posé une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 5, point 1, de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77, ci-après la "convention de Bruxelles").

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la société de droit belge Besix SA (ci-après "Besix"), établie à Bruxelles (Belgique), aux sociétés de droit allemand Wasserreinigungsbau Alfred Kretzschmar GmbH & Co. KG (ci-après "WABAG") et Planungs- und Forschungsgesellschaft Dipl. Ing. W. Kretzschmar GmbH & Co. KG (ci-après "Plafog"), toutes deux établies à Kulmbach (Allemagne), au sujet d'une indemnité réclamée à titre de dommages et intérêts par Besix à WABAG et à Plafog en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi à la suite du non-respect par celles-ci d'une clause d'exclusivité dans le cadre d'un contrat portant sur un marché public.

La convention de Bruxelles

3. Les règles de compétence édictées par la convention de Bruxelles figurent au titre II de celle-ci, constitué des articles 2 à 24.

4. À cet égard, l'article 2, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, qui fait partie du titre II de celle-ci, section 1, intitulée "Dispositions générales", énonce:

"Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État."

5. L'article 3, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, qui figure dans la même section, dispose:

"Les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d'un autre État contractant qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du présent titre."

6. Ainsi, aux termes de l'article 5, qui figure dans la section 2, intitulée "Compétences spéciales", du titre II de la convention de Bruxelles:

"Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

[...]"

Le litige au principal et la question préjudicielle

7. Il ressort du dossier de l'affaire au principal que, le 24 janvier 1984, WABAG, qui appartient au groupe Deutsche Babcock, et Besix ont signé à Bruxelles un accord rédigé en langue française, par lequel elles se sont engagées à soumettre une offre commune, dans le cadre d'un marché public relatif à un projet du ministère des Mines et de l'Énergie camerounais dénommé "Adduction d'eau dans onze centres urbains du Cameroun", et à exécuter ensemble le contrat au cas où leur offre serait retenue.

8. Aux termes dudit accord, ces deux sociétés se sont obligées "à agir exclusivement, sans se lier à d'autres partenaires".

9. Cependant, lors de l'ouverture des enveloppes, il a été constaté que Plafog, qui, comme WABAG, fait partie du groupe Deutsche Babcock, avait, en association avec une entreprise finlandaise, également participé à la soumission relative au marché public en question.

10. Après l'évaluation de toutes les offres, il a été décidé de diviser le marché en confiant la réalisation des différents lots à plusieurs entreprises. Un lot a été attribué au groupement dont Plafog faisait partie, alors que le groupement WABAG-Besix, qui était moins bien classé, n'a obtenu aucune part du marché.

11. Considérant que la clause contractuelle d'exclusivité et de non-concurrence avait été violée, Besix a alors introduit, le 19 août 1987, une action en dommages et intérêts à l'encontre de WABAG et de Plafog devant le Tribunal de commerce de Bruxelles, réclamant à ces dernières une indemnité de 80 000 000 BEF.

12. Cette juridiction s'est déclarée compétente pour connaître de la demande de Besix en application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, au motif que, selon la règle de conflit de la juridiction saisie, la loi applicable est celle de l'État avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits et que l'obligation litigieuse, à savoir l'engagement d'exclusivité, devait être exécutée en Belgique en tant que corollaire à l'élaboration de l'offre commune.

13. Son recours ayant cependant été rejeté comme non fondé, Besix a porté le litige devant la Cour d'appel de Bruxelles.

14. Par la voie d'un appel incident, WABAG et Plafog ont conclu à la compétence des seules juridictions allemandes pour connaître dudit litige.

15. Besix a, en revanche, soutenu que l'obligation d'exclusivité avait été partiellement exécutée en Belgique, puisque l'engagement de non-concurrence aurait permis l'élaboration de l'offre commune, et que cette seule circonstance suffisait à rendre compétentes les juridictions belges au titre de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.

16. Selon la Cour d'appel de Bruxelles, l'obligation contractuelle qui sert de base à la demande, visée à l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, consiste en l'espèce dans l'engagement - qui, selon Besix, a été violé par WABAG et par Plafog - d'agir exclusivement et de ne pas se lier à d'autres partenaires dans le cadre du marché public en question.

17. En outre, au regard de la jurisprudence constante depuis l'arrêt du 6 octobre 1976, Tessili (12-76, Rec. p. 1473), selon laquelle le lieu d'exécution de l'obligation litigieuse doit être déterminé conformément à la loi qui régit cette obligation telle qu'elle est désignée par la règle de conflit de la juridiction saisie et eu égard au fait que la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO L 266, p. 1) n'est pas applicable en l'occurrence - la loi belge d'approbation limitant son application aux contrats conclus depuis le 1er janvier 1988 -, le droit international privé belge rendrait applicable, à défaut de choix par les parties contractantes comme en l'espèce, la loi de l'État avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.

18. Or, d'une part, l'accord du 24 janvier 1984 aurait été conclu à Bruxelles; d'autre part, Besix, qui aurait représenté la part prépondérante du marché, aurait été considérée comme le leader du groupement WABAG-Besix et aurait centralisé à Bruxelles les opérations en vue de l'élaboration de l'offre commune. En conséquence, la loi belge serait la loi de l'État avec lequel le contrat, y compris l'engagement d'exclusivité qu'il comportait, présentait les liens les plus étroits.

19. En outre, la Belgique serait le lieu où les parties avaient en fait le plus grand intérêt à respecter leur engagement d'exclusivité, puisque ce serait dans cet État contractant qu'elles devaient élaborer l'offre commune, et, d'une manière plus générale, il existerait en l'occurrence, entre le litige et les juridictions belges, un lien de rattachement particulièrement étroit, qui serait susceptible de fonder l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.

20. La Cour d'appel de Bruxelles se demande cependant si le fait que l'engagement d'exclusivité devait être respecté notamment en Belgique - et l'y a été effectivement, puisque c'est en Allemagne que Plafog a négocié avec l'entreprise finlandaise - suffit à rendre compétentes les juridictions belges. En effet, étant donné que la volonté certaine des parties aurait été que leur cocontractant ne s'engage pas avec un autre partenaire en vue de présenter une offre commune dans le cadre du marché public concerné, l'endroit où un tel engagement a été pris ou exécuté importerait peu, l'obligation d'exclusivité litigieuse étant applicable en quelque lieu que ce soit dans le monde et les lieux d'exécution de ladite obligation étant, dès lors, particulièrement nombreux.

21. Estimant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessitait une interprétation de la convention de Bruxelles, la Cour d'appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles [...] doit-il être interprété en ce sens que le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, en matière contractuelle, dans un autre État contractant devant le tribunal de l'un quelconque des lieux où l'obligation a été ou doit être exécutée, en particulier lorsque, consistant en une obligation de ne pas faire - telle que, comme en l'espèce, un engagement d'agir exclusivement avec un cocontractant en vue de la remise d'une offre conjointe dans le cadre d'un marché public et de ne pas se lier avec un autre partenaire -, cette obligation doit être exécutée en quelque lieu que ce soit de par le monde?

Dans la négative, ledit défendeur peut-il être attrait précisément devant le tribunal de l'un des lieux où l'obligation a été ou doit être exécutée et, en ce cas, selon quel critère ce lieu doit-il être déterminé?"

22. À titre liminaire, il convient de rappeler qu'il ressort de l'arrêt de renvoi que la Cour d'appel de Bruxelles a constaté, d'une part, que l'obligation pertinente aux fins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles est une obligation de ne pas faire, consistant en l'espèce dans l'engagement des parties de ne pas se lier à d'autres partenaires dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public, et, d'autre part, que les parties n'ont désigné ni le lieu d'exécution de ladite obligation contractuelle ni la juridiction compétente pour connaître d'un éventuel litige relatif à une telle obligation, non plus que, au demeurant, le droit applicable au contrat. La juridiction de renvoi a également précisé que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'intention claire des parties était de garantir le respect de l'obligation en cause partout dans le monde, si bien que les lieux d'exécution de celle-ci sont particulièrement nombreux.

23. C'est à la lumière de ces caractéristiques qu'il y a lieu de répondre à la question préjudicielle.

24. Ainsi que la juridiction de renvoi l'a d'ailleurs relevé elle-même, il importe de constater à cet égard que, d'une part, la Cour a itérativement jugé que le principe de la sécurité juridique constitue l'un des objectifs de la convention de Bruxelles (voir arrêts du 4 mars 1982, Effer, 38-81, Rec. p. 825, point 6; du 17 juin 1992, Handte, C-26-91, Rec. p. I-3967, points 11, 12, 18 et 19; du 20 janvier 1994, Owens Bank, C-129-92, Rec. p. I-117, point 32; du 29 juin 1994, Custom Made Commercial, C-288-92, Rec. p. I-2913, point 18, et du 28 septembre 1999, GIE Groupe Concorde e. a., C-440-97, Rec. p. I-6307, point 23).

25. En effet, selon les termes de son préambule, la convention de Bruxelles vise à renforcer dans la Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies, en prévoyant des règles communes de compétence de nature à garantir une certitude quant à la répartition des compétences entre les différentes juridictions nationales susceptibles d'être saisies d'un litige déterminé (voir, en ce sens, arrêt Custom Made Commercial, précité, point 15).

26. Ce principe de la sécurité juridique exige notamment que les règles de compétence qui dérogent au principe général de la convention de Bruxelles énoncé à son article 2, telles que celle figurant à l'article 5, point 1, de celle-ci, soient interprétées de façon à permettre à un défendeur normalement averti de prévoir raisonnablement devant quelle juridiction, autre que celle de l'État de son domicile, il pourrait être attrait (arrêts précités Handte, point 18, et GIE Groupe Concorde e. a., point 24).

27. D'autre part, il est de jurisprudence constante qu'il est indispensable d'éviter, dans la mesure du possible, une multiplication des juridictions compétentes par rapport à un même contrat, afin de prévenir le risque de contrariété de décisions et de faciliter ainsi la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires en dehors de l'État dans lequel elles ont été rendues (voir arrêts du 6 octobre 1976, De Bloos, 14-76, Rec. p. 1497, point 9; du 15 janvier 1987, Shenavai, 266-85, Rec. p. 239, point 8; du 13 juillet 1993, Mulox IBC, C-125-92, Rec. p. I-4075, point 21; du 9 janvier 1997, Rutten, C-383-95, Rec. p. I-57, point 18, et du 5 octobre 1999, Leathertex, C-420-97, Rec. p. I-6747, point 31).

28. Il découle de ce qui précède que l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que, au cas où l'obligation contractuelle pertinente a été ou doit être exécutée en plusieurs endroits différents, la compétence pour connaître du litige ne saurait être reconnue à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve l'un quelconque de ces lieux d'exécution.

29. Au contraire, ainsi qu'il résulte du libellé même de ladite disposition, qui, en matière contractuelle, confère compétence au tribunal "du lieu" où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, il importe de déterminer un seul lieu d'exécution de l'obligation en cause.

30. Conformément au rapport de M. Jenard relatif à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1, 22), les règles de compétence spéciale énoncées au titre II, section 2, de cette convention se justifient notamment par la considération qu'il existe un lien de rattachement étroit entre la contestation et le tribunal qui est appelé à en connaître (voir arrêt du 17 janvier 1980, Zelger, 56-79, Rec. p. 89, point 3).

31. En effet, ce sont des raisons de bonne administration de la justice et d'organisation utile du procès qui ont motivé l'adoption du critère de compétence de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles (voir, en ce sens, notamment, arrêts précités Tessili, point 13; Shenavai, point 6, et Mulox IBC, point 17, ainsi que, par analogie, s'agissant de l'article 5, point 3, de ladite convention, arrêts du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba, C-220-88, Rec. p. I-49, point 17; du 7 mars 1995, Shevill e.a., C-68-93, Rec. p. I-415, point 19, et du 19 septembre 1995, Marinari, C-364-93, Rec. p. I-2719, point 10), la juridiction du lieu où doit être exécutée l'obligation stipulée au contrat et servant de base à l'action judiciaire étant normalement celle qui est la plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d'administration des preuves.

32. Il s'ensuit que, dans une affaire telle que celle au principal, qui se caractérise par une multiplicité des lieux d'exécution de l'obligation contractuelle en cause, il convient de déterminer un lieu unique d'exécution, lequel est, en principe, celui qui présente le lien de rattachement le plus étroit entre la contestation et la juridiction compétente.

33. Or, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, l'application de la jurisprudence traditionnelle de la Cour, selon laquelle le lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie (arrêts précités Tessili, points 13 et 15; Custom Made Commercial, point 26; GIE Groupe Concorde e.a., point 32, et Leathertex, point 33), ne permet pas de parvenir à ce résultat.

34. En effet, s'agissant d'une obligation contractuelle de ne pas faire applicable sans aucune limitation géographique, cette méthode n'évite pas la multiplicité des tribunaux compétents, puisqu'elle conduit à ce que les lieux d'exécution de l'obligation en cause soient situés dans tous les États contractants. Elle comporte en outre le risque que le demandeur soit en mesure de choisir le lieu d'exécution qu'il estime le plus favorable à ses intérêts.

35. En conséquence, cette interprétation ne permet pas de désigner le juge territorialement le plus qualifié pour connaître du litige et, au surplus, elle risque de compromettre la prévisibilité du tribunal compétent, de sorte qu'elle est incompatible avec le principe de la sécurité juridique.

36. D'un autre côté, il n'est pas possible, dans une situation telle que celle en cause au principal, de donner une interprétation autonome du lieu d'exécution visé par l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, sous peine de remettre en cause la jurisprudence constante depuis l'arrêt Tessili, précité, rappelée au point 33 du présent arrêt et confirmée encore récemment par la Cour dans les arrêts précités GIE Groupe Concorde e. a. et Leathertex.

37. Dès lors, d'une part, contrairement à la démarche que la juridiction de renvoi envisage de suivre, la détermination du lieu d'exécution de l'obligation en cause au principal ne saurait être effectuée sur la base de considérations de fait, en se fondant sur les circonstances concrètes de l'espèce de nature à justifier un rattachement particulièrement étroit du litige à un État contractant.

38. D'autre part, il est certes de jurisprudence en matière de contrats de travail, tout d'abord, qu'il convient de déterminer le lieu d'exécution de l'obligation pertinente non pas par référence à la loi nationale applicable selon les règles de conflit de la juridiction saisie, mais, au contraire, sur la base de critères uniformes qu'il incombe à la Cour de définir en se fondant sur le système et les objectifs de la convention de Bruxelles (arrêt Mulox IBC, précité, point 16), ensuite, que ces critères conduisent à retenir le lieu où le travailleur exerce en fait les activités convenues avec son employeur (arrêt Mulox IBC, précité, point 20) et, enfin, que, dans l'hypothèse où le salarié exerce ses activités dans plus d'un État contractant, le lieu où l'obligation caractérisant le contrat a été ou doit être exécutée, au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, est l'endroit où, ou à partir duquel, l'intéressé s'acquitte principalement de ses obligations à l'égard de son employeur (arrêt Mulox IBC, précité, point 26) ou bien celui où le travailleur a établi le centre effectif de ses activités professionnelles (arrêt Rutten, précité, point 26).

39. Cependant, contrairement à la thèse défendue à titre subsidiaire par Besix, la jurisprudence de la Cour rappelée au point précédent ne saurait en l'occurrence être appliquée par analogie.

40. En effet, ainsi que la Cour l'a jugé à plusieurs reprises (voir, notamment, arrêts précités Shenavai, point 17; GIE Groupe Concorde e. a., point 19, et Leathertex, point 36), lorsque les particularités spécifiques des contrats de travail font défaut, il n'est ni nécessaire ni indiqué d'identifier l'obligation qui caractérise le contrat et de centraliser à son lieu d'exécution la compétence judiciaire, au titre du lieu d'exécution, pour les litiges relatifs à toutes les obligations contractuelles.

41. Quant à la solution consistant à choisir comme lieu d'exécution l'endroit où la violation de l'obligation litigieuse a été commise, elle ne saurait davantage être retenue, aux motifs qu'elle impliquerait également un revirement par rapport à la jurisprudence issue de l'arrêt Tessili, précité, en consacrant une interprétation autonome de la notion de lieu d'exécution, sans passer par la loi applicable à l'obligation pertinente conformément aux règles de conflit de lois de la juridiction saisie. Au surplus, elle n'éviterait pas la multiplicité des tribunaux compétents dans l'hypothèse où ladite clause n'aurait pas été respectée dans plusieurs États contractants différents.

42. Enfin, la Commission a proposé d'appliquer par analogie la solution retenue par la Cour au point 19 de l'arrêt Shenavai, précité, si bien que serait déterminant, aux fins de l'application de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, dans une affaire telle que celle au principal, non pas le lieu d'exécution de l'engagement de non-concurrence, mais celui de l'obligation positive dont ledit engagement constitue l'accessoire en ce qu'il en garantit la bonne exécution.

43. Besix a suggéré une variante de cette solution, selon laquelle l'obligation de ne pas faire en cause au principal devrait être analysée comme étant le corollaire de l'obligation, résultant de l'accord conclu le 24 janvier 1984 entre Besix et WABAG, de participer à la soumission dans le cadre du marché public en question et d'exécuter les travaux faisant l'objet de l'adjudication, de sorte qu'il conviendrait de déterminer en l'occurrence le lieu d'exécution de cette dernière obligation.

44. Force est toutefois de constater qu'une telle interprétation serait difficilement compatible avec le libellé de l'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui, depuis sa modification, dans certaines versions linguistiques, par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, énonce le critère de compétence du lieu d'exécution de "l'obligation qui sert de base à la demande". Ladite interprétation ne serait pas non plus compatible avec la jurisprudence de la Cour relative à la version antérieure à ladite modification de cette disposition, selon laquelle l'obligation dont le lieu d'exécution détermine la compétence judiciaire au titre dudit article 5, point 1, est celle qui découle du contrat et dont l'inexécution est invoquée pour justifier l'action en justice (arrêt De Bloos, précité, points 14 et 15).

45. Or, ainsi qu'il ressort du point 16 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a constaté que, dans l'affaire au principal, seule l'obligation d'exclusivité et de non-concurrence était en cause, l'action judiciaire intentée par Besix ayant pour unique objet d'obtenir réparation du préjudice que cette dernière prétend avoir subi du fait de la méconnaissance de cette obligation par WABAG et par Plafog. C'est ainsi que la question préjudicielle de la Cour d'appel de Bruxelles porte uniquement sur la détermination du lieu d'exécution de cette obligation de ne pas faire. En revanche, l'approche préconisée par Besix et la Commission impliquerait la détermination préalable de l'obligation de faire pertinente.

46. Au demeurant, il est de jurisprudence que, compte tenu de la répartition des compétences dans le cadre de la procédure préjudicielle prévue par le protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention de Bruxelles, il appartient au juge national de se prononcer sur ces questions d'appréciation des faits, la Cour se bornant à interpréter ladite convention à la lumière des constatations faites par le juge national (voir, en ce sens, arrêt Leathertex, précité, point 21).

47. En outre, à la différence de l'affaire au principal, le litige ayant donné lieu à l'arrêt Shenavai, précité, concernait deux obligations distinctes.

48. Compte tenu des développements qui précèdent, il apparaît que l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles ne trouve pas à s'appliquer dans une affaire telle que celle au principal, dans laquelle il n'est pas possible de déterminer le tribunal qui présente le lien de rattachement le plus étroit avec le litige, en faisant coïncider la compétence judiciaire avec le lieu effectif d'exécution de l'obligation considérée comme pertinente par le juge national.

49. Par nature, une obligation de ne pas faire qui, comme celle en cause au principal, consiste en un engagement d'agir exclusivement avec un cocontractant ainsi qu'en une interdiction pour les parties de se lier à un autre partenaire aux fins de la remise d'une offre commune dans le cadre d'un marché public et qui, selon la volonté des parties, est applicable sans aucune limitation géographique et doit donc être respectée partout dans le monde - et, notamment, dans chacun des États contractants -, n'est susceptible ni d'être localisée à un endroit précis ni d'être rattachée à une juridiction qui serait particulièrement apte à connaître du différend relatif à cette obligation. Eneffet, un tel engagement de s'abstenir de faire une chose en quelque lieu que ce soit n'est, par définition, pas davantage lié à un tribunal plutôt qu'à un autre.

50. Dans ces conditions, la compétence ne peut, dans un tel cas, qu'être déterminée conformément à l'article 2 de la convention de Bruxelles, lequel assure un critère certain et fiable (arrêt du 15 février 1989, Six Constructions, 32-88, Rec. p. 341, point 20).

51. Cette solution est, au demeurant, conforme au système de la convention de Bruxelles et à la raison d'être de l'article 5, point 1, de celle-ci.

52. En effet, le système des attributions de compétences communes prévues au titre II de la convention de Bruxelles est fondé sur la règle de principe, énoncée à son article 2, premier alinéa, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. Le caractère de principe général que revêt cette règle de compétence, laquelle est l'expression de l'adage actor sequitur forum rei, s'explique par le fait qu'elle permet au défendeur de se défendre, en principe, plus aisément (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 2000, Group Josi, C-412-98, Rec. p. I-5925, points 34 et 35).

53. Ce n'est que par dérogation à ce principe fondamental que la convention de Bruxelles prévoit, conformément à son article 3, premier alinéa, notamment des règles de compétence spéciale, telles que celle énoncée à l'article 5, point 1, dont le choix dépend d'une option du demandeur.

54. Il est toutefois de jurisprudence constante que ladite option ne saurait donner lieu à une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par la convention de Bruxelles, sous peine de vider de son contenu le principe général, consacré par l'article 2, premier alinéa, de celle-ci, et, le cas échéant, d'aboutir à permettre au demandeur d'influencer le choix d'une juridiction imprévisible pour un défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant (voir, notamment, arrêt Group Josi, précité, points 49 et 50, ainsi que les références qui y sont mentionnées).

55. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que la règle de compétence spéciale en matière contractuelle, énoncée à l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, ne trouve pas à s'appliquer dans l'hypothèse où, comme dans l'affaire au principal, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande en justice ne peut pas être déterminé, en raison du fait que l'obligation contractuelle litigieuse consiste en un engagement de ne pas faire qui ne comporte aucune limitation géographique et se caractérise, dès lors, par une multiplicité des endroits où elle a été ou devait être exécutée; dans un tel cas, la compétence ne peut être déterminée que par application du critère général de compétence prévu à l'article 2, premier alinéa, de ladite convention.

Sur les dépens

56. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 19 juin 2000, dit pour droit:

La règle de compétence spéciale en matière contractuelle, énoncée à l'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, ne trouve pas à s'appliquer dans l'hypothèse où, comme dans l'affaire au principal, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande en justice ne peut pas être déterminé, en raison du fait que l'obligation contractuelle litigieuse consiste en un engagement de ne pas faire qui ne comporte aucune limitation géographique et se caractérise, dès lors, par une multiplicité des endroits où elle a été ou devait être exécutée; dans un tel cas, la compétence ne peut être déterminée que par application du critère général de compétence prévu à l'article 2, premier alinéa, de ladite convention.