CJCE, 9 novembre 1978, n° 23-78
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nikolaus Meeth
Défendeur :
Glacetal
LA COUR,
1 Attendu que, par ordonnance du 1 février 1978, parvenue à la Cour le 27 février suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1978 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (appelée ci-après : 'la convention'), des questions portant sur l'interprétation de l'article 17 de la convention ;
2 Attendu qu'il résulte du dossier que l'entreprise Nikolaus Meeth, fabrique de fenêtres et entreprise de travail du bois, ayant son siège à Piesport/Moselle (République fédérale d'Allemagne), défenderesse au principal et demanderesse en révision, est liée par contrat à la société à responsabilité limitée Glacetal, ayant son siège à Vienne/Estressin (France), demanderesse au principal et défenderesse en révision, au sujet de fournitures de verre, effectuées par la firme française à la firme allemande ;
Qu'il a été convenu entre parties que le contrat est régi par la législation allemande, que le lieu d'exécution du contrat est Piesport et que 'toute action en justice formée par Meeth contre Glacetal doit l'être devant les tribunaux français ; inversement, toute action en justice formée par Glacetal contre Meeth doit l'être devant les tribunaux allemands' ;
Que, Meeth n'ayant pas payé certaines livraisons de Glacetal, l'entreprise française a introduit une action en recouvrement de ses créances devant le Tribunal de Trèves - compétent en raison du domicile du défendeur - qui a condamné la firme allemande au règlement de sa dette ;
3 Que, dans le cadre de cette instance, Meeth avait opposé à la demande de Glacetal une créance pour le dommage qu'il prétend avoir subi du fait de l'exécution tardive ou défectueuse, par la firme française, de ses obligations contractuelles ;
Que la compensation de cette créance avec le prix de vente réclamé par la firme française a cependant été écartée par les juges de première instance, ceux-ci estimant que Meeth n'a apporté aucune preuve convaincante à l'appui de sa demande de dommages- intérêts ;
Que l'affaire ayant été déférée en appel à l'Oberlandesgericht de Coblence, cette juridiction, à son tour, a reconnu la créance de la firme française sous réserve, cependant, des effets d'un concordat préventif de faillite intervenu entre-temps ;
Qu'en ce qui concerne la compensation du prix de vente avec la créance mise en avant par Meeth, l'Oberlandesgericht a écarté l'exception du défendeur, au motif que la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat entre parties ne permettrait pas de faire valoir cette réclamation devant les juridictions allemandes ;
Qu'un recours en révision ayant été introduit contre cet arrêt auprès du Bundesgerichtshof, cette juridiction, estimant que la solution de cette question dépend de l'interprétation de l'article 17 de la convention, a posé à ce sujet à la Cour deux questions préjudicielles ;
Sur la première question
4 Attendu que, par la première question, il est demandé si
'La clause contractuelle selon laquelle chacune des deux parties a un contrat de vente, qui ont leur domicile dans des états différents, ne peut être attraite que devant les tribunaux de son état est compatible avec l'article 17, alinéa 1, de la convention de 1968' ;
5 Attendu qu'aux termes de l'article 17, alinéa 1, 'si, par une convention . . ., les parties ...ont désigné un tribunal ou les tribunaux d'un état contractant pour connaitre des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet état sont seuls compétents' ;
Que l'interprétation de cette disposition, au regard d'une attribution réciproque de compétence, telle qu'elle figure dans le contrat dont l'exécution fait l'objet du litige, soulève une difficulté en raison du fait que l'article 17 se réfère, dans ses termes, à la désignation, par les parties au contrat, d'une seule juridiction, ou des juridictions d'un seul état ;
Que cette formulation, inspirée de la pratique la plus courante dans la vie des affaires, ne saurait cependant être interprétée comme visant à exclure la possibilité, pour les parties, de designer deux ou plusieurs juridictions en vue du règlement de litiges éventuels ;
Que cette interprétation se justifie par la considération que l'article 17 se fonde sur la reconnaissance de l'autonomie de la volonté des parties en matière d'attribution de compétence aux juridictions appelées à connaitre de litiges relevant du champ d'application de la convention, autres que ceux qui sont expressément exceptés en vertu de l'alinéa 2 de l'article 17 ;
Qu'il doit en être tout particulièrement ainsi dans un cas où, par une telle clause, les parties ont attribué compétence, réciproquement, aux juridictions désignées par la règle générale de l'article 2 de la convention ;
Qu'en dépit de cette coïncidence, une telle clause conserve toujours un effet utile en ce sens qu'elle a pour conséquence d'exclure, dans les rapports entre parties, d'autres attributions de compétence facultatives, telles qu'on les trouve aux articles 5 et 6 de la convention ;
6 Qu'il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 17, alinéa 1, de la convention ne saurait être interprété comme excluant une clause contractuelle selon laquelle chacune des deux parties a un contrat de vente, qui ont leur domicile dans des états différents, ne peut être attraite que devant les tribunaux de son état ;
Sur la deuxième question
7 Attendu que, par la deuxième question, il est demandé si
'Une clause contractuelle de cette teneur, si elle est licite au regard de l'article 17, alinéa 1, de la convention de 1968, exclut toute possibilité, pour une partie à un contrat, d'opposer à la demande de l'autre partie, devant le tribunal compétent pour connaitre de cette demande, la compensation au titre d'une créance à laquelle la clause est applicable' ;
8 Attendu que, selon l'article 17, alinéa 1, l'attribution de compétence a lieu en vue de la solution de différends nés ou à naître 'à l'occasion d'un rapport de droit déterminé' ;
Que la question de savoir dans quelle mesure une juridiction, saisie en vertu d'une attribution réciproque de juridiction, du genre de celle qui figure dans le contrat entre parties, est compétente pour statuer sur une compensation que l'une des parties fait valoir en raison de l'obligation litigieuse, doit être résolue en tenant compte à la fois des exigences du respect de l'autonomie privée qui inspire, ainsi qu'il est dit ci-dessus, l'article 17, et des besoins de l'économie de procédure, qui sont à la base de l'ensemble de la convention dans laquelle cet article se trouve inséré ;
Qu'à la lumière de cette double finalité, on ne saurait interpréter l'article 17 comme empêchant le juge, saisi en vertu d'une clause attributive de compétence appartenant au type ci-dessus décrit, de tenir compte d'une compensation connexe au rapport de droit litigieux, s'il estime cette prise en considération compatible avec les termes et le sens de la clause attributive de juridiction ;
9 Qu'il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que l'article 17, alinéa 1, de la convention ne saurait être interprété comme excluant, dans le cas d'une clause d'attribution de compétence telle qu'elle est caractérisée dans la réponse à la première question, la possibilité, pour le juge saisi d'un litige en vertu d'une telle clause, de prendre en considération une compensation connexe au rapport de droit litigieux ;
Quant aux dépens
10 Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant le Bundesgerichtshof, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof par ordonnance du 1 février 1978, dit pour droit :
1) L'article 17, alinéa 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ne saurait être interprété comme excluant une clause contractuelle selon laquelle chacune des deux parties a un contrat de vente, qui ont leur domicile dans des états différents, ne peut être attraite que devant les tribunaux de son état ;
2) L'article 17, alinéa 1, de la convention du 27 septembre 1968 ne saurait être interprété comme excluant, dans le cas d'une clause d'attribution de compétence telle qu'elle est caractérisée dans la réponse à la première question, la possibilité, pour le juge saisi d'un litige en vertu d'une telle clause, de prendre en considération une compensation connexe au rapport de droit litigieux.