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Décisions

CJCE, 5e ch., 24 juin 1986, n° 22-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rudolf Anterist

Défendeur :

Crédit Lyonnais

CJCE n° 22-85

24 juin 1986

LA COUR,

1 Par ordonnance du 20 décembre 1984, parvenue à la Cour le 24 janvier 1985, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l"interprétation par la Cour de justice de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l"exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la "Convention"), une question préjudicielle sur l"interprétation de l"article 17, alinéa 3, de la Convention.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d"un litige qui oppose la banque du crédit lyonnais à M. Anterist et qui porte sur l"exécution d"un contrat de cautionnement.

3 Par Convention du 16 mai 1967, M. Anterist, domicilié à Sarrebruck (Allemagne), s"est porté caution des engagements de la société à responsabilité limitée Anterist & Schneider (dont le siège est en France) vis-à-vis de la banque du Crédit Lyonnais, qui agissait par l"intermédiaire de son agence de Forbach, située dans le ressort du Tribunal de Sarreguemines (France). Les dispositions de cette Convention, qui étaient contenues dans un formulaire pré-imprimé émanant de la banque, comportaient une clause selon laquelle "le tribunal dans le ressort duquel cette agence est située sera seul compétent pour statuer sur tout ce qui concerne l"exécution des présentes, quelle que soit la partie défenderesse".

4 La société Anterist & Schneider n"ayant pas été en mesure de payer sa dette à l"échéance, la banque a intenté à l"encontre de M. Anterist une action en exécution du contrat de cautionnement devant le Landgericht de Sarrebruck. M. Anterist a contesté la compétence du tribunal saisi au motif que le contrat de cautionnement attribuait compétence exclusive au Tribunal de Sarreguemines. Le Landgericht de Sarrebruck s"est rallié aux arguments de M. Anterist. Sur appel du Crédit Lyonnais, l"Oberlandesgericht a estimé que la clause en question ne présentait d"avantages que pour le Crédit Lyonnais et devait, dès lors, être considérée comme n"ayant été stipulée qu"en faveur de celui-ci au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention. Il a, en conséquence, reformé le jugement et renvoyé le litige devant le Landgericht. M. Anterist a alors introduit devant le Bundesgerichtshof un pourvoi en révision visant au rétablissement du jugement rendu par le Landgericht.

5 Le Bundesgerichtshof considère que l"Oberlandesgericht a jugé implicitement que toute clause attribuant compétence aux tribunaux de l"état dans lequel une des parties est domiciliée devait être réputée n"avoir été stipulée qu"en faveur de cette partie au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention.

6 La vérification du bien-fondé de cette conclusion exigeant une interprétation de la Convention, le Bundesgerichtshof a posé la question préjudicielle suivante :

"Une Convention attributive de juridiction doit-elle être considérée comme n"ayant été stipulée qu"en faveur de l"une des parties au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention, lorsqu"il est simplement établi que les parties ont convenu valablement, selon l"article 17, alinéa 1, de la Convention, de la compétence internationale d"un tribunal ou des tribunaux d"un état contractant sur le territoire duquel cette partie a son domicile?"

7 Selon M. Anterist, la question préjudicielle doit recevoir une réponse négative. Pour déterminer si une clause attributive de juridiction n"a été stipulée qu"en faveur de l"une des parties, il convient de rechercher la volonté de celles-ci. Cette volonté doit se traduire dans le libellé de la clause. Comme exemple de clause couverte par l"article 17, alinéa 3, de la Convention, M. Anterist cite celle qui donne à l"une des parties le droit d"attraire l"autre partie soit devant le tribunal du domicile de cette dernière, soit devant le tribunal de son propre domicile, tandis qu"elle précise que cette partie elle-même ne peut être attraite que devant le tribunal de son propre domicile. M. Anterist expose ensuite qu"une réponse positive à la question préjudicielle méconnaîtrait l"économie de l"article 17 de la Convention. L"exception contenue à l"article 17, alinéa 3, de la Convention deviendrait en effet la règle puisqu"en pratique la majorité des clauses attribuent compétence au tribunal du domicile de l"une des parties. De plus, pareille solution conduirait à un éparpillement des différents litiges, nés d"une même relation contractuelle, entre les juridictions de différents Etats, ce que l"article 17, alinéa 1, de la Convention tend précisément à éviter. Enfin, même si l"on donnait à la question préjudicielle une réponse positive de principe, il y aurait lieu d"admettre des exceptions compte tenu de ce que l"avantage vise à l"article 17, alinéa 3, de la Convention doit être exclusif. Les avantages que la clause pourrait comporter pour l"autre partie devraient s"apprécier en fonction du droit national applicable, ce qui créerait une grande insécurité quant à l"applicabilité, dans chaque cas d"espèce, de l"article 17, alinéa 3, de la Convention.

8 Selon le Crédit Lyonnais, qui s"est borné à présenter des observations orales, la question préjudicielle appelle une réponse positive. Le choix du tribunal du domicile de l"une des parties permettrait toujours de conclure que la clause n"a été stipulée qu"en faveur de celle-ci en raison des avantages pratiques que ce choix comporte pour elle (gain de temps, connaissance du droit national, langue, choix de l"avocat).

9 Le Gouvernement du Royaume-Uni estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative. La solution contraire enlèverait tout effet utile à l"article 17, alinéa 1, de la Convention. Les clauses les plus usuelles attribuent en effet compétence exclusive aux tribunaux d"un Etat ou l"une des parties, mais pas l"autre, à son domicile. Si l"action est intentée par la partie domiciliée dans l"Etat dont les tribunaux sont ainsi déclarés compétents, cette partie pourrait écarter la règle de compétence exclusive inscrite à l"article 17, alinéa 1, de la Convention en invoquant l"article 17, alinéa 3, de celle-ci. Si c"est l"autre partie qui intente l"action, l"article 17, alinéa 1, de la Convention la contraindrait certes à saisir le tribunal du domicile du défendeur, mais l"application de la règle générale de l"article 2 de la Convention aboutirait à ce même résultat. La clause attributive de compétence serait dans ce cas inutile, de même que l"article 17, alinéa 1, de la Convention, qui consacre la compétence exclusive du tribunal désigné par la clause.

10 Le Gouvernement du Royaume-Uni suggère dès lors d"interpréter l"article 17, alinéa 3, de la Convention comme visant uniquement les clauses qui indiquent devant quel tribunal l"une des parties doit porter son action, sans spécifier le tribunal compétent pour connaitre des actions introduites par l"autre. L"article 17, alinéa 3, de la Convention aurait précisément pour objet d"éviter que les actions introduites par cette dernière partie ne soient considérées, par application de l"article 17, alinéa 1, de la Convention, comme relevant de la compétence exclusive du tribunal désigné pour connaître des actions introduites par l"autre partie.

11 Le Gouvernement de la République italienne suggère de répondre à la question préjudicielle que la désignation du tribunal du domicile de l"une des parties peut être révélatrice de l"intérêt exclusif que présente pour cette partie la clause attributive de juridiction, mais n"est pas nécessairement concluante. Il appartiendrait au juge national saisi de vérifier, sur la base de tous les éléments dont il dispose, si la clause n"a pas été convenue également dans l"intérêt, même secondaire, de l"autre partie.

12 Selon la Commission, la question préjudicielle doit recevoir une réponse positive. L"article 17, alinéa 3, de la Convention doit être interprété de manière à restreindre le champ d"application de l"alinéa 1 de cette disposition, qui constitue une règle d"exception par rapport aux dispositions générales sur la compétence judiciaire des articles 2, 5 et 6 de la Convention. L"attribution de compétence au tribunal du domicile de l"une des parties permet de présumer que la clause n"a été stipulée qu"en faveur de cette partie au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention. Toute clause attributive de juridiction qui s"écarte du principe général de l"article 2 de la Convention, qui favorise le défendeur, doit être présumée favorable au demandeur au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention.

13 Il convient d"abord de souligner que l"article 17 de la Convention, qui figure dans la section 6 du titre II, intitulée "prorogation de compétence", permet aux parties, dans les limites fixées par l"alinéa 2 de cette disposition, de choisir de commun accord un tribunal ou les tribunaux d"un Etat contractant. Les parties peuvent ainsi attribuer compétence à des tribunaux qui ne l"auraient pas en vertu des dispositions générales ou spéciales de la Convention où exclure celle de tribunaux qui seraient normalement compétents en vertu de ces règles. L"alinéa 1 de cet article 17 confère un caractère exclusif à la compétence du tribunal ou des tribunaux désignés par la clause, tandis que son alinéa 3 conserve à la partie à l"avantage de laquelle la clause a été stipulée le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la Convention.

14 L"article 17 de la Convention consacrant le principe de l"autonomie de la volonté, il y a lieu d"interpréter son alinéa 3 de manière à respecter la volonté commune des parties lors de la conclusion du contrat. Il faut dès lors que la volonté commune d"avantager l"une des parties ressorte clairement, soit des termes de la clause, soit de l"ensemble des indices relevés dans le contrat ou des circonstances qui ont entouré la conclusion de celui-ci.

15 Doivent être considérées comme des clauses dont les termes font ressortir qu"elles ont été stipulées à l"avantage exclusif d"une des parties les clauses qui indiquent expressément la partie en faveur de laquelle elles l"ont été et celles qui, tout en précisant devant quels tribunaux chacune des parties doit attraire l"autre, donnent à l"une d"elles un plus grand choix de juridictions.

16 La désignation du tribunal d"un Etat contractant où l"une des parties a son domicile ne suffit pas en soi, eu égard à la multiplicité des motifs qui ont pu inspirer une telle stipulation, pour emporter la conclusion que la volonté commune a été d"avantager cette partie.

17 Des considérations qui précèdent, il résulte qu"il y a lieu de répondre à la question de la juridiction nationale qu"une Convention attributive de juridiction ne doit pas être considérée comme n"ayant été stipulée qu"en faveur de l"une des parties au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention, lorsqu"il est simplement établi que les parties ont convenu de la compétence d"un tribunal ou des tribunaux d"un Etat contractant sur le territoire duquel cette partie a son domicile .

Sur les dépens

18 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni, le Gouvernement de la République italienne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l"objet d"un remboursement. La procédure revêtant, à l"égard des parties au principal, le caractère d"un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 20 décembre 1984, dit pour droit :

Une Convention attributive de juridiction ne doit pas être considérée comme n"ayant été stipulée qu"en faveur de l"une des parties au sens de l"article 17, alinéa 3, de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l"exécution des décisions en matière civile et commerciale, lorsqu"il est simplement établi que les parties ont convenu de la compétence d"un tribunal ou des tribunaux d"un Etat contractant sur le territoire duquel cette partie a son domicile.