CJCE, 1re ch., 17 mars 2005, n° C-294/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
AMI Semiconductor Belgium BVBA, A-Consult EDV-Beratungsgesellschaft mbH, Intracom SA Hellenic Telecommunications & Electronic Industry, ISION Sales + Services GmbH & Co. KG, Euram-Kamino GmbH, HSH Nordbank AG, InterTeam GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Avocat général :
Mme Kokott
Juges :
Mme Silva de Lapuerta, MM. Lenaerts, von Bahr, Schiemann
Avocats :
Mes Hallweger, Lutz, Roehlich, Lienemeyer, Zinsmeister, Waelbroeck, Fialski, Delhey, Hallweger, Lutz, Treibmann, Meincke, Hallweger, Lutz, Karpenstein
LA COUR (première chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de condamner, en tant que débiteurs solidaires, AMI Semiconductor Belgium BVBA, anciennement Alcatel Microelectronics NV (ci-après "AMI Semiconductor"), société de droit belge, A-Consult EDV-Beratungsgesellschaft mbH (ci-après "A-Consult"), société de droit autrichien, Intracom SA Hellenic Telecommunications & Electronic Industry (ci-après "Intracom"), société de droit grec, ainsi qu'ISION Sales + Services GmbH & Co. KG, anciennement AllCon Gesellschaft für Kommunikationstechnologie mbH (ci-après "Ision"), Euram-Kamino GmbH (ci-après "Euram"), HSH Nordbank AG, anciennement Landesbank Kiel Girozentrale (ci-après "Nordbank"), et InterTeam GmbH (ci-après "InterTeam"), toutes quatre des sociétés de droit allemand, (ci-après, ensemble, les "défenderesses") à lui payer la somme de 317 214 euro, majorée d'intérêts, constituant le remboursement d'avances qu'elle a versées en exécution d'un contrat conclu avec ces sociétés dans le cadre du projet Esprit nº 26927 (ci-après le "projet"), intitulé "Electronic Commerce Fulfilment Service for the Electronics Industry (ECFS/E)" (Service de commande par commerce électronique pour l'industrie électronique) (ci-après le "contrat").
I - Les faits du litige
A - Le contrat
2 Le 8 juin 1998, la Communauté européenne, représentée par la Commission, a conclu avec les défenderesses, un contrat portant sur la contribution financière accordée à ces dernières pour la réalisation du projet.
3 Le contrat a été rédigé en anglais. Aux termes de son article 10, il est régi par la loi allemande.
4 Les défenderesses étaient, en vertu de l'article 1er, point 1.1, du contrat, tenues d'"exécuter le contrat conjointement et solidairement envers la Commission pour ce qui concerne les travaux énoncés à l'annexe I jusqu'à l'étape déterminante du 18e mois".
5 L'article 1er, point 1.2, du contrat, se lit comme suit:
"Sous réserve des cas de force majeure (y compris en cas de grève, de lock-out et autres événements qui échappent normalement à la maîtrise des cocontractants), les cocontractants déploieront des efforts raisonnables pour atteindre les résultats visés par le projet et remplir les obligations d'un cocontractant défaillant. Un cocontractant ne sera pas tenu de prendre des mesures au-delà des éléments qu'il peut raisonnablement maîtriser ou de rembourser les montants dus par un cocontractant défaillant à moins qu'il n'ait lui-même contribué à cette défaillance. Les mesures à prendre en cas de force majeure seront convenues entre les parties contractantes."
1. Les objectifs du contrat
6 L'objet du contrat était, selon l'article 1er, point 1.1, de ce contrat, constitué par l'exécution des travaux énumérés à l'annexe I de celui-ci.
7 Selon le résumé du contenu du projet, figurant dans la première partie de cette annexe, le but de celui-ci était de permettre la vente des composants semi-conducteurs excédentaires entre les entreprises de l'industrie électronique sans passer par un intermédiaire et de réduire ainsi les coûts de transaction. La réalisation du projet aurait facilité cette situation:
- en rassemblant les offres excédentaires et les demandes insatisfaites de composants sur une plate-forme globale,
- en soutenant le processus commercial afférent aux opérations commerciales créées,
- en mettant en œuvre le transport expédition et les déclarations nécessaires à l'exécution des contrats d'achat et de vente, et
- en étendant l'utilisation du commerce électronique dans le secteur de l'électronique.
Selon le même résumé, le projet aurait permis à l'industrie électronique:
- d'étendre les débouchés commerciaux et de réduire les coûts des opérations grâce à l'utilisation de technologies d'échanges globaux d'informations;
- d'utiliser le commerce électronique sans frontière au sein d'une économie mondiale.
Les trois objectifs principaux étaient énoncés comme suit dans ledit résumé:
- l'intégration de multiples services clés pour l'industrie électronique;
- la réalisation d'interfaces appropriées pour un système boursier efficace destinées à être intégrées dans un environnement professionnel de technologies de l'information de futurs utilisateurs et prestataires de services;
- l'incitation au développement croissant du commerce électronique dans le secteur de l'industrie électronique en incluant le développement des moyens de récompense pour l'utilisation du système ("bonus component") et des moyens quantitatifs de détermination de l'amélioration du bilan coût/efficacité à la suite de la mise en œuvre du projet.
2. Le déroulement prévu des travaux
8 Selon l'article 2, point 2.1, du contrat, le délai d'exécution du projet était de 18 mois, à compter du 1er mai 1998, donc jusqu'à la fin du mois d'octobre 1999.
9 Il ressort du titre 2, point 2.2, de la deuxième section de l'annexe I du contrat que les travaux prévus étaient regroupés en 8 programmes de travail ("workpackages"), lesquels devaient donner lieu à un total de 29 prestations ("deliverables"). Le premier de ces programmes prévoyait les prestations suivantes:
"Programme de travail 1: Identification des procédures commerciales pertinentes
Tâche 1.1 Traitement commercial sur le site de l'utilisateur (0-2 mois)
Processus d'acquisition des composants
Contrôle et manutention des composants en excès
Processus de qualité (ISO 9000 etc.)
Autres fournisseurs
Méthodes de paiement adaptées
Nouvelles méthodes de paiement
Tâche 1.2 Interfaces logiciels (0-2 mois)
Interfaces avec les logiciels commerciaux utilisés par les utilisateurs industriels
Interfaces logiciels: banques
Interfaces logiciels: transporteurs
Définition des paramètres spécifiques SAP [standard de logiciels interentreprises]
Tâche 1.3 Évaluation de l'environnement de technologies de l'information (0-2 mois)
Ordinateur personnel, station de travail, réseaux locaux
Systèmes d'exploitation des ordinateurs personnels et des réseaux
Accès Internet, Intranets"
10 Des tableaux définissant les rôles spécifiques des cocontractants pour l'accomplissement des différents programmes de travail figurent également au titre 2, point 2.2, de la deuxième section de l'annexe I du contrat.
11 Dans le premier programme de travail, la répartition est la suivante selon le tableau figurant aux pages 40 et 41 de l'annexe I du contrat:
<emplacement tableau>
3. Le contrôle de la Commission
12 L'article 8 de l'annexe II du contrat prévoyait la possibilité pour la Commission d'être assistée par des experts dans la gestion du contrat. Dans ce cas, il appartenait à cette institution de prendre des mesures appropriées pour garantir que lesdits experts ne divulguent ou n'utilisent des données confidentielles qui leur avaient été fournies. Des informations détaillées relatives à ces experts devaient être communiquées au préalable aux cocontractants de la Commission et cette dernière devait tenir raisonnablement compte des objections formulées par ceux-ci et motivées par des raisons commerciales légitimes.
4. Les dispositions financières
13 Selon l'article 3 du contrat, les coûts totaux remboursables ont été estimés pour le projet à 1 080 000 écus. Le même article prévoyait que la contribution de la Commission devait couvrir jusqu'à 50 % de ces coûts à concurrence d'un montant maximal de 540 000 écus. La base des coûts à retenir figurait à l'annexe I du contrat et les articles 18 à 20 de l'annexe II de celui-ci contenaient des critères précis à appliquer pour le calcul des coûts remboursables.
14 Dans le formulaire 1 figurant à la page 6 de l'annexe I du contrat, la répartition, entre les défenderesses, du montant total remboursable était détaillée comme suit:
- InterTeam: 153 500 écus;
- Ision: 70 000 écus;
- Euram: 40 000 écus;
- Nordbank: 10 000 écus;
- AMI Semiconductor: 97 000 écus;
- Intracom: 68 000 écus;
- A-Consult: 101 500 écus.
15 Le formulaire 5.3 figurant aux pages 56 et 57 de l'annexe I du contrat précise, en mois de travail d'une personne, les efforts à fournir par chaque cocontractant pour l'accomplissement de chaque prestation.
16 Selon l'article 4 du contrat, le versement de la contribution de la Commission devait s'effectuer comme suit:
- une avance de 270 000 écus à verser dans les deux mois suivant la dernière signature des parties contractantes;
- des versements périodiques à effectuer dans un délai de deux mois après l'approbation des différents rapports d'avancement périodiques et des relevés de coûts correspondants, l'avance et les paiements périodiques cumulés n'excédant pas 486 000 écus;
- le solde de sa contribution totale due (la retenue de garantie de 54 000 écus) à verser dans un délai de deux mois à compter de l'approbation du dernier rapport, document ou autres prestations du projet et du relevé des coûts pour la période finale.
17 L'article 23, point 23.2, de l'annexe II du contrat prévoyait que tous les paiements effectués par la Commission devaient être considérés comme constituant des avances jusqu'à l'approbation de prestations adéquates ou, à défaut, jusqu'à l'approbation du rapport final.
5. Les remboursements
18 Selon l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat, les cocontractants s'engageaient, pour le cas où la contribution financière totale au projet due par la Commission serait inférieure au montant total des versements effectués par celle-ci, à lui rembourser immédiatement la différence.
19 L'article 5, point 5.3, sous a), i), de ladite annexe II prévoyait la possibilité pour la Commission de résilier le contrat immédiatement et par écrit lorsque la Commission avait demandé une action visant à remédier, dans un délai raisonnable qui ne pouvait être inférieur à un mois et qui avait été indiqué par écrit, à la non-exécution du contrat et que cette action n'avait pas été entreprise d'une manière satisfaisante.
20 L'article 5, point 5.4, de l'annexe II du contrat prévoyait que, en cas de résiliation, la participation communautaire aux coûts porterait uniquement sur les coûts concernant les prestations du projet acceptés par la Commission ainsi que sur les autres coûts raisonnables et acceptables, y compris sur les engagements de nature financière.
21 Selon cette même disposition, dans le cas d'une résiliation en vertu de l'article 5, point 5.3, sous a), de l'annexe II du contrat, des intérêts pouvaient être ajoutés à tout montant à rembourser, sur demande écrite, à un taux de 2 % supérieur au taux appliqué par l'Institut monétaire européen pour les opérations en écus pour la période écoulée entre la réception des fonds et leur remboursement.
6. La clause compromissoire
22 L'article 7 de l'annexe II du contrat contient une clause compromissoire qui se lit comme suit:
"Le Tribunal de première instance des Communautés européennes et, en cas de pourvoi, la Cour de justice des Communautés européennes seront seuls compétents pour connaître des litiges entre la Commission et les cocontractants quant à la validité, l'application et l'interprétation du présent contrat."
B - L'exécution du contrat
23 La réalisation du projet a débuté en mai 1998.
24 Le 15 décembre 1998, les cocontractants ont remis à la Commission un rapport portant sur une période de six mois et décrivant les objectifs atteints. Dans ce rapport, ils ont déclaré avoir entièrement fourni les différentes prestations prévues dans les programmes de travail 1, 2 et 3.
25 Pour être en mesure de vérifier les résultats retracés dans les rapports des cocontractants, la Commission a proposé la mise en place d'une équipe de contrôle ("Review Team"). Ayant reçu des informations sur les experts proposés par la Commission et notamment leurs curriculums vitae, InterTeam a, par courriel du 8 avril 1999, donné son accord pour la désignation de deux candidats, MM. Guida et Ouzounis.
26 Lors d'une réunion qui s'est tenue entre les cocontractants et la Commission le 11 juin 1999, l'équipe de contrôle a délivré son premier rapport d'examen. Dans celui-ci, elle a fait état de graves déficiences dans l'exécution du projet. Sur le fondement de ces constatations, ladite équipe a annoncé la suspension du projet jusqu'au 1er juillet 1999 et a invité les défenderesses à lui faire parvenir toutes les informations nécessaires démontrant qu'elles avaient remédié aux défauts d'exécution exposés dans le rapport d'examen.
27 Dans une lettre du 18 juin 1999, la Commission a résumé les décisions prises lors de la réunion du 11 juin 1999. Elle a également fixé à cette occasion, en vertu de l'article 5, point 5.3, sous a), i), de l'annexe II du contrat, un délai supplémentaire aux défenderesses et menacé de résilier le contrat. Par lettres des 29 juin et 14 juillet 1999, cette institution a de nouveau contesté l'exécution par ces dernières de leurs obligations contractuelles et les a mises en demeure de remédier à la non-exécution de travaux ainsi qu'aux déficiences constatées, et ce dans un délai d'un mois.
28 Au début du mois de juillet 1999, les défenderesses ont présenté à la Commission un rapport portant sur une période de douze mois et décrivant les objectifs atteints. Selon ce rapport, elles avaient exécuté le projet conformément au contrat.
29 Le 5 juillet 1999, l'équipe de contrôle a présenté un deuxième rapport d'examen qui prenait en compte les informations contenues dans le rapport sur les progrès accomplis en douze mois et les autres documents complémentaires fournis par les cocontractants. Ce rapport critiquait fondamentalement l'ensemble des prestations. Une partie de ces dernières, bien que qualifiées de faibles, a toutefois été acceptée.
30 Malgré une nouvelle présentation complète des objectifs atteints par les défenderesses lors d'une réunion organisée le 8 septembre 1999, l'équipe de contrôle ne s'est pas écartée de sa conclusion.
31 Par lettre du 21 décembre 1999 adressée à InterTeam, la Commission a prononcé la résiliation du contrat avec effet rétroactif au 8 septembre 1999.
C - Les paiements effectués par la Commission et la demande de remboursement
32 L'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1103-97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro (JO L 162, p. 1), a, par application de l'article 2, paragraphe 1, de ce règlement eu pour conséquence le remplacement de toute référence à l'écu par une référence à l'euro au taux d'un euro pour un écu.
33 Conformément aux dispositions du contrat, la Commission a versé les sommes suivantes aux défenderesses:
- 270 000 euro, le 8 juin 1998;
- 191 394 euro, le 6 mai 1999, pour la période allant du 1er mai au 31 octobre 1998.
Le montant total des avances s'élève donc à 461 394 euro.
34 Le 21 décembre 1999, la Commission a adressé aux défenderesses une lettre réclamant le remboursement de 317 214 euro correspondant à la différence entre le montant de 461 394 euro effectivement versé et la somme de 144 180 euro qui, selon son calcul, représente la contribution due par elle.
35 Conformément au tableau figurant dans la requête, ces montants, en euro, se répartissent selon la Commission comme suit entre les défenderesses:
<emplacement tableau>
A = concours maximum d'après le contrat, B = montant effectivement versé, C = concours validé, D = montant à rembourser (B - C)
D - La liquidation de trois des défenderesses
1. En ce qui concerne Interteam
36 Le 22 décembre 1999, l'assemblée générale d'InterTeam a décidé la liquidation de la société. Le 17 juillet 2001, cette dernière a déposé son bilan établi au 31 décembre 1999, lequel correspondait, selon ses indications, au bilan de liquidation. Ce bilan accusait un déficit de 695 605,33 DEM (soit 355 657,35 euro) qui n'était pas couvert par les fonds propres de cette société. Le 8 novembre 2001, InterTeam a été radiée du registre de commerce.
2. En ce qui concerne A-Consult
37 Le 10 juillet 2002, une procédure de règlement judiciaire a été ouverte à l'encontre d'A-Consult et l'actuel syndic de faillite, Me Roehlich, a été désigné administrateur judiciaire de cette société.
38 A-Consult a ensuite retiré la demande d'engagement de la procédure de règlement judiciaire de sorte que, conformément aux dispositions légales autrichiennes en matière de faillite, il a été mis fin à ladite procédure et la "procédure de faillite faisant suite à la procédure de règlement judiciaire" ("Anschlußkonkursverfahren") a été ouverte le 25 juillet 2002.
3. En ce qui concerne Ision
39 Le 19 juillet 2002, une procédure d'insolvabilité visant le patrimoine d'Ision a été ouverte et Me Fialski a été nommé administrateur judiciaire de cette société.
II - Sur la compétence de la Cour
A - Le cadre juridique
40 Aux termes de l'article 238 CE:
"La Cour de justice est compétente pour statuer en vertu d'une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par la Communauté ou pour son compte."
41 L'article 225, paragraphe 1, CE, dans sa version résultant du traité de Nice, se lit comme suit:
"Le Tribunal de première instance est compétent pour connaître en première instance des recours visés aux articles 230, 232, 235, 236 et 238, à l'exception de ceux qui sont attribués à une chambre juridictionnelle et de ceux que le statut réserve à la Cour de justice. Le statut peut prévoir que le Tribunal de première instance est compétent pour d'autres catégories de recours.
Les décisions rendues par le Tribunal de première instance en vertu du présent paragraphe peuvent faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de justice, limité aux questions de droit, dans les conditions et limites prévues par le statut."
42 L'article 51 du statut de la Cour de justice, dans sa version en vigueur jusqu'au 31 mai 2004, avant l'entrée en vigueur de la décision 2004-407-CE, Euratom du Conseil, du 26 avril 2004, portant modification des articles 51 et 54 du protocole sur le statut de la Cour de justice (JO L 132, p. 5), disposait:
"Par dérogation à la règle énoncée à l'article 225, paragraphe 1, du traité CE [...], les recours formés par les États membres, par les institutions des Communautés et par la Banque centrale européenne sont de la compétence de la Cour."
B - L'applicabilité de la clause compromissoire
43 La clause compromissoire figurant à l'article 7 de l'annexe II du contrat, dont les termes sont reproduits au point 22 du présent arrêt, désigne selon son libellé le Tribunal comme étant exclusivement compétent en première instance pour tous les litiges pouvant naître du contrat.
44 Il est néanmoins constant que le système de répartition des compétences entre le Tribunal et la Cour, tel que posé par le traité ainsi que par le statut de la Cour de justice annexé à ce traité, ne prévoyait pas, à la date de l'introduction de la requête, de possibilité pour le Tribunal de connaître des recours formés, comme en l'espèce, par une institution communautaire.
45 Pour cette raison, après son dépôt initial au greffe du Tribunal, la requête a, en application de l'article 54 du statut de la Cour de justice, été transmise au greffe de celle-ci.
46 Bien que la compétence de la Cour ne soit pas contestée par les parties, l'applicabilité de la clause compromissoire doit, comme Mme l'Avocat général l'a relevé à bon droit au point 53 de ses conclusions, être examinée d'office par la Cour.
47 Se trouve donc posée la question de savoir si la désignation du Tribunal dans une clause compromissoire peut entraîner la compétence de la Cour au titre de l'article 238 CE, qui attribue des compétences spécifiquement à la "Cour de justice".
48 Une réponse affirmative s'impose pour les raisons suivantes.
49 Comme l'a relevé Mme l'Avocat général au point 59 de ses conclusions, il ressort de l'utilisation des termes "Cour de justice" dans le traité, que cette dénomination ne se réfère pas à l'une ou l'autre juridiction communautaire, mais à l'institution communautaire qui comprend la Cour et le Tribunal. Par conséquent, la référence faite à l'article 238 CE à la "Cour de justice" doit être comprise comme se rapportant à cette institution, et c'est cette dernière qui doit être visée dans un contrat pour qu'une compétence puisse être conférée à l'une ou l'autre juridiction communautaire.
50 Le traité ne prescrit aucune formule particulière à utiliser dans une clause compromissoire. Dans ces circonstances, toute formule qui indique que les parties ont l'intention de soustraire leurs éventuels différends aux juridictions nationales pour les soumettre aux juridictions communautaires doit être considérée suffisante pour entraîner la compétence de ces dernières au titre de l'article 238 CE.
51 Une désignation du Tribunal satisfait clairement à ce critère, sans qu'il soit nécessaire d'interpréter la clause en question à la lumière de la loi applicable au contrat.
52 Le fait que les parties ont erronément cherché à déterminer la juridiction précise au sein de l'institution "Cour de justice" qui devrait se charger de leurs différends et que la clause compromissoire est par conséquent partiellement sans effet, ne fait pas obstacle à l'intention clairement exprimée des parties de soustraire leurs éventuels différends aux juridictions nationales pour les soumettre aux juridictions communautaires.
53 La Cour est donc compétente pour statuer sur le recours de la Commission ainsi que sur la demande reconventionnelle introduite par Intracom.
III - Sur la recevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre trois défenderesses en liquidation ou ayant fait l'objet d'une liquidation
54 Trois des parties défenderesses, à savoir InterTeam, A-Consult et Ision, contestent la recevabilité du recours en tant qu'il les concerne, en se fondant principalement sur le fait qu'elles se trouvaient, à la date de dépôt du recours, à des stades différents de la procédure d'insolvabilité.
A - Le cadre juridique
1. Le droit communautaire
55 Le règlement (CE) n° 1346-2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (JO L 160, p. 1), qui a été adopté en vertu des articles 61, sous c), CE et 67, paragraphe 1, CE, énonce notamment les considérants suivants:
"(2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d'insolvabilité transfrontalières fonctionnent efficacement et effectivement et l'adoption du présent règlement est nécessaire pour atteindre cet objectif qui relève du domaine de la coopération judiciaire civile au sens de l'article 65 du traité.
(3) Les activités des entreprises ont de plus en plus souvent des effets transfrontaliers et sont dès lors de plus en plus réglementées par le droit communautaire. L'insolvabilité de telles entreprises affectant également le bon fonctionnement du marché intérieur, il est nécessaire d'établir un acte communautaire qui exige la coordination des mesures à prendre concernant le patrimoine d'un débiteur insolvable.
(4) Il est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d'éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d'un État à un autre en vue d'améliorer leur situation juridique (forum shopping).
[...]
(8) Pour réaliser l'objectif visant à améliorer et à accélérer les procédures d'insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, il paraît nécessaire et approprié que les dispositions relatives à la compétence, à la reconnaissance et au droit applicable dans ce domaine soient contenues dans un acte juridique communautaire qui soit obligatoire et directement applicable dans tout État membre."
56 Ce même règlement contient les dispositions suivantes:
"Article 3
Compétence internationale
1. Les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.
2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d'un État membre, les juridictions d'un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.
[...]
Article 4
Loi applicable
1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d'insolvabilité et à ses effets est celle de l'État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé 'État d'ouverture'.
2. La loi de l'État d'ouverture détermine les conditions d'ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d'insolvabilité. Elle détermine notamment:
[...]
f) les effets de la procédure d'insolvabilité sur les poursuites individuelles, à l'exception des instances en cours;
[...]
Article 16
Principe [de la reconnaissance de la procédure d'insolvabilité]
1. Toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un État membre compétente en vertu de l'article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu'elle produit ses effets dans l'État d'ouverture.
Cette règle s'applique également lorsque le débiteur, du fait de sa qualité, n'est pas susceptible de faire l'objet d'une procédure d'insolvabilité dans les autres États membres.
2. La reconnaissance d'une procédure visée à l'article 3, paragraphe 1, ne fait pas obstacle à l'ouverture d'une procédure visée à l'article 3, paragraphe 2, par une juridiction d'un autre État membre. [...]
Article 17
Effets de la reconnaissance
1. La décision d'ouverture d'une procédure visée à l'article 3, paragraphe 1, produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre État membre les effets que lui attribue la loi de l'État d'ouverture, sauf disposition contraire du présent règlement et aussi longtemps qu'aucune procédure visée à l'article 3, paragraphe 2, n'est ouverte dans cet autre État membre.
2. Les effets d'une procédure visée à l'article 3, paragraphe 2, ne peuvent être contestés dans les autres États membres. Toute limitation des droits des créanciers, notamment un sursis des paiements ou une remise de dette résultant de cette procédure, ne peut être opposée, quant aux biens situés sur le territoire d'un autre État membre, qu'aux créanciers qui ont exprimé leur accord.
[...]
Article 40
Obligation d'informer les créanciers
1. Dès qu'une procédure d'insolvabilité est ouverte dans un État membre, la juridiction compétente de cet État ou le syndic nommé par celle-ci informe sans délai les créanciers connus qui ont leur résidence habituelle, leur domicile ou leur siège dans les autres États membres.
2. Cette information, assurée par l'envoi individuel d'une note, porte notamment sur les délais à observer, les sanctions prévues quant à ces délais, l'organe ou l'autorité habilité à recevoir la production des créances et les autres mesures prescrites. Cette note indique également si les créanciers dont la créance est garantie par un privilège ou une sûreté réelle doivent produire leur créance."
2. Le droit national
57 En droit allemand, l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'encontre d'une société a, notamment, les conséquences suivantes:
- En application de l'article 80 de l'Insolvenzordnung (loi allemande sur l'insolvabilité), du 5 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 2866), dans sa version applicable au litige (ci-après l'"InsO"), la maîtrise du patrimoine de la société appartient à l'administrateur. Cette situation inclut le droit d'ester et de défendre en justice, ce qui implique que la signification d'une requête mettant en cause la société doit être faite à l'administrateur et non à la société.
- En application de l'article 87 de l'InsO, les créanciers ne peuvent faire valoir leurs créances sur la société qu'en se conformant aux dispositions concernant la procédure d'insolvabilité. Par conséquent, les dispositions des articles 174 et suivants de l'InsO se substituent aux recours réguliers régis par les règles de la procédure civile et les poursuites entamées directement contre la société ou l'administrateur sont irrecevables.
58 En droit autrichien, l'article 6, paragraphe 1, de la Konkursordnung (loi autrichienne sur la faillite, RGBl. n° 337-1914, dans sa version applicable au litige, ci-après la "KO") interdit, après l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, l'introduction ainsi que la poursuite de tout litige visant à faire valoir des droits sur les biens constitutifs de la masse d'une société en faillite.
B - Sur la recevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre InterTeam
59 Selon AMI Semiconductor, Euram et InterTeam, le recours est irrecevable en tant qu'il concerne InterTeam, car cette société avait été radiée du registre de commerce le 8 novembre 2001, soit neuf mois avant le dépôt de la requête de la Commission, et qu'elle avait, par conséquent, perdu sa capacité juridique à cette date.
60 Comme l'a relevé Mme l'Avocat général au point 67 de ses conclusions, un recours contre une société est irrecevable si, à la date de son introduction, cette société n'avait ni capacité juridique ni capacité d'ester en justice. La loi applicable à cet égard est celle régissant la constitution de la société en cause, soit, en l'espèce, la loi allemande (voir arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81-87, Rec. p. 5483, point 19, et du 5 novembre 2002, Überseering, C-208-00, Rec. p. I-9919, point 81).
61 Il est constant que, en droit allemand, une société à responsabilité limitée ("GmbH"), telle qu'InterTeam, perd sa capacité à ester en justice du fait de sa dissolution, ce qui présuppose sa radiation du registre du commerce à la suite d'un constat d'absence de patrimoine. La radiation établit ainsi une présomption d'absence de patrimoine.
62 S'il est en principe possible de réfuter cette présomption, ce qui aurait pour conséquence que la société radiée recouvre sa capacité d'ester en justice, le simple fait d'affirmer qu'une société radiée possède encore des actifs n'est, contrairement à ce que fait valoir la Commission, pas suffisant à cet égard. Cette dernière aurait dû exposer des éléments de fait au soutien de son allégation, en indiquant, par exemple, les actifs qui selon elle subsisteraient, en précisant au moins la valeur approximative et la base juridique de ceux-ci ainsi que, le cas échéant, le débiteur concerné.
63 À défaut de ces indications, le recours doit être déclaré irrecevable en ce qu'il est dirigé contre InterTeam.
C - Sur la recevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre A-Consult et Ision
64 À la date d'introduction de la requête, des procédures d'insolvabilité avaient été engagées à l'encontre de ces deux sociétés en vertu des lois nationales les régissant respectivement.
65 Il est constant que, en application des dispositions nationales pertinentes, à savoir l'article 6 de la KO en ce qui concerne A-Consult et l'article 87 de l'InsO en ce qui concerne Ision, un recours tel que celui de la Commission aurait dans ces circonstances été jugé irrecevable s'il avait été dirigé contre ces sociétés devant les juridictions nationales.
66 L'article 238 CE, en combinaison avec la clause compromissoire, rend la Cour en principe compétente pour trancher les différends entre les parties.
67 Néanmoins, se trouve posée la question de savoir de quelle manière cette compétence doit être exercée en ce qui concerne une partie à l'encontre de laquelle une procédure d'insolvabilité a été ouverte. Cette question s'apprécie eu égard au droit procédural applicable devant la Cour.
68 Étant donné que ni le statut de la Cour de justice, ni le règlement de procédure de celle-ci ne contiennent des dispositions spécifiques concernant le traitement de recours dirigés contre des parties à l'encontre desquelles une procédure d'insolvabilité a été ouverte, il convient de déduire les règles à appliquer des principes communs aux droits procéduraux des États membres en la matière.
69 À cet égard, il apparaît en effet que, dans la plupart des droits procéduraux des États membres, un créancier ne saurait faire valoir en justice ses créances de manière isolée à l'encontre d'une personne faisant l'objet d'une procédure d'insolvabilité, mais est tenu de suivre les modalités de la procédure applicable et que, faute de respect de ces règles, un recours est irrecevable. Lesdits États sont par ailleurs obligés de respecter mutuellement les procédures ouvertes dans l'un d'eux. Cela ressort du règlement n° 1346-2000 qui prévoit à son article 4, paragraphe 2, sous f), que la loi régissant les effets de la procédure d'insolvabilité sur les poursuites individuelles est celle de l'État d'ouverture, en l'occurrence la loi autrichienne et la loi allemande. En outre, en vertu des articles 16 et 17 du même règlement, l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité dans un État membre est reconnue dans tous les autres États membres et y produit les effets que lui attribue la loi de l'État d'ouverture.
70 Comme Mme l'Avocat général l'a relevé aux points 84 et 85 de ses conclusions, les dispositions du règlement n° 1346-2000 ont, comme il ressort notamment de ses deuxième, troisième, quatrième et huitième considérants pour objectif de sauvegarder l'efficacité et la bonne coordination des procédures d'insolvabilité à l'intérieur de l'Union européenne, et de garantir ainsi une répartition égale des actifs disponibles entre l'ensemble des créanciers. Les institutions communautaires bénéficieraient d'un avantage injustifiable par rapport aux autres créanciers s'il leur était possible de faire valoir leurs créances dans le cadre de procédures portées devant les juridictions communautaires, alors que toute poursuite devant les juridictions nationales est impossible.
71 C'est en outre à tort que la Commission cherche à se prévaloir de l'article 40 du règlement n° 1346-2000 en se fondant sur le laps de temps de deux mois et demi s'étant écoulé entre l'ouverture de la procédure d'insolvabilité, en date du 10 juillet 2002, et la notification de celle-ci, intervenue le 23 septembre 2002, pour s'opposer, en l'espèce, à l'application de ce règlement. Premièrement, en vertu de l'article 17, paragraphe 1, dudit règlement, l'ouverture de la procédure d'insolvabilité produit des effets dans les autres États membres sans que soit nécessaire une quelconque notification en vertu de l'article 40 du même règlement. Deuxièmement, même si la notification faite à la Commission peut être considérée comme tardive, le règlement n° 1346-2000 ne prévoit aucune conséquence d'une telle tardiveté sur la reconnaissance de la procédure dans d'autres États membres, sous réserve d'un droit éventuel à la compensation de tout dommage causé par une notification tardive.
72 Eu égard à ces considérations, il convient de déclarer irrecevable le recours de la Commission, tel qu'il est formulé dans la requête, en ce qu'il est dirigé contre A-Consult et Ision.
D - Sur les conclusions supplémentaires de la Commission
73 Lors de l'audience, la Commission a, à titre subsidiaire, introduit des conclusions supplémentaires visant à ce que, en tant qu'il est dirigé contre A-Consult et Ision, son recours soit considéré comme ayant pour objet de faire constater le bien-fondé de ses créances afin de les faire valoir dans le cadre de procédures nationales d'insolvabilité.
74 Ces conclusions supplémentaires sont manifestement irrecevables.
75 En premier lieu, elles sont contraires aux prescriptions de l'article 38 du règlement de procédure. Aux termes de cette disposition, les parties ont l'obligation de définir l'objet du litige dans l'acte introductif d'instance. Même si l'article 42 du règlement de procédure permet, sous certaines conditions, la production de moyens nouveaux, une partie ne peut en cours d'instance modifier l'objet même du litige (voir arrêts du 25 septembre 1979, Commission/France, 232-78, Rec. p. 2729, point 3, et du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125-78, Rec. p. 3173, point 26). De nouvelles conclusions présentées pour la première fois lors de l'audience ne pourraient être admises sous peine de priver les défenderesses de la possibilité de préparer leur réponse et ainsi de violer les droits de la défense.
76 En second lieu, ces conclusions vont au-delà des compétences conférées à la Cour en vertu de la clause compromissoire applicable qui limite cette compétence aux "litiges entre la Commission et les cocontractants", alors qu'un recours en constatation au fins d'une procédure d'insolvabilité implique aussi d'autres parties, à savoir les autres créanciers de l'entreprise en faillite. Il peut, à cet égard, être souligné que la Commission n'a engagé aucune procédure visant à attraire ces parties au présent litige.
77 Finalement, les considérations relevées aux points 68 à 70 du présent arrêt sont également applicables aux conclusions supplémentaires de la Commission, qui doivent être déclarées irrecevables pour cette raison.
78 Par conséquent, il convient de rejeter les conclusions supplémentaires de la Commission comme étant également irrecevables.
IV - Sur le bien-fondé du recours en tant qu'il est dirigé contre AMI Semiconductor, Intracom, Euram et Nordbank
79 La Commission se prévaut de deux bases juridiques pour fonder ses demandes de paiement présentées à l'encontre des défenderesses. D'une part, elle s'appuie sur le droit contractuel au remboursement tiré de l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat. D'autre part, elle invoque l'enrichissement sans cause des défenderesses au sens de l'article 812 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil allemand, ci-après le "BGB"), qui prévoit que "celui qui obtient quelque chose au détriment d'un tiers sans fondement juridique grâce à une prestation de ce tiers, ou de toute autre manière, est obligé à restitution".
A - Le droit au remboursement fondé sur l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat
80 L'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat, prévoit que si les paiements effectués au titre du projet excèdent la contribution financière totale due par la Commission, les cocontractants sont tenus de rembourser immédiatement la différence entre ces paiements et cette contribution.
81 En ce qui concerne l'application, en l'espèce, de cette disposition, se trouvent posées notamment deux questions. Il convient, en premier lieu, de déterminer si l'obligation de remboursement prévue par ladite disposition est une obligation solidaire ou si, au contraire, un remboursement peut seulement être exigé de cocontractants ayant effectivement reçu des fonds de la Commission. Il convient, en second lieu, de s'interroger sur le calcul de la contribution financière totale due par la Commission.
1. Sur la responsabilité solidaire
82 L'expression "les cocontractants" est définie à la deuxième page du contrat comme désignant collectivement les sept défenderesses ayant conclu ce dernier avec la Commission. Néanmoins, les implications précises de l'utilisation de cette expression à l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat ont fait l'objet de vifs débats entre les parties.
83 Selon la Commission, l'utilisation de ladite expression démontre que l'obligation de remboursement prévue par cette disposition incombe à la collectivité des cocontractants et non pas seulement à ceux qui auraient reçu les avances en cause. La Commission pourrait donc poursuivre chacun des cocontractants pour la totalité des avances.
84 Les défenderesses font valoir au contraire qu'une responsabilité solidaire ne pourrait pas être déduite de la simple utilisation de l'expression "les cocontractants" et que si une telle responsabilité avait correspondu aux intentions des parties, elle aurait dû être d'avantage explicitée. Elles font en outre remarquer que l'obligation imposée à l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat serait, selon le libellé exprès de cette disposition, une obligation de "remboursement" ce qui, suivant la définition même de cette notion supposerait que le montant dont le remboursement est sollicité aurait été préalablement perçu par la partie à laquelle il est demandé.
85 Cet article 23, point 23.3, n'étant pas en lui-même suffisamment clair à cet égard, il y a lieu de l'interpréter dans le contexte des autres dispositions contractuelles, notamment à la lumière de l'article 1er du contrat.
86 Ledit article 1er, point 1.1, impose à première vue une obligation "conjointe et solidaire" ("jointly and severally") aux parties d'exécuter le contrat "pour ce qui concerne les travaux énoncés à l'annexe I". Cette obligation, qui en tout état de cause ne s'applique, selon le libellé de cette disposition, qu'à l'exécution des travaux, mais pas au remboursement d'avances, est ensuite strictement limitée par le point 1.2 du même article.
87 Ainsi, l'article 1er, point 1.2, deuxième phrase, du contrat infirme toute responsabilité solidaire pour le remboursement d'avances en prévoyant qu'un cocontractant "ne sera pas tenu [...] de rembourser les montants dus par un cocontractant défaillant à moins qu'il n'ait lui-même contribué à cette défaillance."
88 Il ressort de cette analyse que l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat, interprété à la lumière de l'article 1er, point 1.2, de ce contrat, n'impose à un cocontractant que le remboursement d'avances qu'il a effectivement perçues, à moins qu'il soit démontré que le même cocontractant a contribué à une défaillance ayant fait naître au profit de la Commission un droit au remboursement d'une avance versée à un autre cocontractant. La charge de la preuve de la contribution d'un cocontractant à une telle défaillance incombe nécessairement à la Commission en sa qualité de demanderesse invoquant cette défaillance.
89 La Commission n'a pas démontré qu'AMI Semiconductor, Euram, Intracom ou Nordbank auraient contribué d'une manière quelconque à une défaillance spécifique d'un autre cocontractant qui aurait eu comme conséquence un droit de ladite institution au remboursement d'une avance perçue par cet autre cocontractant. Comme l'a relevé Mme l'Avocat général au point 145 de ses conclusions, les allégations à caractère général selon lesquelles les défenderesses n'auraient pas suffisamment coopéré ou qu'elles n'auraient pas satisfait à leurs obligations d'information à l'encontre de la Commission sont insuffisantes à cet égard, même si elles sont partiellement fondées sur les rapports d'évaluation.
90 Il convient donc d'admettre qu'aucune de ces défenderesses ne peut être tenue de rembourser au titre de l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat des sommes allant au-delà de ce qu'elle a elle-même perçu.
2. Sur le calcul de la contribution financière due par la Commission
91 L'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat subordonne le droit au remboursement à la condition que la contribution financière totale due par la Commission au titre du projet soit inférieure au montant des avances déjà versées. Dans une telle hypothèse, chacune des défenderesses serait tenue de rembourser la différence entre l'avance qu'elle a perçue et l'indemnisation des coûts à laquelle elle peut prétendre.
92 Dans sa requête, la Commission a ventilé, dans un tableau repris au point 35 du présent arrêt, les montants que chacune des défenderesses devrait, selon elle, rembourser à titre individuel, en l'absence de mise en jeu d'une responsabilité solidaire. Lesdits montants ont été calculés en soustrayant du montant effectivement reçu par chaque cocontractant de la Commission les montants afférents à des prestations acceptés par cette dernière dans la mesure où le cocontractant en cause était censé y contribuer selon la répartition des travaux figurant à l'annexe I du contrat.
93 Étant donné qu'elle reconnaît que Nordbank n'a été destinataire d'aucun versement et qu'Intracom a perçu un montant inférieur à celui qui lui était dû, la Commission ne peut prétendre, de ces deux défenderesses, à un quelconque remboursement.
94 Il est constant qu'AMI Semiconductor a reçu au total la somme de 26 743 euro et que la Commission a accepté des travaux à concurrence d'une valeur de 26 214,55 euro. Par conséquent, le montant maximal que cette société devrait rembourser s'élève à 528,45 euro. Il est également constant qu'Euram a reçu la somme de 21 606 euro et qu'aucune des prestations auxquelles elle a contribué n'a été acceptée.
95 En ce qui concerne les demandes dirigées contre ces deux défenderesses, la Commission n'est pas en droit de refuser l'approbation de prestations ou de relevés de coûts sans justifier de manière détaillée du caractère déficient desdites prestations. Contrairement à ce que soutient la Commission, le caractère spécifique du contrat, tenant au fait qu'il constitue un contrat ayant pour objet de verser des subventions ne comportant pas de véritable contrepartie pour ladite institution, n'a pas pour conséquence de donner à cette dernière un pouvoir discrétionnaire pour l'acceptation des prestations. Comme l'a relevé à bon droit Mme l'Avocat général aux points 167 à 171 de ses conclusions, pour que des pouvoirs de décision unilatéraux aussi larges aient été conférés à la Commission, il eût été nécessaire d'énoncer dans le contrat des clauses en ce sens.
96 Il y a donc lieu d'examiner si le refus de la Commission de reconnaître les prestations dues par AMI Semiconductor et par Euram est justifié. Comme l'a relevé Mme l'Avocat général au point 161 de ses conclusions, le litige porte en substance sur les prestations 1.1 (Ensemble complet de fonctions de système et spécifications de dessein définies par l'utilisateur, "Complete set of user-defined system functions and design specifications"), 1.2 (Ensemble complet de spécifications de dessein pour des interfaces de logiciels futurs qui s'intégreront dans l'environnement de logiciels commerciaux de ces organisations, "Complete set of design specifications for future software interfaces to integrate with the commercial software environment of these organisations") et 1.3 (Description complète de l'environnement de technologies d'information des contreparties commerciales futures, "Full description of future business parners' IT environment"), ces trois prestations étant les seules prestations rejetées à la réalisation desquelles AMI Semiconductor ou Euram avaient contribué.
97 La Commission a entièrement fondé le rejet de ces prestations sur les rapports par lesquels l'équipe de contrôle avait conclu à un tel rejet. En ce qui concerne la force probatoire de ces rapports, il convient d'écarter d'emblée la thèse de la Commission selon laquelle ceux-ci auraient un caractère contraignant à l'égard des défenderesses. Bien que ces dernières aient approuvé le choix des deux candidats proposés par ladite institution, ni l'article 8 de l'annexe II du contrat, ni aucune autre clause du contrat, ni aucun élément contenu dans les communications échangées entre elles n'indique que les parties au contrat auraient été liées par les rapports établis par cette équipe. Une telle force contraignante irait d'ailleurs manifestement à l'encontre de la position prise sur ce point par la Commission qui, lors de l'audience, a soutenu qu'elle pouvait elle-même s'écarter de ces rapports si elle le désirait.
98 Dans son deuxième rapport de contrôle, l'équipe de contrôle a conclu au rejet des prestations en cause. La prestation 1.1 a été décrite comme étant largement incomplète et peu approfondie. Les prestations 1.2 et 1.3 ont été jugées inexistantes au motif que les documents fournis à ladite équipe n'étaient, selon leurs titres, que des "résumés" et non des documents complets.
99 Il ressort de ces rapports certaines contradictions inexpliquées. Par exemple, en ce qui concerne la prestation 1.1, l'équipe de contrôle critique le fait que des entreprises du secteur financier ou du secteur logistique, bien que représentées au sein du consortium constitué par les défenderesses, n'auraient pas contribué à la réalisation de cette prestation. Or, il ressort clairement de l'annexe I du contrat que la participation de Nordbank ou d'Euram à ladite prestation n'était pas prévue par le contrat. Manifestement, l'équipe de contrôle n'a pas à cet égard appliqué les critères contractuels pour apprécier la conformité des prestations fournies, mais a appliqué à tort ses propres critères.
100 En ce qui concerne la prestation 1.3, la Commission a, lors de l'audience, relevé que la présentation de celle-ci par les défenderesses n'avait occupé qu'une seule page, ce qui ne serait pas compatible avec l'effort prévu dans le contrat pour cette prestation. En effet, il convient de constater un écart à première vue surprenant entre les quatre mois et demi de travail d'une personne prévus à la page 57 de l'annexe I du contrat pour cette prestation et la brièveté du rapport présenté. Néanmoins, la brièveté d'un rapport n'implique pas nécessairement une absence de qualité de celui-ci ou sa non conformité avec les stipulations du contrat, seuls critères pertinents en l'espèce. Si la Commission éprouvait des doutes quant au montant des coûts facturés pour une prestation, elle aurait dû contester les relevés des coûts à la lumière des critères posés aux articles 18 à 20 de l'annexe II du contrat au lieu de rejeter la prestation.
101 Pour pouvoir justifier le rejet d'une prestation, il est nécessaire que la Commission identifie spécifiquement les aspects de la prestation qu'elle entend critiquer en précisant les raisons pour lesquelles, selon elle, cette prestation s'écarte des stipulations contractuelles. En l'espèce, ni les rapports de contrôle ni la requête de la Commission ne sont suffisamment explicites à cet égard.
102 Par conséquent, il convient d'écarter les moyens de la Commission tirés d'un droit au remboursement fondé sur les stipulations de l'article 23, point 23.3, de l'annexe II du contrat. Partant, il y a lieu de rejeter également la demande d'intérêts fondée sur l'article 5, point 5.4, de cette même annexe.
B - Le droit au remboursement fondé sur l'article 812 du BGB
103 Comme l'a relevé à bon droit Mme l'Avocat général au point 185 de ses conclusions, une demande en répétition de l'indu fondée sur l'enrichissement sans cause, en application de l'article 812 du BGB, doit être écartée pour les mêmes raisons qu'a été écartée la demande de remboursement fondée sur le contrat. À défaut d'apporter la preuve que les paiements reçus étaient supérieurs aux créances des cocontractants, la Commission n'établit pas l'existence d'un enrichissement sans cause.
104 Il y a lieu par conséquent de rejeter en totalité le recours de la Commission.
V - Sur la demande reconventionnelle d'Intracom
105 Par sa demande reconventionnelle, Intracom fait valoir un droit au paiement, par la Commission, d'une somme de 6 022 euro. Ce montant résulte de la différence entre l'avance de 10 362 euro effectivement versée par InterTeam à Intracom et la part des coûts afférents aux prestations approuvées supportée par Intracom, qui s'élève, selon le calcul de la Commission, à 16 384,09 euro.
106 Outre le fait qu'elle fait valoir que la Commission se serait "indûment enrichie", Intracom ne précise pas le fondement juridique de cette demande.
107 Il est constant que la Commission avait, par ses paiements à InterTeam, versé suffisamment de fonds aux défenderesses pour couvrir le paiement de 6 022 euro au profit d'Intracom. En effet, en fin de contrat, une somme de 300 934 euro avait été versée à InterTeam, sans que cette somme ait été reversée par cette dernière aux autres défenderesses. Étant donné qu'InterTeam aurait, selon les chiffres figurant dans le formulaire à la page 6 de l'annexe I du contrat, pu avoir droit à titre personnel à des paiements d'un montant maximal de 153 500 euro au titre du contrat, ladite société détenait une somme au moins égale à 147 434 euro pour le compte des autres cocontractants.
108 Dans ces circonstances, la Commission n'a pas bénéficié d'un enrichissement sans cause. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la demande reconventionnelle d'Intracom.
Sur les dépens
109 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La demande reconventionnelle d'Intracom SA Hellenic Telecommunications & Electronic Industry est rejetée.
3) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.