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Décisions

CJCE, 6e ch., 10 mars 2005, n° C-235/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

QDQ Media (SA), Omedas Lecha

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Borg Barthet

Avocat général :

Mme Kokott

Juges :

MM. Puissochet, von Bahr

CJCE n° C-235/03

10 mars 2005

LA COUR (sixième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la directive 2000-35-CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 juin 2000, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO L 200, p. 35).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l'examen par le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona (Tribunal de première instance n° 35 de Barcelone) d'une demande d'injonction de payer présentée par la société QDQ Media SA (ci-après "QDQ Media") à l'égard de M. Omedas Lecha, qui n'aurait pas honoré la facturation de certaines prestations publicitaires pour son activité professionnelle.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3 La directive 2000-35 vise à harmoniser les législations des États membres relatives à la lutte contre les retards de paiements dans les transactions commerciales entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics pour une fourniture de marchandises ou une prestation de services contre rémunération.

4 L'article 3, paragraphe 1, de la directive 2000-35 dispose:

"Les États membres veillent à ce que:

[...]

e) mis à part les cas où le débiteur n'est pas responsable du retard, le créancier soit en droit de réclamer au débiteur un dédommagement raisonnable pour tous les frais de recouvrement encourus par suite d'un retard de paiement de ce dernier. Ces frais de recouvrement respectent les principes de transparence et de proportionnalité en ce qui concerne la dette en question. Les États membres peuvent, dans le respect des principes susmentionnés, fixer un montant maximal en ce qui concerne les frais de recouvrement pour différents niveaux de dette."

Le droit national

5 L'article 32, paragraphe 5, de la Ley de Enjuiciamiento Civil 1-2000 (Code de procédure civile), du 7 janvier 2000, (ci-après la "LEC"), prévoit, s'agissant des dépens liés à une procédure juridictionnelle:

"Lorsque l'intervention d'un avocat/avoué n'est pas obligatoire, il convient d'exclure du calcul des dépens auxquels serait éventuellement condamnée la partie opposée à celle qui a eu recours aux services de tels professionnels les droits et honoraires qui leur ont été versés, excepté dans les cas où le tribunal juge téméraire la conduite de la partie condamnée aux dépens ou dans les cas où le domicile de la partie assistée et défendue est situé en dehors du lieu où se déroule l'instance. Dans ce dernier cas, les limites mentionnées à l'article 394, paragraphe 3, de la présente loi sont d'application".

6 L'article 394, paragraphe 3, de la LEC dispose:

"Lorsque [...] la partie perdante est condamnée aux dépens, celle-ci ne peut être tenue de payer, sur la somme correspondant à la rémunération d'avocats ou d'autres professions non soumises à un tarif des frais ou honoraires, qu'un montant total n'excédant pas le tiers du montant sur lequel porte le litige, pour chacune des parties au litige ayant obtenu une telle décision en leur faveur [...].

Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le tribunal a constaté la témérité de la partie condamnée aux dépens".

7 La LEC prévoit qu'il peut être recouru à la procédure d'injonction de payer pour des dettes inférieures à un certain montant et sous réserve de certaines conditions.

8 L'article 814, paragraphe 2, de la LEC précise:

"Pour la présentation de la requête initiale d'injonction de payer, il n'est pas indispensable d'être assisté d'un avocat/avoué".

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 La société QDQ Media a recouru aux services d'un avoué pour introduire, le 18 février 2003, devant la juridiction de renvoi sa requête initiale d'injonction de payer à l'encontre de M. Omedas Lecha, laquelle porte sur une somme de 470,58 euro.

10 Le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Dans le cadre de la protection du créancier prévue par la directive 2000-35 [...] peut-on qualifier de frais de recouvrement de la dette les frais résultant de l'intervention d'un avocat ou d'un avoué dans la procédure d'injonction de payer engagée en vue du recouvrement de cette dette?"

Sur la question préjudicielle

11 Ayant constaté que QDQ Media a son siège social à Madrid et qu'elle a saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, la Cour a demandé des éclaircissements à cette juridiction, conformément à l'article 104, paragraphe 5, de son règlement de procédure, notamment afin de connaître la raison pour laquelle l'article 32, paragraphe 5, de la LEC ne lui permet pas de satisfaire la prétention de QDQ Media visant à obtenir que sont inclus dans les dépens, au paiement desquels M. Omedas Lecha pourrait être condamné, les frais résultant de l'intervention de son avoué.

12 La juridiction de renvoi a répondu à cette demande de la manière suivante:

"L'article 32 de la LEC prévoit la possibilité d'une condamnation aux dépens dans les procédures déclaratives de nature contradictoire. La procédure d'injonction de payer ne fait pas partie des procédures déclaratives, à tout le moins en ce qui concerne la phase d'injonction de payer. En effet, la LEC emploie les termes 'requête initiale' (article 814 de la LEC) et non 'demande en injonction de payer' ainsi que 'créancier et débiteur' et non 'parties à la procédure'. L'article 32, paragraphe 5, de la LEC pourrait s'appliquer dans la phase contradictoire - qui renvoie à l'audience de jugement ou à la procédure ordinaire - mais la question préjudicielle concerne la possibilité d'inclure dans les dépens les frais exposés depuis le dépôt de la demande initiale, en d'autres termes, elle tend à savoir si, conformément à la directive ici en cause, il est possible de condamner à ces dépens le débiteur qui ne s'est pas opposé au paiement ou dont l'opposition au paiement aurait en toute hypothèse été rejetée, sans qu'il soit nécessaire d'apprécier la mauvaise foi ou, le cas échéant, de tenir compte du domicile du créancier. Par ailleurs, il convient d'indiquer que, même si l'entité créancière a son siège social à Madrid, il est certain que ce type d'entreprises dispose d'établissements et d'agences sur tout le territoire espagnol. Par conséquent, la question porte sur le point de savoir si l'on peut répercuter les frais de justice dans toutes les procédures d'injonction de payer, eu égard aux termes de la directive concernée".

13 En vue de répondre à la juridiction nationale, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que, en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à une directive, la juridiction nationale appelée à interpréter ce droit est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et de se conformer ainsi à l'article 249, troisième alinéa, CE (voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero, C-343-98, Rec. p. I-6659, point 21).

14 Il ressort des explications et de l'interprétation du droit national données par la juridiction de renvoi que celui-ci ne permet pas de faire supporter au débiteur les frais résultant de l'intervention d'un avoué pour la présentation d'une requête initiale en injonction de payer lorsque la procédure n'entre pas dans une phase contradictoire ou lorsqu'un établissement ou une agence du créancier se trouve dans le ressort du tribunal saisi, situations que vise précisément la juridiction de renvoi par sa question.

15 Selon celle-ci, le résultat recherché au profit de QDQ Media dans ces situations ne peut donc être atteint par une application du droit national, même interprété dans toute la mesure du possible à la lumière de la directive 2000-35.

16 Or, dans un tel cas, s'agissant d'un litige entre particuliers, comme dans l'affaire au principal, une directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier et être invoquée en tant que telle à son encontre (voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, point 48, et du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397-01 à C-403-01, non encore publié au Recueil, point 108).

17 Il y a lieu par conséquent de répondre à la question posée par la juridiction nationale que, en l'absence de possibilité, sur le fondement du droit national, d'inclure dans le calcul des dépens auxquels pourrait être condamné un particulier redevable d'une dette professionnelle les frais résultant de l'intervention d'un avocat ou d'un avoué au profit du créancier dans une procédure judiciaire de recouvrement de cette dette, la directive 2000-35 ne peut pas, par elle-même, servir de fondement à une telle possibilité.

Sur les dépens

18 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

dit pour droit:

En l'absence de possibilité, sur le fondement du droit national, d'inclure dans le calcul des dépens auxquels pourrait être condamné un particulier redevable d'une dette professionnelle les frais résultant de l'intervention d'un avocat ou d'un avoué au profit du créancier dans une procédure judiciaire de recouvrement de cette dette, la directive 2000-35-CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 juin 2000, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, ne peut pas, par elle-même, servir de fondement à une telle possibilité.