Livv
Décisions

CA Agen, ch. soc., 7 juin 2005, n° 04-00123

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupement Interproducteurs Collioure & Banyuls

Défendeur :

François

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Roger

Conseillers :

Mme Latrabe, M. Combes

Avocat :

Me Bozec-Claverie

Cons. prud'h. Agen, du 12 déc. 2003

12 décembre 2003

Faits et procédure

Philippe François, né le 24 avril 1970 a été embauché le 13 septembre 2001 par le Groupement Interproducteurs Collioure Banyuls (GICB), enseigne le Cellier des Templiers et la SARL Les Caves du Soleil, deux sociétés commercialisant des produits vinicoles en qualité de VRP multicartes. Il a été exclusivement rémunéré par des commissions.

Le 1er août 2002, le salarié a reçu une lettre du Cellier des Templiers lui reprochant de ne pas réaliser les objectifs commerciaux fixés.

Estimant ne pas avoir bénéficié du matériel publicitaire utile à la prospection, Philippe François a dans un premier temps sollicité auprès de sa directrice des ventes le 13 août 2002, l'échantillonnage nécessaire à la poursuite de son activité, puis à défaut de réponse a pris acte de la rupture de son contrat le 4 septembre 2002 pour ce motif.

Considérant que le non-respect des obligations de l'employeur valait dénonciation de son contrat de travail et que par ailleurs, les conditions d'exercice de son activité lui permettaient de bénéficier des dispositions de l'ANI des VRP du 3 octobre 1975, Philippe François a saisi le Conseil de prud'hommes d'Agen le 30 septembre 2002 aux fins de réclamer la requalification de son contrat de travail en celui d'un VRP exclusif et d'obtenir diverses sommes à ce titre.

Par courrier du 28 octobre 2002, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à son licenciement fixé au 5 novembre 2002.

Le 19 novembre 2002, l'employeur a de nouveau adressé au salarié un courrier le convoquant à un entretien préalable à son licenciement fixé au 29 novembre 2002, cette lettre annulant et remplaçant celle du 28 octobre 2002.

Par lettre recommandée du 5 décembre 2002 l'employeur a adressé à Philippe François, une lettre lui rappelant qu'il attendait la décision du juge qui déterminerait si la prise d'acte de la rupture à ses torts était justifiée ou non, et qu'elle considérait que Philippe François restait son salarié.

Par jugement du 12 décembre 2003, le Conseil de prud'hommes d'Agen a :

- jugé que le GICB est le seul et unique employeur de Philippe François,

- qu'en conséquence, le demandeur doit bénéficier des dispositions de l'article 5-1 de l'ANI des VRP, en sa qualité de représentant exclusif et qu'il y a lieu de condamner la société défenderesse au paiement à ce titre de la somme de :

* 9 998,46 euro brut représentant le complément de salaire et l'indemnité compensatrice de congés payés,

- jugé que la rupture du contrat de travail à l'initiative de Philippe François doit être considérée à ses torts exclusifs,

- ordonné la remise des bulletins de salaire rectifiés, du certificat de travail ainsi que de l'attestation ASSEDIC sous quinzaine à compter du présent jugement,

- condamné la société défenderesse au paiement au profit de Philippe François de 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes et les condamné aux dépens par moitié.

Le 16 janvier 2004, le GICB a relevé appel de cette décision.

Moyens et prétentions des parties

Au soutien de son appel, le GICB fait valoir que la demande de Philippe François au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat est infondée.

Il estime que l'intimé à seul pris acte de la rupture de son contrat aux torts de son employeur, par courrier du 4 septembre 2002.

Il ajoute que le motif invoqué par Philippe François pour prendre acte de la rupture est manifestement fallacieux et que le GICB lui a toujours fourni les moyens nécessaires à la poursuite de son activité.

Il expose que Philippe François était loin d'avoir atteint son objectif commercial sur le premier semestre 2002, que l'intimé a dépassé de 511 euro le budget publicité alloué pour le 1er semestre.

Il ajoute que Philippe François ne pouvait en aucun cas passer au début du semestre une commande d'un montant de 678, 32 euro alors même que celle-ci était supérieure au budget prévisionnel pour tout le semestre et que c'est donc à juste titre qu'il a indiqué à l'intimé qu'il ne pouvait lui envoyer la totalité de sa commande d'échantillons.

Il considère que la prise d'acte de la rupture du contrat par l'intimé aux torts de l'employeur n'est pas justifiée dans la mesure où le représentant avait passé une commande d'échantillons excessive par rapport à son budget de publicité et que pour lui permettre de poursuivre son activité, l'employeur lui a proposé de lui livrer des mignonnettes et une partie de sa commande, ce que le salarié a refusé. Elle estime que Philippe François a refusé avec obstination les propositions formulées par le GICB, et qu'il ne peut donc aujourd'hui prétendre que celle-ci a été fautive. Il soutient qu'aucun tort ne lui est imputable et que la prise d'acte de la rupture de Philippe François doit produire les effets d'une démission.

Il soutient qu'en droit, l'intimé ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut de VRP exclusif puisque le contrat de travail de Philippe François ne prévoyait aucune clause d'exclusivité. Il ajoute que l'intimé était salarié de deux sociétés distinctes qui vendent des produits différents, avec lesquelles il était lié par un lien de subordination différent, et qu'il exerçait son activité pour ces deux employeurs distincts.

Il fait valoir que le rappel de salaire réclamé par le salarié est manifestement erroné concernant le calcul de sa rémunération minimale et concernant les sommes perçues par l'intimé. Il fait valoir que ce dernier ne saurait réclamer plus de 9 582,43 euro bruts et devra restituer le trop perçu en application du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Agen le 12 décembre 2003.

Il ajoute que la rupture du contrat de travail étant intervenue à la seule initiative de Philippe François, ce dernier ne saurait prétendre à un quelconque préjudice subi du fait de la remise d'une attestation ASSEDIC mentionnant la décision rendue par le Conseil de prud'hommes d'Agen. En tout état de cause, il ne saurait réclamer une astreinte de 30 euro par jour de retard à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour réparer ce prétendu préjudice, l'astreinte ne pouvant être prononcée qu'à compter de l'arrêt rendu par la cour d'appel.

En conséquence, il demande à la cour:

- de réformer le jugement du Conseil de prud'hommes d'Agen du 12 décembre 2003 en ce qu'il a considéré que le GICB était le seul et unique employeur de Philippe François,

- de réformer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a alloué à l'intimé un rappel de salaire de 9 998,46 euro au titre de la rémunération minimale forfaitaire prévue par l'accord interprofessionnel du 3 octobre 1975,

Par conséquent,

- de condamner Philippe François à rembourser au GICB la somme de 8 215,03 euro versée par l'appelant en application du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Agen le 12 décembre 2003,

- de réformer le jugement du Conseil de prud'hommes d'Agen en ce qu'il a alloué à l'intimé 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de confirmer pour le surplus le jugement du Conseil de prud'hommes d'Agen,

Par conséquent,

- de constater que la rupture du contrat de travail est imputable à Philippe François et produit les effets d'une démission,

- de débouter l'intimé de l'intégralité de ses demandes,

- de condamner l'intimé à verser au GICB la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Philippe François, intimé, réplique que bien qu'il ait été embauché et rémunéré comme un VRP multicarte par le GICB pour les enseignes Le Cellier des Templiers et les Caves du Soleil, ces deux enseignes n'en font qu'une.

Il ajoute que ses contrats de travail présentaient un objet et un secteur unique de représentation, que pour l'exécution de son contrat il lui était fourni des documents portant conjointement les griffes des Caves du Soleil et du Cellier des Templiers. Il souligne qu'avec la livraison des produits, il recevait à l'en-tête du Cellier des Templiers la facturation commune des colis des Caves du Soleil et du Cellier des Templiers. Il ajoute qu'à titre d'état de commissions des relevés portant le cumul des ventes Cellier des Templiers et Caves du Soleil lui ont été établis. Il fait valoir que ces éléments prouvent que les produits commercialisés par le Cellier des Templiers et les Caves du Soleil l'étaient en commun, que la diffusion était commune et qu'il n'avait qu'un employeur unique, le Groupement Interproducteurs Collioure Banyuls et qu'il aurait dû bénéficier du statut de VRP exclusif et percevoir de ce fait une rémunération conventionnelle égale à 520 fois le taux horaire du SMIC par trimestre. Il ajoute qu'il a reçu pour salaire la somme totale de 7 396,06 euro sous forme de commissions VRP plus des indemnités de congés payés et qu'il convient comme l'ont décidé les premiers juges de lui faire droit à titre de solde de la rémunération minimale forfaitaire d'un VRP exclusif plus incidence congés payés la somme de 11 988,07 euro.

Il considère qu'il devait pouvoir bénéficier d'échantillons indispensables afin de développer sa recherche de clients et tenter d'atteindre ses objectifs de vente mais qu'il a été privé de ce moyen de telle sorte qu'il a été contraint d'indiquer à son employeur son impossibilité à poursuivre normalement son contrat de travail. Il considère que l'obligation faite à l'employeur de fournir normalement le travail n'a pas été respecté, ce qui constitue une faute le rendant responsable de la rupture du contrat de travail qui s'en est suivie.

Il souligne que la règle relative à l'assistance du salarié par un conseiller n'a pas été appliquée par l'employeur, et que le licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté est donc néanmoins soumis aux dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du travail. Il s'estime donc fondé à réclamer 10 150 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.

Il soutient qu'il a travaillé comme VRP au service du GICB du 13 septembre 2001 au 4 septembre 2002, et qu'il justifie donc d'une ancienneté de service continu inférieure à un an, il a droit conventionnellement à une indemnité de préavis égale à un mois. Il soutient que ce préavis aurait dû être exécuté sur les bases du contrat initial, son paiement résultant d'une obligation légale et faisant partie de la rémunération totale perçue par un salarié, l'indemnité de congés payés égale au 10e de la rémunération totale doit donc également compléter le préavis. Il s'estime donc fondé à réclamer 1 302,25 euro brut à titre d'indemnité de préavis plus incidence congés payés.

Il estime qu'il serait inéquitable de lui laisser supporter les frais irrépétibles qu'il a dû supporter pour assurer la défense de ses droits.

Il estime avoir subi un préjudice du fait de l'absence de remise de son attestation ASSEDIC et réclame à la cour ce document rectifié, assujetti d'une astreinte définitive de 30 euro par jour de retard.

En conséquence, il demande à la cour :

- de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes d'Agen du 12 décembre 2003 en ce qu'il a dit que Philippe François devait bénéficier des dispositions de l'article 5-1 de l'accord national interprofessionnel des VRP,

- de confirmer la condamnation du GICB à la somme de 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de statuer à nouveau,

- de dire et juger que le contrat de travail de Philippe François a été rompu abusivement,

- de condamner le GICB pris en la personne de son représentant légal d'avoir à lui verser:

* 11 988,07 euro brut à titre du solde de la rémunération minimale forfaitaire d'un VRP exclusif + incidence congés payés,

* 10 150 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

* 1 302,25 euro à titre d'indemnité de préavis,

* 500 euro supplémentaire à titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- d'ordonner la remise d'une attestation ASSEDIC rectifiée sous astreinte de 30 euro par jour de retard à compter de la date de la saisine du Conseil des prud'hommes d'Agen,

- de condamner le Groupement Interproducteurs de Collioure Banyuls aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Motifs de la décision

Attendu que contrairement à ce qu'affirme le GICB, les liens entre ce groupement et la SARL Les Caves du Soleil vont au-delà de l'exécution du simple contrat de mandat produit au dossier;

Attendu que le contrat passé par Philippe François avec le GICB lui interdisait de représenter aucune autre entreprise commercialisant des vins et spiritueux à l'exception de la société Les Caves du Soleil;

Attendu que les produits commercialisés par le Cellier des Templiers et les Caves du Soleil l'étaient en commun, que la diffusion était commune, que le certificat d'affiliation au régime spécial de sécurité sociale la CC VRP faisait apparaître que Philippe François n'avait qu'un seul employeur, le GICB ; que la mention employeur unique" est portée sur ce certificat;

Attendu que le contrat de mandat produit n'impliquait nullement la mise en commun des connaissances oenologiques des deux sociétés ; qu'il n'est pas contesté que Philippe François exerçait ses fonctions sur le même secteur pour les deux sociétés.

Attendu que les premiers juges ont observé à juste titre que la clause du contrat selon laquelle la détention par Philippe François d'autres cartes est considérée par les parties comme l'élément essentiel du contrat et que par conséquent la perte par Philippe François de ces autres cartes serait une modification d'un élément essentiel du contrat de travail qui rendrait Philippe François responsable de la rupture;

Attendu que cette clause est exclusive du caractère distinct des deux sociétés alors qu'elle vient aussitôt après la clause selon laquelle il est énoncé que Philippe François représente déjà le GICB Cellier des Templiers;

Qu'il apparaît de manière claire que le GICB et la SARL Les Caves du Soleil sont un seul et unique employeur et non deux employeurs distincts, ce qui modifie profondément la situation de Philippe François qui était VRP exclusif et non VRP multicartes.

Sur la rupture du contrat de travail

Attendu que Philippe François a pris acte de la rupture de son contrat dé travail aux torts de l'employeur en alléguant l'impossibilité, résultant pour lui de l'absence de matériel publicitaire, de poursuivre son activité.

Attendu que l'employeur donne sur ce point des explications satisfaisantes, que l'intéressé n'apporte aucune contestation utile sur le montant du chiffre d'affaires qu'il a réalisé et sur la base duquel un pourcentage de 3,5 % lui avait été alloué à titre de budget publicitaire.

Que cet argument ne pouvait donc justifier la rupture du contrat aux torts de l'employeur.

Mais attendu qu'il demeure que l'employeur avait initié un système lui permettant de se dispenser du versement de la rémunération minimale des VRP en établissant deux contrats donnant l'apparence de deux entreprises employant le même salarié à titre non exclusif, montage que le salarié ne pouvait déceler et qui constitue de la part du groupement interprofessionnel une méconnaissance grave de ses obligations légales, à savoir le non-respect de la convention collective des VRP ; qu'il a ainsi privé Philippe François d'une somme importante au titre des salaires puisqu'elle s'élève à près de 10 000 euro pour la période d'un an au cours de laquelle il a oeuvré au sein du groupement.

Attendu que dès la saisine du conseil de prud'hommes, Philippe François a demandé à être considéré comme un représentant exclusif, situation lui ouvrant droit à la rémunération minimale des VRP ;

Que le montage précité le mettait dans l'impossibilité d'invoquer ce grief dans sa lettre de démission ; qu'il convient néanmoins de considérer que la violation de ses obligations légales par l'employeur lui rend imputable la rupture du contrat de travail.

Attendu dès lors que Philippe François est en droit de prétendre au paiement d'un mois de préavis sur la base de la rémunération minimale et à des dommages et intérêts qui lui seront alloués en application de la combinaison des articles L. 122-14-4 et L. 122-14-5 ; qu'il convient de lui allouer à titre de dommages et intérêts la somme de 7 000 euro.

Attendu que le montant du mois de préavis n'est pas contesté s'élève à 1 302,25 euro.

Attendu que l'employeur conteste le montant du calcul effectué par le salarié; qu'il apparaît que le conseil de prud'hommes a fait le compte exact des sommes qu'aurait dû recevoir Philippe François ; que néanmoins il apparaît que les sommes versées tant par le GICB que par Les Caves du Soleil s'élèvent 8 171,26 euro de telle sorte qu'il reste dû à Philippe François au titre de la rémunération minimale la somme de 11 212,87 euro ; qu'il convient en conséquence de condamner le GICB à lui payer cette somme.

Attendu qu'il y a lieu donc d'ordonner par le GICB la remise d'une attestation ASSEDIC conforme au présent arrêt ; qu'en raison du fait que l'attestation remise ne reprenait pas les éléments de salaire accordés par les premiers juges, il y a lieu de dire que cette remise devra intervenir dans le délai de 15 jours à compter de notification du présent arrêt et que passé ce délai une astreinte de 30 euro par jour de retard commencera à courir.

Attendu que le GICB devra supporter la charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement du conseil de prud'hommes du 12 décembre 2003 en ce qu'il a dit que Philippe François devait bénéficier des dispositions de l'article 5-1 de l'accord national interprofessionnel des VRP ; Confirme la condamnation du GICB à la somme de 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Y ajoutant, Dit et juge que la rupture du contrat de travail résulte de la méconnaissance par l'employeur de ses obligations et s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Condamne le GICB à payer à Philippe François en deniers ou quittances la somme de 11 212,87 euro au titre de la rémunération minimale des VRP ; - 6 500 euro de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et sans respect de la procédure, - 1 302,25 euro à titre d'indemnité de préavis incluant les congés payés, - 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel. Ordonne la remise d'une attestation ASSEDIC rectifiée sous astreinte de 30 euro par jour de retard pendant un délai de 15 jours après la notification du présent arrêt. Condamne le Groupement Interproducteurs de Collioure Banyuls en tous les dépens.