CA Douai, 2e ch. sect. 2, 27 janvier 2005, n° 03-05192
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sprintex (SA)
Défendeur :
Kiabi Europe (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bouly de Lesdain
Conseillers :
MM. Zanatta, Reboul
Avoués :
SCP Masurel-Thery-Laurent, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Mes Champagne Katz, Verspieren Macquet
Vu le jugement rendu le 17 juillet 2003, par le Tribunal de commerce de Roubaix Tourcoing;
Vu l'appel formé le 27 août 2003 par la SA Sprintex;
Vu les conclusions déposées par la SA Sprintex le 5 octobre 2004;
Vu les conclusions déposées par la SAS Kiabi Europe le 8 octobre 2004;
Vu l'ordonnance de clôture du 14 octobre 2004;
La SA Sprintex a pour activité la création, l'élaboration, la fabrication et la commercialisation de tissus.
La société Sprintex commercialise un dessin dénommé Evian 15, dans sa collection.
Ce tissu est commercialisé dans différents coloris.
En octobre 2000, la société Sprintex a fait parvenir à la société Kiabi Europe des échantillons de tissus correspondant à la référence Evian 15.
Le tissu correspondant à la référence Evian 15, est un tissu qui reprend un quadrillage écossais, présenté dans différentes couleurs.
Après y avoir été autorisée par ordonnance sur requête les 13 et 14 novembre 2001, la société Sprintex a fait procéder à une saisie au siège de la société Kiabi, le 3 décembre 2001.
Il a été remis des bons de commande à l'huissier de justice.
La société Sprintex considère que le tissu de la société Kiabi Europe, ainsi que les coloris dans lesquelles il est décliné, est une copie quasi servile du dessin lui appartenant.
Le jugement rendu le 17 juillet 2003, par le Tribunal de commerce de Roubaix Tourcoing a débouté la SA Sprintex de ses demandes; et l'a condamnée à payer à la société Kiabi Europe une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Sprintex fait appel de ce jugement. Elle fonde son action sur la notion de concurrence déloyale. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré;
- de valider les procès-verbaux de constats dressés le 3 décembre 2001 et le 12 décembre
2001;
- de dire que la société Kiabi Europe s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Sprintex, en commercialisant des vêtements confectionnés dans un tissu constituant une copie quasi servile du tissu Evian 15 dans plusieurs de ses coloris, et à vil prix;
- de condamner la SAS Kiabi Europe à lui payer la somme de 260 000 euro de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale et de parasitisme;
- de faire interdiction à la SAS Kiabi Europe de faire fabriquer ou de commercialiser, et de faire commercialiser les vêtements litigieux sous astreinte de 1 500 euro par infraction constatée, et par jour, à compter de la date de l'arrêt intervenir;
- d'ordonner la confiscation de l'ensemble des pantalons litigieux, tant au siège social de la société Kiabi, qu'à l'ensemble de ses établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants
- d'ordonner la destruction des vêtements en cause par un huissier, au choix de la société Sprintex, et à ses frais avancés, qui lui seront remboursés par la société Kiabi Europe;
- d'ordonner la publication de l'arrêt intervenir dans dix journaux, ou publications professionnelles, au choix de la société Sprintex, et aux frais de la société Kiabi Europe;
- de condamner la société Kiabi Europe à lui verser la somme de 16 000 euro, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SAS Kiabi Europe demande la confirmation du jugement déféré.
À titre subsidiaire, elle demande à la cour de constater que la société Sprintex ne rapporte pas la preuve de la réalité du préjudice qu'elle invoque, et ne caractérise pas le lien de causalité entre ce préjudice et les fautes qu'elle reproche.
Plus subsidiairement, elle demande de constater que le préjudice subi par la société Sprintex ne peut être qu'une perte de chance d'avoir pu commercialiser le tissu Evian 15 auprès de la société Kiabi.
Elle demande que soit rejetée la demande en paiement d'une somme de 260 000 euro, formée par la SA Sprintex.
Elle sollicite la condamnation de la société Sprintex à lui payer la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs
1) Sur la concurrence déloyale;
La société Sprintex reproche à la société Kiabi d'avoir fait copier par la société Solelytex de Taiwan, les échantillons de tissus écossais du modèle Évian 15, pour ensuite faire fabriquer des pantalons à bas prix.
Il n'est pas contesté que les modèles Évian 15 ne font pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle.
La société Sprintex estime qu'en faisant copier les échantillons, la société Kiabi Europe s'est mise dans son sillage, pour commercialiser des copies quasi serviles des tissus référencés Évian 15, faisant une concurrence déloyale à ses modèles Évian 15.
L'action en concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute.
L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Peut être constitutif de concurrence déloyale l'imitation des produits d'une entreprise. Si le produit ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle, les possibilités de s'opposer aux imitations sont très étroites, car elle se heurte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.
L'imitation servile, c'est-à-dire la similitude parfaite entre produits, si elle n'est pas imposée par une raison impérieuse ou ne s'explique pas par la banalité de l'élément sur lequel elle porte, est souvent considérée comme une attitude coupable orientée vers une recherche de confusion, et à ce titre constitutive de concurrence déloyale.
Si l'imitation a pour but de profiter de la notoriété d'un tiers, il y a une pratique qualifiée d'agissement parasitaire.
La faute doit être caractérisée par l'emploi de procédés déloyaux.
Le fait de faire délibérément copier des échantillons de la société Sprintex par une entreprise de Taiwan, pour faire fabriquer ensuite des pantalons à bas prix avec un tissu, copie servile du tissu confectionné par la société Sprintex, constituerait un comportement déloyal, constitutif d'une faute.
Il doit être prouvé que la société Kiabi Europe a commis une faute.
La société Kiabi Europe produit une attestation de la société Solelytex, qui dit avoir commercialisé les tissus dès l'hiver 1999.
La société Kiabi Europe soutient donc que ces tissus ont été commercialisés avant le mois d'octobre 2000, date à laquelle la société Sprintex a fait parvenir à la société
Kiabi Europe des échantillons de tissus correspondant à la référence Evian 15.
Mais cette attestation ne précise ni la qualité, ni l'identité du signataire, qui dit attester pour la société Solelytex.
L'attestation produite ne peut donc être retenue comme ayant une valeur probante.
En ce qui concerne la faute commise par la société Kiabi Europe, la société Sprintex indique:
"...En conséquence, tout porte à croire que c'est à l'initiative de la société Kiabi que le tissu litigieux a été fabriqué avec pour modèle le tissu de la société Sprintex...
Les tissus écossais sont régulièrement commercialisés par de nombreuses entreprises, depuis plusieurs années, en Écosse, en Grande-Bretagne, en France et dans le monde entier.
Il y a une grande banalité à utiliser des tissus écossais pour fabriquer des pantalons.
Toutefois, l'originalité d'un dessin, si elle est établie interdit toute copie.
En l'espèce, les tissus écossais de couleur rouge, kaki, et marron, utilisés par la société Kiabi Europe, reproduisent à l'identique, au millimètre près les dessins, aussi bien que la forme, la taille des carreaux et des lignes, des échantillons de tissus de la référence Evian 15, que la société Sprintex avait fait parvenir à la société Kiabi Europe en octobre 2000.
Ce ne sont pas des tissus écossais, qui ne présentent pas d'originalité particulière, en ce qui concerne le dessin des carreaux, ou dont le dessin des carreaux apparaîtrait d'une grande banalité, que la société Kiabi Europe a fait fabriquer à Taiwan, pour ensuite faire confectionner les pantalons en Indonésie, mais des tissus écossais dont le dessin des carreaux est l'exacte réplique de ceux vendus par la société Sprintex ;
Ainsi, à l'initiative de la société Kiabi, le tissu litigieux a été confectionné à partir du modèle des échantillons de tissus de la référence Evian 15, de la société Sprintex. En faisant fabriquer à Taiwan, par la société Solelytex, une copie servile des échantillons de tissus de la référence Évian 15, vendus par la société Sprintex, la société Kiabi Europe a commis une faute délictuelle de nature à engager sa responsabilité civile.
Le jugement déféré doit être infirmé.
2) Sur le préjudice subi;
La société Sprintex ne fournit pas les justificatifs du manque à gagner dont elle réclame réparation.
Cependant, compte tenu du nombre important de pantalons (11 000 pantalons) confectionnés à partir de tissu, copie servile des échantillons de la référence Évian 15, et de la banalisation du tissu référencé Évian 15, le montant du préjudice subi est évalué à la somme de
90 000 euro.
La SAS Kiabi Europe doit être condamnée à payer à la société Sprintex la somme de 90 000 euro de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale.
Il convient de valider les procès-verbaux de constats dressés le 3 décembre 2001 et le 12 décembre 2001.
Pour faire cesser le préjudice causé à la société Sprintex, il convient:
- de faire interdiction à la SAS Kiabi Europe de faire fabriquer, de commercialiser, et de faire commercialiser les vêtements litigieux sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée, et par jour, un mois après la date du présent arrêt;
- d'ordonner la confiscation de l'ensemble des pantalons litigieux, tant au siège social de la société Kiabi, qu'à l'ensemble de ses établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants;
- d'ordonner la destruction des vêtements en cause par un huissier, au choix de la société Sprintex, et à ses frais avancés, qui lui seront remboursés par la société Kiabi Europe;
Et d'autoriser la publication de l'arrêt intervenir dans les quotidiens " le Figaro" et "la voix du Nord", aux frais de la société Kiabi Europe, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4 500 euro hors taxes.
3) Sur les autres demandes:
Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. L'équité, aussi bien que la situation économique de la partie condamnée, commandent de débouter la SAS Kiabi Europe de sa demande en paiement des frais irrépétibles engagés; et de la condamner à payer à la SA Sprintex la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré; Dit que la SAS Kiabi Europe s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Sprintex, en commercialisant des vêtements confectionnés dans un tissu constituant une copie quasi servile du tissu Evian 15 dans plusieurs de ses coloris, et à vil prix; Condamne la SAS Kiabi Europe à payer à la SA Sprintex la somme de 90 000 euro de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale; Valide les procès-verbaux de constats dressés le 3 décembre 2001 et le 12 décembre
2001; Interdit à la SAS Kiabi Europe de faire fabriquer, de commercialiser, et de faire commercialiser les vêtements litigieux sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée, et par jour, une semaine après la date du présent arrêt; Ordonne la confiscation de l'ensemble des pantalons litigieux, tant au siège social de la SAS Kiabi Europe, qu'à l'ensemble de ses établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants; Ordonne la destruction des vêtements en cause par un huissier, au choix de la société Sprintex, et à ses frais avancés, qui lui seront remboursés par la SAS Kiabi Europe; Autorise la publication de l'arrêt intervenir dans les quotidiens " le Figaro" et "la voix du Nord", aux frais de la SAS Kiabi Europe, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4 500 euro hors taxes; Déboute la SAS Kiabi Europe de sa demande en paiement des frais irrépétibles engagés; Condamne la SAS Kiabi Europe à payer à la SA Sprintex la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Condamne la SAS Kiabi Europe aux dépens, avec le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, pour les avoués adverses.