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Décisions

CJCE, 1re ch., 26 mai 2005, n° C-478/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Celtec Ltd

Défendeur :

Astley, Ownes, Hawkes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

M. Poiares Maduro

Juges :

MM. Lenaerts, Juhász, Levits, Mme Colneric

Avocats :

Mes Sendall, Lewis, Linden

CJCE n° C-478/03

26 mai 2005

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la société Celtec Ltd (ci-après "Celtec") à M. Astley ainsi qu'à Mmes Owens et Hawkes au sujet de la détermination de la durée de la période d'emploi continu dont ces derniers sont fondés à se prévaloir en leur qualité d'anciens fonctionnaires concernés par la privatisation de programmes de formation professionnelle au Royaume-Uni.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 En vertu de son article 1er, paragraphe 1, la directive 77-187 est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.

4 Aux termes de l'article 2 de la directive 77-187, il faut, au sens de celle-ci, entendre par cédant "toute personne physique ou morale qui, du fait d'un transfert au sens de l'article 1er paragraphe 1, perd la qualité de chef d'entreprise à l'égard de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'établissement" et par cessionnaire "toute personne physique ou morale qui, du fait d'un transfert au sens de l'article 1er paragraphe 1, acquiert la qualité de chef d'entreprise à l'égard de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'établissement".

5 L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 dispose:

"Les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert au sens de l'article 1er paragraphe 1 sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

Les États membres peuvent prévoir que le cédant est, également après la date du transfert au sens de l'article 1er paragraphe 1 et à côté du cessionnaire, responsable des obligations résultant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail."

La réglementation nationale

6 La directive 77-187 a été transposée en droit britannique par le règlement de 1981 sur les transferts d'entreprise - protection de l'emploi [Transfer of Undertakings (Protection of Employment) Regulations 1981].

7 En vertu de l'article 155 de la loi de 1996 sur les droits des travailleurs (Employment Rights Act), le travailleur salarié n'a droit à une indemnité pour licenciement économique que s'il a été employé de manière continue pendant au moins deux ans à la date pertinente. En application de l'article 162 de cette même loi, le montant de ladite indemnité dépend du nombre d'années d'emploi continu, ce nombre étant toutefois plafonné à 20.

8 En vertu de l'article 218, paragraphe 1, de ladite loi, la notion d'emploi continu vise l'emploi occupé auprès du même employeur. Le paragraphe 2 de cet article comporte toutefois une disposition spécifique pour les cas de transferts d'entreprises, selon laquelle, "[s]i un commerce, un établissement ou une entreprise (créé ou non en vertu d'une loi) est transféré d'une personne à une autre, [...] la période d'emploi d'un travailleur dans le commerce, l'établissement ou l'entreprise au moment du transfert compte comme période d'emploi auprès du cessionnaire [et] le transfert n'interrompt pas la continuité de la période d'emploi".

Les faits à l'origine du litige et les questions préjudicielles

La réforme des actions de formation professionnelle au Royaume-Uni

9 Jusqu'en 1989, le Department of Employment (ministère du Travail du Royaume-Uni, ci-après le "ministère") a géré, par l'intermédiaire d'une soixantaine d'agences locales, des programmes de formation des jeunes et des chômeurs en Angleterre et au pays de Galles.

10 En 1989, le Gouvernement du Royaume-Uni a décidé de transférer une partie de ses missions de formation professionnelle à des entités privées gérées par le patronat, les Training and Enterprise Councils (conseils pour la formation et l'entreprise, ci-après les "TEC"). Il a ainsi été créé 82 TEC par différents groupements d'employeurs. Ces TEC ont repris les activités des agences locales du ministère ainsi que des ressources y afférentes. Au mois de novembre de l'année 1991, tous ces TEC étaient opérationnels.

11 Dans le cadre de cette opération de privatisation, les fonctionnaires employés par les agences locales du ministère ont été invités à se porter volontaires pour un détachement temporaire, d'une durée de trois ans, auprès d'un TEC. Pendant la période de leur détachement, les intéressés ont conservé leur statut de fonctionnaires.

12 Au mois de décembre de l'année 1991, ledit gouvernement a invité les TEC à acquérir le statut d'employeur à l'égard de l'ensemble de leur personnel au plus tard avant la fin de leur cinquième année d'activité.

13 En raison des inquiétudes exprimées par les TEC, le ministère a, en 1992, conclu avec ceux-ci un accord définissant leurs obligations respectives dans l'hypothèse où un fonctionnaire détaché opterait pour son affectation définitive dans un TEC. Cet accord prévoyait, notamment, des mesures concernant les droits acquis par les fonctionnaires détachés, en vertu desquelles le Gouvernement du Royaume-Uni s'engageait à aider financièrement le TEC si une juridiction venait à décider, en cas de licenciement d'un ancien fonctionnaire, que les périodes d'emploi accomplies par ce dernier successivement dans la fonction publique et au service de ce TEC doivent être réputées comme des périodes continues aux fins du calcul des droits de l'intéressé.

La situation des défendeurs au principal

14 Au pays de Galles, les activités de l'agence locale de Wrexham ainsi que ses locaux, ses systèmes d'information et ses bases de données ont été repris par le TEC du nord-est du pays de Galles (North East Wales TEC, ci-après "Newtec"). Newtec a commencé ses activités au mois de septembre de l'année 1990. Un autre TEC, Targed, a repris les activités et les locaux de l'agence locale de Bangor. Le 1er avril 1997, Newtec et Targed ont fusionné pour former Celtec.

15 Lors de la création de Newtec, les agences locales de Wrexham et de Bangor ont détaché 43 de leurs fonctionnaires auprès de ce TEC pour une durée de trois ans. À l'issue de leur période de détachement, 18 d'entre eux ont quitté la fonction publique et sont devenus des salariés de Newtec.

16 M. Astley, Mme Hawkes et Mme Owens, qui sont les défendeurs au principal, sont entrés dans la fonction publique respectivement les 31 août 1973, 4 novembre 1985 et 21 avril 1986. En charge d'actions de formation professionnelle dans le nord du pays de Galles, ils ont été détachés auprès de Newtec. À l'issue de leurs trois années de détachement, ils ont choisi de démissionner de la fonction publique et de travailler pour Newtec. La date de leur démission a coïncidé avec celle de leur recrutement par Newtec. Leur contrat de travail avec ce dernier a pris effet, en ce qui concerne Mmes Hawkes et Owens, le 1er juillet 1993 et, en ce qui concerne M. Astley, le 1er septembre 1993.

17 En 1998, Mme Hawkes a été licenciée par Celtec, qui a refusé de lui reconnaître une continuité d'emploi depuis son entrée dans la fonction publique. Les deux autres défendeurs au principal craignent, pour leur part, d'être prochainement licenciés. Tous trois ont dès lors introduit devant l'Employment Tribunal Abergele un recours visant à déterminer la durée de la période d'emploi continu dont ils peuvent se prévaloir, en soutenant que cette durée doit couvrir tant la période de service accomplie dans la fonction publique que celles effectuées auprès de Newtec et de Celtec.

La procédure juridictionnelle au Royaume-Uni

18 Par un jugement du 22 décembre 1999, l'Employment Tribunal Abergele a estimé que le litige opposant Celtec aux défendeurs au principal se caractérise par l'existence d'un transfert d'entreprise au sens de la directive 77-187. Au point 11 des motifs de ce jugement, l'entreprise transférée est définie comme suit: "il s'agit de la gestion des activités financées par le gouvernement en faveur de l'entreprise et de la formation professionnelle des plus de 16 ans en Angleterre et au pays de Galles, ainsi que des systèmes d'information et des bases de données, du personnel et de certains locaux". Soulignant l'importance des ressources humaines dans l'accomplissement des activités de l'entreprise en cause, ledit Tribunal a considéré que le détachement de fonctionnaires du ministère auprès des TEC avait constitué, dans ce contexte, un élément important de l'entreprise et de son transfert.

19 L'Employment Tribunal Abergele a jugé que les défendeurs au principal étaient, dans ces conditions, fondés à se prévaloir d'une période continue d'emploi à compter de leur engagement dans la fonction publique.

20 Par un arrêt du 5 octobre 2001, l'Employment Appeal Tribunal a fait droit à l'appel interjeté par Celtec contre la décision de l'Employment Tribunal Abergele. Il a considéré que le transfert d'entreprise en cause avait pris fin au mois de septembre de l'année 1990, soit bien avant que les défendeurs au principal soient engagés par Newtec.

21 Cet arrêt a été annulé par un arrêt de la Court of Appeal (England & Wales) du 19 juillet 2002. Celle-ci a jugé, d'une part, que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 couvre l'hypothèse d'un transfert d'entreprise se déroulant sur plusieurs années et, d'autre part, que l'Employment Tribunal Abergele était en droit de considérer que les compétences professionnelles des fonctionnaires détachés par le ministère auprès de Celtec faisaient partie de l'entreprise transférée.

22 Celtec a introduit un recours contre ce dernier arrêt devant la House of Lords, laquelle a estimé nécessaire de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Les termes 'les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert', figurant à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 [...], doivent-ils être interprétés en ce sens qu'il existe un moment précis auquel le transfert de l'entreprise ou d'une partie de celle-ci est réputé terminé et le transfert des droits et obligations conformément à l'article 3, paragraphe 1, est effectué ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, comment ce moment précis doit-il être identifié ?

3) En cas de réponse négative à la première question, comment les termes 'à la date du transfert' de l'article 3, paragraphe 1, doivent-ils être interprétés ?"

Sur les questions préjudicielles

23 À titre liminaire, il convient de relever que la décision de renvoi est fondée sur la constatation, effectuée par l'Employment Tribunal Abergele dans sa décision du 22 décembre 1999, selon laquelle le transfert en cause dans l'affaire au principal, intervenu entre le ministère et Newtec, relève du champ d'application de la directive 77-187.

24 Cette précision étant donnée, il y a lieu d'examiner ensemble les deux premières questions posées, par lesquelles la juridiction de renvoi demande en substance si, au regard de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, il convient de considérer qu'il existe un moment précis auquel sont censés intervenir le transfert de l'entreprise concernée ainsi que celui des droits et obligations du cédant découlant des relations de travail liant ce dernier aux travailleurs qu'il emploie et, dans l'affirmative, de quelle manière il est possible d'identifier ce moment précis.

25 Pour répondre utilement à ces deux questions, il importe de prendre en considération la finalité de la directive 77-187 et, notamment, celle de son article 3, paragraphe 1.

26 Ainsi que la Cour l'a itérativement jugé (voir, notamment, arrêts du 25 juillet 1991, D'Urso e.a., C-362-89, Rec. p. I-4105, point 9, et du 12 novembre 1998, Europièces, C-399-96, Rec. p. I-6965, point 37), la directive 77-187 tend à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant. L'objet de ladite directive est de garantir, autant que possible, la continuation des contrats ou des relations de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d'empêcher que les travailleurs concernés soient placés dans une position moins favorable du seul fait du transfert (voir arrêt du 17 décembre 1987, Ny Mølle Kro, 287-86, Rec. p. 5465, point 25).

27 Les règles applicables en cas de transfert d'une entreprise ou d'un établissement à un autre chef d'entreprise ont ainsi pour objet de sauvegarder, dans l'intérêt des employés et dans toute la mesure du possible, les relations de travail existantes qui font partie de l'ensemble économique transféré (arrêt du 16 décembre 1992, Katsikas e.a., C-132-91, C-138-91 et C-139-91, Rec. p. I-6577, point 21).

28 À cette fin, l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 englobe les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat ou d'une relation de travail existant à la date du transfert et conclu avec les travailleurs affectés, pour exercer leur tâche, à l'entreprise transférée ou à la partie transférée de l'entreprise ou de l'établissement (voir arrêt D'Urso e.a., précité, point 10).

29 Dans ce contexte, la référence à la notion de "date du transfert", contenue à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, vise à déterminer les travailleurs susceptibles de se prévaloir de la protection instituée par cette disposition. Relèvent ainsi de cette protection les travailleurs affectés à l'entité concernée par le transfert, dont le contrat ou la relation de travail est en cours à la "date du transfert", à la différence de ceux qui n'étaient plus employés par le cédant à cette date (voir arrêt du 7 février 1985, Wendelboe e.a., 19-83, Rec. p. 457, points 13 et 15) ainsi que de ceux qui ont été engagés par le cessionnaire postérieurement à ladite date (voir arrêt Ny Mølle Kro, précité, points 24 à 26).

30 Tant le choix du terme "date" que des motifs de sécurité juridique conduisent à considérer que, dans l'esprit du législateur communautaire, les travailleurs en droit de bénéficier de la protection instituée par l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doivent être déterminés à un moment précis de l'opération de transfert et non pas par rapport au laps de temps plus ou moins long sur lequel s'étend celle-ci.

31 Ainsi qu'il ressort des termes mêmes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, la notion de transfert contenue dans l'expression "date du transfert" visée à cette disposition s'entend "au sens de l'article 1er paragraphe 1 [de cette directive]".

32 Il ressort de cette dernière disposition que la directive 77-187 est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements "à un autre chef d'entreprise". Aux termes de son deuxième considérant, ladite directive vise à protéger les travailleurs "en cas de changement de chef d'entreprise". À l'article 2 de la même directive, les notions de "cédant" et de "cessionnaire" sont définies par référence, respectivement, à la perte et à l'acquisition de "la qualité de chef d'entreprise à l'égard de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'établissement".

33 Il a par ailleurs été jugé à plusieurs reprises que la directive 77-187 est applicable dès lors qu'il y a changement de la personne, physique ou morale, responsable de l'exploitation de l'entreprise, sans qu'il importe de savoir si la propriété de l'entreprise est transférée (voir arrêts Ny Mølle Kro, précité, point 12; du 10 février 1988, Daddy's Dance Hall, 324-86, Rec. p. 739, point 9, et du 5 mai 1988, Berg et Busschers, 144-87 et 145-87, Rec. p. 2559, point 17).

34 Pour établir l'existence ou non d'un transfert au sens de la directive 77-187, il convient d'apprécier si l'entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment du fait que son exploitation est effectivement poursuivie ou reprise par le nouveau chef d'entreprise, avec les mêmes activités économiques ou des activités analogues (voir arrêts du 18 mars 1986, Spijkers, 24-85, Rec. p. 1119, points 11, 12 et 15, ainsi que du 19 septembre 1995, Rygaard, C-48-94, Rec. p. I-2745, points 15 et 16).

35 Il s'ensuit que le critère déterminant pour constater l'existence d'un transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 réside dans le fait qu'un nouveau chef d'entreprise poursuit ou reprend l'exploitation de l'entité en question en préservant l'identité de celle-ci.

36 Dans ces conditions, la notion de "date du transfert" figurant à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être comprise comme visant la date à laquelle intervient la transmission, du cédant au cessionnaire, de la qualité de chef d'entreprise responsable de l'exploitation de l'entité en cause.

37 Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, la mise en œuvre des droits conférés aux travailleurs par l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 ne saurait être subordonnée au consentement ni du cédant ou du cessionnaire, ni des représentants des travailleurs, non plus que des travailleurs eux-mêmes, sous la seule réserve, en ce qui concerne ces derniers, de la possibilité qui leur est ouverte de décider librement de ne pas poursuivre la relation de travail avec le nouveau chef d'entreprise postérieurement audit transfert (voir arrêts du 11 juillet 1985, Danmols Inventar, 105-84, Rec. p. 2639, point 16, et D'Urso e.a., précité, point 11).

38 Il en découle que, sous cette seule réserve, les contrats et les relations de travail existant, à la date du transfert visée à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, entre le cédant et les travailleurs affectés à l'entreprise transférée sont transmis de plein droit de ce dernier au cessionnaire du seul fait du transfert de l'entreprise (voir arrêts D'Urso e.a., précité, point 20, et du 14 novembre 1996, Rotsart de Hertaing, C-305-94, Rec. p. I-5927, point 18).

39 Par ailleurs, au point 26 de l'arrêt Rotsart de Hertaing, précité, la Cour a jugé que le transfert des contrats et des relations de travail en application de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 a nécessairement lieu à la même date que celle du transfert de l'entreprise et ne peut être reporté, au gré du cédant ou du cessionnaire, à une autre date.

40 Au soutien de cette interprétation, la Cour a tout d'abord relevé que l'article 3, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 77-187 attribue aux États membres la faculté de prévoir que le cédant est, après la date du transfert de l'entreprise, responsable, à côté du cessionnaire, des obligations résultant d'un contrat ou d'une relation de travail, ce qui implique, en tout état de cause, que lesdites obligations sont transférées au cessionnaire à cette même date (arrêt Rotsart de Hertaing, précité, point 23).

41 Ensuite, en se référant au point 14 de l'arrêt Berg et Busschers, précité, dans lequel l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 a été interprété en ce sens que, après la date du transfert de l'entreprise, le cédant est en principe libéré de ses obligations résultant du contrat ou de la relation de travail en raison du seul fait de ce transfert, la Cour a constaté que, compte tenu de l'objectif de protection des travailleurs poursuivi par ladite directive, un tel effet ne peut se produire que si les obligations en question sont transférées au cessionnaire dès la date du transfert (arrêt Rotsart de Hertaing, précité, point 24).

42 Enfin, la Cour a considéré que reconnaître au cédant ou au cessionnaire la faculté de choisir la date à partir de laquelle le contrat ou la relation de travail sont transférés reviendrait à admettre que les employeurs peuvent déroger, au moins à titre temporaire, aux dispositions de la directive 77-187, alors que celles-ci revêtent un caractère impératif et qu'il ne peut dès lors y être dérogé dans un sens défavorable aux travailleurs (arrêt Rotsart de Hertaing, précité, points 17 et 25).

43 Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 40 à 42 du présent arrêt, il convient de juger que, aux fins de l'application de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187, les contrats ou relations de travail existant, à la date du transfert visée par cette disposition, entre le cédant et les travailleurs affectés à l'entreprise transférée sont réputés être transmis, à ladite date, du cédant au cessionnaire, et ce quelles que soient les modalités qui ont été convenues à cet égard entre les parties à l'opération de transfert.

44 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deux premières questions posées de la manière suivante:

- L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens que la date du transfert au sens de cette disposition correspond à la date à laquelle s'opère la transmission, du cédant au cessionnaire, de la qualité de chef d'entreprise responsable de l'exploitation de l'entité transférée. Cette date est un moment précis, qui ne peut pas être reporté, au gré du cédant ou du cessionnaire, à une autre date.

- Aux fins de l'application de ladite disposition, les contrats et les relations de travail existant, à la date du transfert au sens précisé ci-avant, entre le cédant et les travailleurs affectés à l'entreprise transférée sont réputés être transmis, à ladite date, du cédant au cessionnaire, quelles que soient les modalités qui ont été convenues à cet égard entre ces derniers.

45 Compte tenu des réponses apportées aux deux premières questions, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

dit pour droit:

1) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que la date du transfert au sens de cette disposition correspond à la date à laquelle s'opère le transfert, du cédant au cessionnaire, de la qualité de chef d'entreprise responsable de l'exploitation de l'entité transférée. Cette date est un moment précis, qui ne peut pas être reporté, au gré du cédant ou du cessionnaire, à une autre date.

2) Aux fins de l'application de ladite disposition, les contrats et les relations de travail existant, à la date du transfert au sens précisé au point 1 du présent dispositif, entre le cédant et les travailleurs affectés à l'entreprise transférée sont réputés être transmis, à ladite date, du cédant au cessionnaire, quelles que soient les modalités qui ont été convenues à cet égard entre ces derniers.